Chapitre 4 : Disparitions


J'aime la magie.

J'adore la magie.

Adieu les sonneries stridentes le matin pour se réveiller. Le réveil sorcier était une lumière douce qui emplissait le dortoir jusqu'au réveil de tous les élèves. Pas de bip hystérique pour les retardataires non plus, les premiers levés réveillaient les autres. Je me redressai doucement et étirai mes avants-bras. Puis je jetai les couvertures et me levai dans la clarté dorée du sortilège. La lumière m'enveloppait comme un doux duv...

Driiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii...

Je me réveillai en sursaut et mon front heurta une des barres de bois du lit à baldaquin. Le chat, réveillé en sursaut, enfonça ses griffes profondément dans mes cuisses.

...iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiing !

Le sortilège se tut. Mon rythme cardiaque s'apaisa petit à petit. Je me massai le front en regardant autour de moi les autres élèves se redresser un par un. Je détestais ce genre de rêves qui vous font miroiter des utopies plus stupides les unes que les autres et qui vous donnent envie de rester couché tellement vous avez honte d'être aussi naïf. Je repoussai le chat parlant et les couvertures et secouai l'épaule de Selina qui ne paraissait pas le moins du monde perturbée par son environnement sonore. J'espérais qu'elle ne tomberait pas en quasi-hibernation toutes les nuits.

Pendant que Selina émergeait, je rassemblai mes affaires d'astronomie, c'est-à-dire un tas d'instruments abstraits qu'on nous avait distribué avec les emplois du temps. Pour le cours de métamorphose de ce matin, il n'y avait besoin que de la baguette. Idem pour le cours de défense contre les forces du mal. Je fourrai le tout dans ma sacoche, avec quelques rouleaux de parchemin et une plume. Il allait falloir que je m'habitue à écrire avec ce machin. Ça n'avait pas l'air pratique du tout.

- Tu crois qu'on a droit à un petit dej' ?

Selina s'était arrachée à son lit pour m'observer faire mon sac. Elle était accroupie à deux centimètres de mon nez, les yeux à demi-ouverts. Ses cheveux en bataille lui donnaient une tête de serpillière.

- J'espère bien qu'on aura un petit déjeuner ! Je me sens pas de métamorphoser quoi que ce soit comme ça. Le prof croirait qu'on m'a envoyé la lettre par erreur.

Au moment de sortir du dortoir un peu plus tard, je notai que la minuscule couette de Selina annulait certes l'effet serpillière, mais ajoutait un petit quelque chose de pinceau à sa coiffure.

En passant par la salle commune, nous croisâmes d'autres Poufsouffle. Nicholas Fergusson était déjà levé depuis longtemps. Il trafiquait sur une vieille console Nintendo DS. Deux des boutons étaient arrachés et le boîtier de la batterie démonté et vide. Il était déjà dessus la veille au soir, j'espérais qu'il avait dormi entre temps.

Le coin Poufsouffle du château était au sous-sol et son entrée dans une salle vraiment quelconque où il fallait ne marcher que sur certaines dalles, les plus vieilles et éclatées, avant de tapoter un endroit précis sur une montagne de tonneaux, à un rythme défini. Autant vous dire qu'en l'ayant vu faire une seule fois en arrivant le soir, j'aurais été incapable de le refaire. Je priai qu'il y ait deux trois Poufsouffles qui traîneraient pas loin quand je déciderais de revenir.

J'avais espéré croiser Kathleen et Alyss au petit déjeuner mais c'était sous-estimer le nombre d'élèves du château. Même si toutes les classes ne commençaient pas au même moment, la grande salle était bondée. Impossible de retrouver l'un ou l'autre.

Le premier cours de l'année, Métamorphose, était en commun avec les première année de Gryffondor. Je sondai de l'œil la file d'élèves qui attendaient le prof devant la porte à la recherche de …

- Malany !

Je rendis son sourire à Alyss qui attendait avec les autres Gryffondor. Je lui découvris un nouveau visage, sans ses sourcils froncés et son air contrarié déclenchés par Eli. Serein et heureux, il se parait d'un charisme supplémentaire.

- Comment c'était le premier soir chez toi ? Ah, et je te présente Apollo Mattews et Harry Ling. On est dans la même promo.

Je reconnus le bichon dragueur aux boucles noisette qui s'était interposé entre Alyss et Eli chez Mme Guipure. Il me fit un clin d'œil appuyé et un sourire charmeur, que j'ignorai. Le troisième avait l'air plutôt petit et ordinaire à côté des deux beaux spécimens qui l'accompagnaient.

- Bah, le préfet-en-chef nous a fait un petit message de bienvenue et les autres préfets nous ont fait visiter la salle commune et les dortoirs. Mais sinon rien de bien intéressant.

