Chapitre 8
À croisée des chemins
Raï était généralement une enfant bien élevée, mais traverser la rivière sans ses parents l'avait fait crier d'impuissance. Et quand je la laissai seule pour retourner chercher ses parents, elle avait de nouveau crié. Grâce à cela, ses parents purent la retrouver rapidement, bien qu'elle ait aussi attiré l'attention des soldats. Malgré tout, Maman avait mis les soldats hors d'état de nuire facilement et nos clients étaient désormais blottis sous les racines d'un grand arbre. Je fis un signe de la main vers Maman. Ils avaient tous réussi à traverser.
Cette nuit-là, nous campâmes à l'ombre d'un gros rocher. Faire un feu si près du camp des soldats comportait des risques, mais Maman avait décidé qu'il valait mieux en faire un petit afin que Sain et sa famille puissent sécher leurs vêtements et prendre un repas chaud. La peur retournait l'estomac des deux parents de Raï, mais ils savaient qu'ils avaient besoin de manger pour garder leurs forces. Ils ne pourraient jamais traverser les montagnes s'ils mouraient de faim. J'utilisai mon énergie et fis une incantation qui apaisa légèrement leur crainte. Maman leva les yeux quand une brume apparut de nulle part. Je posai ma main sur son avant-bras.
- C'est un sortilège... je nous ai couvert un peu.
- Je suppose que ça sert à quelque chose d'avoir une fille à la fois lancière et magic-weaver qui peut utiliser les énergies de la nature, sourit-elle doucement.
Elle mélangea du miel dans un gruau de blé chaud et le distribua. Sain et sa famille s'endormirent rapidement après avoir mangé. J'éteignis le feu. Des étoiles scintillaient dans le firmament entre les branches des arbres au-dessus de nos têtes. Maman s'appuya contre le rocher dans son dos et leva les yeux au ciel. Il y avait de la tristesse et de l'incompréhension dans son cœur. Je comprenais sa souffrance.
Lorsque la nouvelle de la mort de Chagum-Niisan nous était parvenue aux oreilles, je n'ai pas su quoi en penser. J'avais envie de pleurer et de me révolter à la fois. Je n'avais jamais vu son âme venir à moi pour me dire ses dernières paroles et volontés... mais je savais que quand des humains mouraient, parfois, leur âme ne désirait pas troubler le monde des vivants pendant les premières années suivant leur décès. C'est comme si l'âme avait besoin de temps pour comprendre ce qui lui était arrivé – ou tout simplement accepter que le corps physique qui transportait l'âme n'était plus vivant. C'était un très long processus et il y avait un choc qui pouvait se faire en même temps. Je n'aurai pas pu faire un appel d'âme de toute manière. Avec les marchands qui cherchaient juste à regagner leur chez-soi, j'étais autant occupée que Maman et par chance – ou peut-être par respect pour ma sensibilité naturelle au monde invisible – elle ne m'avait jamais demandé d'entrer en contact avec l'âme de Niisan...
Le Mikado avait offert à son fils des funérailles extravagantes. Il avait proclamé que le prince héritier était revenu à Ten no Kami et aux dieux pour devenir le protecteur de sa nation dans la mort. Tout cela avait été enjolivé. Il y avait des rumeurs selon lesquelles tout ce qui s'était passé au courant de la dernière année écoulée était dû à la mort du prince héritier Chagum. Nous avions également entendu des rumeurs selon lesquelles le prince avait été capturé à Sangal et avait négocié sa propre libération, mais s'était suicidé ou avait été tué d'une manière ou d'une autre sur le chemin du retour.
Son père, le Mikado, n'a fait aucun effort pour annuler ces rumeurs. La chose la plus importante pour lui était que Chagum soit mort. Je souhaitai bonne nuit à Maman, en lui disant que je prendrai son tour de garde dans deux heures. Elle m'avait entraînée pour que je m'endorme instantanément deux minutes après avoir fermé les paupières et sombre dans un sommeil profond.
J'ouvris les yeux soudainement. Je n'avais pas besoin de passer par les phases de réveil pour me sentir d'attaque. Ça aussi, ça fait faisait partie de son entraînement. Je sentis une énergie approcher, même si elle était silencieuse. Maman venait à peine de fermer les yeux. Je mis ma main sur ma lance et me redressai doucement. Un bruit semblable à une brindille écrasée se fit entendre. Maman se réveilla à son tour, attrapa sa lance et se leva. Quelqu'un se rapprochait. La personne portait une lanterne, mais elle était petite. Je ne distinguais pas grand-chose de son visage. Maman m'ordonna de rester pour protéger la famille de Sain alors qu'elle allait jeter un coup d'œil.
