Enfermés dans leur bulle
Wanda était allongée sur le canapé, une main posée sur son ventre rebondi, lorsque Vision fit irruption dans le salon, un sourire aux lèvres. Il délaissa son aspect humain pour reprendre son apparence d'androïde, se précipitant vers sa femme pour lui voler un baiser. La jeune femme avait le sentiment qu'elle ne pourrait jamais s'habituer à cette sensation de plénitude, comme si tout cela était faux – et cela l'était, d'une certaine manière, mais elle s'empressait bien souvent d'oublier cette pensée pour replonger dans son monde d'illusions. Son mari semblait être particulièrement enjoué, bien plus que les autres jours, et elle était curieuse d'en connaître la raison.
« Mon patron m'a proposé de prendre des vacances ! Tu te rends compte, Wanda ? Toi et moi, sans nous soucier de mon travail, à profiter de quelques jours de détente ! J'ai déjà plein d'idées de destinations, en Europe, en Russie, en Australie ! Tu préfères la plage ou la montagne ? Ou peut-être les deux ? Une belle vue d'un chalet perdu en…
— Vision, l'interrompit sa femme d'une voix douce et posée, pourquoi partir ? »
Elle essayait de ne pas céder à cette panique qui risquerait de lui faire perdre tous ses moyens. Westview était son refuge, son seul point d'ancrage dans un monde à la dérive, et elle refusait d'en franchir les limites. Ses dernières expéditions dans d'autres pays n'avaient rien donné de bon, elle ne gardait que des souvenirs traumatisants d'expériences qu'elle ne voulait pas renouveler. Le Lagos et l'explosion de Rumlow. L'Allemagne et les combats à l'aéroport. Le Wakanda et la disparition de … Non, elle ne devait pas y songer une seule seconde, elle n'en avait pas la force.
« Nous pourrions rester ici, tous les deux, tenta-t-elle en arborant son plus beau sourire. Et puis, avec ma grossesse, je ne veux pas aller trop loin.
— Ce sont nos premières vacances, Wanda. Et ce serait bien de quitter un peu Westview, n'est-ce pas ?
— Sûrement pas ! s'emporta-t-elle en se relevant brusquement. »
Une nausée la saisit mais elle ne se rallongea pas pour autant, fixant son compagnon qui s'inquiétait sans doute à son sujet. Elle s'obligea à se calmer, consciente que son état n'était pas naturel, le cœur battant à tout rompre comme s'il allait s'échapper de sa cage thoracique. Elle expliqua à son mari qu'elle était heureuse à ses côtés, dans leur petite maison, à regarder la télévision et à écouter de la musique sans avoir à penser au lendemain. Elle le vit acquiescer distraitement, comme s'il pesait le pour et le contre de ce qu'elle venait de lui révéler, puis il vint s'asseoir à côté d'elle avant de l'attirer contre lui. Elle posa la tête sur son épaule avec soulagement, espérant qu'aucune autre idée insensée ne fuserait dans l'esprit de l'androïde.
Elle s'endormit contre lui, bercée par sa propre fatigue. Ses pensées devenaient confuses pendant son sommeil et, cette fois-ci, elle rêva d'une plage paradisiaque, avec des enfants qui couraient dans le sable. Les cris de joie des petits muèrent peu à peu, se changeant en hurlements de détresse, plus profonds, plus terribles. Le sable avait laissé la place à du béton, la mer n'était qu'un vaste vide. Sous ses pieds, le sol s'élevait, toujours plus haut, alors que des robots envahissaient le ciel. D'instinct, elle tendit les mains devant elle, usant de sa magie pour repousser ses adversaires, à la recherche d'une aide qui ne venait pas. Elle était seule au milieu du chaos ambiant, seule face à une armée d'être robotiques qui se regroupaient autour d'elle, seule contre un ennemi qui avançait à sa rencontre. Ce n'était pas Ultron, ni Thanos, ni Hydra, mais elle-même. Son double maléfique, en quelque sorte, qui la regardait avec dédain, de l'assurance dans ses yeux rougeoyants. Lorsque les doigts de l'autre femme tissèrent un sortilège, Wanda se réveilla en sursaut, portant une main à sa poitrine alors que Vision frottait son dos.
« Tu as fait un cauchemar ?
— Oui, murmura-t-elle. »
Elle n'osait pas lui avouer que ce n'était pas tout à fait un mauvais rêve mais plutôt l'expression de ses peurs les plus noires. Elle craignait de céder du terrain à toute cette énergie qui l'emplissait, qui chantait dans sa tête et lui hurlait d'ouvrir les bras à sa puissance. Wanda accepta l'étreinte de son mari, se perdant dans la sensation de chaleur que lui conférait sa présence. Elle avait l'impression d'être à nouveau cette petite fille effrayée par les armes de Stark Industries, cachée sous son lit dans l'attente d'une explosion qui ne venait pas. À la différence que la bombe n'était pas à l'extérieur, elle était tapie dans son âme, prête à réduire en cendres tous ceux qui chercheraient à lui faire du mal ou à briser son bonheur.
« Dis-moi que tu n'as pas envie de partir, supplia-t-elle Vision. Notre foyer est ici.
— Je ne te parlais que de vacances, Wanda, répliqua-t-il sans comprendre ce qui la dérangeait tant. Je ne te demande pas d'aller habiter ailleurs ou d'abandonner ce que nous avons. Voyager ne te ferait pas plaisir ?
— Ce monde est trop dangereux pour nous, souffla la jeune femme. »
Elle avait encore ce souvenir de Lagos, les expressions de terreur des habitants qui avaient vu son geste, ces journalistes qui la montraient du doigt en l'accusant d'être une arme en liberté. Stark lui-même avait essayé de la cloîtrer dans le quartier général des Avengers, et ce n'était pas pour la protéger elle mais plutôt pour éviter aux populations de revivre une autre catastrophe. Westview leur offrait une sécurité qu'ils n'auraient pas dans d'autres lieux, la ville leur garantissait un avenir là où le reste du monde ne leur donnerait que des regrets.
« Et le Wakanda ? »
Elle sut avec chagrin qu'elle était dans l'un de ces moments, l'un de ceux qu'elle haïssait le plus. Une prise de conscience de la part de Vision, l'éclat d'un souvenir qui n'était pas tout à fait anéanti. Sans doute la réminiscence de ses derniers instants avant l'arrivée de Thanos. Elle prit l'une de ses mains dans les siennes et concentra sa magie, lui demandant de la pardonner. Elle devait lui ôter de l'esprit son envie de voyages, pour leur bien à tous les deux.