- C'était à peu près la même pour nous, répondit Alyss. Et des deuxième années archi-collants ont essayé de nous faire peur en disant que la prof de métamorphose était une momie, mais franchement, je sais pas trop qui est-ce qu'ils espéraient convaincre.

- Si tu veux mon avis, on en sait absolument rien, opposa Selina. On a bien un fantôme comme prof, alors pourquoi pas une momie Egyptienne ou un zombie New-Yorkais.

- Hééé ! Pas conne, le plumeau ! s'exclama Apollo en tendant la main.

Selina envoya une bourrade timide dans sa paume ouverte après avoir paru hésiter entre rire jaune ou pleurer. Deux filles nous dépassèrent en gloussant. Apollo se redressa comme un coq et passa une main nonchalante dans ses boucles. Je reconnus Jess et la petite blonde qui s'était faite moucher par Swan le premier jour. J'en profitai pour demander des nouvelles de Kathleen à Alyss. Il n'en avait pas plus que moi. Et il semblait culpabiliser beaucoup de ne pas être là pour se placer entre elle et Face-de-rat. J'allais tenter de le faire relativiser quand Harry Ling poussa un souffle de surprise.

- Merde, les gars, regardez, chuchota-t-il. Ils avaient raison, c'est vraiment une momie.

Une sorcière se fraya un chemin au milieu du groupe en lançant un « Bonjour » haut perché. Avec sa taille et sa corpulence de brindille, je l'avais prise pour une élève en retard. Mais à y regarder de plus près, ses cheveux étaient totalement blancs et secs comme de la paille. Et le plus effrayant était qu'ils étaient taillés aussi strictement qu'un bonzai, de la frange parfaite au double dégradé en angle droit au niveau des joues et des épaules. Quand elle passa devant moi, j'eus un aperçu de son visage parcheminé et ridé, fendu d'un large sourire qui repoussait toute sa peau vers ses oreilles. Elle dévoilait des dents éclatantes et aussi parfaitement alignées qu'autant de petits soldats vous pointant avec leurs carabines. Je n'ai jamais eu aucun indice concernant la couleur de ses yeux, qui étaient aussi fripés que peuvent l'être ceux d'une japonaise centenaire. Cette sorcière-ci n'était sûrement pas centenaire, cependant, ou alors elle avait une forme olympique, pour se tenir droite comme elle le faisait. Elle portait un corset grisâtre avec un napperon en guise de col, et une robe longue de couleur similaire, probablement rose ou bleu autrefois. Ses bottines à talon la rehaussaient à hauteur des élèves, et se retroussaient en une pointe peu engageante. Mais ce n'était pas une momie, du moins je l'espérais.

La salle était remplie de cages de petits animaux et d'objets de tailles diverses. Il flottait dans l'air une odeur de fleur indescriptible et beaucoup trop intense pour être supportable. Le genre de parfum qui se dégage des grand-mères quand elles veulent vous faire le bisou dévastateur. Je m'installai à une table avec Selina, près d'Alyss et de ses nouveaux copains. La petite sorcière rejoignit le devant de la salle à grandes enjambées énergiques, du moins à son échelle, en frappant le sol à chaque pas comme si elle espérait qu'il s'écroule sous elle.

- Bienvenue à Poudlard, mes petits renardeaux, dit-elle sans quitter son sourire-lifting. Je suis le professeur O'Noguel et je vous enseignerai la métamorphose cette année, du moins à ceux assez doués pour parvenir à un résultat acceptable. J'aimerais instaurer une règle dès maintenant. Celui qui veut parler lève la main et attend qu'on lui donne la parole. Attention à ceux qui discutent sans mon autorisation. Pour l'atelier d'aujourd'hui, je vous ai fourni à tous des dés. Le but est qu'à la fin du cours vous réussissiez à obtenir une bille sphérique. Nous verrons dans les prochains cours le détail de la marche à suivre, mais j'aimerais regarder d'abord ce que certains d'entre vous savent déjà réaliser. Je passerai dans les rangs pour vous expliquer et donner des conseils. Allez-y.

Aussitôt sa tirade terminée, tout le monde se mit à discuter et les chuchotements se transformèrent vite en gros brouhaha. Je regardai le petit dé un long moment. Comment est-ce que j'étais censée transformer un dé en quoi que ce soit ? Un dé c'est un dé, et ça ne change pas de nature quand on lui demande. Je tapotai le bout de ma baguette dessus, dans l'espoir que quelque chose se passe. Le dé ne sembla pas avoir envie de changer de look.

- Allez, c'est naze d'être un cube, mets-y un peu du tien ! maugréai-je.

Selina ne semblait pas avoir plus de succès. Je soupirai d'en être réduite à parler à un bout de plastique. J'essayais de me concentrer au moment où la prof surgit entre Selina et moi en poussant un cri de collégienne, ce qui était plutôt effrayant compte tenu de sa voix croassante.

