Chapitre 13
Un béguin Non-partagé
Nous quittâmes l'auberge pour retrouver nos chevaux un peu avant midi et les avions troqués à Toluan contre des chevaux de bât robustes aux jambes et au cou épais. Leurs crinières étaient très longues, un peu frisottés et leurs pelages étaient épais : ils étaient idéaux pour voyager dans les montagnes. Chagum-Niisan avait personnellement choisi son cheval au marché.
- J'aime bien celui-là, dit-il attendrit. Ses yeux me rappellent ceux de Tanda.
Maman éclata de rire et mon expression semblait valoir de l'or parce que même les gardiens qui nous regardaient, immobiles, eurent un fou rire incontrôlable. J'étais presqu'en tout point identique à Maman physiquement... sauf mes yeux. Leur forme était celle de Papa. Lorsque Chagum le remarqua, il plaqua une main sur sa bouche.
- Je ne voulais pas te vexer, Alika-Chan ! Loin de là...
- Je ressemble à un cheval ! m'indignai-je à Maman qui ne put reprendre sa respiration qu'après un long moment et essuyer ses larmes de rire.
- Non, ma chérie, rit-elle. Tu ne ressembles pas à un cheval.
- Je ne te crois pas !
FangFang se roulait au sol et Motoko se tenait le ventre. Jiguro, quant à lui, essayait tant bien que mal de conserver son calme, il échappait quelques fous rires par-ci, par-là. Maman n'était pas le genre de personne à faire des blagues humoristiques à double sens, mais pour cette fois-ci, elle me sortit :
- Hé bien... peut-être que quelqu'un pourrait te chevaucher, un jour ?
- Quoi ?!
- Tu sais, ton père aime beaucoup me chevaucher, mais je préfère quand c'est moi qui le chevauche et que j'ai le contrôle—
- Maman, s'il te plait ! Arrête ! m'horrifiai-je. C'est malaisant...
- Mais avoue que tu te sens mieux, maintenant.
Je ne dis rien. Mon irritation frôla le paroxysme quand Chagum commença à appeler sa monture « Tanda ». Une fois nos chevaux trouvés, Maman caressa la crinière de son cheval.
- Pourquoi as-tu appelé ta monture comme ça ? marmonna Maman en marchant.
- Parce qu'il n'avait pas de nom, dit simplement Niisan. Comment s'appelle ton cheval ?
- Il n'en a pas.
- Pourquoi ?
- Lorsque tu nommes un animal, s'en séparer devient d'autant plus difficile.
Chagum se tenait derrière elle. Elle ne vit pas le regard infiniment triste qu'il lui lança.
- Je vais quand même appeler ton cheval « Sans-nom », annonça-t-il. Et toi, Alika ? Tu as donné un nom à ta monture ?
- ... Je ne sais pas. Je crois que je vais suivre l'exemple de Maman, mais je peux bien l'appeler « Compagnie Sans-nom ».
- « Compagnie Sans-nom » ? essaya-t-il de comprendre.
- C'est une marque de commerce à Kanbal, l'informai-je. Sérieusement...
- Ah, je vois.
Ainsi, Tanda, Sans-Nom et Compagnie Sans-nom étaient des chevaux calmes et bien élevés qui pouvaient trouver leur équilibre et grimper sans problème sur le chemin escarpé qui sortait du village. Ils utilisaient leurs hanches et leur dos pour se cambrer et se soutenir lorsque la route se détériorait soudainement et qui parfois, disparaissait complètement. Nous étions dans les montagnes maintenant. Mes oreilles se bouchaient plus régulièrement et je devais déglutir pour les déboucher. Au coucher du soleil, Chagum était complètement épuisé. Ses genoux pouvaient à peine le soutenir lorsqu'il descendit de cheval. Voyant notre endurance à Maman et moi, son énergie m'indiqua qu'il était un peu jaloux et qu'il en avait parfaitement le droit.
