Chapitre 7
Prélude de Guerre
Le printemps était arrivé dans les montagnes et je venais d'avoir onze ans. Des oiseaux Rushaki dont le gazouillement était facilement reconnaissable piaillaient à travers les branches d'arbres. Hyo ! Hyo ! semblaient-ils dire. J'humais l'odeur fraîche de la nature qui se réveillait. J'avais vraiment passé un hiver complet sans mes parents, juste en compagnie de Grand-Mère. Pour tout avouer, ça avait été une expérience très enrichissante et j'avais fini par m'habituer à sa présence. Ce qui faisait en sorte que quand elle s'absentait, je trouvais la maison vide. Avec les esprits et les gardiens de mes parents qui venaient nous voir et nous donner de leurs nouvelles à leur insu, je ne me sentais jamais seule. Kasem s'était beaucoup amusé avec Touji et Mayuna quand je faisais des cérémonies de thé. Je rentrai à l'intérieur.
- Grand-Mère ?
- Oui, ma chatonne ?
- Est-ce que je pourrais effectuer un appel d'âme pour savoir ce qui se passe avec mes parents et quand ils reviendront ici ? Je me sais maintenant mieux expérimentée et plus sûre de moi. Je connais les risques.
- Tu n'es plus une débutante en la matière. Et puis je ne sors pas, donc je pourrai te veiller.
Je souris et allai chercher mon propre outil pour l'appel d'âme : un Eulalie. Grand-Mère me l'avait offert dans un rituel sacré et avec, je pouvais envoyer mon âme n'importe où. Je me concentrai.
- Âme, prend la fuite. Élèves-toi tels des oiseaux dans le ciel...
Je ne pris pas beaucoup de temps et mon âme se changea en un bel oiseau brillant. Je vis le refuge s'éloigner de sous mes pattes, puis la forêt en entier. Volant toujours plus haut et toujours plus loin, je pus voir la capitale de Kosenkyo ainsi que le palais où Niisan habitait et était enfermé. Je tournoyai, me laissant porter par le vent. C'était une des meilleures sensations que je pouvais vivre. Je me concentrai et suivit le fils d'énergie de mes parents. Le fil m'emmena à Rota, dans une place qui se trouvait juste à l'extérieur de la salle rituelle de Rota. Je pouvais sentir que la rivière de Nayug coulait à cet endroit. Sa chaleur faisait fondre la neige et encourageait les cultures agricoles et les fleurs à mûrir.
Je me posai proche de la tente et mon âme reprit sa forme originelle humaine. Doucement, je me faufilai à l'intérieur, utilisant les ombres comme cachette et je souris en y voyant Papa couper des légumes pour les faire bouillir. Je remarquai une jeune adolescente, peut-être deux ans plus vieille que moi, couchée dans un lit, ainsi qu'un jeune adolescent qui semblait être son frère aîné. Je voyais Motoko et Zukhan jouer à un jeu de société avec deux autres gardiennes qui devaient être celles des adolescents. Motoko sursauta en me voyant cacher.
- Alika ! couina-t-elle. Es-tu morte ?!
- Morte ? Moi ? m'exclamai-je dans un grand rire. Non ! J'ai fait un appel d'âme. Je voulais savoir si Papa et Maman allaient bien. Grand-Mère et moi avons passé six mois sans eux.
- Tu commençais à t'ennuyer de tes parents ?
- Un peu... qui sont ces adolescents ?
- C'est Asura, la fille, et Chikisa, son frère aîné. Balsa les a sauvé d'un sérieux problème, mais maintenant, tout vas bien. Asura ne se réveille pas. Elle peut avaler des liquides comme de l'eau et du jus de fruit lorsqu'elle en est persuadée, mais elle ne peut pas ouvrir la bouche ou les yeux toute seule. Son âme est dans les ténèbres, même un appel d'âme ne saurait l'en retiré. C'est à elle de trouver le moyen de s'en sortir... Zukhan et moi passons le temps en jouant avec leurs gardiennes. Freya est la gardienne d'Asura alors qu'Asa est celle de Chikisa.
