Chapitre 2
Une Touche de Magie Noire
Je préparai doucement mon petit sac dans lequel j'avais mis des instruments de magic-weavers, ainsi que quelques pierres fines. Je trouvai une petite pochette en cuir avec le signe du clan Yonsa par-dessus, laquelle je vérifiai l'intérieur pour m'assurer que tout était vide avant de la faufiler dans mon kimono rose foncé. Papa vint me chercher à l'intérieur du refuge alors que je terminais d'attacher mes souliers et étais en train de prendre ma lance. À comparer de Maman, mon manche était couleur ambre et j'avais un anneau en argent. L'anneau de Maman était maintenant couleur cuivre : elle avait échangé son anneau d'or, noircit par ses nombreuses batailles et sang de ses adversaires, avec celui de Kassa.
- N'emmène pas ta lance, m'avertit-il.
- Quoi ? m'étonnai-je.
- Crois-moi, petite fleur, c'est mieux que ma famille ne voit pas ta lance à leur maison. Ici, ça ne dérange pas, mais là-bas...
- Mais, Papa !... elle me suit n'importe où. Je peux pas la laisser. Et si on se faisait attaquer en chemin ?
- Cette scène m'est étrangement familière, avoua Papa. Ta mère a réagi de la même façon et a utilisé les mêmes mots. Je t'en prie, ma chérie, dépose ta lance quand on ira là-bas.
Je grinçai des dents et croisai mes bras.
- Je l'emmène pareil ! réfutai-je. Je la cacherai... dehors... dans un endroit où je pourrai la prendre, n'importe quand. Ça marche ?
- Ça marche... encore une fois, tu ressembles à Maman.
Je souris et jetai un œil à mon gardien. L'avantage d'être un esprit c'est que Jiguro pouvait se permettre d'avoir sa lance en tout temps, sans peur d'être vu ni jugé, à comparer de moi. Après une heure de marche, Papa se retourna vers moi.
- Il est temps de cacher ta lance, maintenant.
Papa me pointa un tas de feuilles mortes sur le sol. À contrecœur, je me séparai de mon arme, presque devenu un doudou et qui m'accompagnait depuis maintenant un an, partout où j'allais, sans exception près.
- Quand mes parents sont décédés, Noshir a repris la maison familiale comme héritage, m'expliqua Papa alors que je me sentais nue sans ma lance. J'ai grandi ici jusqu'à mes trois ou quatre ans. Quand on sera définitivement là-bas, tu ne dis rien concernant ton don de clairvoyance et de tes habilités de magic-weaver.
- Pourquoi ?! m'indignai-je. Ils sont même pas proches de moi ! Ma lance, mes dons... comme si j'étais... méchante ! Je sais que je suis née hors mariage... mais je dois cacher qui je suis ?! Pour toi ?! Tu me fais pas confiance !
Il avait arrêté de marcher. Jiguro tentait tant bien que mal de m'apaiser en me frictionnant le dos, je ne parvenais pas à me calmer. La colère faisait comme une éruption en moi. Je bouillonnais. Zukhan prit ma main et tenta un sourire compatissant.
- Je suis désolé que tu l'aies pris de cette façon, ma belle, s'excusa Papa alors que mes yeux étaient déjà remplis de larmes. Ce n'est pas pour ma réputation ou ma sécurité. Je te demande de faire tout ça parce que je ne veux pas que l'on se moque et ridiculise ma seule et unique fille dans ce monde. Tu es mon plus précieux trésor, je ne veux pas que l'on te fasse du mal que tu ne mérites pas.
Je sentais qu'il était sincère dans ses mots, mais je ne pus m'empêcher de ressentir de l'indignation. De croire que j'étais une chose mauvaise. Je n'avais jamais rien fait de mal, et encore moins demandé à naître avec mon don de médiumnité. Zukhan influença Papa pour qu'il clarifie ses dires, afin que ce soit plus compréhensible pour moi.
- Aussi, la raison du « pourquoi » je te demande tout ça, c'est que les fermiers comme mon frère craignent les magic-weaver, les herboristes ainsi que tous ceux qui peuvent voir et parler aux esprits.
- C'est pas ma faute si je suis médium, reniflai-je. T'as jamais demandé à être le bouche-trou de ta famille. Tu te fais manger la laine sur le dos par le loup, comme une chèvre.
- Quoi ? ne comprit-il pas ma dernière phrase.
