Chapitre 2 - La Traversée (Partie 2)
Le mur.
Enfin, ce mur. Dont j'avais si souvent rêvé.
Le mur du chemin de traverse.
Il me fallut beaucoup de patience et de retrait sur moi-même pour patienter devant en attendant le professeur. Pendant ce temps, j'étudiais chaque brique, chaque fissure de cet endroit magique. Qui était en fait une sorte de cellier super-glauque. Mais passons, j'étais trop aux anges pour remarquer ça.
Le chemin menant au Chaudron Baveur n'avait pas été si simple, et je me fourrais le doigt dans l'œil jusqu'à l'épaule quand je pensais apercevoir son enseigne sur Tottenham Court Road une demi-heure auparavant. Nous étions rentrés dans un magasin de sandales minuscule, encastré étroitement entre deux grosses enseignes de marque. Le professeur avait salué le vendeur avant de prendre une porte à l'arrière du magasin menant à une cour pavée. De là nous avions marché un bon moment dans des ruelles jusqu'à tomber sur le Chaudron Baveur. Le pub était presque vide, à part quelques habitués. Mon guide avait échangé une accolade avec Tom, le barman, puis m'avait présentée, et enfin m'avait dit de l'attendre dans l'arrière-salle pendant qu'ils déposaient mes affaires dans une des chambres du pub.
Arrière-salle où j'étais toujours en train de poireauter d'ailleurs.
Mais mon lettriminel souriant fit son apparition au moment où je commençais à me lasser d'examiner les aspérités du mur. Il sortit sa baguette et je reculai. Le mur laissa place à une arche donnant sur …
… le chemin de traverse !
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J'imaginais les sorciers classe.
Je les imaginais aimables, galants, serviables, polis, sages, parfaits.
Dans ma tête, le chemin de traverse était un endroit merveilleux.
J'avais tout faux.
Cette rue était pire qu'un rayon barbie de supermarché la veille de noël. Les familles de sorciers se bousculaient sans scrupules pour terminer au plus vite leurs achats scolaires. Certains couraient. On entendait des bébés pleurer en chœur. Un petit garçon perdu au milieu de la foule criait pour appeler ses parents. Un peu plus loin, des parents criaient dans la foule pour appeler leur fils égaré au milieu.
Je ne comptai pas le nombre de manches à balai que mon nez rencontra. Ni le nombre de plumes de hibou dans l'œil. Heureusement, j'avais ma main bien ancrée dans celle de mon lettriminel, et je survécus à la traversée du chemin.
Mon pied se posa sur la première marche du pallier de la banque. En grimpant l'escalier, nous pûmes de nouveau respirer normalement, et je me frottai l'œil droit pour en faire tomber les poils de chat de celui qui m'avait sauté dessus sauvagement.
Le professeur eut une hésitation sur le pas de la grande porte, puis s'adressa à moi :
- Les gobelins sont... un peu particuliers. Je ne préfère pas me les mettre encore plus à dos. C'est une vielle histoire. Essaie de ne pas les vexer.
Bien sûr. Ne pas les vexer. Éviter les sujets qui fâchent. Ça paraissait simple. Sauf que je n'avais aucune idée des sujets à éviter. Tan pis, je fermerais ma bouche. J'emboîtai le pas au professeur et entrai dans le grand hall de Gringotts.
Les sorciers faisaient la queue derrière des centaines de guichets. Des bruits de tampons et de chuchotements parcouraient le hall, transformés en mélodie par l'écho des murs de pierre. Le contraste avec l'extérieur était frappant. La chaleur estivale s'était transformée en froid caractéristique des cathédrales ou des cavernes. Et le brouhaha ambiant s'était atténué avec le passage des grandes portes, et on n'entendait plus que des cris lointains. Une fois ma vue accoutumée à l'obscurité, après le grand soleil d'après midi, je remarquai que la lumière venait de lanternes accrochées aux murs, mais aussi de petites sphères lumineuses qui se baladaient dans le hall, selon les besoins des guichets pour apposer une signature ou lire un dossier écrit en pattes de mouches.
Mon accompagnateur alla se placer derrière une sorcière qui venait déposer un dossier et une bourse. Il paraissait nerveux. Il avait la tête baissée et jetait parfois des coups d'œil aux gobelins les plus proches. Le sorcière s'en alla et il s'approcha du guichet.
- Bonjour. Cette jeune fille aimerait changer de l'argent moldu et ouvrir un compte, dit-il posément mais sans regarder le gobelin.
