Chapitre 2

13 heures, juste après l'heure du déjeuner. Assis à l'avant de la classe, Shun ne parvenait pas à se concentrer sur ce que disait son professeur. Voilà deux heures qu'il avait mal au ventre, sans comprendre pourquoi. Peut-être la conversation avec sa mère l'avait-elle plus ébranlé qu'il ne voudrait l'admettre ? Peut-être appréhendait-il une nouvelle discussion sur le sujet ? Il l'ignorait. Il tenta de se vider la tête en lisant les inscriptions au tableau, espérant que son mal aise se dissipe. Pas question d'aller à l'infirmerie : il ne pouvait pas rentrer chez lui. Sa mère serait appelée pour venir le chercher, elle comprendrait bien vite ce qu'il avait, et elle se mettrait à culpabiliser… encore. Et il n'en était pas question.

Malheureusement, son appréhension ne le quitta pas du reste de la journée. Les heures de cours s'enchaînaient, ainsi que les professeurs et les leçons, desquelles Shun ne retenait rien. Il lisait, prenait note, faisait ses exercices sans vraiment s'en rendre compte. Chaque geste était machinal, automatique, alors que son esprit était totalement ailleurs. Il entendait plus qu'il n'écoutait Hippolyte lui parler de "Ça", sa nouvelle découverte littéraire qui lui "fichait la trouille". Ce n'est qu'à la fin de la journée, s'installant au fond du bus pour rentrer chez lui, qu'il sembla reprendre ses esprits.

Secouant la tête, il jeta un œil à la fenêtre, qui lui renvoya son reflet en transparence : quand avait-il libéré son pendentif de son t-shirt ? Il ne se souvenait pas l'avoir sorti une seule fois. Ses doigts glissèrent sur étoile, encore chaude être restée contre sa peau. En le regardant mieux, il se dit qu'il était tout de même très beau, ce bijou, et il se souvint qu'il n'avait même pas remercié sa mère de le lui avoir donné. Il se promit de le faire dès qu'il serait rentré.

Le bus s'arrêta bien vite à son arrêt – bien plus vite que d'habitude, pensa-t-il – et il descendit pour rentrer chez lui. Son mal de ventre le reprit d'assaut, comme son appréhension, allant augmentant au fur et à mesure des rues qu'il arpentait sous le ciel devenu grisonnant. Pourquoi se sentait-il si mal ?

Il passa la petite clôture qui entourait la maison et s'aventura sur le petit chemin de pavés blancs qui le séparait de la porte. Un nouveau mal aise le prit alors qu'il se rendit compte d'un détail infime, mais qui avait son importance : tout était étrangement silencieux… beaucoup trop silencieux. Les oiseaux ne chantaient pas. La voisine non-plus, d'ailleurs. Le quartier était plongé dans un calme effrayant qu'il n'avait encore jamais connu. Il pressa le pas, la main tendue vers la porte entrouverte… Ouverte ?

"... Maman ?" appela-t-il avec hésitation. Il savait qu'elle était là : son scooter était garé devant la clôture.

Il poussa la porte, les mains tremblantes, et risqua un pas dans la maison silencieuse. À cette heure, ça devrait sentir le koulouri et le thé jusque dans le hall. À la place, l'air sentait si fort le magnolia et la grenade qu'il en avait mal à la tête. Continuant lentement dans le couloir, il risqua un regard dans la cuisine. La pièce était parfaitement rangée. La vaisselle, encore humide, attendait sur le rebord de l'évier et les rideaux grands ouverts laissaient voir le ciel couvert de nuages gris.

Il continua son chemin jusqu'au salon, lentement. Seul l'écho de ses pas parvinrent à ses oreilles. Il passa l'arche menant à la pièce et se figea, le choc paralysant ses membres.

"M… Maman… ?"

Lidia se trouvait là, allongée face contre terre, le bras tendu vers le téléphone sur le meuble devant elle. Elle portait toujours son uniforme d'infirmière… depuis combien de temps était-elle là ? Shun sentit ses jambes se dérober sous lui, alors qu'il avait l'impression d'étouffer. Fébrile, il tendit une main vers son cou, et pressa deux doigts sur sa gorge.

"Maman, réveille-toi…" appela-t-il tout bas, espérant de toute son âme sentir un pouls. Déjà les larmes cascadaient sur ses joues, alors que les secondes s'égrenaient, interminables. La peau sous ses doigts était froide.