- Fabuleux ! Je n'en crois pas mes yeux ! Oh, mais c'est une merveille que vous avez entre vos mains, jeune fille !

- Euh... moi ? balbutia Selina.

- Oui, oui, pressa-t-elle. Vous savez quelle baguette vous tenez ?

- Euuuh... oui, hésita-t-elle. Je crois. C'est du ventricule de dragon dans du bois de cerisier. Enfin c'est ce qu'il m'a dit. Qu'est-ce qu'elle a de spécial ?

- Votre baguette ne vient pas de n'importe quel cerisier. Elle a été taillée dans un cerisier des collines, qui donne des fleurs roses magnifiques !

Selina me lança un coup d'œil de détresse, mais je ne comprenais rien non plus. Cette prof était probablement complètement gâteuse. Selina lui esquissa une grimace qui était censée passer pour une approbation. Ma voisine n'était pas très douée pour le mensonge.

- Ah, vous ne comprenez pas, au Japon, il est de coutume de dire que c'est un arbre qui abrite beaucoup de spiritualité. Les baguettes, bâtons et catalyseurs en bois de cerisier sont très rares et très recherchées. Elles donnent du pouvoir mais aussi beaucoup de sagesse au sorcier qui sait les écouter. Vous avez beaucoup de chance.

Selina contemplait le bête bout de bois qu'elle tenait avec un mélange de doute et appréhension. Voyant que O'Noguel reprenait une inspiration pour se lancer sur l'histoire du Japon, je retournai m'occuper de mon dé récalcitrant. Allez quoi, je pensai, change-toi. Fais-moi plaisir. J'entendais la voix distante de la prof déverser un flot de paroles inintelligibles. Souvent, les mots Japon et Sakura revenaient. Mon dé était bien comme il était, en cube. Pourquoi est-ce qu'il voudrait changer de toute façon. Il se sentait utile quand il fallait départager des adversaires, ou pour aider des joueurs à avancer. Il avait six faces et six facettes qui lui permettaient de changer de visage à chaque fois qu'on le posait quelque part. Bien assez pour rendre son existence trépidante. Mais pas libre. Le dé n'est pas libre. La sphère, par contre... posez-la sur un plan incliné, et elle ne vous attendra pas pour aller découvrir de nouveaux horizons. La bille est bien plus libre que le cube, insistai-je. Voilà pourquoi tu dois y mettre du tien et accepter le changement. La liberté.

Le professeur O'Noguel s'étendait sur les pouvoirs des éléments et le calendrier quand Selina l'interrompit :

- Regardez, Malany a réussi.

Sous la pointe de ma baguette, ce n'était plus un dé mais bien une bille, quoique peinte blanche avec des points noirs et totalement en plastique.

- Arrêtez-vous un moment, tout le monde, et regardez un peu de ce côté, une de vos camarades a réussi l'exercice, annonça la prof en voletant entre les tables. Peux-tu essayer de faire machine arrière et métamorphoser ta bille en dé, pour montrer à tes camarades ?

Tous les yeux étaient tournés dans ma direction. J'avais envie de leur dire que je n'y étais pour rien. Que je n'avais aucune idée de comment j'avais fait. Que j'avais juste pensé très fort que j'avais une conversation avec un dé, ce qui était ridicule. Que mes argument ne portaient que sur l'aller, pas le retour. Mais je me forçai à me focaliser. Bon, euh, désolée de t'avoir demandé de devenir une bille pour rien, il faut que tu redevienne un dé. La bille faisait la sourde oreille. En admettant qu'elle en ait. Cette fois, j'ai besoin d'un arbitre pour jouer avec mes camarades. Tu aimais tes six facettes, que penserais-tu de les retrouver quelques instants. Je me sentais un peu bête, mais j'espérais que ça marcherait. Après un moment interminable, les contours de la bille se modifièrent et le dé se remodela sous ma baguette.

- Excellent, tonna la prof. C'est ce que j'appelle une élève douée pour la métamorphose. Maintenant, à vos places. Je sais que vous n'êtes pas tous capables d'un tel exercice, mais les personnes douées se reconnaîtront, alors au boulot. Miss...

- Baker, professeur.

- Miss Baker, très chère, je serai très heureuse de rencontrer vos parents à la réunion parents-professeurs. Ce doit être de grands sorciers.

- En fait...

- Peu importe, exercez-vous à passer d'une forme à l'autre rapidement pour aujourd'hui, et je vous poserai un test plus difficile au prochain cours. ARRETEZ DE CHAHUTER DERRIERE ! Comment se nomme votre charmante voisine si intéressée à propos de la sorcellerie japonaise ? reprit-elle de sa petite voix de corneille.

- Cayle, professeur, répondit Selina. Mais je ne...

