Chapitre 14
Comme à la maison
Nous quittâmes Dohal et sa famille à l'aube, le lendemain. Nous approchâmes la frontière de Rota et Kanbal vers l'heure du midi. Les montagnes s'élevaient majestueusement au-dessus de nos têtes. Elles étaient bien plus hautes que toutes les autres montagnes. La vue était entièrement dégagée. Les sommets saupoudrés de neige éternelle semblaient assez pointus pour couper le ciel.
- C'est le début de la chaîne mère des montagnes Yusa, l'informai-je. Elle marque la frontière de Kanbal, la patrie de Maman et même mon pays antérieurement.
- Antérieurement ? s'étonna Niisan.
Je remarquai que je m'étais un peu emportée dans mes sentiments.
- ... Eh bien... ma dernière vie a été à Kanbal. Ce qui explique pourquoi j'ai une âme Kanbalese et que, de temps en temps, j'ai l'impression d'être née dans le mauvais pays... Oh, je me sens à la maison, c'est fou !
Chagum se retourna vers Maman et la regarda dans les yeux. Elle sourit.
- Eh bien, allons-y alors !
Nous descendîmes le chemin de la montagne. Deux tours trapues apparurent au loin devant nous. Elles étaient faites de la même pierre sombre commune à Rota et à Kanbal. Il y avait un éclaireur au sommet de chaque tour. Au total, il y avait environ dix gardes en service ici. Mais comme c'était une route frontalière générale et très fréquentée, les gardes étaient assez laxistes. Certains avaient même l'air endormis. Il y avait quatre hommes de ce côté de la frontière et quatre de l'autre, avec les deux éclaireurs dans les tours de chaque côté.
Un groupe de cinq personnes s'approchait de la frontière en direction de Kanbal. Ils cherchaient probablement à traverser Kanbal pour travailler. L'un des hommes du groupe montait un cheval émacié. Lorsque ce fut notre tour d'avancer, les gardes étaient autour d'un feu commun, essayant de se réchauffer du mieux qu'ils le pouvaient. Certains fumaient du gazal, une sorte de tabac doux qui poussait à Rota. Aucun d'entre eux ne bougea du feu lorsque Maman, Chagum, moi et le groupe de personnes s'approchâmes de la frontière. Je sentis que quelque chose n'allait pas. Comme pressentit, l'un des gardes, un homme d'âge moyen avec un air hautain, se détacha du groupe principal et nous suivi. Chagum se raidit et continua de suivre Maman en essayant de paraître calme. Quatre des gardes portaient des lances qui ressemblaient beaucoup aux nôtres. Deux d'entre eux firent signe à celui qui avait suivi Maman. Il hocha la tête en signe de reconnaissance.
- Arrêtez vos chevaux, ordonna-t-il, et retirez vos couvre-visages. Laissez-nous voir qui vous êtes.
Nous suivîmes les ordres. Le garde cligna des yeux lorsqu'il vit le visage de Chagum. Il resta immobile et silencieux, attendant que le garde dise quelque chose. Le garde échangea un regard avec l'un de ses camarades.
- Pouvons-nous vous aider avec quoi que ce soit, monsieur ? questionna Maman.
- Nous inspectons tous ceux qui viennent de Rota ces jours-ci, transmit-il en s'éclaircissant la gorge et son ton était grossier. Il y a eu des rapports selon lesquels des bandits et des voleurs auraient tenté de traverser la frontière. Vous pouvez avancer jusqu'aux tours. Nous y enregistrerons vos bagages.
Le garde fit face à l'un de ses plus jeunes camarades.
- Hé, toi-là ! Suis-moi ces deux-là et vérifies leurs affaires.
Il retourna au feu. Le jeune garde nous suivit un peu plus loin, puis nous demanda de s'arrêter à nouveau. Il vérifia nos bagages d'une manière superficielle, mais je sentis qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. C'est alors qu'il commença à tout vérifier de manière beaucoup plus approfondie, comme s'il cherchait quelque chose en particulier. Même après qu'il ait été clair qu'il n'avait rien trouvé, il continua d'agir afin d'en faire un prétexte pour fouiller nos sacs. C'était presque comme s'il essayait de nous ralentir. Lorsque sa manche d'uniforme glissa un peu, Maman et moi remarquâmes qu'il portait un bracelet en argent au bras.
- Bien, termina le garde. Vous êtes libres de partir.
Ils nous laissèrent partir. Nous chevauchâmes de l'autre côté des tours, s'attendant à y voir plus de gardes, mais il n'y en avait aucun.
- Cet endroit était bizarre, murmura Chagum.