La route allait devenir de plus en plus à pic et étroite au fur et à mesure qu'on se rapprochait de Kanbal. Le premier signe de vie que nous découvrîmes fut proche d'une berge alors qu'on quittait le chemin principal pour une route latérale plus étroite. La berge était remplie d'empreintes de sabots, au moins une douzaine de chevaux. Maman devina que les chevaux étaient passés il y a quelques heures, car les empreintes étaient aussi claires et nettes que si elles venaient d'être faites.
- Celles-ci ressemblent aux traces de cavaliers qui ouvrent le chemin à une caravane, observa Maman. Je suppose qu'ils se sont arrêtés ici cet après-midi.
- Comment sais-tu qu'ils étaient avec une caravane ? questionna Niisan les sourcils froncés. Les assassins ou les bandits n'auraient-ils pas pu s'arrêter ici, plutôt ?
- Non. Tu peux le savoir par les pistes. Ces chevaux étaient lourds. Leur schéma de mouvement est dispersé. Il n'y a eu aucune tentative de cacher leurs traces ou de cacher vers où ils sont allés. Alors que des bandits ou des assassins auraient tout fait pour camoufler leur passage.
Nous continuâmes notre chemin. Vers la fin de la deuxième journée de voyage, le chemin s'égalisa, puis commença à descendre doucement. Il nous faudra passer au-dessus des gorges d'Usal si nous continuâmes dans cette direction sans détour. Les arbres à notre gauche commençaient à s'espacer. Lorsque l'on put voir la gorge au loin, Maman arrêta son cheval.
- Qu'est-ce qui ne va pas ? questionna Niisan.
Maman posa un doigt sur ses lèvres. Je tendis l'oreille également : j'entendais des voix, pas beaucoup, mais l'une d'entre elles ressemblait à celle d'un enfant. Les voix ne venaient pas de la gorge, mais bien en direction des arbres. C'était probablement la caravane qui s'était arrêtée au bord de la rivière en après-midi. Maman tourna à droite et passa entre les arbres avec Chagum et moi sur ses talons.
- Ils ont des enfants avec eux, donc il n'y a probablement pas de danger, nota-t-elle. Mais nous devons quand même faire attention. Traverser la gorge est dangereux dans le meilleur des cas. J'ai du mal à croire que la caravane ait l'intention de faire ça alors qu'elle a des enfants à protéger. Annonçons-nous. Restez derrière moi.
Le fait que ce groupe avait des enfants avec eux et empruntait une route aussi dangereuse à travers les montagnes sentait l'inexpérience. Maman ne voulait pas être prise dans leurs problèmes. Elle ne pouvait pas non-plus complètement écarter l'idée que des bandits pourraient utiliser des enfants comme appâts ou en otages pour attirer les gens. Quelques minutes plus tard, des gens et des chevaux apparurent dans notre champ de vision. Ils avaient trouvé une grotte naturelle et avaient choisi d'y camper. La grotte amplifiait leurs voix, juste assez pour qu'on puisse les entendre de loin.
Elles cessèrent soudainement d'échanger. Une silhouette sortit pour nous observer alors que nous nous rapprochions de la grotte. Il y avait environ quatre personnes qui grouillaient autour de la grotte, mais la personne qui était sortie pour nous saluer était armée d'une épée. C'était probablement un garde de caravane.
- Arrêtez-vous et déclarez-vous ! cria le garde.
Un autre garde émergea des arbres derrière lui. Il devait s'être caché au préalable. Le premier garde portait une épée courte, mais le second avait dégainé une épée longue et s'approchait. Maman retira la capuche de son manteau et enleva son couvre-visage shuma pour se montrer et regarder le garde de plus près. Il loucha vers elle. Il était plus âgé que l'autre garde et avait un air compétent et aguerri.
- Balsa ? se surprit-il. Est-ce vous ?
Maman sourit et mit pied à terre. Je l'imitai avec Chagum.