- QU'EST-CE QUE C'EST QUE CE BROUHAHA DERRIERE ?

Un des élèves s'était levé et poussait des cris en gigotant au milieu de la salle. La cravate qu'il portait sous son uniforme ondulait et frétillait entre ses mains. En fait, il s'agissait d'un serpent qui tentait de lui mordre le nez. La fille qui était assise à côté de lui était pliée de rire et criait « Vas-y Hugo ! Tord-lui le cou ! » pendant qu'il paniquait et se débattait avec sa cravate à tête de couleuvre.

O'Noguel accourut et retransforma sa cravate en objet inerte en hurlant « QU'EST-CE QUE VOUS AVIEZ EN TETE QUAND VOUS AVEZ PENETRE DANS CETTE SALLE DE CLASSE ! C'EST UN COURS DE METAMORPHOSE ICI, PAS UN DEFILE DE DANSEUSES ORIENTALES ! VOUS VIENDREZ EN RETENUE JEUDI SOIR AVEC MOI ! ET QUI A JETE LE SORT ? QUI ? ». La voisine de Hugo essuya quelques larmichettes de rire et leva la main. Elle était blonde, mais de ces blonds vénitiens qui tirent vers le roux, et coiffée de manière désordonnée volontairement, je soupçonnais.

- Ooh ! Vous êtes Miss Potter, n'est-ce pas ? minauda O'Noguel. C'est incroyable d'avoir un tel talent en métamorphose dès le début de l'année. Je vous félicite ! Réussir à métamorphoser un objet inerte en objet vivant est un exercice que l'on n'enseigne qu'à partir de la troisième année au plus tôt.

- C'est rien, professeur, répondit-elle entre deux résidus d'éclats de rire. Mon oncle, qui habite à Tokyo, m'a appris deux ou trois tours, mais c'est tout.

Je me demandai si elle avait casé le mot « Tokyo » exprès dans la phrase pour éveiller l'intérêt de la vieille sorcière. Si c'était le cas, il eut l'effet escompté. O'Noguel se lança dans une conversation animée avec la jeune fille pendant que le garçon se relevait péniblement et remettait son uniforme en place. Lily Potter et Hugo Weasley. Je les avais oubliés.

Je me tournai vers mon petit dé. Il me semblait riquiqui finalement. J'étais un peu jalouse de m'être faite voler la vedette. Je retrouvai ma bonne humeur quand Selina réussit à émousser légèrement les coins de son dé avec un cri de victoire.

La sonnerie était une lourde cloche qu'on entendait dans tout le château. Touts les élèves ramassèrent leur sac et se précipitèrent vers la porte comme un seul homme. La prof eut juste le temps de crier « PAS DE DEVOIRS POUR CETTE FOIS, MAIS ENTRAINEZ VOUS D'ICI LE PROCHAIN COURS ! ».

Le cours de Défense contre les forces du mal était aussi en commun avec les Gryffondor, nous passâmes donc le trajet en compagnie d'Alyss, Apollo et Harry. Tout le monde était d'accord pour dire que O'Noguel était complètement gâteuse.

- J'ai cru qu'elle s'arrêterait jamais, grogna Selina. Heureusement que l'autre fille a capté son intérêt.

- C'est la première fois que je vois qu'on punit la victime et qu'on jette des fleurs au coupable, remarquai-je.

- N'empêche, tu dois reconnaître qu'elle s'en est très bien sortie, rétorqua Harry Ling. Elle est sacrément maline, pour être capable d'écouter les radotages de la prof avec Selina tout en mettant la pagaille. Avec un sort avancé, en plus ! Cette fille est un génie ! Et plutôt jolie, en plus, ajouta-t-il en rougissant.

- Oooh ! J'ai l'impression que mon chinois préféré a flashé sur Potter !

Apollo passa son bras autour du cou de Harry et lui remua la poitrine avec son autre poing en gloussant. Le duo bouscula Selina dans son allégresse, et elle alla heurter violemment le mur. Elle poussa un juron et envoya un coup de coude sur Apollo.

- Aïe, c'est pas de ma faute ! C'est Harry qui se débat. Et puis tu prends trop de place, Plumeau. Faut se restreindre sur le chocolat, tu sais, termina Apollo avec un clin d'œil.

Sa remarque eut pour effet de murer Selina dans le silence jusqu'à l'arrivée dans la classe de Défense contre les forces du mal.