Dans un éclair de lucidité, il se redressa et saisit le téléphone sur le meuble, avant de composer rapidement le 112. Son cœur tambourinait dans sa poitrine si violemment qu'il semblait vouloir en sortir, alors que la tonalité retentit à l'autre bout du fil. Et puis, enfin…

"Quelle est votre urgence ?
– J-je… Ma mère ne bouge plus… répondit-il, le cœur au bord des lèvres. E-envoyez quelqu'un, s'il vous plaît… J-je suis à Héraklion… N-numéro 7...
– Que s'est-il passé ?
– J-je ne sais pas… je viens de rentrer… Je vous en prie, faites vite, elle respire plus… !"

Shun éclata en sanglots. Il tremblait si fort qu'il lâcha le téléphone au sol, recroquevillé contre le meuble. Il n'osait plus regarder sa mère, gisant si proche de lui. Il savait qu'il ne supporterait pas cette vision plus longtemps, même s'il souhaitait de tout son cœur la prendre dans ses bras une dernière fois. Il savait, au fond, qu'il n'y avait sans doute plus rien à faire pour elle. Elle était déjà si froide… et si raide… Dans sa tête tournaient sans cesse les mêmes questions :

"Que s'est-il passé ?"
"De quoi est-elle morte ?"
"Quelqu'un lui aurait fait du mal ?"
"Qui ?"
"Pourquoi ?"

Une main sur son épaule le ramena si violemment à la réalité qu'il ne put retenir un cri, repoussant le contact. La vision brouillée par les larmes, il était bien incapable d'identifier la personne se trouvant là. Il était grand, et tout en noir. Ça ne ressemblait pas aux services de secours, ni à aucun de ses voisins, qui auraient pu entrer en l'entendant pleurer si fort. Il le vit se mettre à sa hauteur et se décida à frotter ses yeux pour en sécher les larmes, les mains tremblantes. Sa vision se clarifia peu à peu : son habit noir… c'était une armure, si sombre qu'il semblait refléter une nuit sans étoiles. Son casque était pourvu de longues cornes, et quelques pointes sortaient çà et là de l'armure : épaules, bras, jambes… Effrayé, Shun se releva précipitamment et s'éloigna de quelques pas, tremblant de tout son corps, s'accrochant au meuble pour ne pas s'écrouler à nouveau. L'autre ne bougea pas, agenouillé devant lui, la tête bien basse.

"V-vous êtes qui, vous ?
– Gordon, du Minotaure. Répondit l'autre d'une voix profonde, sans relever la tête. De l'étoile Céleste de la Prison."

Fronçant les sourcils, Shun ne comprenait rien. Qu'est-ce que c'était que cette histoire de Minotaure et d'"Étoile Céleste" ? Son regard oscilla entre l'homme en armure et le corps de sa mère, gisant juste à côté.

"Qu-qu'est-ce que vous voulez ? hoqueta Shun. C'est vous qui avez… tu… tué ma mère ?
– Je viens vous chercher, Majesté. Votre place est en Enfer, pour gouverner les Spectres et mener la Guerre Sainte qui nous opposera à Athéna et la Terre."

Il eut encore un mouvement de recul, cette fois-ci effaré. Il comprenait de moins en moins : sa mère venait de mourir et cet espèce de… il ne savait trop quoi voulait l'emmener… en Enfer ? Il secoua frénétiquement la tête et passa rapidement à côté de lui pour courir de toutes ses forces hors de la maison et appeler à l'aide. Courir loin de cet homme, loin de cette réalité, loin tout ça… Il sortit de la maison et traversa la clôture, laissant là petite porte claquer violemment pour s'échapper, traversant le quartier désert. Il ne regardait pas où il allait, hurlant à l'aide… si seulement quelqu'un, n'importe qui…

Au détour d'une ruelle, il percuta violemment quelqu'un, si fort qu'il en tomba aussitôt à la renverse, se heurtant la tête contre les pavés. Il resta un instant sonné, allongé par-terre, ébloui par un éclat doré ressemblant vaguement au soleil. Sa tête tournait encore quand il tenta de se redresser sur ses bras tremblants alors que, en un éclair, la lumière d'or disparut de son champ de vision, et une voix puissante, telle un lion rugissant, parvint à ses oreilles.