- C'est une expression Kanbalese que Tante Yuka m'a dit, l'aidai-je. Se faire « manger la laine sur le dos par le loup » c'est se faire marcher dessus. Que des gens abusent de notre gentillesse, sans avoir de la gratitude.
La maison du frère de Papa était petite, mais une lumière ressortait par l'unique fenêtre de la bâtisse. Elle était creusé à même dans la porte. Je sentis la main de Jiguro sur mon épaule. Papa cogna et Noshir vint lui ouvrir. Je pouvais clairement sentir son hypocrisie. Zukhan n'était nulle part. Je pouvais voir le gardien de mon oncle paternel me regarder de haut. Nous nous assîmes à la table basse et Papa commença à sortir ses herbes pour Noshir. Je vis que Kaya n'était pas là, ce qui me déçut un peu.
- Où est Kaya ? demandai-je à Noshir.
- Ah ! elle est partie faire quelques courses avec Naka. Elle devra revenir un peu avant l'heure du souper.
- Oh, je voulais la voir...
Papa posa sa main sur ma tête pour me la caresser.
- Je suis sûr que tu pourras la croiser. Je resterai un peu plus longtemps, si jamais.
- Non, non ! résonna la voix de Zukhan à mes oreilles.
Je compris que son gardien était caché dans son ombre, encore terrifié. Je décidai de sortir quelques feuilles de papiers, acheté à Kanbal, pour faire des origamis afin de passer le temps. En vérité, j'avais aussi un autre plan en tête avec ces papiers. Je me concentrai légèrement et vis mes mains être entourées d'une fine lumière dorée. L'énergie qui était invoquée dans mes mains était une très bonne énergie, positive. Je pliai une fleur de lys pour Naka ainsi qu'une chèvre pour Kaya. Je pouvais voir la belle aura dorée autour des formes de papier. Noshir me complimenta sur mes compétences artistiques. Je souris discrètement et me concentrai de nouveau.
Je récitai des paroles dans ma tête comme une chanson. Mon regard se posa de nouveau sur mes mains. Elles se mirent à picoter et soudain, l'énergie dorée se transforma pour une plus sombre. Mes mains étaient désormais entourée de fumée noire, ce qui ne pouvait signifier qu'une chose : de la magie noire. Je savais que Papa ne pouvait pas voir ces auras autour de mes mains et ensuite, il était trop occupé à discuter avec son frère aîné, son bourreau. Je décidai de plier un origami en forme de nahji. Je sentis le regard Jiguro par-dessus mon épaule. Sa voix résonna dans ma tête en télépathie.
- ... Qu'as-tu fait ?
- J'ai fait un Nahji, répondis-je aussi par voie télépathique.
- Non, pas ça... c'est quoi cette fumée noire autour de ton papier origami ?
- Tu vas voir...
Je coupai court à notre communication et levai la tête, une fois ma création terminée. Le nahji origami fumait d'une couleur noire et seule moi pouvais la voir. Tant et aussi longtemps que Noshir le garderait dans sa maison, lui seul serait maudit. J'avais jeté une malédiction à ma création.
- Oncle Noshir ! dis-je, les coupant dans leur discussion.
- Oui, petite ?
- Alika, répétai-je, car j'étais sûre qu'il n'avait même pas pris la peine de retenir mon nom tellement on ne se voyait pas souvent.
- Oui, Alika ? se reprit-il avec un sourire.
- C'est pour vous ! La fleur est pour Naka et la chèvre est pour Kaya.
Je lui tendis mon origami avec un regard innocent d'enfant.
- Oh, c'est super mignon.
- C'est un nahji, répondit Papa.
Il déposa la création proche des deux autres. Je secouai discrètement mes mains pour fermer le sort. Papa le remarqua et me demanda ce qui se passait. Je mentis en disant que j'avais les doigts engourdit par le pliage de papier. Je ne sais plus combien de minutes s'étaient écoulés depuis notre arrivée, mais je me surpris à savoir comment m'occuper pour passer le temps. Je tentai une nouvelle habilité, en lien avec les énergies. Je me concentrai sur le ventre de Noshir... pour lui donner des maux de ventre terrible. Les premières fois, ça ne sembla pas fonctionner, mais au bout d'un moment, je le vis se plier légèrement par en avant et mettre une main sur son abdomen. Papa le remarqua et je replongeai mon nez discrètement dans mon livre, faisant comme si je ne savais pas ce qui se passait.
- Tu as mal au ventre, Noshir ? demanda-t-il.
- Un peu, mais ça va passer.