Ce deuxième cours se révéla nettement plus intéressant que celui de O'Noguel. Le prof se présenta comme « le professeur Hemingway » d'une voix douce mais assez puissante pour être entendu distinctement du fond de l'amphithéâtre. La salle était aménagée en une partie gradins et une partie prévue pour la pratique, avec estrade, matelas et divers objets, où se tenait le prof. C'était un homme grand d'allure athlétique, avec laquelle contrastaient deux petits yeux noirs mouillés et bienveillants, et un sourire timide. Ses tempes étaient déjà légèrement dégarnies, et pour faire illusion, des mèches brunes s'amassaient vers l'avant en branches et pointes qui faisaient saillie au sommet de son front. Une clef pendait autour de son col, mais je la soupçonnais de n'être là que pour la décoration.

Contrairement à la vieille prof de métamorphose, il savait rendre son discours assez intéressant pour que les chahuteurs habituels soient trop occupés à boire ses paroles pour avoir le temps de réfléchir à des bêtises à faire. Il expliqua que chacun de ses cours se diviserait en une première moitié théorique et une deuxième moitié pratique. Il exposa en deux trois mots les objectifs du trimestre, c'est-à-dire entre autres d'apprendre à produire un sortilège de défense basique, le Charme du Bouclier. Il annonça que si tout le monde parvenait à le maîtriser correctement, il nous réserverait une petite surprise. Sa remarque déclencha des murmures de curiosité dans les rangs, qu'il s'empressa de balayer en annonçant qu'il était temps de se mettre à la pratique.

- Ce sort ne nécessite pas de geste complexe ni de formule alambiquée, commença-t-il. Contentez vous de crier « Protego » en y concentrant toute votre volonté. Commencez par vous mettre par deux. L'un attaque en lançant des coussins qui sont là-bas, et l'autre essaie de se protéger. Je passerai parmi vous pour donner des conseils. Nous aurons des séances de pratique à chaque cours, aussi je vous préviens dès maintenant, si je vois certains faire n'importe quoi, je n'hésiterai pas à les renvoyer du cours avec une retenue. Alors concentrez-vous et produisez-moi de jolis sorts. Allez.

Je m'installai avec Selina dans un coin de la salle rempli de coussins et de matelas. Apollo fit équipe avec Harry, et Alyss se mit avec un garçon blond de Gryffondor que je ne connaissais pas.

- Tu préfères commencer ou j'y vais ? demandai-je à Selina.

- Vas-y, commence, j'ai peur de me planter. Je prendrai exemple sur toi.

Elle s'empara de quelques coussins et me demanda si j'étais prête. Je resserrai ma prise sur ma baguette et répétai dans ma tête protego protego protego protego protego.

- Prête.

Le coussin fusa. Je lançai un « Protego ! » avec toute la volonté dont j'étais capable. Le coussin m'atteignit sur la figure, et je remerciai Hemingway en silence de nous avoir donné des coussins et non des pierres pour s'entraîner. Une quinzaine de minutes plus tard, je comptais quarante-sept échecs, zéro victoires, et une tête qui tourne. Je proposai à Selina de faire une pause avant d'échanger les rôles. Alyss ne se débrouillait pas trop mal. Même s'il n'arrivait pas à arrêter totalement les coussins, ceux-ci arrivaient tellement au ralenti sur lui qu'ils ne faisaient que l'effleurer. Son partenaire, par contre, n'arrivait strictement à aucun résultat et partait en fou rire à chaque fois qu'il se prenait un coussin.

- Allez, Tom, concentre-toi, je sais que tu peux le faire, grommelait Alyss en attendant qu'il ait fini de se rouler par terre.

Selina se révéla plus douée que moi sur ce coup. Sur une trentaine de coussins que je lui lançai, elle en arrêta une dizaine. Je la sentis impressionnée par ses propres capacités. A côté de nous, le prof était arrivé jusqu'à Alyss et Tom. Il donnait des conseils de concentration au blondinet rieur. Mais même avec ça, Tom ne parvint à arrêter aucun coussin, comme moi. Hemingway s'attarda plus longtemps sur Alyss, et Selina et moi allâmes écouter.

- Comment ça se fait que tous mes coussins ne font que ralentir ? J'ai l'impression que je suis le seul à qui ça le fait, s'inquiéta Alyss.

- C'est la première fois que je vois ça, s'excusa le prof. Peut-être que tu cherches trop à économiser tes forces. Essaie d'imaginer qu'il n'y a qu'une attaque, qu'un seul coussin, et que ta vie en dépend. Tu veux bien tenter comme ça ?

Hemingway ramassa un coussin et attendit qu'Alyss soit prêt. Quand celui-ci eut acquiescé, sa main ramena le coussin en arrière pour le lancer, mais au dernier moment, ce fut sa baguette qu'il brandit. Il y eut un éclat de lumière rouge et une explosion d'étincelles quand Alyss s'écria « Protego ! ».

Les quelques spectateurs restèrent sans voix.

Est-ce qu'on avait bien vu ? Est-ce qu'un prof venait d'attaquer un élève à l'instant ?

Alyss avait les sourcils froncés et un air de totale incompréhension.