- Gol. Je n'avais aucune idée que vous étiez encore en fonction, répondit Maman.
Gol posa une main sur sa bouche et éclata de rire.
- Eh bien, je voulais prendre ma retraite, mais ensuite mon fils a dit qu'il voulait être un garde d'escorte comme moi. Donc, bon, tout compte fait, j'ai choisi de lui léguer et apprendre mes connaissances dans ce métier. Évitez d'être aussi formelle avec moi, je vous prie.
- Alors la même chose s'applique à toi, se reprit-elle en le tutoyant.
- Il y a une guerre qui se prépare, tu as entendu ?
- Oui.
- Quoi qu'il en soit, c'est le premier emploi de mon fils, Rinchen, alors j'ai décidé de venir avec lui. Il a encore beaucoup à apprendre.
Le jeune homme émergea des arbres et fronça les sourcils à son père.
- Ne parle pas si fort, s'irrita-t-il. Personne n'a besoin de savoir que c'est mon premier travail, Papa !
Le jeune homme rengaina son épée et regarda Maman de haut en bas, les bras croisés, avant de me regarder avec une expression et énergie qui m'était totalement inconnue. Il devait être proche de l'âge de Chagum-Niisan, peut-être un ou deux ans plus vieux. Ça me rendait malaisée. Maman continua de discuter avec Gol, ignorant réellement mon inconfort en présence de Rinchen. Je demandai à Jiguro et même Motoko de faire une barrière entre lui et moi. Trop concentrée à mettre de la distance entre le fils de Gol, je ne rattrapai que la moitié de la conversation avec Maman.
- Ce sont des commerçants, dit Niisan avec surprise. Peuvent-ils vraiment jeter tout ce qu'ils possèdent si facilement, même pour sauver leur propre vie ?
Rinchen l'entendit et cracha :
- Je pense que c'est stupide. Faire ça serait lâche. Pourquoi ne pas se lever et se battre, pour leurs vies et leurs biens à la fois ? Mais Papa ne m'écoute pas quand je suggère des choses comme ça !
Son père fronça sévèrement les sourcils et frappa son fils brusquement sur l'oreille.
- C'est toi le stupide ici. Te rends-tu compte de qui elle est ? C'est Balsa, la lancière. Elle a été une célèbre escorte de garde avant même que tu ne sois sevré du sein de ta mère ! Et tout comme toi, sa fille est également en apprentissage !
- Ah ! c'est donc sa fille avec elle ?! s'exclama Rinchen en me regardant avec un grand intérêt.
- Tu ne devrais pas sous-estimer les gardes de sexe opposé au tiens, le prévint Maman. C'est très impoli et dénigrant.
- Oh, non, loin de là !
Il s'approcha de moi. Un peu trop. Je reculai et pris le bras de Chagum.
- Comment tu t'appelles ? me demanda-t-il.
- ... Alika...
- Je m'appelle Rinchen. On va travailler ensembles !
Il regarda ensuite Chagum.
- Qui est ce jeune homme avec vous ?
- Notre client, précisa Maman pour nous.
- C'est mon petit-am— allais-je dire avant que Niisan ne me coupe.
- C'est ma petite sœur de cœur ! annonça-t-il fièrement alors qu'il réduisait mes plans en fumée pour semer le fils de Gol.
- Ah, je vois.
Niisan... pourquoi ? geignis-je dans ma tête.
Pendant que Maman parlait avec le propriétaire de la caravane, Dohal, et Gol concernant la traversée de la gorge Usal et les bandits possibles, Rinchen me posait énormément de questions, ne respectant aucunement ma bulle privée. Peu importe où je m'assoyais ou allais, il me suivait comme un vrai pot de sève ! Du côté des gardiens, Jiguro essayait de faire une barrière, mais il semblerait que le gardien de Rinchen était un homme attiré par les hommes bien musclés et baraqués comme lui. Alors même Jiguro avait de la difficulté à le semer tout en me protégeant.
