Chapitre 3 - Les connards, les bizuths, les attardés et les meilleurs (Partie 2)


Il faisait nuit à l'arrivée du train. Et il pleuvait. Le flot d'élèves se déversa sur le quai et nous nous engouffrâmes au milieu. En quelques minutes nous étions tous trempés. La capuche noire de l'uniforme montra son intérêt capital. Certains élèves plus âgés avaient sorti des chapeaux pointus à larges bords. Autour de moi les première année hésitaient entre suivre leurs aînés qui se dépêchaient vers des abris ou rester sur le quai en attendant qu'on leur dise où aller. Jess nous expliqua qu'il fallait attendre le garde-chasse et la directrice adjointe. Un groupe de garçons de sixième ou septième année nous bouscula. Mais ça m'était égal. J'allais enfin voir Hagrid le garde-chasse et, mieux encore, il me conduirait à l'école de mes rêves. Même la pluie n'avait pas le pouvoir de retenir mon sourire immense en regardant autour de moi pour chercher le demi-géant.

Mais la silhouette qui se tenait sous l'averse ne collait pas. L'homme avait une dégaine que j'aurais qualifiée de similaire à un haricot vert, tenant une lampe et coiffé d'un chapeau en forme de parapluie. Il dépassait de plusieurs têtes les élèves qui s'amassaient autour de lui, mais il était loin d'être comparable à un géant. A la lumière de la lampe, son teint paraissait blanc laiteux et ses yeux injectés de sang. Il avait le nez qui coulait et les cheveux noirs humides tirés en arrière sous son chapeau-parapluie. Il faisait des grands gestes avec son bras en couinant aux première année de le rejoindre. Je m'approchai en compagnie de mes trois compagnons de compartiment. Pourquoi ce n'était pas Hagrid qui nous accueillait ? Mais, à la réflexion, il devait être sacrément vieux maintenant. Peut-être qu'il avait laissé sa place de garde-chasse à une autre personne parce que ça demandait beaucoup de travail en plus d'être professeur. A voir son remplaçant éternuer, ça semblait logique qu'ils n'envoient pas un papi sous ce temps, même un papi à moitié géant.

- Il paraît que c'est un vampire, murmura Jess.

Il tourna les talons et le troupeau d'élèves se mit à avancer le long du quai. Voyant que personne ne répondait à sa remarque, Jess continua.

- Chaque début d'année, il observe bien les nouveaux élèves qu'il accompagne au château. Il sélectionne les plus appétissants, et pendant l'année, il en kidnappe pour se nourrir de leur sang. Il en a toujours un enfermé dans sa cabane. Mais comme c'est un vampire nécrophobe, il ne tue pas les élèves.

- Ça veut dire quoi, nécrophobe ? demanda Kathleen.

- Ça veut dire qu'il a peur de ce qui est mort, patate.

- Traite encore une fois Kath de patate... commença Alyss.

Il n'eut jamais le loisir de développer ce qu'il ferait dans ce cas, puisque nous étions arrivés au bord d'un lac et que le garde-chasse nous fit nous arrêter. Avec les trombes d'eau qui s'abattaient sur nous et la nuit noire, on ne voyait pas à plus de quelques mètres. Dommage. J'aurais bien aimé voir le château depuis le lac. Un éclair illumina la nuit.

- Quatre par quatre ! Montez... barques... teau... c...

Le garde-chasse avait beau s'égosiller, personne n'entendait. Le tonnerre et le torrent d'eau avaient couvert ses parole. Mais tout le monde avait saisi le principe : monter dans les barques. Elles étaient facile à repérer, chacune portait un halo de lumière à l'avant, qui flottait comme par magie. Non, pas comme. C'était vraiment de la magie. Jess sauta la première, suivie par Alyss et Kathleen, puis je montai à mon tour. Au moment où mon pied décolla de la boue pour embarquer, la barque s'ébranla. Je perdis l'équilibre et ne dus qu'à la poigne d'Alyss de ne pas me retrouver le nez dans la vase. Il me tira à l'intérieur par un pan de ma robe.

- A propos de patate... commença Jess.

Alyss la fusilla du regard.

- Ça va, je savais pas que tu sortais avec elle !

- Quoi ? Mais non, pas du tout ! ripostèrent Alyss et Kathleen en chœur. Et ton vampire, alors ? ajouta Alyss pour changer de sujet.

J'avais eu tort en disant qu'on n'y voyait rien. Notre barque n'était pas la première à s'être mise en mouvement, et toutes celles de devant étaient visibles grâce à leur lumière. Toutes ces lumières donnaient l'impression que les étoiles, qu'on ne voyait pas à cause des nuages, étaient réapparues à l'intérieur du lac. C'était beau.