Je pense pas, pensai-je dans ma tête. Je relançai à nouveau mon attention sur son ventre et le vis se redresser pour aller aux latrines. Je levai les yeux vers Papa qui regardait s'il n'avait pas des plantes médicinales contre les maux de ventre. Noshir revint dix minutes plus tard.
- Désolé, je ne sais pas ce que j'ai pu manger aujourd'hui, s'excusa-t-il.
Tu crois ? ris-je dans ma tête. Encore une fois, je jouais avec ses maux de ventre et il retourna aux latrines. À la troisième tentative, le gardien de Noshir apparut soudainement devant moi et me fit face. Il tenta de m'intimider et de me faire subir le même sort que mon oncle : des maux de ventre. Jiguro s'en aperçut très rapidement et se mit en barrière entre nous.
- Personne ne s'attaque à ma petite-fille, avertit-il.
- C'est elle qui fait subir ça à mon protégé, se défendit le gardien de Noshir.
Je les laissai se confronter et me concentrai sur la lecture de mon livre. Lorsque Jiguro avait le dos tourné, le gardien de Noshir tenta encore de s'en prendre à moi. Soudain, je vis Jiguro le prendre par le collet et le repousser plus loin, proche d'un meuble. Par la force de l'impact, un objet tomba du dit meuble. Noshir et Papa tournèrent leur regard vers l'endroit exact. Je figeai.
- Tu n'as pas apporté d'esprits maléfiques avec toi, j'espère ? dit Noshir à Papa.
- Non, je te jure qu'il n'y avait aucun esprit qui nous suivait, confirma-t-il.
Je sentais qu'oncle Noshir restait septique. Il ne croyait pas Papa et je me souvins que toutes les excuses étaient bonnes pour mettre la faute sur son dos. Je tentai alors de calmer les tensions. J'avais une toute nouvelle idée et ça avait rapport avec la petite pochette en cuir avec le signe du clan Yonsa.
- Oncle Noshir ? demandai-je.
- Oui ?
Je m'approchai de lui. Il fallait que je fasse vite et très rapidement. Il se pencha et je me dépêchai de mettre ma main sur sa tête et de tirer quelques mèches de cheveux.
- Aouch!
- Désolée, fis-je mine de m'excuser. Vous aviez une mousse dans les cheveux. Je vous l'ai enlevé !
- Oh, merci.
Je souris et fit semblant de m'attarder à mon livre, encore une fois. Discrètement, je mis les mèches dans ma petite pochette. Intérieurement, j'étais hilare. Jiguro lui, était en train de mourir de rire silencieusement. Il me frictionna paternellement le dos.
- Bien joué, petite fleur, résonna sa voix ma tête. Mais fais attention pareil.
- T'inquiète pas, Jiguro. Je le ferai pas à la maison. J'irai dans la forêt, dans mon sanctuaire.
La visite de Papa tirait à sa fin. Je le ressentais comme intuition. J'eus le temps de voir Kaya un petit moment. Je donnai à sa maman et à elle les deux origamis que j'avais pliés. Même si Kaya emmenait l'origami du nahji dans sa chambre, je savais qu'il n'y avait pas risque pour elle. Noshir seul était concerné.
Je me réveillai le lendemain matin. Je pris un sac et y fourra : mon petit grimoire d'incantation – crée avec l'aide de Grand-Mère quand elle m'enseignait ses connaissances en tant que magic-weaver –, une grosse bobine de jute, des herbes, mon petit mortier personnel, ma petite pochette qui contenait les cheveux de Noshir, un peu de sel, de l'encens, du papier parchemin ainsi qu'un pinceau avec de l'encre. Je pris ma lance et descendis au rez-de-chaussée. Papa m'avait souvent vu partir avec un petit sac comme celui-ci, alors il ne me posait jamais de question.
- Je vais jouer dans la forêt ! annonçai-je.
- Reviens pour l'heure du dîner.
- Oui.
Une fois à l'intérieur de la forêt, j'allais vers mon endroit gardé secret. Je me retrouvai proche d'un arbre, avec une entrée à la base. Je me souvins que plus jeune, Grand-Mère Torogai m'avait dit que la forêt abritait un endroit souterrain très chargé en énergie. Les frontières entre nos deux mondes, Sagu and Nayug, étaient très minces à cet endroit. J'avais fini par le trouver et une des entrées, sur trois, se trouvait tout juste sous cet arbre. Je descendis la petite pente naturelle fait en écorce et débouchai sur une petite caverne. Elle abritait une chute d'eau qui tombait dans une source d'eau clair et limpide, du gazon poussait comme sur un terrain plat, avec des fleurs et des rochers recouvert d'un peu de mousse. Quelques papillons volaient avec d'autre insecte. C'était presque le paradis. C'était mon endroit, mon sanctuaire, ma paix intérieure. Personne ne le connaissait. Je déposai mon sac et commença à sortir mes objets. Je vis Jiguro s'asseoir proche de moi et polir sa lance.