- Ces gardes vendent des informations sur qui transportent des objets de valeur en échange d'une coupe, marmonna Maman.
- Quoi ?! se choqua-t-il.
- Alika et moi avons vu un bracelet en argent au poignet de ce garde. Les gardes-frontières ne sont pas assez bien payés pour s'offrir quelque chose comme ça.
- Alors, s'ils vendent des informations... penses-tu qu'ils parleront de nous à quelqu'un juste pour de l'argent ?
- Peut-être. Je ne doute pas qu'ils aient aidé à organiser des embuscades.
- Et tu penses que les assassins de Talsh pourraient les payer pour faire ça ?
- Je ne suis pas certaine qu'ils l'aient fait, mais il vaut mieux supposer que oui et se tromper que de tomber dans un piège.
- Alors qu'est-ce qu'on devrait faire ?
- Nous continuerons à chevaucher jusqu'à ce qu'ils ne nous voient plus, puis nous quitterons la route. Nous pouvons faire un bref détour à travers la forêt et essayer de perdre les poursuivants. Ensuite, nous attacherons les chevaux dans les bois et attendrons près de la route, attendant qu'ils nous dépassent. Nous ne voulons pas les croiser sur la route. S'ils ne nous trouvent pas, ils peuvent nous laisser tranquille.
Chagum sembla confus pendant un moment, puis hocha la tête. Nous étions dans un virage qui nous ferait sortir de la portée visuelle de la forteresse lorsqu'un frisson me parcourut l'échine. Maman tira sur ses rênes.
- Chagum, descends !
Il s'exécuta immédiatement, mais il ne sentit aucun danger. Quelque chose brillait juste au-dessus de sa tête et frappa son cheval au cou. Tanda cria et tomba. Maman sauta de sa propre monture et se plaqua contre le sol neigeux comme une planche de bois. Je la suivis dans la seconde qui suivit et Niisan nous imita aussi, son visage en plein dans la neige. C'est alors que Jiguro me dit à l'oreille :
- Pour cette fois-ci, laisse-moi prendre possession de ton corps.
Je lui donnai la permission et soudain, c'est comme si j'étais spectatrice de mon propre corps en mouvement. Je ne contrôlais plus aucun de mes mouvements. Tout se passait si vite. Ils étaient cinq et ce n'était pas des bandits. Jiguro contrôlant mon corps, il aida Maman à se débarrasser de quatre d'entre eux. Bien que j'aie copié le style d'arts martiaux et les mouvements de Maman, il est clair qu'elle sentit que ce n'était pas vraiment moi qui combattais. Mes mouvements étaient trop précis, trop rapides et trop vifs pour être les miens naturellement, même si j'étais extrêmement douée.
- ... Jiguro ? demanda-t-elle le quart d'une seconde. Est-ce... toi ?
Jiguro fit un sourire en coin avec mes lèvres et retourna à nos adversaires. Son intervention n'empêcha pas Maman de se faire blesser au niveau du ventre, encore une fois. Le combat n'avait même pas duré dix minutes. Toujours dans mon corps, Jiguro tenait Maman dans mes bras. Elle avait des sueurs froides et frissonnait violemment. Jiguro parla avec ma voix, mais Maman clignait des yeux plusieurs fois en essayant de se concentrer. Elle tomba inconsciente alors qu'elle luttait pour respirer.
Les Kashal nous aidèrent même si j'étais méfiante au début. Niisan m'expliqua qu'ils étaient de son côté et qu'il n'y avait aucuns dangers avec eux. Jiguro me laissa reprendre mon corps librement. Il y avait une jeune femme, avec des cheveux blonds coupés à la garçonne. Elle portait un bandeau blanc sur son œil droit, mais son œil gauche était clair et pénétrant, de couleur pers. C'était une Kashal très respectée qui portait presque le rôle de chef et quoiqu'un peu chienne par moment. Elle avait un petit singe doré sur son épaule avec un foulard rouge.
- Alika, je te présente Shihana, présenta Chagum. Elle fait partie des Kashal.
J'ignorai si elle m'avait lancé un sort, mais je ne pouvais pas m'empêcher de la regarder avec intérêt et curiosité. Elle vit que je la regardai et détourna rapidement les yeux, malaisée. Maman se réveilla de nouveau, et riposta pour pas qu'ils la transportent sur le brancard, mais elle finit par accepter et se laissa transporter en tenant ma main.
Il fallut beaucoup de temps pour atteindre le camp des Kashal et l'énergie de Jiguro changea.
- Nous sommes rendus à Kanbal, maintenant, m'annonça-t-il. Peux-tu sentir l'énergie ?