"Lightning Plasma !"

Shun eut à peine le temps de se retourner, qu'il vit comme un millier d'étoiles envahir la ruelle. Une masse noire et hurlante de douleur s'envola vers le ciel, comme frappée de toutes parts, avant de retomber vers le sol sans aucune grâce. Tout se passa tellement vite qu'il en eut le vertige en se relevant et s'appuya au mur. Il secoua la tête pour reprendre ses esprits puis leva les yeux. Devant lui, lui tournant le dos, se trouvait un homme aux cheveux blonds, aux doux reflets cuivrés. Il arborait une longue cape blanche, qui laissait voir quelques pièces d'armures, bien différentes de celles de l'homme au sol. Celles-ci semblaient forgée dans de l'or véritable, brillantes comme le soleil. Un frisson remonta la colonne de Shun quand il se souvint des légendes que lui racontait sa mère quand il était enfant : des héros capables de pourfendre le ciel de leurs poings et d'entrouvrir la terre de leurs pieds… vêtus d'armures…

"Un chevalier… ?" souffla-t-il, abasourdi. L'homme se retourna alors et darda sur lui des yeux bleus le foudroyant sur place. Le garçon se tassa contre le mur, comme s'il voulait y disparaître.

"... Tu habites dans le coin ?
– O-oui… Que… Qu-qu'est-ce qu'il s'est passé… ?
– Je suis désolé… répondit l'inconnu en baissant les yeux, l'air affecté. Tu es le seul survivant."

Figé et hébété, Shun ne sut que répondre, pendant un instant, avant qu'il ne réalise enfin toute l'ampleur de la question. Une boule se forma dans sa gorge alors que son esprit prenait enfin pleinement conscience de la situation. "Le seul survivant" ? Alors non seulement sa mère… mais aussi tout le monde, tous ses voisins ? Les larmes remontèrent à ses yeux en se souvenant que le corps de Lidia avait été laissé à l'abandon dans le salon.

"Qu-que s'est-il passé… ? osa demander Shun. P-pourquoi sont-il tous… m-morts… ?"

Le chevalier détourna le regard un petit instant, semblant réfléchir à une réponse. Shun, lui, pleurait à chaudes larmes.

"Je ne suis pas le mieux placé pour t'expliquer. répondit-il finalement. Et ce n'est pas le meilleur moment. D'autres spectres peuvent débarquer d'un instant à l'autre. Je dois te mettre hors de leur portée."

L'homme en armure tendit une main vers lui, pour lui prendre la main, mais Shun de déroba en secouant la tête, tremblant de tout son corps.

"N-non… M-maman… J-je l'ai laissée là-bas…
– On ne peut plus rien faire pour ta mère.
– Mais… Elle ne peut pas rester là… I-il faut… I-il faut qu'elle ait… U-une sépulture…"

Sur ses mots, il se remit à pleurer à chaudes larmes. Il ne remarqua pas que, devant lui, le chevalier d'or soupirait, ne semblant pas savoir comment agir. Au loin, on entendit une sirène.

"... Écoute, les secours arrivent, ils vont s'occuper de ta mère… et de tous les autres… alors suis-moi, je vais t'emmener en sécurité.
– Les secours peuvent bien s'occuper de moi aussi… répondit Shun avec amertume.
– Je comprends que tu sois en deuil, gamin, mais tu n'as pas l'air de bien saisir la situation dans laquelle tu te trouves."

Shun releva les yeux vers lui, encore tremblant de sanglots incontrôlés. Le chevalier le regardait, l'air désolé, mais sa posture trahissait sa nervosité. Il désigna l'autre homme en armure au sol d'un geste vague.

"Les spectres en ont visiblement après toi, et ce n'est pas la police qui te protégera de ces types-là. Moi, je le peux, alors viens avec moi."

Shun se déroba encore quand l'autre homme voulu prendre sa main. Il perdit patience.

