Chapitre 2 - La Traversée (Partie 5)


Sa dernière phrase me laissa un sentiment bizarre. Je décidai de ne pas en parler pour le moment. De toute façon, personne ne me croirait si ce chat de malheur décidait de se murer dans le mutisme. Je cherchai Kathleen et la trouvai en train de payer un petit rongeur gris à neuf mornilles. Il ne me restait plus qu'à honorer ma promesse.

Nous sortîmes en direction de la boutique de baguettes, Olivander's.

- Il n'y a vraiment plus personne dehors, soufflai-je. J'espère qu'Olivander n'a pas encore fermé, sinon on aura l'air malines, sans baguettes.

Je m'interrompis. Je parlais à du vent, Kathleen s'était arrêtée quelques pas en arrière, devant une vitrine éteinte. En me plaçant près d'elle, je découvris le magasin d'accessoires de Quidditch. Il était déjà fermé, mais on distinguait le balai de la vitrine à la lueur du crépuscule. En plissant les yeux j'arrivais à lire l'inscription. Le Foudroyeur. Sûrement le nouveau balai. Le plus rapide sur le marché, indiquait un panneau. Je m'apprêtai à remuer Kathleen pour lui indiquer qu'on n'avait pas toute la nuit, et que de toute façon les balais n'étaient pas autorisés aux première année. Mais à la regarder, je lui découvris une expression qui me retint de l'ouvrir. Elle avait l'air fascinée. Émue. Et triste à la fois. Mais pas abattue.

J'attendis.

J'essayais de me représenter ce qu'elle pensait. Un souvenir. Ou peut-être un rêve. Les deux. Quelque chose de lointain. Difficile à ramener à la surface. Ou alors une envie. Ou encore un symbole de ce qu'elle ne pourrait jamais posséder. L'inaccessible. Un objectif. Impossible, mais tellement attirant.

Je m'ébrouai. A qui appartenait toutes ces impressions ? Pas à moi. C'était la deuxième fois que je m'identifiais à Kathleen. J'avais appelé cette impression empathie, mais j'en venais à douter. Ce sentiment de voler les émotions des autres m'était déjà arrivé au primaire, avec les instituteurs. Je repensai à la remarque du professeur Lettriminel un peu plus tôt. Je me promis de me renseigner sur la legillimancie. Au moins pour me convaincre que j'étais normale.

Kathleen redescendait doucement de ses pensées. Elle prit son air contrit favori en voyant que je l'observais. Elle se répandit en excuse et je poussai un soupir d'exaspération.

- Tu m'énerves ! La prochaine fois que tu t'excuses devant moi sans aucune raison valable, je te fais manger tes taches de rousseur. Sérieusement, t'es lourde.

Ses joues hésitèrent quelques secondes entre le rosé et le pourpre soutenu, pour finalement revenir vers un cramoisi classique. Qui s'effaça à son tour pour laisser place à un demi-sourire d'acquiescement.

- Tu me dois toujours une baguette.

- Je te préfère comme ça. Allons-y.

N'empêche que j'aurais bien aimé savoir ce qu'il signifiait, ce balai. Zut. Non. Tais-toi. Ne pose pas des questions à tort et à travers. Ton nez se souvient de la leçon.

- Kathleen... le balai, pourquoi... ?

Trop tard. J'avais une langue bien trop indépendante pour écouter les remontrances d'un vieux cerveau aigri.

- Rien du tout. Je regardais.

N'importe quoi. Je haussai un sourcil et ouvris la bouche pour dire le fond de ma pensée.

- Bon, t'as raison, avoua-t-elle. C'est pas rien du tout. C'est juste que j'ai toujours rêvé de pouvoir voler. On m'a dit qu'on aurait des cours de vol, à Poudlard. T'imagines pas à quel point ça me tarde, mais il paraît que c'est dur. Je vais encore me ridiculiser devant tout le monde.

- Bah, suffit de prendre l'habitude. Un sourire con, et ça repart, assurai-je.

Nous étions arrivées devant Ollivander's.