- Comment s'est-on retrouvé dans une telle situation ? maugréa-t-il.
- Je n'en ai aucune idée... mais au moins, nous sommes deux, répondis-je par télépathie.
- D'abord les chevaux puis ça.
Je l'entendis soupirer puis grogner. Je savais que Jiguro ne ferait aucun mal à qui que ce soit en dehors de la légitime défense. Tout ce qu'il ferait serait sans doute de mettre de la distance entre eux.
Nous reprîmes la route tandis que Dohal et sa famille se préparaient à bouger. Rinchen semblait vouloir me tenir compagnie alors que je ne cherchais que la solitude avant tout. J'écoutai Maman parler avec Chagum, essayant de me concentrer sur sa discussion plutôt que Rinchen à mes côtés.
- Pensez-vous que Gol et son fils seront capables de protéger cette famille ? examina Chagum.
- Si Gol a survécu aussi longtemps, il doit y avoir une raison à cela, n'est-ce pas ? sourit faiblement Maman. Il n'agit pas toujours sur la base des informations les plus fiables, mais c'est un bon garde et un combattant fiable. Je n'attendrais pas trop du fils, cependant.
- Ah ?
- Il a dégainé son épée longue dans un bosquet d'arbres. Si nous nous étions battus, il n'aurait pas pu balancer son arme sans toucher son père... et puis...
Maman et Chagum me jetèrent un coup d'œil furtif. Ils savaient que j'avais vraiment du mal à semer Rinchen et sentaient ma détresse. Je me dépêchai de les rejoindre.
- Maman, grognai-je rapidement avant de la dépasser. S'il te plait, fais quelque chose pour lui !
Je passai entre Chagum et elle pour aller plus en avant et fuir un moment Rinchen. Je vis Motoko s'approcher d'elle et lui dire à l'oreille :
- Tu devrais peut-être retenir Rinchen un moment. Ta fille a besoin de son espace privé et ne semble pas savoir comment gérer cette situation.
- Hey Rinchen, l'appela Maman, ne sachant pas du tout que Motoko l'avait influencé.
- Oui, madame Balsa ? répondit-il en les approchant.
- Qu'est-ce qui t'attire dans le métier de garde ? Ce n'est pas un métier à prendre à la légère et plusieurs vies comptent sur toi pour les protéger. Ça fait énormément de pression.
Je pus enfin respirer un petit dix minutes lorsque Gol alla les rejoindre.
- Nous approchons de la gorge. Mon fils, je sais qu'avoir d'autres gardes avec nous t'excitent vraiment beaucoup, mais tu es ici pour protéger la caravane de nos clients, pas pour courir après la fille d'une de mes anciennes collègues.
- Je ne lui coure pas après ! se défendit-il. Je veux juste apprendre à la connaître davantage !
Le regard que mon Niisan de cœur, Maman et Gol lui jetèrent lui indiqua qu'il n'était pas du tout subtil dans sa démarche. Ils avaient tous vu à quel point il me collait.
- Je comprends, mais laisse-là un peu respirer.
Rinchen grogna et me laissa de l'espace. Maman exposa son plan pour traverser la gorge et protéger les clients de Gol. Elle fit face à Rinchen.
- Tu resteras derrière pour garder la famille avec Alika et Chagum. Nous ne pouvons pas laisser Dohal et les autres sans défense. Attendez-nous à un endroit sur la route.
Il affaissa ses épaules, mais accepta quand il sut que j'allais l'accompagner. Je savais que Maman connaissait mon malaise face à Rinchen, mais je savais aussi que je n'avais pas le choix pour la réussite du plan.
- Aussi..., ajouta Maman, je déteste le demander, mais j'aimerai emprunter ton arc.