- Pourquoi... ?

- Excellent, annonça Hemingway avec un sourire. Je t'ai lancé un sort de stupéfiction. Si tu n'avais pas lancé un Charme du Bouclier complet et parfaitement réalisé, le sort t'aurait assommé quelques minutes. Ces coussins devaient vraiment t'ennuyer, tout à l'heure, ajouta-t-il en me lançant celui qu'il tenait. A vous deux.

Alyss resta un moment assis pour se remettre de ses émotions. Après tout, il venait de repousser un sort venant d'un prof.

J'attendis que Selina se prépare et lui envoyai le coussin. Elle rata son sort et se le prit dans le nez. Hemingway lui demanda de se détendre et de réessayer plusieurs fois. Comme tout à l'heure, elle réussit à arrêter un coussin sur deux. Il afficha un air triste. Ses iris noirs se posèrent sur Selina.

- N'aie pas honte de réussir. Tu y arrives. On l'a tous vu. Ta partenaire n'y est pas parvenu, c'est ça ? demanda -t-il. Il n'y a aucune honte à avoir compris plus vite que tes camarades. Ne te rabaisse pas et prends confiance en toi. Allez, montre-moi comment on jette un puissant sort du bouclier.

Je sentis une vague de chaud empourprer mes joues. C'était moi qui la bloquais. Tout ça parce que j'étais trop nulle et qu'elle avait peur... de quoi au juste ? Que j'arrête d'être son amie si elle était plus douée que moi en cours ?

- C'était idiot de penser que j'allais me prendre la tête pour si peu, tu sais. L'échec, ça me connaît, on se côtoie depuis longtemps. Mais de temps en temps, il prend quelques vacances, et je sais apprécier mon heure de gloire. Tu devrais faire pareil, la rassurai-je.

Hemingway m'encouragea d'un sourire d'approbation. Selina ne rata plus ses sorts et je réussis même à arrêter un coussin. Le prof en eut presque des larmes de joie. Enfin il me semblait, parce qu'avec ses petits yeux humides il était difficile de savoir. Mais il avait l'air content.

- Avant que j'aille voir un autre groupe, vous pouvez me donner vos noms ? J'ai besoin d'apprendre à connaître mes élèves.

- Turner... commença Alyss.

- Je préfère vos prénoms, si ça ne vous embête pas. Je sais que la plupart des profs vous appellent par vos noms de famille, mais je déteste ça. Déjà parce que c'est beaucoup plus difficile à retenir, dit-il avec un sourire d'excuse. Et puis c'est moins personnel. Donc toi, tu es...

- Euh, Alyss.

Nous lui donnâmes nos noms à tour de rôle. Puis il nous encouragea à continuer et s'éloigna vers Apollo et Harry, qui avaient éventré tous leurs coussins.

Il ordonna la fin de l'exercice cinq minutes avant la fin du cours pour avoir le temps de nous donner une tonne de devoirs pour la semaine d'après.

- Si tous les profs nous donnent autant de trucs, on va mourir d'épuisement avant la fin du trimestre, se plaignit Zach au moment du repas de midi, à la table des Poufsouffles.

Sa remarque déclencha une vague de gloussements de la part de Grace qui était assise à côté de lui. Elle faisait danser ses anglaises couleur chocolat au lait qu'elle coiffait en glissant un large serre-tête dans ses cheveux. Zach se rengorgea, content d'avoir amusé la belle de Poufsouffle.

- Bah, on a que deux mois à tenir avec ces profs-là au final. Une fois à Treehall, c'est possible qu'on ait plus ni O'Noguel ni Hemingway, remarqua Nicholas Fergusson.

Je me remémorai le discours de Chourave du banquet de début d'année. Au final, c'était elle, la petite directrice potelée avec une masse de cheveux gris verdâtre. Chourave avait été le seul nom de professeur que j'avais reconnu. Avec mon Lettriminel bien sûr. Il était le prof référent de Gryffondor. La référente de Poufsouffle, Mestick, était la petite sorcière potelée avec le chignon jaune canari que j'avais vue discuter avec lui le jour de la répartition. Le référent de Serpentard était Hemingway, et celui de Serdaigle était Swan. La directrice nous avait souhaité la bienvenue avec chaleur, puis avait pris un peu de temps pour nous mettre en garde contre les dangers du château et les endroits interdits. Je me doutais qu'elle citerait la forêt, mais elle insista aussi sur l'interdiction absolue de pénétrer dans l'aile Ouest du château, condamnée depuis sa destruction par les mangemorts lors de la grande Bataille de Poudlard.