"On n'a pas le temps pour ça ! Il faut qu'on se dépêche, tu es en danger !
–Laissez-moi juste… récupérer quelque chose… demanda Shun d'une toute petite voix. S-s'il vous plaît…"

Le chevalier de tut, le regardant un petit instant, avant de soupirer bruyamment et d'accepter d'un geste de la tête. Sans perdre un instant, Shun le dépassa et courut vers sa maison, sans un regard en arrière. Il fonça directement à l'étage, dans sa chambre, et ouvrit son sac sur son bureau. Il prit rapidement un petit cadre où se trouvait une photo de lui et sa mère, quand il avait 7 ans. Il la regarda un petit instant et la glissa entre ses cahiers, ravalant un sanglot, avant de prendre, sur son lit, une couverture que sa mère lui avait faite au crochet. Reprenant son sac, il redescendit au salon.

Lidia était toujours là, par-terre. Shun ne s'était pas imaginé qu'elle aurait pu se relever miraculeusement. Hésitant, il s'accroupit près d'elle et la prit délicatement par l'épaule, avant de fermer les yeux… et de la mettre sur le dos. Après quelques secondes, il rouvrit les yeux, et fut soulagé de voir ceux de sa mère fermés, et son visage… plutôt serein. Il n'aurait pas été capable de soutenir son regard, et d'affronter ses traits déformés par la douleur ou la peur. Il prit la couverture et la déposa délicatement sur son visage et ses épaules.

"Pardon, maman… Je… Je ne sais pas, j'aurais pu… rater l'école, aujourd'hui… Rester près de toi… Faire quelque chose...
– Ça n'aurait rien changé…"

Shun se retourna en un sursaut. Le chevalier d'or était dans le couloir, bras croisés. Il le regardait, avec toujours son air désolé.

"Tu n'aurais rien pu faire… Pire, encore, tu serais peut-être mort, à l'heure qu'il est, si tu étais resté. Dis-toi qu'elle est partie en douceur, ç'aurait pu être bien pire."

Shun regarda une dernière fois la silhouette de sa mère, sous la couverture, puis ferma les yeux un petit instant, à genoux au sol, les mains posées sur la sienne. En silence, il adressa une prière pour qu'elle soit en paix, où qu'elle soit, laissant encore quelques larmes couler sur ses joues. Après un instant semblant bien trop long pour le chevalier d'or, Shun reprit son sac et se releva. Il frotta ses yeux, avec un peu de brutalité, et se détourna de sa mère pour sortir de la maison, serrant son sac à dos contre son cœur comme s'il s'agissait d'elle.

"Et… Où comptez-vous m'emmener, demanda-t-il ?
– Au Sanctuaire d'Athéna."

La route jusqu'au Sanctuaire avait semblé bien pénible à Shun. Celui-ci était bien difficile d'accès, car aucun civil n'était supposé s'y aventurer… mais ses états d'âme n'arrangeait rien à la difficulté de son ascension. Plusieurs fois, plongé dans ses pensées, Shun s'était mis à pleurer en silence… et il était fatigué de pleurer. "Ça va aller, on est presque arrivés." lui répétait le chevalier un peu maladroitement. Il s'était délesté de son armure, rangée dans une grosse boîte dorée, ornée d'un lion rugissant, qu'il portait sur le dos.

Durant leur voyage, le garçon n'avait pas dit un mot, s'enfermant dans un mutisme endeuillé. Le chevalier avait essayé, pourtant, d'entamer une discussion, ne serait-ce que pour rendre l'ambiance un peu moins lugubre. Mais les réponses étaient restées silencieuses. Il s'était tout de même présenté, après lui avoir difficilement soutiré un nom : Aiolia, chevalier d'or du Lion. Shun n'avait même pas fait mine d'être surpris, comme l'auraient été la plupart des gens. Il était resté muet, serrant la sangle de son sac comme s'il était devenu la chose la plus précieuse à ses yeux.

Ce n'est qu'en entendant, assez proche de lui, des voix diverses d'hommes et de femmes, qu'il sembla enfin émerger de ses tristes pensées pour se reconcentrer sur son environnement. Aiolia et lui se trouvaient dans une immense vallée rocheuse. Autour d'eux s'amoncelaient des ruines de vieux temples typiquement grecs. Là-bas, plus loin, s'élevait une arène semblant très ancienne. Les voix venaient de là. Si ce n'étaient les sons, le lieu semblait à l'abandon.

"On est arrivés. annonça le chevalier. Bienvenu au Sanctuaire."