- Qu'est-ce que ces objets ? me demanda-t-il.
- ... Je vais avoir ma vengeance.
- Alika...
- Si t'es pas content, t'as qu'à partir et me laisser seule ! répliquai-je, courroucée. Je sais ce que je fais !
Il haussa les épaules et continua de polir sa lance. Je terminai de sortir les objets de mon sac. J'ouvris mon grimoire et tombai sur une page en particulier, intitulé « enchantement par les poupées ». Grand-Mère m'avait effectivement montré ce sort et écrit les instructions. Elle m'avait aussi averti sur les risques de la pratique et que ça ne restait qu'à ma propre discrétion. Ça devait rester secret, dans l'ombre, le plus que possible. Je ne devais jamais le révéler à qui que ce soit. Ce sort, également combiné à quelques compétences artistiques – créer la poupée – pouvait être utilisé dans les deux directions : pour guérir des maux et rendre les gens heureux, ou, pour torturer une personne à distance et avoir un contrôle sur sa santé physique. J'inspirai et détachai mes deux lulus basse pour les attacher de nouveau en queue de cheval haute, comme Maman. Jiguro ne put s'empêcher de commenter :
- On aurait dit un petit portrait craché de Balsa à cet âge... tu es une petite copie-conforme.
Je souris. Je ne devais absolument pas mettre mes cheveux dans la poupée, par crainte de m'auto affliger du mal non-désiré. Mes cheveux ne devaient, en aucun cas, me déranger dans mon processus de création. Je pris le papier parchemin, ouvrit mon pot d'encre et commença à rédiger le texte. Une poupée enchantée, pour le bien ou le mal, ne pouvait pas fonctionner sans avoir les intentions écrites à l'intérieur d'elle.
« Poupée, tu es à moi... Noshir.
Tu vas obéir à moi... Noshir.
Tout le mal que tu as fait, je te le fais aussi :
- Violenter mon Papa quand il était jeune et le battre
- Que ton gardien ait enchaîné Zukhan
- Abuser de sa gentillesse par hypocrisie
Sois enfermé à jamais... Noshir.
Dans cette poupée qui est mienne.
Signé : Alika Yonsa »
- J'ai fini ! annonçai-je à Jiguro.
Il ne me fit qu'un pouce dans les airs. Je pris la bobine de jute et tissai quatre tresses : elles seront les membres de la poupée. J'enroulais les tresses avec de la ficelle de la même façon qu'on crée une balle de laine, mais de forme allongée. Les quatre membres étaient créés. Je pris enfin ma petite pochette, dans laquelle j'avais mis les quelques cheveux de Noshir. J'en pris deux et, avec l'aide d'une nouvelle ficelle, je les attachai avant de créer plusieurs nœuds. Ensembles, ils formèrent une petite boule que je mis en réserve : le cerveau de mon oncle. Je broyai quelques herbes mélangées avec un sel spécial, uniquement réservé pour les rituels, que j'avais calculé les portions avec précision. J'y déposai la petite boule en la faisant rouler dans la préparation pour que la poudre rentre dans tous les fibres et trous de la ficelle de jute.
Je mis mon projet sur pause, quand Zukhan vint me voir pour me dire que le dîner était bientôt prêt. Je laissai la boule reposer dans la poudre. Je regardai le cadran solaire : Zukhan avait raison. Je retournai à la surface pour manger, sortant par la troisième sortie de mon sanctuaire, avalant au passage des framboises bien mûres.
Je revins peu de temps après, pleine à craquer et terminai de faire la tête de la poupée en enroulant encore, et encore, la ficelle de jute. Il ne me resta que le corps à faire. Je pris mon papier parchemin sur lequel j'avais écrit mon texte et que l'encre avait finalement séché. Je mis les derniers cheveux de Noshir sur le papier avant de le plier soigneusement. J'attachai la ficelle solidement et répétai le même manège : enrouler la ficelle comme une balle de laine. Je rattachai les quatre membres ainsi que la tête. Je regardai maintenant la poupée vaudou qui représentait Noshir.
- Comment tu la trouves, Jiguro ?! demandai-je à haute voix.