Je la vis approcher la silhouette avec sa lance devant elle comme un avertissement clair. Elle ne faisait aucun bruit. J'étendis mon ouïe pour écouter leur conversation.
- Je suis désolé si je vous ai fait sursauter, dit la voix dans l'obscurité. Je ne vous veux aucun mal. Je chasse le cerf, mais je manque de pierres à lécher et je rentrais chez moi quand j'ai vu votre feu. Puis-je m'approcher ?
Toki se réveilla à mes côtés et s'assit. Maman recula de quelques pas et s'accroupit à côté de nous.
- Réveillez Sain et Raï, murmura-t-elle. Préparez-vous à courir à tout moment. Il prétend être un chasseur à court de pierres à lécher, mais je ne crois pas à son histoire. Emmenez tout le monde derrière le rocher. Si je vous crie de courir, courez. Vous m'avez compris ?
On hocha la tête en signe de confirmation. Maman se leva et fit face à l'homme prétendant être un chasseur alors qu'on réveillait Raï et Sain. Après quelques minutes, Maman nous dit qu'il n'y avait aucun danger et que la famille de Sain pouvait retourner au camp et dormir encore un peu. Ils poussèrent un soupir de soulagement alors qu'ils retournaient aux braises fumantes du feu. J'allai rejoindre Maman. Elle me dit que cet homme s'appelait Oru et qu'il avait cherché Maman partout. Un homme du nom de Tanda lui avait dit que nous étions peut-être dans les environs. C'était un marin de haut rang dans la marine du Nouveau Yogo et il avait quelque chose à remettre à Maman.
- J'ai navigué avec le prince héritier Chagum jusqu'à Sangal, expliqua-t-il. J'ai également été fait prisonnier. Le prince héritier m'a libéré, ainsi que beaucoup d'autres. Mais avant que nous soyons tous arrivés à la maison, le prince héritier Chagum a quitté le navire en secret avec l'aide du seigneur Amusuran et de son serviteur, Ruin.
Mon cœur battit plus vite quand j'entendis le nom de Niisan. Apparemment, Oru, Jin et le serviteur de Chagum, Ruin, avaient tous travaillé ensemble pour organiser son évasion du navire qui l'avait ramené de Sangal.
- J'ai aussi aidé le seigneur Amusuran lorsque le prince héritier Chagum a tenté de s'échapper de la hutte des prisonniers à Sangal. Le seigneur Amusuran m'a transmis plusieurs messages et m'a aidé à quitter le navire sans être vu. Il m'a ordonné de vous trouver et de délivrer ce message quoi qu'il arrive.
L'enveloppe qu'Oru avait donnée à Maman était légèrement humide et froissée sur les bords, mais encore en grande partie intacte.
- Il m'a également dit de vous poser cette question pour vérifier votre identité et m'a donné une liste d'endroits où vous pourriez être. Je suis d'abord allé à la hutte de l'herboriste Tanda et il m'a fait une carte des sentiers que vous pourriez emprunter à travers les montagnes. Mais vous vous déplacez comme un nuage et ne restez jamais longtemps au même endroit.
Maman hocha distraitement la tête puis ouvrit l'enveloppe. La lettre de Jin était brève, mais je sentis qu'elle eut un effet puissant sur le cœur et l'esprit de Maman. Les premières lignes la firent sourire, mais au moment où elle atteignit la conclusion de la lettre, elle fronça les sourcils. Elle observa la lettre pendant un long moment après sa lecture. Oru pensait qu'elle avait l'air un peu incertaine ou peut-être même un peu effrayée.
Trois pièces d'or étaient jointes à la lettre. Maman les serra fermement dans son poing.
- Il semble que vous compreniez la situation, chuchota Oru.
Maman leva les yeux de la lettre, puis hocha la tête avant de me la passer pour que je puisse aussi la lire. En quelques secondes, j'avais terminé.
- S'il vous plaît, dépêchez-vous d'aller à Rota aussi vite que vous le pouvez, la pressa Oru.
- Je me dirige vers Rota, confirma Maman avant de secouer la tête. Mais je dois d'abord m'assurer que cette famille rentre à la maison.
Oru devint rouge de rage. Pour aller avec son état de colère, son aura vira également au rouge. C'était le cas de le dire que ses couleurs s'agençaient très bien ensembles.
- Quoi ?! s'exclama-t-il. Vous donnez la priorité aux roturiers sur une tâche aussi importante ?!
- Je ne peux pas démissionner en plein milieu d'un travail, dit calmement Maman.