- Cessez donc cette mascarade, monsieur Londubat, tout le monde vous a reconnu au moment où votre pied a franchi cette porte. Vous savez très bien que vous n'êtes pas bienvenu, cependant n'allez pas croire que nous allons pour autant refuser nos services à cette jeune sorcière qui n'était même pas conçue aux origines de cette querelle. Alors, laissez la jeune fille exprimer la raison pour laquelle elle requiert mon aide.
Il planta deux petits yeux noirs dans les miens, et je crus que mon corps se liquéfiait. Les gobelins étaient vraiment aussi laids et effrayants que je me les imaginais, de leurs petites dents pointues à leur peau ridée et parcheminée, jusqu'à leurs cheveux rares semblables à du crin et leurs ongles longs et acérés. Mon cerveau tétanisé tenta une réponse.
- Je... j'ai... ma mère m'a donné des sous et... enfin, des sous moldus je veux dire... j'aimerais ouvrir un compte chez vous et échanger mon argent contre de l'argent sorcier, terminai-je rapidement, comme si une trop longue tirade allait pousser le gobelin à me manger.
Le gobelin émit un grincement, ou un grattement, enfin un bruit désagréable, et je ne percutai pas de suite qu'il s'agissait d'un rire. Il appuya sur une sonnette et un deuxième gobelin arriva derrière le guichet. Le premier gobelin lui donna des instructions en langue gobelin, du moins je supposai, car il enchaîna des gargouillements incompréhensibles à son collègue, qui répondit de la même manière.
Le deuxième gobelin nous fit signe de le suivre et il s'éloigna. Nous lui emboîtâmes le pas jusque dans un tunnel creusé dans la roche du grand mur du hall. Nous marchâmes jusqu'à une sorte de caverne géante tapissée de portes, où il s'arrêta et s'adressa à moi :
- Combien avez-vous, fillette ?
- Euh... deux cents livres.
Il tendit la main et je compris qu'il voulait l'argent. Je fouillai mon petit sac en bandoulière et en sortis deux billets de cent livres. Il les prit, s'approcha de l'une des portes et trafiqua quelque chose dessus. Quand il revint il n'avait plus mon argent.
- Votre coffre est plein, fillette. Voulez-vous retirer quelques gallions ?
Je fus prise au dépourvu. Comment mon coffre pouvait-il être déjà plein alors que je n'étais là que depuis un quart d'heure ? Je décidai de ravaler mes questions pour l'instant, en partie à cause des dents apparentes du sourire de mon banquier.
- Oui, j'aimerais retirer de quoi faire mes fournitures pour la rentrée.
- Cet argent vous appartient ; la manière de le dépenser est un choix qui vous incombe et ne relève pas de mes compétences.
Il tourna les talons et nous entraîna dans l'un des innombrables escaliers en pierre qui partaient de la pièce dans des galeries humides. Nous descendîmes ainsi un long moment et je me réjouis de ne pas être claustrophobe, coincée entre les sculptures de la roche, les stalagmites et les stalactites. Le boyau rocheux déboucha sur une galerie perpendiculaire, plus large, avec un rail et des wagons en son milieu. Nous montâmes derrière notre guide et le wagon s'ébranla.
YIII HAAA !
Quand le wagon s'immobilisa, je fermai les yeux et laissai le gobelin et le professeur descendre en premier. J'attendis que le monde daigne arrêter de graviter autour de ma tête avant d'être capable de les rouvrir et aventurer un pied tremblant hors du chariot. Je reconnais que le retour sur la terre ferme fut infiniment plus désagréable que le trajet, digestivement parlant. Pour ce qui est de la trouille, c'est une autre histoire. Mes seuls souvenirs du dit trajet étaient des boyaux de roche infinis, ponctués ça et là de quelques cavernes où nous croisions d'autres rails et wagons. J'avais perdu tout sens de l'orientation dans la seconde où le chariot infernal avait effectué la première vrille, sens de l'orientation que j'avais été incapable de retrouver par la suite, le haut et le bas étant parfaitement semblables. J'avais craint pour ma vie à chaque fois que nous avions traversé une caverne et dansé au milieu du nœud de rails qui arrivaient et repartaient de tous les cotés, empruntés par des chariots aussi fous que le nôtre, nous frôlant à tel point que leurs passagers étaient souvent à portée de main.
Tremblante et en sueur malgré le froid, je suivis mon Lettriminel dans le tunnel rocheux. Je passai une main sur mon front en pensant que si Willie avait été là, j'aurais eu droit à une remarque acerbe ponctué par rire bruyant. Il m'aurait sûrement fait remarquer qu'il était inutile de mouiller l'air ambiant davantage étant donné que ces tunnels étaient sans doute les plus froids et humides de l'univers. Non, il aurait probablement trouvé une boutade plus drôle. Et puis le grand huit version sorcier aurait été beaucoup plus amusant à deux. Je soupirai. Nous nous étions séparés il y avait à peine deux heures et il me manquait déjà.