- ... Eh... pas mignonne du tout.
- « Pas mignonne » ?! T'as jamais été en contact avec des poupées, toi.
- Oui. Deux fois.
- Ah ?
- J'ai ramené une belle poupée de Yogo, lors d'un voyage, en cadeau pour Yuka. Et j'en ai acheté une pour Balsa quand nous sommes arrivés à Yogo et quand elle avait six ans. Sauf que... en tant qu'esprit, je vois très bien ta mauvaise intention derrière ce... tas de ficelle.
- C'est Noshir !
Je fouillai encore dans mon sac et en ressortit deux boutons. Je les cousu sur la tête de la poupée pour les yeux. Je brodai aussi une croix sur le côté gauche du corps, ainsi qu'une pour la bouche. Je remis mon nez dans mon grimoire et observai comment la concrétiser; cette étape était très importante pour activer l'enchantement. Je pris un petit cône d'encens, ainsi que des pierres de silex. La fumée commença à s'échapper et je passai la poupée dedans pendant cinq minutes. Je n'avais pas besoin de parler à haute-voix : juste garder mon intention première en tête et réciter le texte que j'avais écrit. Je laissai l'encens brûler jusqu'à la fin, même si ma concrétisation était terminée. Il ne me restait qu'une dernière chose à faire.
- Je reviens, avertis-je Jiguro. Je dois aller chercher de quoi en particulier.
Je pris ma pochette en cuir, remontai à la surface et trouvai un buisson, portant de grandes épines sur ses branches. Elles devaient faire un pouce de long. J'en cueilli plusieurs, me piquant entretemps, avant de retourner dans mon sanctuaire sacrée.
- Jiguro ! Jigu—
Je m'arrêtai soudainement, en surprenant Jiguro qui avait ouvert mon grimoire et était en train de lire rapidement une page au hasard. Pendant ces courtes secondes, mon gardien semblait être une personne complètement différente quand il se mettait à lire. Je ne lui avais jamais connu un air aussi concentré et sérieux en dehors des combats et des entrainements. Il s'arrêta rapidement et se racla la gorge.
- Depuis quand tu lis des livres ? sortis-je, incrédule.
- Oh... ça ? dit-il un peu nerveusement, se frottant le derrière de la tête. Haha... hmm, j'ai toujours aimé lire.
- Vraiment ? m'étonnai-je.
- Je n'en ai pas l'air, mais je suis un homme qui aime beaucoup lire. Un petit rat de bibliothèque comme on le dit. Les vieux livres rares sont un de mes péchés mignons.
Je ne bougeai pas pendant un moment.
- Mais mon grimoire n'est pas un vieux livre rare...
- J'étais... curieux, on peut dire ? Au fait, petite fleur, tu allais me dire de quoi ? dit-il, changeant abruptement de sujet.
Je remarquai que je tenais toujours ma pochette remplit d'épines dans mes mains.
- Oh ! oui ! C'est le moment, c'est le moment ! Je vais piquer Noshir dans le ventre et lui donner mal au ventre.
- Les risques que—
- Je les connais déjà !
Je pris la poupée, fouillai pour trouver une épine – me piquant encore le doigt – et en plantai une dans la poupée. Évidemment, je ne puis avoir une confirmation comme quoi Noshir venait d'avoir mal au ventre, ou s'il allait, plus tard, avoir mal au ventre. Mais juste l'idée d'avoir une poupée enchantée à son nom me satisfaisait.
- Je fais ce que Maman pouvait pas faire, ris-je en regardant la poupée, obnubilée.
- ... Laisse la poupée ici, me conseilla Jiguro. Si tu l'emmènes au refuge, Norugai et Torogai vont sentir son énergie... et tu seras grillée.
- ... Tu as raison.
Je rangeai mes objets et cachai la poupée sous un tas de feuille et d'herbes, avec les épines. Je revins à la surface, comblée et hilare. Pour cacher mon enthousiasme, je décidai de m'entraîner un peu à la lance et aux arts martiaux. Chaque jour depuis la création de la poupée, j'enfonçais deux à trois épines dans le corps de la poupée, soit : dans sa tête, dans ses bras et dans ses jambes, sur son dos ou sur son ventre. Ma colère contre ma famille paternelle s'apaisa au fur et à mesure que le temps passait. J'ignorais si c'était relié au fait que je torturais à distance mon oncle en éprouvant un plaisir très malsain, ou si la poupée n'était qu'un canalisateur pour expulser ma colère.