Je jetai un œil aux gardiennes. Freya avait les cheveux roses, des yeux bleus saphir et un teint pâle. Elle ne devait pas faire plus de 5'2'' et portait un simple Yukata beige avec une longue ceinture bleue poudre. Quant à Asa, elle n'était pas plus grande, mais elle avait de longs cheveux noirs détachés, des yeux bleus foncés également et portait un hakama rose par-dessus un kimono noir.
Je me cachai encore de mon père et réussis à lui voler un morceau de légume. Il sembla s'en apercevoir, car il se mit à le chercher partout, paniqué.
- Balsa ! As-tu volé un de mes légumes ?!
Maman le dévisagea.
- Non, je n'ai rien pris.
- J'étais sûre que je venais de couper mon morceau de carottes... je ne le trouve plus !
- Les esprits ont peut-être faim.
Il soupira et coupa d'autres légumes que je continuai de lui voler. Maman sortit dehors en portant Asura dans ses bras. Je la suivis secrètement. Motoko délaissa Zukhan et les autres gardiennes pour me faire part des habitudes de Maman. Le champ le plus proche de leur tente était actuellement luxuriant de joyeuses fleurs rouges de sarayu. Certains jours, Maman s'asseyait avec Asura dans ce champ du lever au coucher du soleil. Chikisa les rejoignit et s'assit à ses côtés avant de jouer avec les cheveux d'Asura. Je m'assis un peu en retrait, mais juste assez proche pour écouter leur conversation.
- Elle va rester comme ça, n'est-ce pas ? demanda-t-il alors qu'il observait le champ. C'est comme ce qui s'est passé à Shintadan. Quand elle s'est effondrée cette fois-là, j'ai eu peur qu'elle ne se réveille plus jamais. Je me suis demandé parfois s'il aurait été préférable qu'elle reste endormie plutôt que de se souvenir de toutes les personnes qu'elle a tuées.
Je sentis une tristesse émaner de lui. Il aimait profondément sa petite sœur, pour avoir été son frère dans plusieurs de leurs vies antérieures partagées ensembles. Il ramena ses genoux contre sa poitrine et posa sa tête dessus.
- Balsa, dit-il doucement, ça assez duré. Tu devrais... tu devrais me laisser la tuer. Je ne veux plus qu'elle souffre.
Maman serra plus fort Asura dans ses bras et se pencha en arrière. Son étreinte était aussi maternelle que quand elle me donnait des câlins. Les premiers agneaux du printemps venaient de naître. Ils sautaient, gambadaient et jouaient ensembles de l'autre côté du terrain. Ils semblaient si heureux d'être en vie. Quand ils sautaient, ils utilisaient la force de tout leur corps.
- Je ne vous aurais jamais aidé si j'avais eu l'intention de laisser mourir l'un de vous, déclara Maman en ébouriffant les cheveux de Chikisa. Tu devrais être fier de ta sœur.
- Fier ? demanda-t-il, visiblement confus.
- Asura a fait quelque chose que je pensais impossible : elle a tenu tête à Taluhamaya. Et elle a gagné.
Le grand frère d'Asura cligna des yeux.
- Asura a toujours été timide de nature et a toujours eu peur de tout, continua d'expliquer Maman. Taluhamaya l'a rendue puissante. Elle aurait pu utiliser ce pouvoir pour tuer beaucoup de gens. Si elle l'avait voulu, ça aurait été facile. Mais elle ne l'a pas fait. Elle a scellé Taluhamaya à l'intérieur d'elle-même afin que le dieu ne puisse plus blesser qui que ce soit d'autre.
Elle fit une pause avant de reprendre.
- Je… n'aurais pas été capable de faire ça si j'avais été à sa place. Si nous découvrons qu'elle est en train de mourir définitivement avant qu'elle ne nous revienne, je le ferai, Chikisa. Cette tâche ne devrait pas t'être confiée. Mais je ne pense pas que nous soyons de ceux qui devraient décider si Asura vit ou meure. C'est sa décision.
- Mais si son âme est partie, comment peut-elle décider?
- Son âme n'est pas partie, rectifia-t-elle. Tanda me l'a dit et il ne ment pas. Son âme est toujours là, elle est juste... perdue. Tu comprends probablement un peu ce qu'elle traverse en ce moment. Tu es, toi-même, resté inconscient longtemps après ta chute, tu te souviens ?