Shun regardait encore autour de lui, alors qu'Aiolia s'avançait vers l'arène. Ça ne ressemblait en rien à un sanctuaire, vraiment – et pourtant, il en avait vu, des lieux de culte, en Grèce. Le Domaine Sacré tenait davantage d'un vieil amas de roche.

Le chevalier d'or l'interpella, et Shun pressa le pas pour le rejoindre. Ensemble, ils dépassèrent l'arène et, plus loin, un immense escalier leur fit face. Il était si long que le garçon ne put voir que la pointe du toit d'une sorte de vieux temple, en haut des marches. En plissant les yeux, il distingua, au-delà, un autre long escalier, ainsi qu'un autre temple.

"J'espère que tu as de l'endurance, Shun. Je dois rendre mon rapport en haut de ces marches, et tu vas devoir m'accompagner.
– On doit aller… à ce temple, là ?
– Non. répondit Aiolia avec un petit rire. Ça, c'est le temple du Bélier. Il y en a onze autres qui suivent, avant d'atteindre l'arrivée."

Sans attendre une réponse, le chevalier du Lion commença sa longue, très longue ascension. Découragé, après avoir déjà eu tout ce mal à atteindre le Sanctuaire, Shun lui emboîta le pas. Si les premières marches se laissèrent gravir sans le moindre problème, il manqua bien vite de souffle en voulant suivre la cadence du Lion. Plusieurs fois il s'arrêta pour respirer un peu, avant de reprendre la marche au pas de course pour rattraper son guide.

Arrivé au pas du temple, il fut incapable de tenir plus longtemps sur ses jambes, s'écroulant sur la dernière marche.

"Je n'en peux plus…"

Aiolia se retourna, et le toisa de toute sa hauteur – et Shun se dit qu'il paraissait bien plus grand et musclé sous cet angle.

"Tu es conscient que ce n'est que le début ? Je t'ai dit qu'on devait aller bien plus haut.
– Tu n'as pas l'impression de trop en demander ?"

Avant que Shun ne comprenne d'où venait cette voix, une forme de matérialisa tout proche d'eux, avant de se clarifier. Sous son regard hébété, un autre homme venait d'apparaître : un visage fin, de longs cheveux blonds et des yeux verts. Sa particularité était les deux taches à la place de ses sourcils. Lui aussi avait une armure dorée, avec deux espèce de longues cornes reposant sur ses épaules et maintenant sa cape. Le garçon eut un frisson en se rappelant du spectre qu'il avait rencontré.

"Bonsoir, Mu.
– Bonsoir… répondit l'autre. Tu te rends compte que tu es en train de lui demander l'impossible, à ce garçon ?
– N'exagérons rien.
– Aiolia… c'est un enfant. Civil, qui plus est."

Le Lion lui lança un regard un peu hésitant, pinçant les lèvres, vite suivit par l'autre chevalier, dont le regard était davantage bienveillant.

"Oui, je sais… finit par soupirer Aiolia. Mais tu sais aussi qu'Athéna n'aime pas trop qu'on se promène comme on veut à la vitesse de la lumière dans son Sanctuaire.
–Je crois que pour une affaire de cette importance, elle ne t'en tiendra pas rigueur. Regarde-le, il ne grimpera pas les marches aussi aisément qu'un chevalier. À ce rythme, vous arriverez au Palais dans douze heures, et encore."

Aiolia le regarda encore alors qu'il tenta de se relever. Ses jambes tremblaient, ses mains aussi, et il avait chaud d'avoir monté un si long escalier. Cependant, malgré la fatigue qui l'accablait, et cette journée déjà bien trop étrange et difficile, il voulait garder un tout petit peu de fierté. Le Lion soupira encore et s'approcha de lui.

"D'accord, on va essayer une autre méthode."

Avant qu'il n'ait le temps de réagir, il se sentit soulevé du sol, dans les bras puissants du chevalier d'or.

"Accroche-toi."

Sans hésiter, Shun passa les bras autour de son cou et, soudainement, le décor disparut tout autour de lui, au profit d'un espace totalement flou, et une sorte de vent fort lui fouetta le visage. Cela fut très bref, mais il l'avait bien senti. En un clin d'œil, le décor avait à nouveau changé.