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La porte tinta quand je poussai le battant. La boutique était éclairée faiblement grâce à des dizaines de bougies réparties sur les étagères. La pièce avait une forme indéfinissable. J'étais incapable de compter les portes, les recoins et les escaliers en colimaçon. Le moindre pan de mur était recouvert de boîtes. Des cartons s'empilaient sur le sol, lesquels cachaient par endroits des trappes aux formes et aux bois variés, menant sûrement vers une multitude de caves et entrepôts.

Je m'approchai d'un lourd tapis suspendu devant une étagère encastrée dans le bois du mur tandis que Kathleen s'éloignait trouver quelqu'un. Je me retrouvai seule avec des millions de baguettes prêtes à être vendues. Je soulevai péniblement l'épais tapis pour observer les trésors de magie qu'il cachait. Je jetai un coup d'œil pour vérifier qu'ils n'étaient pas revenus, et j'attrapai une boîte pour en sortir la baguette qu'elle contenait. Elle n'eut pas l'air d'apprécier mon contact. Son extrémité se mit à fumer et je me brûlai les doigts. J'essayai le même geste avec celle d'à côté. Celle-là ne daigna même pas m'accorder la moindre attention. J'avais l'impression de tenir une branche morte. Je posai un œil sur différentes boîtes, essayant de deviner laquelle contiendrait un prolongement de mon bras, fidèle et redoutable.

J'étais au summum de ma concentration quand s'éleva un fort et chevrotant « Oooh ! » sénile. Mon corps fit un bond spectaculaire et je perdis momentanément le contrôle de mes pieds qui trébuchèrent sur un carton mal rangé, mon propre poids m'entraînant vers le sol jusqu'au moment où j'agrippai le tapis pour me retenir. Si j'avais cru m'y cramponner pour ne pas tomber, mon geste eut pour seul effet de décrocher le dit tapis et l'entraîner avec moi dans ma chute.

En arrivant, Kathleen, accompagnée du propriétaire du magasin, me trouva donc par terre, assommée par un tapis pesant un âne mort, avec quelques boîtes ouvertes et des baguettes déposées par dessus. Il ne fallut que quelques secondes et un tour de baguette, rythmées par les grommellements de l'homme et les excuses de Kathleen, pour tout remettre en place.

- Approchez du comptoir, jeunes filles, et asseyez-vous. Trouver la bonne baguette peut prendre du temps.

Il avait retrouvé un immense sourire, comme si je n'avais jamais mis le bazar dans sa boutique en son absence. J'étais étonnée, et un peu déçue, que ce ne soit pas monsieur Ollivander qui nous accueillait. Le gérant était jeune, pas plus de trente ans, et portait une robe en velours émeraude, qui semblait peser une tonne sur ses épaules. Kathleen aussi était en robes. Une tunique beige abîmée serrée à la taille par un bout de tissu noué jaune canari. Je n'étais pas encore accoutumée à la mode sorcière, mais déjà mon jean et mes baskets me semblaient de plus en plus inadaptés.

« Ooooh ! ».

Cette fois je repérai l'origine du bruit sénile de tout à l'heure, qui m'avait valu quelques bosses. Un vieillard était installé dans un grand fauteuil près du comptoir, recouvert par une lourde couverture. Il nous fixait de ses petits yeux fripés, et ses lèvres ridées formaient des mots inaudible sur sa mâchoire édentée. Il hochait la tête comme pour approuver quelque chose qu'aucun d'entre nous ne pouvait comprendre. Il s'appuya en tremblant sur une canne en bois et se pencha vers moi pour tendre sa main vers mon bras.

- Oooh. Je me souviens de toutes les baguettes que j'ai vendues, monsieur Potter.

Qu'est-ce qu'il racontait ? Il me prenait pour Harry Potter ? Son doigt fripé était pointé sur mon nez. A moins que ce ne soit sur mon front, mais il tremblait tellement qu'il lui était impossible d'être précis.

- Oooh oh oooh. Deux cœurs jumeaux, des... du crin... de sœurs licornes, ooh, et... euh... de... du bois d'orme... Oooh. Monsieur Potter.