- Nous sommes arrivés à destination, fillette. Coffre 1274.
Notre accompagnateur sortit une clef de son veston et l'introduisit dans la serrure d'une grande porte encastrée entre les érosions de la pierre humide. Au puissant bruit que fit la porte en se déverrouillant, j'en déduisis que le mécanisme était bien plus grand et complexe que ce que j'avais imaginé. Le gobelin poussa la porte et je pus apprécier le petit tas de pièces au sol. Je m'avançai au cœur du coffre et me penchai pour ramasser quelques gallions. Ils étaient magnifiques, avec leur couleur dorée, et bien plus gros que les pièces de une livre qui étaient restées dans ma chambre. J'en sélectionnai une petite vingtaine parmi les plus jolis, puis réalisai que je n'avais rien pour les y mettre. Je questionnai le professeur des yeux. Il m'adressa un immense sourire et, comme s'il avait entendu ma question silencieuse, sortit d'une de ses poches une petite bourse en cuir qu'il me tendit. J'y glissai mes gallions en le remerciant et fourrai le tout dans mon sac.
Une fois le coffre refermé, le gobelin me tendit la clef :
- Ce coffre est maintenant votre responsabilité, fillette. Cette clef est la seule qui pourra jamais l'ouvrir. Si elle s'égare, le chemin vers vos richesses demeurera à jamais inaccessible.
Je m'en emparai et la glissai dans la bourse, en me promettant de lui trouver un porte-clef ou un système anti-perte et anti-tête-en-l'air.
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Les dernières heures de l'après-midi arrivaient et l'atmosphère de la rue était redevenue respirable. Il avait fallu plusieurs remarques, de plus en plus appuyées, de mon cher lettriminel pour que je m'arrache du paradis des livres. Nous étions restés plus de deux heures à l'intérieur de Fleury&Bott's. J'avais découvert un magasin immense, à l'architecture loufoque faite de colonnes, rampes, étagères, spires, colimaçons en bois de toutes sortes, et dont chaque espace, chaque recoin débordait de livres multicolores de toutes les tailles. Mes yeux tombèrent même un instant sur un livre en cuir intitulé Harry Potter : La Biographie Romancée ; Tome I. Mon émerveillement avait été soufflé par une vague d'étudiants avec leur liste de fournitures dans une main et des sacs de livres dans l'autre. J'avais sorti la mienne et commencé ma recherche au milieu de la foule dans la boutique. Le professeur m'avait beaucoup aidé. Il m'avait guidé à travers les rayons et les ados en folie. Il m'avait même évité la queue en me montrant une caisse dérobée dans les étages. Ah, quand on est VIP... Je lui avais même découvert un vrai sens de l'humour tandis que nous zigzaguions à travers la librairie. Embryonnaire, certes, mais présent. Preuve formelle, mes magnifiques blagues lui tiraient systématiquement des sourires. C'est un argument absolu.
Je me retrouvai donc dehors avec une montagne de livres sur les bras. Le professeur en portait lui aussi un bon paquet. Tout ça m'avait coûté trois fois rien. La veille de la rentrée, toutes les promotions étaient au maximum, et j'avais acheté tous mes livres au rabais. J'avais même acheté des livres en plus, de ceux que je n'avais pas pu me résoudre à laisser derrière. Et, cerise sur le gâteau, mon Lettriminel m'avait payé la majorité de la note, avec comme justification le fait que mon humour de troll avait ensoleillé son après-midi. J'avais déboursé moins d'un gallion pour le tout.
Mon bonheur béat initial avait peu à peu laissé place à ma curiosité naturelle, et des milliards de questions sans réponses m'étaient revenues en tête. Pendant que nous dirigions vers le magasins de chaudrons et accessoires, j'avais commencé mon bombardement sur le seul interlocuteur disponible, et ses réponses étaient progressivement passées d'intéressées à hésitantes. Les dernières questions que j'avais posées avaient récolté des explications de plus en plus douteuses.
- Parce que. C'est comme ça. Même les sorciers peuvent avoir des poux, d'ailleurs les années d'épidémies à Poudlard ont été affreuses.
- Et Alzheimer ? Est-ce que les vieux sorciers ils ont Alzheimer ?
- Alsa... Qui ça ?
