Chapitre 3 : Les connards, les bizuths, les attardés et les meilleurs (Partie 1)
Nous étions arrivés en transplanant, et il me parut évident que c'était aussi la façon que nous allions employer pour partir. Je grimaçai. Si on m'avait demandé il y a quelques semaines de choisir un seul des pouvoirs magiques de mon livre préféré (ce n'est plus la peine de vous préciser lequel), j'aurais sans hésitation crié « Transplaner ! »... Oui, la téléportation, un rêve qui devient réalité. Oui, seulement voilà, on oublie souvent les effets secondaires de la magie quand on rêve. Je vais essayer d'être plus claire. Imaginez-vous, disons, qu'une baleine a trouvé que vos épaules formaient un matelas idéal, alors que, pendant ce temps, un boa culturiste entreprend de réduire votre cage thoracique à l'état de petit pois. Là, vous aurez un vague aperçu de la sensation du malheureux transplané.
Bref, toujours est-il que lorsqu'il m'a dit qu'un portoloin nous attendait un quart d'heure plus tard pour aller à la gare, je poussai un soupir de soulagement et acquiesçai.
J'avais tort.
Quand nos pieds eurent enfin retrouvé la terre ferme, je montai une main tremblante au niveau de mon nombril et tâtonnai pour vérifier que mes boyaux étaient toujours du bon côté.
- Tu veux quelque chose ? Le train ne part pas avant un bon moment. J'aurais des scrupules à confier un monstre affamé à cette chère Cassandra. Douce et attentionnée comme je la connais, elle laisserait ses élèves se dévorer entre eux sans un geste en mangeant un sandwitch au thon.
Je ne demandai pas plus de détails. Je commençais à douter de ma motivation à aller dans cette école de fous où on vous arrache le nombril pour vous transporter et où rôdent des adultes sans cœur. Mais il y avait le professeur Lettriminel. Tout irait bien.
Nous avions atterri dans un recoin dissimulé du Prêt à Manger de la gare. J'acceptai avec plaisir, contente que mes semelles aient retrouvé la terre ferme. Le professeur commanda un thé pour lui, et un chocolat pour moi.
- Après t'avoir déposée sur le quai, il faudra que je reparte rapidement. Je dois amener les élèves de l'orphelinat, Mr Fox a un empêchement ce matin. Ça va être serré, ajouta-t-il en jetant un œil sur une montre à gousset sortie d'un pan de sa veste. Je n'avais pas réalisé. Il faudrait y aller tout de suite.
- Si vous voulez, je peux m'accompagner toute seule vers le quai. Je connais le chemin et ça vous fera gagner du temps.
- Hum... J'oublie tout le temps que tu connais notre monde, grommela-t-il.
Il eut un moment d'hésitation. Après tout, je venais de lui proposer de lâcher seule une fille de onze ans au milieu d'une des plus grandes gares de Londres. Moi, par contre, je n'avais aucun doute. Les panneaux indiquant les quais étaient titanesques. Un borgne myope ne pouvait pas les manquer. Et je savais où aller avant même de consulter le numéro inscrit sur mon billet. Finalement, la confiance de mon Lettriminel l'emporta sur son appréhension.
- A la condition que tu viennes te montrer au compartiment des professeurs juste avant le départ du train. Pour que je sache que tu as bien trouvé.
- Ça me va.
C'était inutile, mais si ça pouvait le rassurer, je ferais un effort. Il se leva et repartit vers le fond du magasin, probablement pour transplaner. Je me levai à mon tour et avançai vers les quais en emportant l'énorme chariot qui supportait mes fournitures. Je dépassai le Leon du grand hall de gare en direction des quais de 9 à 11. Les adultes étaient vraiment inutilement inquiets 24h sur 24. Je savais parfaitement où était l'entrée du quai 9 ¾. Tout le monde savait.
Non.
Quelle quiche.
Pourquoi j'étais partie seule ?
J'avais fait une grave erreur.
Je m'approchai, horrifiée, d'une masse impressionnante de touristes qui faisait la queue pour être pris en photo devant le panneau Platform 9 ¾, sous lequel avait été placé un demi chariot, comme s'il s'enfonçait dans le mur. J'étais stupide. Je connaissais l'emplacement de l'entrée de la voie 9 ¾, oui. Tout comme les cinquante personnes de la queue, ainsi que les dix autres milliards d'individus de la planète. Je regardai bêtement mon billet de train. Je réalisai ce que tous ces gens donneraient pour me l'arracher et je l'enfonçai profondément dans ma poche. Je dépassai prudemment la foule en me faisant toute petite. Ce qui était mission impossible a vu du bazar que je transportais sur mon chariot avec ma valise. Je me félicitai d'avoir mis le chaudron dans un sac, et d'avoir pris un chat à la place d'un hibou. Je pouvais presque être prise pour une voyageuse normale. Presque.