Et mouillé aussi. L'averse ne s'était pas calmée et le vacarme de l'eau sur l'eau était assourdissant. Comme une foule qui applaudissait notre passage. Ma mâchoire claquait en rythme avec elle d'ailleurs. Et la foudre marquait le temps à coups de tonnerre.

- Et bien mon vampire, il se nourrit du sang de l'élève qu'il garde dans sa cabane. Mais après deux ou trois mois, comme il doit le laisser vivant, il le ramène au château et kidnappe un autre élève. Et ainsi de suite, conclut-elle.

La pluie tombait toujours aussi fort, et la nuit était toujours aussi obscure, mais sur le noir du ciel se découpait un minuscule carré lumineux. Qui grossissait.

- Elle ne tient pas debout ton histoire, me parvint la voix d'Alyss. Quelqu'un se serait aperçu de la disparition des élèves, c'est idiot.

Un deuxième carré lumineux apparut. Puis Quatre. Sept. Mille.

- Ben justement, figure toi...

Et le château fut là. On ne distinguait pas grand chose, mais les fenêtres témoignaient de sa présence. Ma deuxième réflexion fut qu'il était encore loin, et que le lac devait être sacrément grand. Ma troisième pensée fut que quelqu'un pourrait servir mes orteils comme sorbets en arrivant au banquet, personne ne verrait la différence.

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La chaleur du hall d'entrée du château fut une délivrance. Les élèves rabattaient leurs capuchons avec soulagement. A ma droite, Alyss se secoua énergiquement les cheveux, me gratifiant de quelques gouttes. D'autres essoraient leur robe, éclaboussant le sol de cascades d'eau. Passé le moment de préoccupation interne, les première année commençaient à regarder autour d'eux et s'extasier sur les hall. Il était incroyablement haut. Des escaliers, grands ou petits, majestueux ou tordus dans des recoins, partaient de tous côtés. Les portes étaient si nombreuses qu'on pouvait se demander si le château n'était pas plus grand de l'intérieur que de l'extérieur. Et je n'en étais pas certaine, mais j'avais cru voir une armure bouger.

Une femme nous attendait là. Il n'y avait absolument rien qui fut ambigu en elle. Même un enfant de trois ans l'aurait qualifiée de sorcière. De l'araignée qui déambulait sur la toile de son grand chapeau, aux bottes épaisses et pointues, en passant par un nez crochu. Les larges manches de sa longue robe la faisaient ressembler à une chauve-souris prête à tous nous avaler. Tout en elle était sombre. Sauf sa peau. Elle était tellement poudrée de pâle qu'elle aurait pu tout aussi bien être noire à l'origine que personne ne l'aurait jamais remarqué. C'était le détail qui la différenciait des sorcières des contes. Elle devait passer des heures à se pomponner. Ses longues boucles brunes étaient probablement plus entretenues que l'estomac de Willie. Ses ongles taillés en pointe trahissaient une manucure régulière, et le noir peint sur ses lèvres et sur ses yeux ne supportaient pas la moindre bavure. Elle se tenait droite et nous toisait de toute sa hauteur, ce qui faisait un bon mètre quatre-vingt. Sans la courbe inharmonieuse de son nez, elle aurait pu être mannequin pour Halloween Magazine. Elle battit délicatement de ses longs cils et s'adressa à nous dans la demi-clarté du hall, illuminé de temps en temps par un éclair.

- Bienvenue à Poudlard. Comme vous le savez, vous avez été choisis car vous possédez la chance rare d'être nés sorciers. Malheureusement, vous n'êtes encore qu'une bande de sauvages et il vous faudra apprendre à dompter la magie qui bouillonne en vous.

- Parle pour eux, murmura une petite fille blonde, moi je les ai pas attendus pour commencer.

Manque de pot, la grande sorcière avait l'ouïe fine, et l'élève avait omis de parler pendant le tonnerre, technique éprouvée par ses camarades quelques instants plus tôt. Elle cessa son discours pour jeter un regard glacial à la malheureuse. Elle attendit suffisamment de temps pour que tout le groupe ressente le malaise, puis poursuivit comme si de rien n'était.

- Je suis le professeur Swan, directrice adjointe, et moi et mes collègues acceptons de vous consacrer notre temps pour vous aider à apprendre l'art de la magie. Nous attendons beaucoup de vous. Premièrement, du respect.

L'élève se fit souris en attendant que la foudre s'éloigne.

- Ce soir, vous serez répartis dans une des quatre Maisons de l'école. Les quatre Maisons s'affrontent durant l'année dans différentes disciplines, comme le Quidditch. Il y a aussi un système de points. Si un professeur juge que vous le méritez, il peut accorder des points à votre Maison. Il peut aussi en retirer, si vous vous comportez comme des trolls. Un décompte des points est fait à la fin de l'année. La meilleure Maison gagne la coupe des quatre Maisons. Chaque Maison a un professeur référent, qui s'efforce bien sûr de rester impartial dans sa distribution de points.