Ils se trouvaient devant un autre temple, bien plus grand et imposant que le précédent, avec de hautes colonnes. Aiolia le déposa au sol et il eut tout le loisir de regarder les alentours. Il constata, avec étonnement, qu'ils surplombaient la vallée, à présent, et il ne put s'empêcher de trouver la vue magnifique, sublimée par le soleil commençant déjà à décliner vers l'horizon. Il voyait plusieurs temples, en contrebas, tous d'architecture différente tout en étant à peu près similaires, au nombre de douze. Était-ce les temples qu'ils devaient traverser ?

"On s'est… téléporté ?
– Non, la téléportation est interdite, sur de longues distances. J'ai utilisé la vitesse de la lumière."

Un éclat doré attira son attention, et Shun se retourna vers le chevalier d'or : il avait remis son armure. D'un geste, celui-ci l'invita à le suivre dans l'immense Palais grec et il s'exécuta. L'entrée n'était qu'une immense arche donnant sur un hall spacieux, ressemblant davantage à un couloir bordé de piliers soutenant des torches. Un long tapis rouge les menait jusqu'à une grande porte, à l'opposé de l'entrée. Deux hommes se tenaient là, de part et d'autre de la porte. Vêtus d'une tunique, d'un caleçon long et de spartiates, ils semblaient venir tout droit de l'Antiquité. Armés d'un bouclier rond et d'une lance, et équipés d'un casque dissimulant leur visage, ils devaient être là pour monter la garde.

"Chevalier du Lion… commença l'un d'eux. Vous venez rendre votre rapport ?
– En effet. Athéna est-elle là ?
– Elle vous attend. Avec le chevalier de la Balance."

Soudain, un des gardes sembla remarquer la présence de Shun, à moitié caché derrière Aiolia.

"Et lui ?
–C'est un témoin important. Je compte sur lui pour expliquer ce qu'il s'est passé.
– … Très bien. Vous pouvez entrer."

Les gardes s'écartèrent et ouvrirent la porte. Cette nouvelle pièce était… Magnifique. Le tapis rouge se prolongeait dans l'immense salle au plafond haut, jusqu'à remonter une estrade où se trouvait un imposant trône doré, devant de lourds rideaux blancs. Sur le trône, il y avait une jeune femme, vêtue d'une longue robe blanche, rehaussée de parures en or. Elle avait de longs cheveux châtains qui lui retombaient jusqu'aux cuisses.

Dans sa contemplation, Shun ne remarqua pas tout de suite qu'Aiolia s'était avancé jusqu'à l'estrade. Il le rattrapa rapidement, un peu rouge de honte et intimidé, avant de l'imiter quand il mit un genou à terre.

"Déesse Athéna. Je viens vous rendre mon rapport.
– Je suis contente de te voir, Aiolia, chevalier du Lion."

Soudain crispé, Shun se permit de lever les yeux pour détailler la jeune femme devant lui. Elle n'avait pas l'air beaucoup plus âgée que lui et pourtant… pourtant elle dégageait quelque chose. Elle avait de la prestance, c'était indéniable. Ses yeux bleus n'étaient que douceur. Shun se dit brièvement qu'elle ne ressemblait pas vraiment à la statue du Parthénon – et même pas du tout. Était-ce vraiment elle, Athéna ? Comment une déesse pouvait-elle se trouver ici ? Sentant son regard sur lui, il baissa aussitôt les yeux.

"Qui est ce garçon, qui t'accompagne ?
– Il s'appelle Shun. C'est le seul survivant du quartier qui a été attaqué, et un Spectre semblait en avoir après lui personnellement. Je pensais que son témoignage pourrait nous aider à mieux savoir ce qu'il s'est passé."

Un court silence s'installa, pendant lequel Shun ne regardait que le sol.

"Très bien. Je t'écoute, Aiolia. Qu'as-tu vu ?
– Je me suis rendu à Héraklion, comme vous me l'avez demandé. Quand je suis arrivé sur place, tout le monde était déjà mort… mais les corps ne présentaient pas de blessures, comme si leur mort était naturelle. En faisant le tour du quartier, je suis tombé sur Shun. Il était suivi par un spectre, alors j'ai éliminé la menace. En y réfléchissant, j'ai trouvé ça étrange qu'il se fasse menacer, alors que les autres habitants du quartier n'avaient pas été attaqués directement. Je me suis dit qu'il avait peut-être vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir."