J'accélérai le pas. Je passai mon billet et avançai vers les quais 9 et 10, la poitrine serrée par l'appréhension.
Je me liquéfiai en voyant les voyageurs s'amasser en pointant du doigt et prenant en photo la barrière que j'étais censée prendre. Je n'étais pas une sorcière. Je n'en avais jamais été une. Ce n'était pas mon monde. Mon monde était envahi par des groupies et des fans.
J'étais juste une petite fille de onze ans perdue dans une des gares les plus bondées dans une des villes les plus visitées au monde. La petite fille perdue qui pleure au milieu de la foule, et que prennent en pitié les passants, jusqu'à ce qu'une âme charitable se décide à lui demander...
- Est-ce que ça va ? Tu as perdu tes parents ?
Et la petite fille pleure de plus belle, parce qu'elle ne connaît pas la dame qui lui parle, et que ses parents lui ont répété cent fois de ne pas parler aux étrangers, mais elle acquiesce.
- Ne t'inquiète pas, on va les chercher ensemble, d'accord ? Viens. Ça fait combien de temps que tu es perdue ? Ils ne doivent pas être bien...
- Maman, regarde, elle aussi elle va a la gare 9 ¾ pour aller à Poudlard.
- Jessie ! Qu'est-ce que j'ai dit en partant de la maison ?
- Mmmh. Pas parler de ça à voix haute. Je sais mais...
- Il n'y a pas de mais. Tu peux me montrer ton billet, petite ?
La petite fille lui tend son billet, mais elle a arrêté de pleurer sur son sort. Elle n'est plus perdue. Du moins pas totalement.
- Le mieux c'est que tu viennes avec nous. Tes parents t'attendent sûrement sur le quai.
Si elle n'avait pas parlé de Poudlard et de voie 9 ¾, je les aurais pris pour une famille de touristes indonésiens très mal habillés. Les parents marchaient devant d'un pas vif, et je suivais derrière avec leur fille. Elle avait le même âge que moi, c'était clair.
- Allez, montez !
Le père nous faisait signe de le suivre dans le train. Jessie monta à sa suite et sa mère l'aida à faire entrer ses bagages.
- Mais... On est sur le quai numéro 10.
- Oui, bien sûr. Viens, monte.
Je n'étais plus trop sûre de vouloir leur faire confiance. L'affichage indiquait : destination Peterborough. Le père de Jessie faisait rentrer sa valise dans une sorte de placard à balai. Qui d'ailleurs disparut quand il referma la porte. Lui et sa fille se dirigèrent vers le compartiment. Mais quelque chose clochait. Leur démarche fantomatique. Ou le fait que leurs visages semblaient s'être effacés, floutés. Il disparurent de mon champ de vision et il n'y eu plus que le sourire éclatant de la mère de Jessie en face de moi.
- Il faut vraiment y aller. Le train part dans vingt minutes et toi et Jessie devez encore charger vos valises.
- La valise ? Mais elle est dans le... la sorte de placard... sous les marches...
Je renonçai à m'exprimer et affichai un air totalement déboussolé. Je me décidai à monter. Une valise qui disparaît, il n'y avait pas de doutes à avoir, c'était une famille de sorciers. Alors pourquoi hésiter ?
Je grimpai les marches et hissai le chariot dans le train. En me retournant vers le quai que je venais de quitter, je réalisai que le décors avait changé. Ce n'était plus le quai numéro dix, mais un quai rempli d'hommes et de femmes en robes, de hiboux et d'enfants coiffés de chapeaux pointus.
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Le train d'où nous étions sortis était une carcasse de TGV aux vitres éclatées échoué dans un coin, qui devait servir de nouveau passage de King's Cross vers la voie 9 ¾ depuis que le secret de la barrière était tombé.
- Jessie, comment les moldus ne s'aperçoivent pas du passage ? De leur point de vue, c'est un peu comme si on avait disparu d'un coup, non ?
- Papa dit que les moldus ne voient jamais rien. Mais c'est surtout qu'il y a un sortilège qui donne l'impression qu'on s'installe vraiment dans le train, je crois. Et c'est Jess, au fait. Jessie, ça fait vraiment bébé, j'ai horreur de ce surnom. Tiens, il faut que je te montre mes nouvelles boucles d'oreilles, elles sont trop stylées. Ça ira trop bien avec ma robe.
Elle avait voulu mettre l'uniforme tout de suite, et je l'avais imitée. Nous étions toutes les deux dans un compartiment du Poudlard Express, qui avait démarré quelques dizaines de minutes plus tôt. Comme promis, j'étais passée avertir les professeurs que j'étais bien arrivée. Le professeur Lettriminel n'était pas encore arrivé, mais une vieille sorcière fripée m'avait assurée qu'elle lui transmettrait le message.
Je ne me sentais pas encore tout à fait à l'aise dans la robe noire de l'école. J'avais gardé mon pantalon en dessous pour ne pas me sentir toute nue.