Je me concentrai et effectivement, l'énergie spirituelle avait changé. Je me sentais bien, je me sentais... comme chez moi. Un homme sortit entre deux rochers et retira la neige de sa chevelure qui était tombée lors de sa sortie. D'autres suivirent rapidement et nous emmenèrent dans une grotte souterraine. Il y avait quelques feux allumés près des endroits où les Kashal avaient percé des trous pour créer une ventilation. La majorité d'entre eux portaient des couvertures et des fourrures par-dessus leurs manteaux.
Le Kashal qui transportait Maman la déposa proche d'un feu, sur un tas de fourrure et de couvertures. Elle avait encore perdu connaissance. Il y avait une petite femme d'âge moyen qui se tenait debout. Elle se pencha sur Maman avec une expression inquiète. Elle regarda Niisan.
- Laisse-la ici un moment. Je vous ferai savoir quand j'aurai fini de soigner ses blessures.
Chagum hocha la tête et s'enfonça plus loin dans la grotte. Voyant que je ne bougeai pas, la femme me regarda.
- Je suis sa fille, répondis-je. Maman a souvent été dans un état comme celui-ci et à tous les coups, c'est Papa qui la soignait... puis-je rester avec elle à ses côtés ?
- Ah, je comprends mieux. Maintenant que j'y pense, tu lui ressembles beaucoup, ça se voit que vous êtes parentes. Tu peux rester... mais j'ai bien peur qu'elle ne passe pas la nuit.
Voyant que je ne paniquai pas et restai calme, elle s'étonna.
- Maman est très coriace en matière de récupérer, l'aidai-je. Elle a l'habitude et a survécu à beaucoup de combats. J'ai foi en elle.
Je regardai la femme soigner Maman. Elle s'appelait Chirari. J'avais à peine été blessée, grâce à l'intervention spirituelle de Jiguro. Après une demi-heure, elle me dit que je pouvais aller chercher Chagum-Niisan. Maman avait repris conscience et mangeait déjà. Elle tourna la tête vers lui lorsqu'il s'approcha. Elle était encore pâle à cause de la perte de sang, mais elle souriait.
- Balsa, tu vas bien ? demanda-t-il inquiet.
- Pas besoin de s'inquiéter. J'ai juste besoin d'une bonne nuit de sommeil et je serai comme neuve. C'est une bonne herboriste. Pas aussi bonne que Tanda, mais je ne connais personne d'autre qui s'en rapproche.
J'éclatai de rire. Les sourcils Chirari se soulevèrent légèrement. Elle était confuse.
- Vous êtes le patient le plus étrange que j'aie jamais eu, mais dans le bon sens, dit-elle. Quand on vous a amené, je ne pensais pas que vous survivriez, mais votre fille m'a dit de vous faire confiance et elle avait amplement raison. Vous êtes déjà consciente et vous mangez. Je n'ai jamais rien vu de tel et j'ai soigné beaucoup de blessures dans mon temps.
- Que Balsa dise que vous n'êtes qu'un pire guérisseur et herboriste que Tanda est un sérieux compliment, rit Chagum.
Il sentit quelqu'un tapoter son épaule et se retourna pour voir Shihana. Chirari partit, promettant de laisser la corde à portée quand viendra le lendemain matin. La Kashal s'accroupit à côté de Chagum et jeta un coup d'œil à Maman. Immédiatement, je sentis l'énorme tension entre Maman et elle. L'image que Mama ait pu arracher l'œil de quelqu'un me revint en tête et je compris que Shihana était celle qui avait subi ça. Décidemment, Maman continuera toujours de me surprendre. Shihana donna une lettre à Chagum, disant que le prince Ihan le lui envoyait.
- Cette lettre est probablement destinée à aider à convaincre le roi de Kanbal, déclara-t-il.
- Le prince Ihan souhaite sincèrement une alliance avec Kanbal, confirma Shihana. Mais il y a toujours une chance que Kanbal s'allie à Talsh. Nous ne savons pas ce que veut Kanbal à ce stade. J'espère que vous le saurez quand vous atteindrez le palais royal de Kanbal.
Alors qu'ils parlaient, je me créai une petite bulle de protection. Les tensions entre Shihana et Maman étaient si forte que j'en étais malaisée. Leur énergie était opposée et cela créait des frictions. Pourtant, Shihana m'attirait invraisemblablement, même si elle pouvait avoir l'âge d'être ma mère. Maman et elle se regardèrent longuement, avant que la Kashal se lève. Elle dévisagea Maman avec un regard de glace pendant plus d'une minute avant de tourner les talons et de s'enfoncer plus profondément dans la grotte. L'air de tension disparut immédiatement.