Cette année serait particulière. Poudlard était invité à l'école Nord-Américaine Treehall. L'ensemble des élèves et des professeurs partiraient courant Novembre, pour ne revenir à Poudlard qu'en Juin. A Treehall seraient aussi les Sud-Américains de Nocheira et l'école du Pacifique Kai'ohana. Ils disputaient cette année leur version du tournoi des trois sorciers, auquel nous ne participerions pas. Notre présence là-bas répondait à une tradition plus récente. Tous les cinquante ans environ les deux écoles partageaient leurs professeurs et leurs manières d'enseigner. Le but était d'uniformiser les méthodes entre pays anglo-saxons, où un truc du genre. Elles se mesuraient aussi dans des tournois divers, comme le Quidditch. Depuis la rentrée, Treehall revenait souvent dans les conversations. Certains étaient excités, d'autres appréhendaient. Mais tous se posaient beaucoup de questions.

- Salut les gnomes, lança un garçon de troisième ou quatrième année en se glissant sur le banc entre Zach et Grace. Comment c'était la première matinée ?

Il avait la même couleur de peau gâteau trop cuit que Zach, et une touffe de mèches noires rebelles se baladait sur son front.

- Dégage, Steven, grogna Zach. Arrête ! dit-il quand le nouveau venu commença à lui farfouiller les cheveux d'une main ferme.

- Oh, mais c'est qu'on est malpoli, on dirait que maman t'a jamais appris les bonnes manières, petit Riri-chou. Si tu fais pas d'effort, le démon du château va te choisir toi pour passer deux mois en enfer. Remercie-moi, on dit qu'il enlève que les élèves bien coiffés.

Les cheveux de Zach étaient coupés trop courts pour rester en bataille. Ils reprirent presque instantanément leur position, dressés en brosse au sommet de son crâne. Steven Andersen soupira de voir son travail anéanti si rapidement. En relevant la tête, son regard tomba sur Hugo, qui mangeait à l'écart sans prendre part à la conversation.

- T'es Hugo Weasley ? J'ai pas trop écouté la répartition mais un copain m'avait bien dit que le dernier Weasley était le vilain petit canard. Toute ta famille est à Gryffondor, non ? Mais te fais pas de soucis, on va te montrer que Poufsouffle, c'est l'éclate H24.

L'autre ne répondit pas à sa maladroite tentative de lui remonter le moral.

- Si on devenait copains, tu crois que tu pourrais m'arranger un coup avec ta sœur ?

Le visage de Hugo se dérida malgré lui et un sourire en coin apparut, accompagné d'un petit rire incontrôlable.

- Bon courage avec ça. Si j'étais toi, je laisserais tomber et je me rabattrais sur d'autres filles.

Steven soupira avec abattement.

- C'est la salope la plus brillante de son âge.

- La quoi ?

Hugo s'était levé. Il était plutôt grand, et malgré sa dégaine maladroite, il faisait presque de l'ombre au grand frère de Zach.

- La sorcière la plus brillante de son âge, répondit celui-ci avec son plus beau sourire. C'est pas ce que j'ai dit ?

- Traite encore une fois ma sœur de salope et...

- C'est fou, le coupa-t-il. Vous vous ressemblez pas, mais alors, pas du tout. A part les taches de rousseur peut-être. Sans vouloir te vexer.

- Pourquoi est-ce que je serais vexé ?

- Ben... ta sœur, c'est quand même la fille la plus canon de ma promo. Et la plus douée aussi, ça fait deux ans qu'elle rafle la place de major de promo. Ça doit pas être facile d'être comparé à elle tous les jours, pour quelqu'un de... normal.

Hugo accusa le coup en silence et se contenta de se rasseoir.

- Mais c'est une vraie garce, tenta de se rattraper Steven. Je suis pratiquement sûr qu'elle s'est battue avec tous ses copains avant de sortir avec eux.

- Tous ses... Combien il y en a ?

- Ouh là ! J'ai pas compté ! L'an dernier elle a essayé tous les Gryffondor. Bon, j'exagère. Un bon paquet. Cette année elle fait de l'ouverture. Là, elle sort avec Thomas Troye de ma classe, à Poufsouffle. J'ai peut-être une chance, qui sait ? Pas comme ces malchanceux de Serpentard. Fierté familiale, j'imagine. Corrige-moi si je me trompe, mais je suppose que si vous ramenez du Serpentard à la maison un jour ça risque de se terminer en bain de sang. J'ai juste ?

Le regard halluciné de Hugo me convainquit de trouver un autre sujet de conversation avant que Steven ne s'enfonce encore plus.

- Dites, c'est quoi ces histoires d'élèves qui disparaissent ? dis-je. Ça fait plusieurs fois que j'en entends parler. C'est une blague récurrente ?