Je posai la lame de ma lance sur une des jugulaires d'Oru rapidement, me tenant derrière lui. Mon mouvement avait été aussi rapide que celui de Maman. La pointe de la lance de Maman avait coupé l'air et reposait légèrement le long du bord de son cou libre.
- Que comptez-vous faire ? demanda Maman d'une voix faible. Deux gardes contre un ? Ma fille a beau être jeune, elle n'hésiterait pas à te couper la gorge au moindre faux pas.
Je mis une légère pression, attendant le signal. Je ne tremblais même pas. Les yeux de Maman étaient aussi aiguisés et froids que sa lame. Il prit quelques respirations prudentes, peu profondes et dit :
- Laissez-moi ramener cette famille à la maison pour vous. De cette façon, vous pourrez vous rendre immédiatement à Rota.
Maman retira la pointe de sa lance de son cou; ce que je ne fis pas. Je le sentais encore très en colère et j'avais énormément de difficulté à contrôler ma propre agressivité.
- Je ne peux pas faire ça, continua-t-elle de répliquer. Je ne doute pas que vous soyez un brave guerrier, mais je ne sais pas si vous pouvez vous cacher et cacher d'autres gens dans ces montagnes. Je ne peux pas te confier cette famille. Si je vous écrivais une réponse, la remettriez-vous au seigneur Amusuran ?
Elle me fit signe de délaisser le cou d'Oru. Je me retirai avec méfiance, mais gardait toujours un œil méfiant sur lui. Maman plaça les trois pièces dans sa poche au niveau de sa poitrine, puis remit sa lance dans son fourreau. Oru essuya la sueur froide de son front avec la paume de sa main, puis hocha la tête à contrecœur.
- Oui, je vais livrer votre réponse. J'ai du papier et des outils d'écriture si vous en avez besoin.
Maman accepta du papier, de l'encre et une plume d'Oru, puis rédigea une réponse. Elle retira son pinceau et attendit que l'encre sèche. Elle accepta un petit morceau de cire d'Oru et le fit fondre légèrement avec la flamme de la lanterne avant de rouler et sceller la lettre.
- Ne remettez ceci qu'au seigneur Amusuran, déclara-t-elle. Vous ne pouvez pas laisser cela tomber entre de mauvaises mains.
Oru fit un signe de tête et fourra la lettre dans sa poche.
- Lord Amusuran et moi sommes d'accord sur ce point, dit Maman. Si le prince peut être sauvé, je le sauverai.
- Je ne vous trahirai jamais, ni vous ni le seigneur Amusuran. J'attends de vous que vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir pour remplir votre mission.
Il se retourna et commença à descendre la montagne. Je le regardai s'éloigner de dos pendant quelques instants avant de retourner vers Sain et sa famille. Il semble que j'avais toujours les sourcils foncés et un regard qui lançait des couteaux, car Maman me demanda de changer d'expression pour ne pas effrayer nos clients, surtout Raï avec qui je semblais prendre plaisir à chouchouter comme une petite sœur.
Le lendemain, Maman, moi, Sain et sa famille descendîmes dans une gorge. Il y avait un village près de la rivière tout en bas. Lorsqu'on atteignit presque le village, le temps se gâta. Le ciel était chargé de nuages et le vent soufflait fortement au sud. Pas un autre rakkaral ? murmurai-je. En mer, le rakkaral provoquait d'énormes tourbillons et tempêtes de vent, mais une fois sur terre, il saccageait la terre et les cultures dans des vortex de vent et de pluie.
Le village de Sain était à au moins une journée d'ici, quand il faisait beau temps. Le village voisin s'appelait Maru. Maman avait promis d'amener Sain et sa famille à Tanoru. La pluie tombait comme des cordes lorsque qu'on arriva à Maru. Maman choisi de rester à l'auberge du village pour attendre la fin de l'orage. Le hurlement du vent et de la pluie était clairement audible même à l'intérieur de l'auberge. J'étais un peu tendue, mais Jiguro me calma avec son énergie.
- Ça l'air plutôt dur là-bas, commenta gentiment le propriétaire de l'auberge. Je vais vous apporter de l'eau pour vous rafraîchir. Il fait si chaud.
Sain et sa famille hochèrent la tête avec reconnaissance et s'assirent près de la porte de l'auberge. Le père de famille leva les yeux vers Maman.
- Vous nous avez amenés ici. Ce n'est pas grave si vous devez partir, sourit-il alors que Maman lui souriait en retour.
Maintenant que j'y pensais, c'était la première fois que nous voyions Sain sourire. Il se leva et nous salua.