- C'est quand les papis ils se souviennent plus qui on est. Le mien a eu ça l'an dernier avant d'être mort. Il oubliait d'éteindre les pâtes quand c'était cuit, et il se lavait plus. Ça sentait vraiment mauvais chez lui. Le brûlé et la transpiration. Mais pas que.
- Tu parles de la maladie de l'Oubli. C'est Ernesto Martel qui l'a décrit la première fois. La mort jette le sort Oubliette sur sa proie jusqu'à ce qu'elle soit rappelée à elle. Cet homme était un génie. Il a expliqué des tas de maladies. Je ne savais pas que les moldus aussi pouvaient l'avoir.
- Bien sûr que si, ils peuvent. Mais je croyais que... Enfin, le père de Willie est docteur du cerveau, et il nous avait dit que c'était à cause de méchantes plaques qui détruisaient le cerveau là où ça enregistrait la mémoire.
- Les moldus ont vraiment des croyances étranges. Ne crois pas tout ce qu'ils te disent.
- Pourquoi les prisonniers d'Azkaban ne s'enfuient pas en transplanant ?
- Pourquoi les...? Parce que. Ils ne peuvent pas.
- Pourquoi ?
- Parce que c'est impossible. Comme c'est le cas aussi dans l'enceinte de Poudlard.
- C'est nul comme argument. Pourquoi c'est impossible ? En plus Dumbledore pouvait transplaner à Poudlard, lui.
- Comment... sais-tu à propos... ? C'est...
Il inspira un grand coup et se crispa. Il cherchait ses mots. Je l'irritais. Mais j'étais bien trop curieuse pour m'en préoccuper. Il pouvait bien s'irriter tout seul s'il voulait.
- C'est impossible parce qu'un sorcier puissant, un jour, a jeté un sort sur l'école, et que seul le directeur a le privilège de pouvoir y transplaner. Ça te va ?
- Et pour Azkaban ? Un policier-sorcier a jeté un sort puissant, oui, mais alors comment on y dépose les prisonniers si ce n'est pas en transplanant ? Et les détraqueurs ?
- C'est... Je ne sais pas. Voilà. Tu m'enquiquines.
- Pourquoi les sorciers portent des lunettes et pas des lentilles ? Et pourquoi il y a des sorciers myopes mais pas des sorciers en fauteuil roulant ? Les docteurs opèrent les gens pour qu'ils voient mieux alors pourquoi les sorciers ne peuvent pas se jeter un sort pour y voir mieux ? Pourquoi les sorciers ne jettent pas un sort pour guérir toutes les maladies, en fait ? Ou bien faire apparaître des millions de poulets rôtis pour mettre fin à la faim dans le monde ?
- Parce que les dragons crachent du feu et que les balais volent.
- Pourquoi les dragons crachent du feu ? Et comment est-ce les balais peuvent vol...
La porte battante du magasin de chaudrons que le professeur venait de lâcher vint se poser sur mon coude, et la pile de livre que je portais m'aplatit le nez avant d'aller s'envoler autour de moi. Je me retrouvai sur les fesses quand mon adorable Lettriminel tira la porte qui venait de m'assommer pour me demander si tout allait bien et m'inonder d'excuses confuses.
Me voyant éclater de rire, il me sourit en retour.
- Tu fais bien voler des livres. Alors quelques balais ne doivent pas beaucoup t'impressionner.
Il me tira la langue avant de refermer. Je soufflai une mèche blonde de devant ma figure. Le bout de mon nez était devenu une boule battante et lancinante. Tout en ramassant les livres, je décidai que finalement j'aurais préféré avoir un accompagnateur austère. Reformer une pile convenable me prit un bon moment. Quand je rentrai enfin dans la boutique, j'aperçus le professeur tout au fond. Il me fit un signe et je le rejoignis. Il avait déjà eu le temps de tout réunir ; chaudrons, fioles, ustensiles, tout. Il m'adressa un clin d'œil et ma rancune s'envola. Presque. Tout compte fait, je l'appréciais, ce Lettriminel maladroit.
- Allez, allons payer avant que quelqu'un me demande ce que je fais avec ce bazar à mon âge. Ah ! Et je te dois quelque chose.
Il sortit sa baguette et l'agita près de lui. Un cabas se matérialisa à ses pieds. J'ouvris des yeux ronds. Ce qui dut l'amuser car je l'entendis glousser. J'étais à deux doigts de lui demander pourquoi on pouvait faire apparaître un cabas mais pas un chaudron ou un livre quand revint à ma mémoire ma rencontre frappante avec une porte. Je tins ma langue et gardai ma question pour un moment plus approprié.
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