Rinchen sembla surpris de cette demande, mais il lui tendit son arc. La gorge d'Usal était large en haut et très étroite en descendant vers le bas. Une lumière vive se reflétait sur la neige qui reposait sur la pierre sombre. Une rivière coulait, mais son courant était lent, surtout avec l'hiver aussi avancé. La route passait au-dessus de la gorge via un pont suspendu. Il continua également vers d'autres passages dans les deux sens le long de la falaise. La gorge était si large au sommet que le pont suspendu semblait incroyablement long. C'était l'endroit idéal pour tendre un piège ou une embuscade, car faire passer des charrettes et des animaux sur le chemin prenaient généralement beaucoup de temps.
Maman fit marche arrière et guida Dohal, sa famille et Chagum jusqu'à un endroit sur la route proche de la falaise.
- Attendez ici. Lorsque vous entendrez trois coups de sifflet, courez vers le pont. Envoyez Gol en avant sur son cheval avec les marchandises que vous avez l'intention de déposer, puis envoyez le reste des chevaux en avant. Si vous êtes attaqué, montez sur les chevaux et essayez courir. Lorsque vous traverserez le pont, jetez les deux sacs de fruits secs. Vous m'avez compris ? demanda-t-elle.
Comme Rinchen, moi et les chevaux partaient en avant, Maman et son collègue attachèrent les rênes des autres chevaux à la monture de Rinchen pour les garder ensemble. Il serait facile de disperser les chevaux en coupant les rennes, mais on n'y pouvait rien. Dohal semblait très, très nerveux, mais il comprenait quel était le plan. Par la suite, Maman mit pied à terre et enleva son manteau pour pouvoir se déplacer plus facilement. Elle le rangea dans son sac. Elle enroula les rênes de son cheval autour du pommeau de la selle.
- Incluez ce cheval avec les autres, mais laissez-le libre, informa-t-elle.
Gol, quant à lui, attacha son propre cheval à un arbre.
- Je préférerais laisser le mien ici. Nous pourrons revenir, peut-être, quand ce sera plus sûr. Je reviendrai seul et je te rattraperai.
Il échangea quelques mots avec son fils, avant de suivre Maman. Nous étions enfin prêts.
Il y eut trois coups de sifflets. C'était le signal. Dohal et sa famille paniquèrent et figèrent de peur au signal de Maman, mais ils n'eurent d'autre choix que de bouger. Rinchen semblait était tout aussi effrayé que la famille marchande et ne bougea pas lui-non plus. Lui, qui avait tellement tout donné afin d'attirer mon attention et « m'impressionner ». Je devais avouer que sur ce coup-là, je n'en étais pas très stupéfaite.
- C'est le signal ! criai-je en partant devant. Coure, idiot !
Chagum m'aida et frappa l'un des chevaux de bât sur le derrière avec le manche de son épée. Le cheval se mit en branle et les autres qui y étaient attachés commencèrent à bouger également. Rinchen sembla reprendre ses esprits. Il avait paniqué momentanément, mais il était concentré maintenant. Il dégaina son épée longue et la tint prête. Maman était toujours engagée dans le combat avec les bandits et elle se tenait au centre d'un groupe de quatre hommes, tous portants des épées. Je vis un cavalier tomber de sa monture alors qu'on approchait de plus en plus de Maman et de Gol.
Je gardai Compagnie Sans-Nom au galop au-devant de tous. On galopait depuis longtemps. Les chevaux étaient paniqués sur le champ de bataille et couraient aussi vite qu'ils le pouvaient. La route était glissante à cause de la glace et de la neige, ce qui les aidait à aller encore plus vite qu'ils ne le pouvaient habituellement. Ils prenaient tellement de vitesse qu'ils ne pouvaient pas ralentir. À ce rythme, je savais qu'ils risquaient de tomber dans un fossé et de mourir. Je ralentis d'allure, laissant Rinchen me dépasser et fit légèrement demi-tour pour placer ma monture proche de la charrette. Maman et moi avions eu la même idée comme elle se trouvait de l'autre côté. Nous parlâmes aux chevaux d'une voix apaisante et tendîmes la crosse de nos lances pour leur tapoter le cou aussi doucement qu'on le pouvait. Les chevaux ralentissaient peu à peu. Enfin, lorsqu'ils s'arrêtèrent, nous mîmes pied à terre. Tous étaient trempés de sueur. Il faisait si froid que notre haleine était visible en petit nuage blanc.