- Asseyez-vous, oncle Garrick, monsieur Potter n'est pas là. J'accueille deux jeunes sorcières venues acheter leur première baguette.

Le gérant l'aida à se réinstaller au fond du fauteuil, et à remettre la couverture en place. J'aurais dû me douter que Mr Ollivander serait maintenant un papi à moitié gaga. Après tout, il était déjà vieux à l'époque où se déroulait l'action de mon livre fétiche.

- Pas là... oooh... il n'est pas là. Je me souviens de toutes les baguettes que j'ai vendues, n'est-ce pas, Gifford, dis le leur. Il faut que tu te souviennes, oooh. Toutes.

La cloche de la porte tinta à ce moment là. Deux sorcières du même âge que Kathleen et moi pénétrèrent dans le magasin. Il me semblait les avoir déjà vues quelque part. Deux filles menues aux cheveux châtain qui tombaient en longue cascade raide entre leurs omoplates et dans le creux des reins. Le jeune gérant, apparemment Gifford, s'approcha pour les accueillir. Le vieux Ollivander sembla reconnaître une des filles, la plus grande des deux, et il recommença à marmonner.

- Ooooh, je me souviens de toutes les baguettes que j'ai vendues, miss Fox. Bois de... euh... poirier, et un cœur... euh...

- Cœur de dragon, noyer, 29,5cm, étonnamment flexible, le coupa-elle avec un regard en biais. Aucun souvenir qu'il y ait eu du poirier.

Elle lui adressa un sourire forcé et se détourna du vieillard pour s'adresser à Gifford, ajustant la barrette qui maintenait sa frange en arrière en demi-queue.

- Bonjour, Monsieur Ollivander, ma petite sœur Rowena a...

- Oooh ! roucoula le vieux Ollivander. Je me souviens de toutes les baguettes que j'ai vendues, miss Fox. Dragon, noyer... euh... 29,5cm et étonnamment flexible, oooh ! C'est une baguette très exigeante, ça, oui... oooh... ne choisit que des esprits vifs, et un don exceptionnel pour la magie... oooh.

- Vous êtes très aimable, monsieur Ollivander, mais j'essaie d'avoir une conversation avec votre petit neveu. Merci.

Le dernier mot avait été prononcé avec une exaspération à peine masquée. J'avais du mal à me persuader qu'elle avait presque mon âge. Elle haussa un sourcil dans ma direction et son expression se fit plus amicale. Elle adressa un geste de la main à Kathleen.

- Salut, Kath ! Tu nous snobes ?

Celle-ci était encore trop timide pour signaler sa présence à des connaissances, apparemment.

- Salut, Lyra, marmonna-t-elle. Salut, Rowe.

- Je me doutais je tu serais dans le coin, continua la dénommée Lyra. Papa m'a dit que tu étais partie acheter ta baguette avec une copine pendant qu'il s'expliquait avec Alice. Il a toujours pas appris à fermer ses oreilles quand ont lui dit des saletés. Pas étonnant qu'Eli s'amuse autant avec lui. Si j'étais à sa place, je ferais pareil.

Évidemment, je savais où j'avais vu ces deux sorcières. Elles accompagnaient Mr Fox et sa femme quand je cherchais le Chaudron Baveur. Le directeur de l'orphelinat avait trois filles, dont une n'ayant de toute évidence pas la langue dans sa poche. Elle poussa un soupir.

- Bon, tu demandes ta baguette, Kath ? Si tu tardes, je vais faire passer Rowe devant, lança-t-elle.

- Ne t'énerve pas, tentais-je d'intervenir avec diplomatie, Giffor... monsieur Ollivander s'apprêtait à nous aider quand tu es rentrée.

- Écoute, c'est pas à toi que je m'adressais, mais à ta coincée de voisine. Si tu la couves comme ça, elle arrivera jamais à s'exprimer comme quelqu'un de normal, termina-t-elle en direction du nez de Kathleen, qui n'avait toujours pas retrouvé sa couleur habituelle.