- Vous nous avez sauvés. Je ne l'oublierai jamais.
Il sortit le reste du paiement du travail de Maman de sa poche et le lui donna. Elle hocha la tête en guise de remerciement, puis se tourna vers le propriétaire de l'auberge.
- Hum... Pardonnez-moi d'être si brusque, mais j'ai besoin de quelques petites choses. J'aimerais manger le plus tôt possible. Ensuite, nous aurions besoin de nouvelles sandales de paille et de vêtements de pluie. Je veux être en route dans une heure.
- Quoi ? se stupéfia l'aubergiste. Vous avez l'intention de repartir dans cette tempête ?
Maman acquiesça. Elle enleva ses sandales trempées, je l'imitai, puis s'assit près de Sain et de sa famille.
- Nous allons nous reposer un peu et se nettoyer, mais ensuite, ma fille et moi devons repartir.
Sain et Toki nous regardèrent avec inquiétude. Le vent devenait de plus en plus fort.
- Dame Balsa, vous ne pouvez pas sortir avec votre fille lorsque le temps est comme ça. Vous n'avez pas du tout dormi la nuit dernière, et notre voyage a été long et fatigant. Vous devez être épuisées toutes les deux. Vous devriez vous reposer et attendre que l'orage passe.
- Merci pour votre inquiétude, ça me touche beaucoup, mais je vais bien. Vraiment. J'ai l'habitude de voyager par tous les temps. Beau soleil, pluie battante, neige. J'y suis habituée.
L'homme s'occupant de l'eau chaude pour les clients de l'auberge entra dans la pièce. Maman se leva et je la suivis pour m'approcher de lui. Je sentais de nos anciens clients nous regardaient toujours avec des expressions inquiètes, mais ne disaient rien d'autre. Raï me donna un dernier gros câlin. Je sortis quelque chose de ma poche : une belle pierre en Hakuma. Lors de mes formations avec Grand-Mère, j'avais été dans des boutiques ésotériques et j'étais parvenue à trouver des pierres provenant de Kanbal en vente. Nécessairement, j'en avais acheté quelques-unes et j'en transportais toujours sur moi pour bénéficier de leurs propriétés et énergies.
- C'est pour toi, Raï, souris-je en lui mettant la pierre dans la main. Cette pierre est un porte-bonheur. C'est un Hakuma qui vient des grottes de Kanbal. Elle te protégera pendant ton retour à la maison. Conserve-la précieusement et tu penseras à moi à chaque fois que tu la regarderas.
- Merci Alika-San !
Elle me serra de ses petits bras. Ça me faisait encore bizarre qu'une personne me parle comme si j'étais une adulte comme mes parents. J'allai retrouver Maman pour une courte sieste.
Cela faisait quinze jours qu'Oru nous avait remis la lettre de Jin. Maman et moi étions retournées à Rota via les montagnes, achetant deux chevaux dans l'une des petites villes que nous traversions. L'objectif immédiat de Maman était d'atteindre le port de Tsuram. Chagum-Niisan était probablement entré à Rota à partir de cet endroit, mais il n'y avait aucune garantie qu'il se trouvait maintenant à Tsuram ou à proximité. Parfois, Maman avait l'impression de chercher une aiguille dans une botte de foin. Même mes compétences en magie n'étaient d'aucune aide dans ce casse-tête. Et même si j'essayai d'envoyer Jiguro traquer et rechercher le gardien de Niisan ou son énergie, ça ne m'aiderait pas beaucoup non plus.
Le meilleur indice qu'on avait était les richesses que Chagum-Niisan avait acquis de par la famille royale Sangalese. Il avait emporté ce trésor pendant sa fuite et n'avait pas d'autre argent. Il devait donc payer ses frais de voyage avec. S'il avait réussi à atteindre Rota sans se faire cambrioler, Maman pourrait peut-être utiliser sa description et celle du trésor avec lequel il devait troquer pour le retrouver.
Jin nous avait fourni une description détaillée de tout ce que Chagum-Niisan transportait lorsqu'il avait quitté le navire, y compris son trésor. L'objet le plus facilement traçable était ce qu'on appelait un collier Talfa. Il avait le motif d'un poisson, en or et incrusté d'énormes rubis qui brillaient d'une lumière intérieure brunie. Ses matériaux seuls étaient si chers que la plupart des marchands Sangalese ne pourraient jamais s'en offrir un. Et même s'ils pouvaient l'acheter, ils ne pourraient pas le porter. Seules la royauté et la noblesse étaient autorisées à porter un collier Talfa.