Maman gardait le sourire et regardait les agneaux avant de murmurer à l'oreille d'Asura :
- Asura, il est temps de se réveiller. Je sais que tu ne veux pas. Je sais que tu souffres, mais… Cela peut prendre un certain temps si jamais tu décides si oui ou non tu désires vivre, mais...
Une douce brise flottait à travers les fleurs dans le champ.
- Mais Asura, regarde : ce sont des fleurs de sarayu. C'est tellement beau. J'aimerai aussi que tu rencontres ma fille, Alika. Je suis certaine que toi et Chikisa allez vous entendre à merveille avec elle.
L'aura d'Asura était très pâle, presque blanche translucide, mais pendant un moment, je vis une vague d'énergie verte se mêler à son aura. La voix de Maman avait effleuré son âme et son corps réagissait très subtilement. Je décidai de rentrer à l'intérieur de la tente à nouveau et ne me cachai plus.
- Allô Papa ! saluai-je gaiment.
Papa sursauta et faillit échapper sa louche.
- Alika ?! Qu'est-ce que tu fais ici ?! Ton voyage à mal tourné et ton âme est venue nous retrouver ?
- Non, ris-je en m'asseyant. J'ai fait un appel d'âme en toute sécurité. Maintenant, j'en suis capable. Je voulais voir et prendre de vos nouvelles. Grand-Mère et moi avons passé plus d'une demi-année au refuge sans votre présence. J'ai fini par m'habituer, mais... je dois avouer que vous me manquez un peu.
Papa sourit.
- Maman et moi allons bientôt revenir. Chikisa et Asura iront habiter chez Martha, à Shirogai. C'est le meilleur endroit pour eux.
J'hochai la tête et lui volai un légume. Après avoir parlé un moment, de son voyage et de mes découvertes, je quittai l'endroit et retrouvai mon corps qui était veillé par Grand-Mère. Après le retour de Papa et Maman au refuge, six mois plus tard, l'énergie du royaume commença à changer et plusieurs rumeurs circulaient concernant un empire du sud appelé Talsh. L'empire Talsh et Sangal avaient uni leurs forces et avaient déclaré la guerre au Nouvel Empire de Yogo. La vie dans les montagnes était relativement facile et paisible, donc nous étions un peu coupés du monde extérieur, mais même à cela, je pouvais pleinement sentir l'atmosphère lourde qui régnait.
Au moins, une des bonnes nouvelles dans tout ça était que Tatie Saya, à l'aide Maman et de Papa, avait donné naissance à un magnifique petit garçon qu'ils avaient appelé Nanda. Le nom était très proche de celui de Papa, mais c'était un prénom qu'ils adoraient. Ça me donna une petite envie de demander si Maman pouvait me refaire un petit frère ou une petite sœur – comme parfois, j'entendais mes parents s'amuser sous la couette – mais je me retins. Avec la situation d'une éventuelle guerre, Maman avait des préoccupations bien plus importantes en tête. Et avec raisons. Je fis la connaissance de Chikisa et Asura quand celle-ci reprit conscience. J'assistai à tous ses progrès dans son rétablissement. Elle adorait tout ce qui se rapportait à la confection de vêtements, le tissage et la broderie. Sa passion était très inspirante.
J'étais maintenant âgée de treize ans quand je sentis que nous étions à l'aube d'une guerre sans précédente. Tous les hommes âgés de quinze à cinquante ans étaient enrôlés dans l'armée du Nouvel Empire de Yogo. Ceux âgés de seize à quarante ans étaient tirés au sort et envoyés comme recruteurs pour plus d'hommes. La peur que tous leurs jeunes hommes soient emmenés s'était répandue dans les villages. Personne ne savait qui serait enrôlé par la suite. Les conscrits quittaient leurs maisons pour protéger la capitale et construire des fortifications autour d'elle. Aucun n'était rentré chez lui depuis que le Nouveau Yogo avait commencé à se préparer à la guerre. Tous les habitants du devaient faire leur part au service du Mikado. Le pays tout entier se préparait à la guerre depuis que les premiers ambassadeurs Talsh étaient arrivés et avaient donné leurs conditions au Mikado.