- J'ai besoin d'explications, sortis-je.
- En gros, je suis sûre qu'elle veut toujours me tuer, même après ces années. Elle n'a pas oublié que je lui ai fait obstacle quand elle a voulu utiliser le pouvoir du dieu Taluhamaya pour renforcer la position du prince Ihan. Sans compter que dans un combat, c'est moi qui lui ai fait perdre son œil droit.
- Ah, oui... de la rancœur, hein ?
- Exactement.
Le lendemain matin, nous étions seuls devant la grotte souterraine des Kashal. Les Kashal avaient dissous le camp et étaient parti quelque temps avant l'aube, y compris Shihana. Seule Chirari, la femme médecin, était restée. Elle nous prépara un petit-déjeuner composé de miel, de bam et de rakal, une boisson alcoolisée traditionnelle Rotan à base de lait de jument. Je n'étais pas certaine si j'allais aimer le lait de jument...
- Où sont passé les autres Kashal ? interrogea Chagum.
- Les seigneurs des clans du sud sont en révolte ouverte, ils sont donc retournés à Rota. On m'a demandé de rester derrière et de vous le dire. Vous ne devriez plus avoir de problèmes jusqu'à ce que vous ayez traversé la frontière maintenant.
Elle prit une gorgée de rakal réchauffé et sourit.
- La route est sûre, mais je resterai à proximité pour surveiller les environs pendant un petit moment. Par simple mesure de précaution, voyez-vous. Vous devriez reprendre la route après avoir mangé et vous êtes reposés. Je ne peux pas voyager avec vous.
- Pourquoi ? demandai-je.
- Très chère, imagines-tu à quel point il serait étrange que deux Kanbalese, un Yogoese et un Rotan voyagent ensemble sur la route ?
Je levai les yeux pour réfléchir. Il me semble que ça ne montrait qu'une possible alliance entre les pays, avec des liens d'amitiés solides.
- As-tu déjà été à Kanbal, Niisan ? demandai-je curieuse.
- Non, pas vraiment. J'ai juste lu beaucoup de choses dans les livres et je n'ai pas étudié ni pratiqué mon Kanbalese, alors je suis encore un peu maladroit... et toi ?
- Oui. Quand j'ai eu sept ans, Maman, Papa et moi avons été à Kanbal ! C'était le meilleur voyage que j'ai pu faire de toute ma vie... jusqu'à présent.
Kanbal était une sorte de pays insulaire gouverné par des seigneurs de clan pauvre qui soutenaient un roi tout aussi appauvri. Ce n'était pas une nation peuplée ou prospère et elle recevait peu de visiteurs en dehors du commerce. La capitale qui habitait le palais royal était la plus grande ville du pays, mais selon les normes continentales, même cette ville était considérée comme petite. Il y avait des marchés commerciaux appelés lassal, mais ils étaient rares.
Les Kanbalese vivaient en neuf clans séparés, de sorte que tous se méfiaient par principe. Les étrangers étaient regardés de haut ou étaient méfiés, étant donné que les liens du sang et de la famille étaient très valorisés, à la limite vantés, dans les mœurs et l'esprit des citoyens. Ceux qui se présentaient pour commercer sur les marchés lassal et les marchands ambulants étaient plus tolérés et les gens se montraient plus indulgents à leur égard. Les rumeurs voyageaient plus vite que les chevaux à Kanbal. Quand Maman avait battu les gardes qui l'avaient emmené hors de la maison de guérison de Tante Yuka, la nouvelle n'avait pas pris de temps pour atteindre mes oreilles.
- À quelle distance se trouve la capitale d'ici ? se renseigna Niisan.
- Nous sommes maintenant sur le territoire du clan Muga, indiqua Maman. La province du roi est directement à l'est. Ce n'est donc pas très loin, mais la route y est difficile car elle traverse d'autres montagnes. Je pense que nous pouvons y arriver dans le délai d'une semaine. C'est presque la nouvelle année, donc j'espère que nous pourrons le faire avant.
Chirari nous jeta un coup d'œil.
- Vous ne pensez tout de même pas à partir aujourd'hui ? Vos blessures ne sont pas encore cicatrisées !
- Ce ne sont que des blessures de chair, sourit doucement Maman. Elles font un peu mal, mais elles ont arrêté de saigner. Ça ira.
Quand Chirari secoua la tête et murmura pour elle-même en Rotan, cela me fit rire discrètement. Maman était toujours aussi têtue. Elle changea ses bandages et lui donna des médicaments à prendre pour accélérer la guérison. Elle aida également Chagum à faire ses valises pour le voyage et insista pour que je m'assure que Maman se repose le plus longtemps possible. Les Kashal avaient également préparé nos chevaux pour le départ avant qu'ils ne quittent le camp, tôt ce matin-là.