Gifford Ollivander m'invita à choisir ma baguette en premier. Il trouva rapidement la baguette qu'il me fallait, et celles qu'il me fit essayer ne furent pas aussi violentes que celles que j'avais prises au hasard derrière le tapis. Il errait dans les rayonnages souvent plusieurs longues minutes avant que son visage s'illumine. Alors, il déterrait une boîte semblable à toutes les autres et en sortait délicatement une baguette unique à chaque fois, par sa forme, sa taille ou même sa couleur. Tout du long, il discutait, de tout et de rien, et de temps en temps il posait quelques questions. Si bien qu'il commençait à me titiller la boutade avec ses question insignifiantes, entre « que voient les vautours dans un nuage crème » et « à quel endroit la truite parle t-elle au manchot », auxquelles je m'efforçais de répondre sans me moquer.

Il était revenu d'une de ses nombreuses excursions dans les cartons avec en main deux baguettes totalement dissemblables. Une était lisse et brillante comme un bout de plastique et l'autre plus tordue qu'un nez de rugbyman.

- Sapin, ventricule de dragon, 30cm et demi, légèrement souple, dit-il en levant la première vers moi, puis la deuxième tordue. Sapin, crin de licorne, 32cm, étonnamment souple. Je ne pense pas me tromper en affirmant que votre complémentaire est entre mes doigts. Mais j'ai encore un léger doute. Je vais poser ma dernière question.

Youpi !

- Un vieil homme dans la montagne. Ermite, ancêtre, sage, on lui a donné une infinité de noms. Pendant un siècle il a médité sur le monde. Les secrets de l'immortalité se sont ouverts à lui. Mais l'éternité lui a à son tour ouvert les yeux. Il s'ennuie ferme. Trouve lui un passe-temps.

- Honnêtement ? Vous savez ce que je pense ? Je le prendrais par sa main ridée de papy, et je le conduirais à votre magasin. Et comme il est immortel, il aura l'éternité pour trouver des réponses logiques à vos questions de dingue.

C'était sorti tout seul. Je voulais ma baguette, je me fichais laquelle, et ses questions devenaient franchement ridicules. J'allais m'excuser et reprendre une réponse correcte quand je remarquai la tête de ravi de Gifford. Il partit en trombe vers le fond de la boutique en lâchant un « une minute, je reviens ». J'interrogeai les trois autres filles du regard, mais personne n'avait compris grand chose à ce qui s'était déroulé dans la tête du jeune Ollivander. Notre incompréhension fut appuyée par un « Ooooh ! Je me souviens de toutes les baguettes que j'ai vendues, monsieur Potter ». Pauvre vieux, lui qui se targuait de se souvenir de tout, c'est la maladie de l'oubli qui avait choisi de le ronger pour les dernières années de sa longue vie.

Le gérant revint avec une boîte et sans les deux baguettes précédentes. Ses cheveux abritaient des moutons de poussière et sa manche droite était toute mouillée. Qu'est-ce qu'il avait bien pu retourner pour revenir dans cet état ?

- Je posais les mauvaises questions. J'ai encore beaucoup à apprendre sur les baguettes et leurs propriétaires. Les deux baguettes de tout à l'heure vous auraient certainement convenu, et vous auriez formé des compagnons fidèles. Mais j'ai le sentiment que c'est avec celle-ci que votre magie se pimentera à souhait. Si elle ne convient pas, alors c'est que j'ai eu tort, mais j'ai l'intuition que ça marchera. Tenez. Épicéa avec une plume de phœnix en son cœur, 30cm, étonnamment souple.

Il sortit la baguette de la boîte et la plaça au creux de ma paume. Elle ressemblait à un bête bout de bois ordinaire, comme si on avait juste arraché une branche à l'arbre pour me l'apporter, contrairement aux deux autres baguettes qui étaient bien travaillées. Le seul détail qui rappelait qu'elle n'était pas qu'une brindille était une fine gravure sur toute la surface du bois, en spirales, cercles et lignes. Elle était plutôt longue et je me demandai où est-ce que j'allais bien pouvoir la mettre sur moi pour l'emporter partout.