Je me trouvais très chanceuse d'être née dans le corps d'une fille. Non seulement j'étais à l'aise avec mon corps, mais cela m'évitait aussi de me faire séparer de ma famille. Pour enchaîner, je n'avais tout simplement pas l'âge requis pour entrer dans l'armée. De plus, un an auparavant, j'étais officiellement devenue une femme avec l'arrivée de mes premières règles. J'étais donc fertile et en âge de me marier, mais mes parents m'avaient toujours laissé le libre-arbitre et ne voulaient pas me soustraire à une vie confinée en tant que mère au foyer – même si Papa me taquinait souvent en disant qu'il avait hâte d'avoir des petits-enfants. À chaque fois, Grand-Mère réprimandait une forte envie de nausée.
L'atmosphère du pays s'était alourdie. Physiquement, je ne le ressentais pas, mais spirituellement avec ma formation de magic-weaver et mes dons naturels de clairvoyance qui continuaient de s'accroître avec le temps, je pouvais le sentir. Le Nouveau Yogo avait choisi de fermer toutes ses frontières et pas seulement avec Sangal, mais aussi avec Rota et Kanbal. Les personnes qui tentaient de sortir ou d'entrer par les frontières étaient traitées comme des espions et exécutées sur-le-champ.
Parmi les personnes qui avaient le plus souffert de cette politique se trouvaient les marchands pauvres et les ouvriers de Kanbal qui venaient souvent au Nouveau Yogo pour vendre leurs marchandises et travailler. Les marchands et ouvriers Kanbalese et Rotan qui se trouvaient déjà au Nouveau Yogo n'étaient pas autorisés à rentrer chez eux. Quant aux citoyens Yogoese qui se trouvaient à l'étranger au moment de la fermeture des frontières, ils n'étaient pas non plus autorisés à retourner dans leur pays natal.
Maman et moi étions au Nouvel Empire de Yogo lorsque les frontières furent fermées. Nous avions passés des mois à guider les marchands Rotan et Yogoese à travers les montagnes jusqu'à leurs maisons, évitant toutes les patrouilles frontalières. Maman m'avait transmises ses connaissances depuis toute petite. J'avais acquise assez de connaissances pour être une bonne magic-weaver, mais j'avais continué à m'entraîner et devenir aussi compétente que Maman au même âge dans les arts martiaux. Résultat : je connaissais autant qu'elle les nombreux chemins à travers les montagnes qui n'étaient autrement connus que des bêtes et de quelques chasseurs. Or, tous les chemins que nous connaissions ne pouvaient pas être utilisés.
À cela, mes capacités spirituelles nous donnaient un net avantage hors du commun. Avec l'énergie, les gardiens, les auras et mes prémonitions, j'étais en mesure de pouvoir donner des indices sur les soldats qui contrôlaient les frontières – ces informations permettaient à Maman d'élaborer des stratégies et emmener les clients à bon port. J'avais l'impression de tricher et ça m'allégeait un peu de toute cette tension. J'étais si habituée de voyager avec Maman, que mes mouvements étaient synchronisés avec les siens et je pouvais lire son langage corporel en plus de son aura sans avoir à parler à haute voix ou murmurer. De temps en temps, Jiguro empruntait mon corps pour suivre Maman quand on assommait quelques gardes. Il avoua se sentir de nouveau en vie de cette façon, mais il n'abusait pas de mon corps quand il en prenait possession. Il ne le faisait qu'en cas d'extrême nécessité, quand il prévoyait que je ne pourrai pas tenir face à des gardes plus expérimentés.
Mon bras fut tiré. La petite fillette de six ans, Raï, s'était prise les pieds dans l'herbe. Il faisait de plus en plus sombre. Je la remis sur ses pieds.
- Ça va, Raï ? murmurai-je.
- Oui..., dit-elle d'une faible voix, si bas que je ne l'avais presque pas entendue.
Nous étions en plein travail de garde du corps. Maman et moi escortions une famille à travers les montagnes de Rota. Nos clients étaient Sain, le père, Toki, sa femme ainsi que leur fille Raï. Sain et Toki avaient laissé leur fille cadette, de 4 ans, aux soins de ses grands-parents au Nouveau Yogo pendant qu'ils se rendaient à Rota. Ils étaient prêts à abandonner presque tout pour retourner dans leur patrie maintenant.