Nous reprîmes la route. Je proposai que l'on s'arrête à un lassal, l'un des grands marchés de Kanbal avant la tombée de la nuit. En escaladant un chemin de montagne escarpé, le sabot de Tanda fit un faux pas et glissa, faisant crier Chagum. Maman tendit la main pour aider Niisan à se remettre en selle alors que sa monture retrouvait son équilibre. La lumière du début de soirée baignait les montagnes d'une douce lueur rouge. Chagum prit de profondes inspirations et profita de la vue pour se calmer. Jiguro était calme, serein.
- Peux-tu me dire ce que c'est ? sourit-il.
- Alam laï la, sortis-je tout haut.
- Bien joué, petite fleur.
- Hein ? me questionna Niisan.
- Oh... C'est le dialecte Yonsa, répondis-je fièrement. Nous appelons de beaux coucher de soleil sur les montagnes comme celui-ci « Alam laï la ». Le soleil aime les montagnes, qui sont la mère du peuple Kanbalese. Le soleil montre son affection à notre mère avant de s'endormir pour la nuit, comme il le fait depuis mille ans déjà.
Il sourit et regarda Maman. Il était d'humeur taquine.
- Dis, Balsa... Si Tanda, euh, te « montrait son affection » rougirais-tu comme ça ?
Pour toute réponse, Maman mit de la distance entre leurs chevaux.
- Et je suis quoi, moi ?! m'indignai-je, amusée. Je suis née dans les choux et j'ai été apporté par un Nahji lors d'une nuit de doubles lunes ?!
- Exactement, rigola Maman.
Le lassal apparut quelque temps plus tard. Chagum ne sembla pas convaincu et sortit :
- Huh. C'est ça ?
- Oui, confirmai-je simplement.
- Je te prierai de ne fais pas cette tête pendant que tu es ici. Rien à Kanbal n'est aussi grand. C'est l'un des plus grands marchés de la région, crois-le ou non.
Le lassal reposait au pied de la montagne, il semblait presqu'en être taillé. Il y avait une douzaine de bâtiments en pierre trapus avec dix tentes en peau érigées parmi eux.
- Regarde là-bas, l'invita Maman en pointa du doigt.
Il y avait plus de bâtiments en pierre regroupés au-dessus de l'ensemble initial qu'il avait vu. Ils étaient construits sur un terrain plus élevé. Les deux ensembles de bâtiments étaient entourés de murs naturels de tous côtés. Il y avait des bâtiments plus petits qui ressemblaient à des abris destinés au bétail au niveau supérieur.
- C'est un village, l'aidai-je. Les gens font paître leurs chèvres à l'extérieur des murs. Les plus petits bâtiments sont destinés au bétail et aux éleveurs.
Ça faisait si longtemps que je n'étais pas venue. Tout me semblait si petit et tellement pauvre. Ça me frappait plus que quand j'étais encore enfant. Malgré tout, au fin fond de mon âme, je sentais que cet endroit était comme être à la maison. Une pensée alla pour Tante Yuka.
- Qui sont les éleveurs ? interrogea Niisan.
- Ils ne font pas partie des clans de Kanbal, répondit Maman. Ils sont beaucoup plus petits que les Kanbalese. La plupart des bergers adultes ne dépassent pas le niveau de ma taille. Ils peuvent sembler petits, et les étrangers sont du genre à les regarder de haut, mais ils en savent beaucoup plus sur les montagnes, mieux que quiconque. Ils se transmettent des messages sur de longues distances en chantant et en sifflant.
Les magasins et les kiosques de nourriture étaient encore ouverts à notre arrivée. Hommes et femmes se tenaient à l'extérieur de leurs tentes ou des bâtiments en pierre, offrant des marchandises à vendre. Le marché n'était pas bondé. Il était évident que certains des magasins servaient aussi de maisons quotidiennes. Les gens qui tenaient les magasins et les kiosques nous fixaient avec un regard affamé. Je fermai un moment les yeux pour protéger mon hypersensibilité et ne pas mettre de pitié sur le peuple natal de Maman. Il n'y avait pas d'autres endroits où faire les courses et se ravitailler. Nous mîmes pied à terre et traversâmes le village pour atteindre un bâtiment qui était allumé de l'intérieur.
- C'est une auberge, chuchota Maman. Nous pouvons nous reposer ici ce soir.
L'auberge avait une petite écurie, alors nous amenâmes nos montures. Un homme maussade, près du feu accepta les rênes de nos chevaux sans dire un mot.