Pendant que je l'examinais, elle avait commencé à dégager une chaleur agréable, et certaines parties profondes des gravures s'étaient parées de faibles lueurs de teinte verte. Gifford Ollivander avait raison, j'avais très envie de garder celle-là, et aucune autre. Il me demanda d'exécuter le geste habituel vers un pan de mur rempli de cartons, et j'obéis, tout en sachant que c'était inutile. La baguette coopérait, je l'avais senti. C'était ma baguette.

Le vieil Ollivander bredouilla quelques mots inintelligibles et la plus jeune des deux Fox sembla reprendre brusquement conscience de son corps et referma la bouche.

J'étais heureuse. Une baguette à la main, tout ce qui était autour de moi me sembla si irréel. Comme ces rêves qui semblent tellement parfait qu'ils ne trompent personne. Soudain, on prend conscience qu'on est en train de rêver. Le rêve devient alors flou, et on sait que le réveil est proche. Pourtant on aurait aimé rester quelques secondes de plus, profiter quelques instants, avant de revenir à la triste réalité. Ce sont les pires rêves, parce qu'ils nous font goûter à la magie de la perfection, pour la reprendre dans la foulée.

J'ouvris les yeux.

Je fixai le plafond un long moment, avec l'impression que si je me levais, je lâcherais prise sur le doux rêve que je venais de terminer. Combien de fois j'avais fait ce rêve. Et à chaque fois, il se terminait au même moment. Avec la baguette en main. Le moment où je devenais vraiment une sorcière. Puis tout s'écroulait et je me réveillais.

Mais cette fois il avait paru si réel. J'y croyais. J'avais eu cette sensation dans mon bras au contact de la baguette. Je n'osais pas détacher mes yeux du plafond bleu. Si mes yeux le quittaient, ils auraient d'autres sensations à prendre en charge et mon rêve serait aussi vite oublié. Tiens. Le plafond était bleu. Je me redressai.

Je n'étais pas chez moi. La chambre était plus grande que la mienne, avec une salle de bain et une armoire immense, en bois. Une grosse valise était posée grande ouverte à coté du lit. La mienne, je réalisai après réflexion. Encore étourdie de sommeil, je ratai mon lever et m'affalai sur la valise, nez dans mes affaires. C'est ainsi que je me retrouvai avec un bâton dans l'œil. Bâton qui n'en était d'ailleurs pas un, à y regarder de plus près. Je me frottai la paupière et levai la coupable à la lumière qui filtrait à travers la fenêtre. Trente centimètres, étonnamment souple, bois d'épicéa, et avec une plume de phœnix en son cœur.

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Une minute. Une heure. Peut-être deux. Je restai un moment interminable à observer la preuve que j'étais bien une sorcière. L'esprit plus clair, sortie du sommeil, la fin de la journée me revint. La baguette avait accepté mon contact et m'avait adoptée. Sur le moment, j'avais trouvé les dix minutes de questions d'Ollivander et de recherche de la bonne baguette vraiment longues. Mais au final, comparé au temps qu'il fallut ensuite pour trouver une baguette à Kathleen, j'avais été extrêmement rapide. Le pauvre Ollivander avait dû retourner sa boutique sens dessus-dessous pour trouver une baguette qui lui conviendrait. Pour moi il avait exploré quelques étagères. Pour Kathleen, il était descendu dans d'innombrables caves poussiéreuses sous des trappes encombrées ou scellées. Il était monté dans le grenier du magasin, qui ne semblait abriter que les baguettes récalcitrantes, au vu des rejets violents qu'avait subi Kathleen.

La dénommée Rowe avait attendu patiemment son tour mais au bout de deux heures Ollivander avait fini par céder aux suppliques agacées de Lyra Fox et avait cherché une baguette pour elle en premier. Elle avait été rapide, et était repartie avec une baguette digne des sorciers les plus doués, d'après lui.