Elle ne précisa pas le nom de ces professeurs référents, ni si elle même faisait partie du lot.

Elle se tourna et nous guida dans des couloirs jusqu'à une petite salle. Elle nous demanda de patienter et disparut à l'intérieur d'une épaisse porte dans un coin de la pièce. Après de longues minutes, elle revint, et la porte s'ouvrit pour nous laisser passer. Le brouhaha venant de l'autre côté se déversa sur nous. Je sentais le trac me gagner. Ou l'excitation.

Le groupe suivit le professeur Swan dans la Grande Salle. Je n'osais pas lever la tête. Nous longeâmes les quatre tables, vers les autres professeurs. Des élèves des années supérieures nous regardaient passer d'un œil distrait. Quand je posai un œil sur un premier fantôme, des sueurs froides se firent sentir brusquement dans mon dos. Il y avait des discussions vives de tous les cotés. Mais les bruits dans la salle qui me semblaient les plus désagréables étaient le couinement de nos chaussures mouillées, et le floc floc des robes trempées contre les jambes. Un garçon derrière moi étouffa une exclamation, repris par ses voisins. Je levai les yeux.

Des centaines de bougies flottaient dans les airs et diffusaient une faible lumière, engloutie par le plafond sans fin qui recréait un ciel noir d'orage. Des masses de nuages sombres tourbillonnaient en se dévorant les uns les autres. Ils formaient par endroits des nœuds si denses qu'aucune lumière ne s'en échappait. La pluie tombait. Du moins c'est ce que l'on voyait, mais aucune goutte n'atteignit quiconque pendant la traversée, comme si elles n'étaient que des spectres, reflet de celles bien réelles tombant au dehors avec fracas. Un éclair zébra le plafond et je sursautai à l'unisson avec la moitié des autres élèves de première année.

On nous fit nous regrouper devant un tabouret avec un vieux chapeau pointu moche et usé. Une des couture se déchira et le chapeau se mit a parler. Je savais que c'était le choixpeau. J'étais une assez grande groupie pour reconnaître au moins ça. Mais quand même, la sensation d'écouter un chapeau parlant était assez exceptionnelle.

Il chanta longtemps, à propos de l'histoire de l'école, et de leurs fondateurs. Cette histoire, je la connaissais déjà par cœur. Mais c'était bizarre de se l'entendre raconter sérieusement, autrement qu'à l'intérieur d'un livre. Puis il chanta la bravoure et la soif d'agir de Gryffondor. La confiance et la loyauté de Poufsouffle. La soif de connaissances et la sagesse de Serdaigle. L'ambition et l'agilité mentale de Serpentard. De cette chanson je ne garde que des bribes, souvenir d'une époque lointaine et pendant laquelle j'étais restée figée et fascinée.

- Quand j'appellerai votre nom, expliqua Swan, vous coifferez le choixpeau et attendrez sa décision. Ensuite vous pourrez rejoindre votre nouvelle Maison pour le banquet.

Je regardai pour la première fois la table des professeurs. A ma grande déception, je ne reconnus aucune tête. J'aurais espéré qu'il soit resté quelques uns des professeurs de Harry Pot'. Mon œil se posa sur mon professeur Lettriminel. La déception s'effaça. Many, tu es stupide, tu ne peux pas reconnaître une personne que tu n'as jamais qu'imaginée. Il discutait avec sa voisine de gauche, une petite sorcière bien en chair au chignon jaune canari. Puis je déplaçai mon regard avec curiosité vers la place du directeur. Elle était occupée par une vieille sorcière ronde aux cheveux vert-gris en désordre. Probablement pas McGonagall. Elle aussi avait donc fini par passer son poste à quelqu'un de plus jeune. Je n'aperçus pas non plus de professeur assez petit pour pouvoir être Flitwick. Ni de géant pouvant être Hagrid. Le sentiment de déception qui s'était évanoui se refit sentir.

- Allen Jessica, appela le professeur Swan.

Le teint de Jess devint aussi gris que les étoiles au bout de ses lobes d'oreilles. Elle se glissa entre ses camarades. Mon cœur se mit a tambouriner violemment contre mes côtes. Elle se hissa sur le tabouret et coiffa le choixpeau informe. Il marmonna un moment dans ses coutures avant de rugir « GRYFFONDOR ! ». Un sourire de soulagement éclaira son visage tandis qu'elle serrait le poing en signe de victoire. Jess s'éloigna sans un regard dans notre direction, vers la table du fond, d'où s'élevaient des acclamations.