Il commençait à faire noir au moment où le père de Rinchen ramena son cheval et ramena l'arc long à son fils. Le sien était attaché dans son dos.
- Nous allons bien maintenant, dit-il d'une voix assez forte pour que tous puissent l'entendre. Les autres bandits ont tourné les talons et se sont enfuis. Nous n'avons plus à nous soucier d'eux.
Dohal échangea des regards soulagés avec sa famille, mais ils tremblaient de froid, de peur ou un peu des deux, je présume. La femme de Dohal ne cessait de remercier et de s'incliner devant Gol et Maman pour les remercier. Elle serrait sa jeune fille contre sa poitrine.
- Tu es un archer incroyable, complimenta Maman à Gol. C'est vraiment grâce à toi que nous sommes tous en sécurité.
- Ce n'était rien, voyons ! rétorqua Gol en virant rouge pivoine et éclatant de rire. C'est toi qui as pris tous les risques. Tu vaux mieux que ta réputation ne te l'attribue. Nous n'aurions jamais franchi les gorges d'Usal sans toi.
Il me regarda.
- Comment s'est passé la traversée, mademoiselle Alika ?
- Arrêtez les formalités, le priai-je. S'il vous plait.
- Alors fais pareil avec moi, très chère. Tu peux me tutoyer.
- Hmm... je ne suis pas très impressionnée par Rinchen, admis-je alors qu'il s'indignait silencieusement. Il a figé sur le coup lors du signal...
Je me tournai légèrement vers lui.
- Il a encore beaucoup à apprendre... et moi aussi. Mais au final, on s'en est plutôt bien sorti, terminai-je en regardant Rinchen. Alors prends ça comme un compliment.
Gol et son fils allumèrent des torches derrière nous.
- Pensez-vous qu'il y avait des assassins mêlés à ces bandits ? se risqua Niisan à Maman.
- Non, c'étaient tous des Rotan et ils écoutaient tous le même chef. Il n'y avait pas plus d'une faction là-bas, sinon, je l'aurais remarqué.
- Nous ne pouvons pas continuer à voyager avec Gol et les autres trop longtemps. Nous ne pouvons ni ne voulons pas les mettre en danger. Les bandits et les assassins sont différents. Les assassins abattront les innocents pour nous atteindre s'ils le doivent.
- Tu as raison.
Les contours sombres d'un bâtiment apparurent au loin. C'était un tahn, exactement comme quand nous avions trouvé refuge lors de la nuit du blizzard. Ce serait probablement un bon endroit pour passer la nuit au chaud. Au moins, Maman pourrait partager les tours de garde avec Gol durant la nuit. Elle fronça les sourcils.
- Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda Niisan en agrippant la garde de son épée.
- J'ai l'impression que quelqu'un nous observe...
- Est-ce qu'ils nous suivent ?
- Je ne pense pas... Je pense que nous aurions senti quelque chose si nous étions suivis. La journée a été longue. Mon esprit pourrait me jouer des tours.
Elle soupira et secoua la tête. Nous chevauchâmes pendant un petit moment jusqu'à atteindre la hutte. J'étendis mes sens pour être en mesure de confirmer les dires de Maman. Je sentais effectivement une paire d'yeux sur nous, mais je ne pouvais pas dire d'où provenait la source. L'énergie, les gardiens ou les animaux ? Tout était confus, mais on nous observait. Ça je pouvais le confirmer.
Je mis toutes mes impressions de côté quand Rinchen recommença à vouloir attirer mon attention. Jiguro m'influença pour lui dire honnêtement que je ne cherchais aucune relation amoureuse et que j'avais des choses plus urgentes et importantes à penser.