Il avait fallu ensuite encore une heure de fouilles désespérées pour trouver la bonne baguette pour Kathleen. Entre temps, le professeur Lettriminel nous avait rejointes, accompagné d'Alice et de Mr Fox, qui avait poussé un soupir quand nous lui avons annoncé que ses filles étaient reparties. Il était ressorti lui aussi pour les chercher. Mon Lettriminel avait rendu l'atmosphère plus légère avec son sourire, et Kathleen n'avait plus paru prendre cette recherche comme un supplice. Mr Fox était revenu avec ses trois filles bien avant que Kathleen ait fini. La troisième fille de Mr Fox, je l'avais deviné à sa longue chevelure de la même couleur bois, était beaucoup plus grande que ses deux petites sœurs et portait la raie sur le côté. Ils nous avaient donc rejoints dans l'attente, ponctuée de réguliers « Oooh ! Je me souviens de toutes les baguettes que j'ai vendues, monsieur Potter ».

Finalement, à un moment où tous avaient perdu espoir, et où Mr Fox s'était mis à ronfler, Ollivander s'était hissé hors d'une trappe au bois moisi et s'était échoué sur le plancher avec une dizaine de boites, en marmonnant et gémissant qu'il ne comprenait pas ce qu'il se passait, qu'il ne restait que des baguettes qui ne pourraient jamais convenir à la personnalité de Kathleen. Il avait fait glisser les boites vers elle sans même prendre la peine de se redresser. Elle avait essayé ces dernières baguettes avec appréhension, les saisissant une par une de ses petites paumes rouges et endolories, là où les précédentes trouvailles d'Ollivander l'avaient brûlée ou l'avaient couverte d'échardes. Les moyens divers de défense de baguettes, avait annoncé triomphalement Ollivander au début, et avec un ton d'excuse au bout de trois heures et des centaines d'essais infructueux.

Lorsque la dernière baguette du tas de cartons avait été dans la paume de Kathleen, elle avait poussé un cri et l'avait lâchée précipitamment, les cheveux dressés et électrifiés. Ollivander avait posé sa tête contre le sol en signe d'abandon. Mon professeur Lettriminel s'était inquiété. C'était la veille de la rentrée. Kathleen ne pouvait se présenter à l'école sans baguette. Ollivander avait répété qu'il ne comprenait pas, que c'était la première fois qu'aucune baguette n'allait à un élève.

Le vieux Ollivander avait tapoté la tête de Kathleen maladroitement et avait marmonné d'une voix chevrotante « Oooh ! Je me souviens de toutes les baguettes que j'ai vendues, jeune homme ». Lyra Fox avait levé les yeux au ciel comme pour se retenir de faire une remarque blessante à un vieux croulant. Mais il avait continué « Le baguettes ne sont pas toujours ce qu'elles veulent nous montrer, Gifford. Les sorciers aussi. Pourquoi n'as-tu pas proposé de l'ébène à ce jeune Weasley ? ». Kathleen s'était apprêtée à protester qu'elle n'était pas un Weasley et encore moins un jeune homme, et Lyra avait poussé un énième soupir d'exaspération. Mais Gifford Ollivander avait relevé la menton, la marque rouge du parquet sur le front, les yeux grands ouverts. Complètement déboussolé, il s'était glissé derrière le comptoir pour attraper des baguettes en vrac dans un tiroir verrouillé, avec un mouchoir pour être sûr de n'entrer en contact avec aucune d'entre elles.

Il les avait déposées au sol. Toutes d'un noir absolu. Il s'était affalé près du petit tas en chassant la sueur qui luisait sur ses tempes et avait attiré Kathleen. Puis il lui avait pris la main et répété que la situation lui échappait totalement, qu'il était perdu. Mais il voulait tester ce qu'avait soufflé son grand oncle, qui avait toujours eu une intuition sans pareille, même si à présent c'était tout ce qui lui restait. Ce serait complètement fou, il avait murmuré. Ce bois était l'antithèse du tempérament doux de Kathleen. C'était dangereux. Ces baguettes étaient mises de côté car elles avaient blessé plus d'un sorcier incompatibles. Kathleen avait peur, mais elle avait quand même tendu les doigts vers la première baguette. Tout le monde avait vu de suite que c'était la bonne. Kathleen avait fermé les yeux de soulagement. Puis elle avait hurlé. Après ça, elle n'avait plus voulu continuer. Mon estime pour Lyra avait grandi tout d'un coup, quand elle avait fait preuve de compassion et persuasion sur son amie. La deuxième baguette avait jeté un froid de mort sur Kathleen. Elle avait dû user des pans de sa robe pour détacher le bois de sa paume gelée.