Le garçon coula un regard vers le chevalier d'or, qui avait gardé la tête basse en parlant. Quelques secondes s'écoulèrent, comme si la déesse prenait le temps de digérer l'information, avant de parler.

"Shun, veux-tu bien te lever ?"

Il leva d'abord la tête, croisant le regard encourageant d'Athéna, avant de lentement se redresser. Debout à côté d'Aiolia, il se tritura les mains, les yeux baissés.

"Raconte-moi ce qu'il s'est passé." lui demanda-t-elle doucement.

Shun se mordit la lèvre, et inspira profondément, avant de la regarder à nouveau. Il commença.

"La… la journée avait commencé normalement… Je suis rentré des cours et… le quartier était trop silencieux. Je suis rentré chez moi et… et maman était… m-morte…"

Les larmes lui montèrent au yeux, et sa gorge se serra en revoyant l'image de sa mère, dans le salon. Il se retint autant que possible de s'effondrer en pleurs, en frottant ses yeux.

"Prends ton temps, ça va aller…"

Shun regarda à nouveau vers le trône, surpris par la voix qui l'avait encouragé. Juste à côté de la déesse était apparu un vieil homme, si voûté qu'il semblait minuscule, avec une barbe blanche. Il arborait un sugegasa*, comme dans les rizières japonaises, et avait une canne de bois. Il semblait lui sourire, lui faisant signe de se calmer. Le garçon hocha lentement la tête et tâcha de reprendre son souffle, avant de continuer d'une voix chevrotante.

"Je… J'ai appelé les secours et… et puis un homme est arrivé… Il a dit des trucs bizarres et j'ai eu peur… Je me suis enfui… Je ne sais pas ce qu'il s'est passé… Je suis tombé sur le chevalier du Lion en courant…
– L'homme que tu as vu, c'était un spectre ?
– Je crois… c'est ce qu'Aiolia a dit…
– Te souviens-tu de ce qu'il a dit ?" demanda Athéna.

Shun baissa les yeux, essayant de se souvenir. Il avait eu si peur et était encore en état de choc. Il n'était pas certain de bien s'en rappeler.

"Il disait qu'il… venait me chercher… Que je devais mener une guerre, quelque chose comme ça… Il a parlé… de… vous…"

Il se tut, voyant le regard de la déesse devant lui changer. La bienveillance avait laissé place à l'inquiétude, et elle commençait à pianoter nerveusement sur son accoudoir. À côté de lui, le regard d'Aiolia oscillait entre lui et Athéna. Une certaine tension avait envahit la salle du trône. Soudain, la jeune femme se leva et interpella un garde proche d'eux. Celui-ci s'approcha.

"Majesté ?
– Faites venir les chevaliers d'or immédiatement. L'heure est grave."

Elle le regarda à nouveau, puis sembla consulter le vieillard du regard, tandis que le garde quittait le temple au pas de course. Tremblant de tout son corps, les jambes flageolantes, Shun ne comprenait pas ce qu'il se passait… mais il réalisait que sa vie ne serait plus jamais la même.


Bonjour et bonne année à tous !

J'espère que vos fêtes se sont bien passées et que vous avez bien profité – et que mon petit one-shot surprise de fin d'année vous a plu.

Comment trouvez-vous ce chapitre ? Brutal, n'est-ce pas ? Triste, aussi, sûrement. Non, je ne m'excuserai pas.

Par contre, je suis désolé de vous annoncer que cette fanfiction n'aura pas de publication régulière. Je publierai de temps en temps, quand j'aurai eu la motivation pour avancer et/ou faire des corrections.

En parlant de corrections : j'ai l'impression que glisse des fautes dans les textes. Les textes présents dans mon drive sont corrigés minutieusement et, pourtant, je me rends compte après la mise en ligne qu'il y a des fautes, voire qu'il manque carrément des mots. Suis-je le seul à subir ça ?

J'attends votre réponse et votre avis sur ce chapitre dans les reviews (en espérant qu'il ne soit pas trop contaminé par le bug).

Je vous dis à la prochaine !


*Un sugegasa est un chapeau conique porté par les agriculteurs japonais dans les rizières, souvent appelés "chapeau chinois" dans nos contrées.


Un one-shot bonus en rapport avec "Le Bon, la Brute et le Protecteur" sera mis en ligne sous peu.

Alors restez connectés.