- Regarde ! Elles sont top, non ?
Jess faisait danser les deux énormes étoiles en fil de fer gris qui pendaient à ses oreilles. Elles se perdaient dans ses cheveux quand elle penchait la tête et glissaient sur sa joue quand elle se baissait. J'allais lui faire un compliment vide quand la porte du compartiment s'ouvrit sur Kathleen.
- Salut... Je peux venir avec vous, Malany ? J'ai perdu Alice et Rowe... Euh... Sinon c'est pas grave, vous êtes pas obligées, ajouta-t-elle en voyant le regard interrogateur de Jess. Je vous laisse discuter.
- Non, non, viens ! Où est-ce que tu vas ? C'est toi qui devrais pas être obligée de demander la permission pour t'installer dans le compartiment de tes copines, je rétorquai.
Jess ne m'attendit pas pour se présenter, ainsi que ses précieuses étoiles. Kathleen marmonna quelques mots de présentation.
- Faut pas être timide comme ça. Je suis une fille sympa, moi, s'exclama Jess en rejetant un pan de sa chevelure dans son dos. Parole de future Gryffondor.
- T'as l'air sûre de toi. T'as une relation privilégiée avec le choixpeau ?
Elle n'eut pas le temps de me répondre. La porte du compartiment s'ouvrit une seconde fois sur un garçon aux traits féminins et aux yeux comme cheveux d'un noir d'encre.
- Salut, je peux m'asseoir ? Je vous ai vu, Malany et toi, alors je me suis permis d'entrer. Ça fait un moment que je te cherche, Kath. T'as pas vu Rowe ?
- Bien sûr, fais comme chez toi, lançai-je en voyant le front de Kathleen virer à l'écarlate.
A la vue du jeune garçon, Jess, elle, s'était figée sur son siège, le regard perdu dans le néant de celui du nouveau venu. Elle arrangea ses cheveux et se trémoussa pour laisser de la place à côté d'elle.
- Jess, je te présente Alice. Alice, Jess.
- Ça s'écrit A-L-Y-S-S. C'est un nom de garçon, ajouta-t-il devant l'air étonné de Jess quand il s'assit près d'elle.
Alyss. C'était donc ça son nom. C'était toujours mieux que Alice. N'empêche que, phonétiquement parlant, ça revenait au même. J'espérais qu'il prendrait rapidement une carrure et une voix d'homme, sinon les années à Poudlard risquaient de lui paraître longues et pénibles.
- D'accord... Alyss, dit Jess d'une voix qui la trahissait autant que les doigts qui tortillaient ses mèches en tintant sur ses étoiles argentées. On était en train de parler du choixpeau magique de l'école. Tu penses que tu seras envoyé à Gryffondor ? Ce serait cool. On serait ensemble.
Alyss avait dû sentir le poids du regard de sa voisine, ou bien était-ce sa voix trop douce pour être spontanée. Plus tôt, à l'évocation de son nom, il s'était mis sur la défensive, les bras croisés et les sourcils froncés. A présent il jetait des coups d'œil d'appel à l'aide vers Kathleen et moi en essayant de se décoller subrepticement de sa voisine envahissante.
- Avec un peu de chance, on sera tous les quatre dans la même Maison, avança ma rousse de voisine.
- Ha, ça m'étonnerait. Toi tu vas tomber à Serdaigle, et Mélanie à Serpentard, je le sens dans mes étoiles, lança Jess nonchalamment en caressant ses boucles.
- Quoi ? m'écriai-je. Serpentard ? Rêve toujours pour que je me retrouve chez ces tarés.
Cette pouf à étoiles commençait à me les briser méchamment.
- Il y a pas que des mauvaises personnes à Serpentard, marmonna Kathleen. Lyra est à Serpentard.
- Laisse tomber, Malany, appuya Alyss, elle plaisantait. Moi, je me tape complètement de savoir où je vais tomber. Chaque Maison a ses avantages et inconvénients de toute façon. Je veux juste être le plus loin de Face-de-rat que le choixpeau le permet. Et si on est tous ensemble, c'est parfait.
- T'as raison, Alyss, s'excusa Jess. Mais si on est tous ensemble, dans la meilleure des quatre Maisons, alors.
- C'est-à-dire ? demanda-t-il en sachant déjà sa réponse.
- Gryffondor, évidemment, gloussa-t-elle. C'est la Maison de Harry Potter. Son fils y est aussi. Albus. Mon frère est un de ses meilleurs amis. Il dit que tous les gens cools sont là-bas. Il dit aussi que le choixpeau ne dit pas les vrais critères de répartition. En fait il envoie les connards à Serpentard, les attardés à Poufsouffle, les bizuths à Serdaigle et les meilleurs à Gryffondor. Il dit ça en rigolant bien sûr, mais ça me semble plausible, comme théorie.
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