La troisième baguette n'avait déclenché ni cri, ni odeur de brûlé, ni tremblement. Kathleen avait eu un air surpris. Il avait du se produire un lien avec sa baguette, comme il s'était passé avec la mienne. Ollivander avait souri. Il avait invité Kathleen à faire un geste de sa baguette pour vérifier, même si de toute évidence elle avait enfin trouvé la bonne. Elle s'était exécutée et quelques flocons de neige s'étaient échappés du bois. Le vieillard avait gloussé « Oooh ! C'est une belle baguette que vous avez là, Weasley ». Ébène, abritant une majestueuse plume de phœnix, trente sept centimètres, raisonnablement souple, avait dit Ollivander. Un choix mystérieux. Ce genre de baguette, d'après lui, se tournait vers des tempéraments extrêmement forts et sûrs. Mais les baguettes ne se trompaient jamais, avait-il ajouté. Je le soupçonnais d'avoir dit ça uniquement pour rassurer Kathleen, qui avait regardé la baguette entre ses doigts comme une malédiction.

Lyra avait aussi mis les pieds dans le plat en faisant remarquer que les baguettes aussi longues ne choisissaient pas des demi-portions comme Kathleen. Ollivander avait acquiescé d'un air gêné et avait expliqué que parfois un tempérament fort ne pouvait rentrer dans une petite baguette, mais en prononçant sa phrase il s'était rendu compte qu'elle sonnait faux à propos de Kathleen. Lyra avait cru bon de lui prédire un futur comme ministre de la magie, terreur des hors-la-loi. Il allait falloir qu'elle s'habitue aux remarques. Sa baguette ne passait pas inaperçue. Elle attirait l'œil comme toutes les couleurs qu'elle absorbait. Exactement ce qu'il fallait à Kathleen, dont le seul vœu semblait être de devenir invisible.

Je m'habillai et descendis les escaliers pour aller déjeuner. J'avais dormi dans une des chambres du Chaudron Baveur. Le train partait à onze heures, et mon Lettriminel devait venir me chercher environ une heure avant. J'étais comme sur un petit nuage. J'étais une sorcière. Je ne me lassais pas de me le répéter. J'avais l'impression qu'en le répétant assez souvent, cette réalité ne risquait plus de s'échapper. Elle faisait partie de moi. Dans quelques heures je serais dans le train, entourée de sorciers et sorcières comme moi. Et le jour d'après j'aurais peut-être un cours de botanique avec mon professeur Lettriminel.

J'avais du mal à réaliser que mon Lettriminel serait un professeur. Le Neville Londubat. Même dans le petit monde des sorciers, il était célèbre. J'en avais eu un aperçu sur le Chemin de Traverse. Tout le monde avait besoin de s'entretenir avec lui. Mr Fox. Et devant l'épicerie, cet autre homme aux yeux clairs. Bleus. Ou peut-être verts. Mais non, lui n'avait pas demandé un entretien avec le professeur, c'était juste un vieil ami. Il me l'avait dit. J'avais eu une impression de déjà-vu en parlant avec lui. La réalité me sauta au visage. Bien sûr. Avec l'image de l'acteur des films, et la différence d'âge, je n'avais pas fait le rapprochement. Mais de nombreux détails le trahissaient. Des yeux verts. Des lunettes. Qui étaient rondes, maintenant que j'y faisais attention. Une frange noire broussailleuse qui masquait forcément quelque chose. Une cicatrice, probablement. En forme d'éclair. J'étais étourdie. Je m'appuyai contre un mur. Je venais de rencontrer Harry Potter.

Un autre détail s'immisça dans mon esprit. Un sentiment d'appréhension me serra la gorge quand le détail se transforma en affirmation évidente. Le garçon hautain aux cheveux auburn de la boutique d'ingrédients était son fils. Je m'étais mise à dos le fils de mon héros de toujours.

Bien joué, Many.

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