- Qu'est-ce qu'on fait, à rentrer chez nous dans le noir comme une bande de voleurs ? marmonna-t-il. Je ne peux pas croire que nous devons faire ça juste pour éviter les soldats.
Il avait dit presque la même chose en début de voyage. Il ne s'était pas plaint du tout depuis ce moment-là, mais maintenant la frustration semblait l'atteindre à nouveau. Maman fit face à Sain et posa son doigt sur ses lèvres pour lui rappeler de se taire. Il fronça les sourcils, hocha la tête d'un air boudeur et cessa de marmonner. Il me faisait penser à un petit enfant. Il était un homme légèrement en surpoids qui transpirait beaucoup dans la chaleur inhabituelle.
La lumière de fin de soirée se reflétait à travers les feuilles au-dessus de nos têtes. Il ferait bientôt trop sombre pour que nous puissions voir nos propres pieds se déplacer dans les denses sous-bois. Nous étions habituées de marcher dans les montagnes et étions déjà venues ici avant, mais la végétation était si épaisse qu'elle étouffait presque le chemin. La voie à suivre devenait de plus en plus difficile à discerner. L'automne était arrivé en retard cette année. La plupart du temps, les arbres auraient déjà perdu la plupart de leurs feuilles, mais tout était encore luxuriant et vert. Il y avait quelque chose qui n'allait pas avec Nayug et ça avait des répercussions sur Sagu, je le sentais. Une vallée dans les montagnes de brumes bleues était couverte de fleurs sauvages même au beau milieu de l'hiver. Les poissons Shioro avaient pondu leurs œufs hors saison, de sorte que la rivière de l'Arc Bleue avait débordé de poissons ainsi que d'eau au début du printemps. La saison des pluies printanières avait été beaucoup plus longue que la normale.
Dans les forêts, il y avait des chemins si escarpés et si étroits que Sain et sa famille ne pourraient jamais les emprunter. Traverser les montagnes était toujours difficile et au moins un peu dangereux. Mais malgré tout, de nombreuses personnes étaient prêtes à les traverser pour pouvoir rentrer chez elles. Nous n'étions pas les seules personnes à aider les gens à ce niveau. La connaissance qu'il y avait des moyens d'éviter les gardes-frontières était assez courante pour que le Mikado poste des gardes sur les principales grandes routes de montagne et les plus connues. Le travail de Maman en tant que garde et guide nous limitait à un nombre infime de chemins sûrs.
Sain installa son sac plus confortablement sur ses épaules et prit quelques respirations profondes après s'être décoincé les jambes des hautes herbes.
- Nous ne pouvons même pas voir le chemin, maugréa-t-il. Nous devrions probablement trouver un endroit où nous arrêter pour la nuit.
Maman le fit taire en chuchota :
- Vous entendez ça ?
- Entre quoi ?
- La rivière, répondis-je doucement.
Sain, Toki et Raï se tinrent immobiles et tendirent l'oreille pour écouter.
- Ah, dit Sain. Cette pente doit descendre jusqu'à la rivière. C'est assez haut pour donner une bonne vue sur les environs, donc il peut y avoir des soldats et des patrouilles autour. J'espérais que nous les dépasserions dans le noir. Peut-être devrions-nous attendre la tombée de la nuit. Ils ne nous verront pas alors.
Maman n'était pas de cet avis et hocha négativement la tête.
- Si nous attendons qu'il fasse complètement noir, nous ne pourrons rien voir non plus.
Le visage du père s'assombrit. Il se tourna vers sa fille de six ans. Elle aussi semblait déçue et un peu effrayée. Je lui souris en m'agenouillant à son niveau.
- Attends juste un peu plus longtemps, Raï, la rassurai-je. Tu seras à la maison après-demain.
Elle hocha la tête alors que j'ébouriffai ses cheveux et que mon énergie apaisa la sienne. Maman fit face à ses parents et dit calmement :
- Concentrez-vous. Personne ne doit rester coincé dans les sous-bois pendant que nous voyageons ce soir. Ça va nous ralentir, et en plus, on risque d'être séparé. Peu importe la lenteur avec laquelle nous allons, nous devons continuer à avancer et faire de notre mieux pour ne pas faire de bruit. Cette zone grouille de soldats.