Le professeur Swan se repencha sur le parchemin qui flottait devant elle a la recherche du prochain nom à appeler. Je redoutai que ce soit le mien. Baker venait souvent en début de liste alphabétique, au primaire. Mon pouls s'accéléra dangereusement, mais Swan appela « Andersen Zachary » et je soufflai. Un première année à la peau aussi mate qu'un gâteau au chocolat trop cuit s'avança vers le tabouret. Je m'y connaissais en gâteau raté, mon meilleur ami était le pire cuisinier de l'univers, martiens compris. Une exclamation du choixpeau me tira de mes réflexions.

- Andersen ! Encore un ! Il y en a d'autres ? demanda le choixpeau.

Le garçon semblait incapable d'émettre un son. Il se contenta de secouer la tête en signe d'acquiescement. Le choixpeau s'esclaffa de toutes ses déchirures et s'arracha deux trois coutures usées dans la manœuvre.

- Tant qu'il restera des Andersen sur cette Terre, l'espèce humaine ne s'éteindra jamais, chantonna-t-il. Poufsouffle, Poufsouffle et Poufsouffle.

Le garçon s'illumina et rejoint la table des Poufsouffle où les élèves hurlaient de joie et martelaient la table de leurs poings. Certains garçons des années supérieures s'étaient même levés, dont un qui s'écriait « Riri d'amour ! Avec nous ! Bienvenue à la maison ! ».

- Baker Malany.

Tout le sang de mon corps décida à ce moment de se réfugier à l'abri dans mes chaussettes, en emportant avec lui la chaleur et les sons du monde extérieur. Il n'y eut plus que moi et le vieux chapeau qui me faisait face. Ce moment, je l'avais attendu, rêvé, fantasmé. Il allait réfléchir un peu, puis m'envoyer à Gryffondor.

Il me fixait de ses fentes et ses patch rapiécés. L'intérieur des fentes abritait une obscurité dérangeante. Je saisis le cuir du chapeau et le plaçai sur ma tête. Il était beaucoup trop grand. Je ne voyais que mes pieds, par-dessous le rebord du choixpeau. L'avenir me semblait d'un coup beaucoup moins sûr. Ce chapeau là était bien réel, et pas sorti d'un rêve répété mille fois. Est-ce que j'étais vraiment sûre d'être envoyée là où je voulais ? Et est-ce que je le voulais vraiment ? Lyra, que Kathleen aimait bien, était à Serpentard. Et qu'est ce que je savais ? Tout ce que je croyais connaître sur les quatre Maisons de Poudlard, je le sortais d'un livre écrit par une cousine de Rita Skeeter. Elle avait probablement enjolivé, exagéré, déformé tout ce qui avait trait à l'école. Je ne savais plus quoi penser. Peut-être que la vraie loi de la répartition était celle du frère de Jess. Pour ce que j'en savais réellement, Serpentard aurait pu tout aussi bien être une Maison spécialisée pour les surdoués et Gryffondor pour les danseurs de gigue. Il faudrait savoir ce que tu veux.

Je voulais être dans une Maison où les gens sont sympa. Et que Will soit un sorcier, aussi. Pour qu'on soit dans la même Maison.

La Maison qui te conviendrait le mieux, et celle où je dois t'envoyer, sont bien différentes.

Si je devais aller quelque part, je supposais que je n'avais pas mon mot à dire. On a toujours son mot à dire. Mais je supposais qu'un objet magique pluricentenaire avait plus de chance de faire le bon choix qu'une fille de onze ans nourrie par des histoires fantastiques. Probablement.

-POUFSOUFFLE !

Poufsouffle ?

Je découvris pour la première fois les centaines de regards dans ma direction. Poufsouffle ? Pourquoi il m'avait envoyée à Poufsouffle ?

Qu'est-ce...

Poufsouffle ?

C'était impossible.

Poufsouffle ? J'étais quoi ?

La Maison de ceux qui sont de trop, ceux qui ne correspondent pas aux trois grandes familles de l'école. Les Serpentards sont malins, les Gryffondors courageux, les Serdaigles intelligents, et les Poufsouffles ? Ils étaient quoi ?

Rien.

Loyaux et généreux. Des pigeons. Ah, non, des blaireaux.

D'après la théorie du frère de Jess, j'étais donc une attardée.

Je jetai un regard perdu vers la table des Gryffondor où elle discutait déjà avec une de ses voisines. Elles me semblaient aussi éloignées que si nous étions sur des satellites différents. Des cris et des applaudissements me parvenaient du côté opposé. A regret, je détachai mes yeux de la Maison de mes rêves.

Et je me résignai à avancer vers la Maison de ma dure réalité.

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