Tout pirate qui acquerrait le collier saurait immédiatement qu'il ne pourrait pas le vendre à Sangal. Les frontières du Nouvel Empire de Yogo étant toujours fermées, ils n'auraient d'autre choix que de le vendre à Rota. Mais où et à qui ? Il y avait de nombreuses petites villes portuaires le long de la côte sud.
Maman considérait Tsuram comme l'endroit le plus facile d'accès pour les pirates afin d'y vendre un collier Talfa. Elle était reliée à la capitale de Rota par la rivière Orra. La nourriture et les fournitures faisaient souvent la navette entre les villes sur des bateaux et des péniches. Tsuram était le plus grand port de Rota. Il importait des marchandises de Sangal, de la mer de Sugal, du royaume occupé de Karal et du continent sud, avant de les expédier au palais royal Rotan. Presque tout ce qui avait une valeur significative à Rota devrait passer par Tsuram à un moment donné.
- La mer est si jolie ! m'exclamai-je.
Maman ne semblait pas de cet avis. Elle semblait légèrement malaisée. Jiguro était pareil, mais Motoko était aussi emballée que moi.
- Je n'aime pas du tout l'océan, avoua Maman. Je suis née dans les montagnes et je préfère cet endroit à ici. Regarder la mer me mets vaguement mal à l'aise.
- « Vaguement », répétai-je. Comme les vagues. Quel jeu de mot, Maman !
Maman esquissa un mince sourire.
- Je n'aime pas ça. Je n'en vois ni le fond ni les bords. Quand je récolterai des informations, garde le silence, s'il te plait.
- Et pour ce qui est de ma lance ? demandai-je.
- Les hommes Kanbalese sont habitués de se promener avec leurs fils qui portent aussi des lances. Ne t'inquiète pas pour ça.
Maman commença à enquêter sur les marchands d'esclaves locaux ainsi que sur les magasins de bijoux et de pierres précieuses. On entendit des rumeurs sur un énorme trésor de biens volés qui avaient été vendus récemment. Mais personne ne semblait connaître les détails de ce qui avait été volé ou à qui cela avait été vendu. Chacun avait une histoire un peu différente à raconter.
Lorsqu'elle épuisa tous ses modes d'interrogatoires aux marchés légaux, elle se tourna vers les illégaux. Chaque grande ville avait au moins un marché noir pour l'information ainsi que pour les biens volés. Elle fit semblant d'être sur le marché des trésors Sangalese volés et bavarda avec des personnages suspects, restant près d'eux et payant leurs boissons. Il y avait beaucoup de nouvelles et de commérages, mais très peu d'entre eux étaient utiles.
Finalement, son enquête porta ses fruits : il y avait une rumeur concernant un collier Talfa. Le frère du pirate qui l'avait vendu avait une grande gueule et répandait la rumeur dans toutes les tavernes et bars près du port. La bonne nouvelle était qu'il était susceptible d'être à proximité. C'était sa première vraie piste. Elle sourit sincèrement pour la première fois depuis des semaines.
La prochaine étape sonna un peu plus complexe. Comme c'était risquée, Maman loua une auberge et me demanda de rester à l'intérieur avec nos deux lances alors qu'elle enquêterait.
- Je ne dois pas emmener d'armes là-bas, c'est une des règles du magasin secret. Tu vas aussi pouvoir te reposer. J'ai payé une servante et elle devrait t'apporter un repas en soirée.
- Et tu vas revenir quand ? questionnai-je.
- Au plus tard demain matin.
Je me mis à réfléchir.
- D'accord, mais si tu n'es pas revenue avant l'heure du midi, j'enverrai Jiguro prendre de tes nouvelles pour me les dire, ça marche ?
- Ça marche, sourit-elle.
- Gambatte, Maman ! l'encourageai-je. Tu es la meilleure !
Elle rit et quitta la chambre avec Motoko, alors que je verrouillai la porte par précaution. Jiguro ne se sentait pas à l'aise de la laisser seule, alors il me quitta, échangeant sa place avec Nahoko qui s'occuperait de me veiller le temps que je restais à l'auberge. On me servit un plateau et je m'assurai que rien n'avait été empoisonné. Nahoko me le confirma. Je m'occupai de polir et aiguiser nos lances avant de m'étirer et de bâiller. Une fois couchée sur le lit, je fermai les yeux pour récupérer. J'espérai sincèrement que Maman réussisse à avoir des informations sur Niisan et ce fameux collier Talfa sans trop de soucis... quoique c'était son genre de se mettre dans le trouble. Je m'endormis sur cette pensée.