Sain et Toki acquiescèrent en signe de compréhension. Maman tourna les talons et continua à descendre le chemin forestier. La petite famille leva les pieds bien hauts pour ne pas se prendre dans les hautes herbes.
Le chuchotement de la rivière devint progressivement un rugissement alors qu'on descendait plus près de son lit. Maman fit signe à Sain et à sa famille d'attendre, puis s'accroupit. Elle me donna sa lance, puis courut sur le chemin hors de vue. Elle se déplaçait avec le silence et la rapidité d'un renard : personne ne l'entendait bouger. Après quelques pas, Sain et sa famille ne pouvaient plus la voir. Je sentis que Sain et Toki se regardaient surpris.
- Comment peut-elle bouger comme ça ? murmura-t-il.
- Sain, chuchota Maman au bout d'un certain temps.
Il sursauta sous le coup. Il s'était perdu dans ses pensées et n'avait pas remarqué le retour de Maman. Raï s'était endormie dans les bras de sa mère, mais elle s'était réveillée en sursaut. La forme de la montagne devant nous était grande, mais rien d'autre n'était visible dans l'obscurité. Même nos visages étaient cachés dans la pénombre.
- C'est comme je le pensais. Il y a des soldats ici, annonça Maman alors que Toki et Sain se prenaient par la main. Tout va bien. Il n'y en a que trois. Je n'ai vu personne d'autre camper par ici. Je peux en combattre trois sans trop de problème, mais les dépasser sans être vu est probablement impossible.
Maman regarda le couple.
- Alors qu'est-ce que vous voulez faire ? demanda-t-elle. Doit-on rebrousser chemin ? Ou continuer et risquer d'être vu ?
Je savais que la famille de Sain risquait leur vie pour retourner dans une patrie qui pourrait être attaquée et détruite par l'empire Talsh à tout moment. Cependant, Toki d'avança et dit :
- Nous allons continuer.
- Oui, l'appuya son mari. Nous sommes arrivés jusqu'ici. Nous devons rentrer à la maison.
Il tendit la main et attrapa le bras de Maman.
- Si... si nous ne pouvons pas nous en sortir pour une raison quelconque, s'il vous plaît, sauvez notre fille.
Maman plaça une main sur ses mains qui tremblaient.
- Je promets que je le ferai.
Elle expliqua ce qu'ils avaient tous à faire de façon calme et facile à comprendre.
- Suivez-moi jusqu'au lit de la rivière et restez près de moi et d'Alika, suffisamment proche pour toucher nos épaules. L'endroit où nous vous conduisons est à une petite distance du camp des soldats, mais suffisamment proche pour qu'ils puissent nous découvrir. Il y a des arbres qui bordent le lit de la rivière, alors assurez-vous de vous cacher derrière eux et de les utiliser comme couverture.
Après que Sain et Toki aient hoché la tête, Maman a poursuivi et me regarda.
- Alika va porter Raï sur son dos et traverser la rivière pour attacher son bout de corde à un arbre. Je vous laisse l'autre extrémité à attacher de votre côté.
Elle arrêta un moment.
- Je créerai une distraction pour les soldats. Pendant que j'attire leur attention, utilisez la corde pour traverser la rivière. Ce n'est pas profond, mais le courant est très fort. Ne lâchez pas la corde quoi qu'il arrive. Si vous le faites, vous vous noierez. Je veux que vous vous concentriez sur la traversée de cette rivière, dit-elle d'une voix basse. Rien d'autre. Une fois que vous aurez traversé la rivière, attendez-moi dans la forêt.
Sain et Toki acquiescèrent à nouveau. Maman se leva alors que je terminai de mettre Raï sur son dos. La pauvre enfant était terrifiée.
- Ça ira bien, Raï. Tu es en sécurité avec moi, souris-je doucement avant de regarder Maman.
- Bien, déclara Maman dans un fort murmure. Allons-y.
Note de l'auteur : La première partie de ce chapitre s'inspire uniquement de la final du sixième volume de la série 'Moribito', appelé "Kami no Moribito - Guardian of the God". Alors que la deuxième partie s'inspire des trois derniers volumes traduits appeler "Guardian of Earth and Heaven, tome I, II et III". Vous pouvez les lires juste ici. C'est en anglais, mais ça se traduit très bien et Google a étonnamment fait une traduction fluide.
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