- Ah ! Mais pas du tout ! s'exclama Steven. C'est la réalité ! Il y a un vieux démon qui rôde dans les cachots. On dit que c'était un grand mage autrefois, mais qu'il a été vaincu à Poudlard par un élève surdoué. Depuis il rôde et enlève les plus doués des étudiants du château quand ils se promènent seuls le soir. Pour se venger, il les pend par les pieds et les laisse croupir quelques mois, et puis il s'apaise et les relâche. Ensuite il s'énerve à nouveau et ça recommence. Pourquoi tu crois que Chourave nous a conseillé de jamais se déplacer seuls dans l'école ?

- C'est n'importe quoi, rétorqua un deuxième année qui avait suivi la conversation. Tout le monde sait que c'est un épouvantail de la forêt interdite qui est venu s'abriter dans l'école pour la hanter. Je l'ai vu.

- Tu l'as vu, hein ? enchaîna Steven. T'as surtout abusé de la rêveuse, oui. Si c'était un bête épouvantail, pourquoi est-ce qu'il prendrait que les élèves les plus forts, crâne de faykrill ?

- Steven, arrête d'effrayer les première année avec des histoires à dormir debout, dit calmement un garçon un peu plus grand que lui, probablement un quatrième année, qui ressemblait beaucoup aux deux frères Andersen de la table, et avec les cheveux soigneusement coiffés en arrière.

- Ah, non, voilà le père fouettard, râla Steven. J'effraie personne, Justin. J'informe. Très objectivement. Et viens pas me dire que les élèves qui disparaissent vont nulle part.

- Je dis juste que t'exagères beaucoup, se renfrogna Justin. Ceux qui ont effectivement disparu se souviennent jamais de ce qu'ils ont fait, alors tu peux dire ce que tu veux à propos de démons diaboliques vengeurs, c'est du pur fantasme. On en sait strictement rien.

- Ouais, ouais, en attendant, moi au moins, je me creuse les méninges pour trouver une explication, au lieu de rester les bras croisés en disant 'oh, oui monsieur, vos enfants disparaissent parfois, mais ne vous inquiétez pas, on ne sait pas où ils vont, ils se font peut être arracher les pieds par un démon sanguinaire, mais ils reviennent toujours, c'est le principal, huhu'. Non. C'est pour les mauviettes, ça, cousin.

- Tu...

- Blah, blah, blah, le coupa Steven. Qui me parle ? Il y a des parasites dans le coin.

- C'est ça, s'énerva Justin, attend voir quand je serai préfet l'an prochain, tu feras moins le malin quand je te filerai des retenues.

Il s'éloigna à grands pas en maugréant.

- C'est pas humain d'être aussi casse-pied, grogna Steven. S'il est nommé préfet, je quitte l'école. Bon, je me tire, les gnomes. Pour ceux qui veulent faire du Quidditch, on recrute pour l'équipe Dragonneaux ce samedi après-midi. On compte sur toi Riri-chou. Faites tourner le mot !

Il sauta du banc et se greffa en rigolant à un groupe de garçons qui s'étaient levés de table.

L'après-midi fut beaucoup moins intéressant que la matinée, même si j'étais contente que les cours soient en commun avec Serpentard pour retrouver Kathleen. Le premier cours était celui d'Astronomie, et la prof passa vingt minutes à se plaindre que c'était complètement stupide de lui mettre un cours à deux heures de l'après-midi, « Qu'est-ce qu'ils espèrent, que je vous fasse observer le soleil ? ». Elle nous renvoya tous en traitant Swan de poupée de décoration incapable de lancer un sort pour former des emplois du temps acceptables.

Pendant que l'on attendait pour le cours d'après, je questionnai Kathleen sur son premier jour. Elle resta très vague et il me fut impossible de lui faire raconter quoi que ce soit. Je constatai qu'Eli s'était fait de nouveaux amis, deux filles et un garçon avec un air inquiétant.

Le deuxième cours se déroulait dans une des plus hautes salles, dans une des tours du château. Le professeur de Sortilèges se présenta comme étant le professeur Lore, et s'étrangla à moitié en apercevant le nom Andersen pendant l'appel.

- Tu... tu es le frère de... enfin je veux dire, tu es un Andersen de la famille de Elton, ou de Marvin ? demanda-t-il avec espoir.

- Marvin, professeur, répondit Zach.

Lore se décomposa et passa le reste du cours à l'éviter du regard. Ce fut le cours le plus long de ma vie. Le prof ressemblait à un mollusque aux bajoues dégoulinantes. Il portait un chapeau pointu ridiculement minuscule au sommet de son crâne chauve. Il expliqua la théorie des sortilèges en s'emmêlant dans ses mots, si bien que plus personne n'écoutait après les dix premières minutes. La cloche annonçant la fin du cours fut la bienvenue. Kathleen partit vers les cachots des Serpentard avec un garçon aux cheveux teints en une couleur délavée qui s'appelait Andrew Huang et qui n'avait pas l'air très bavard.

Le reste de la semaine apporta aussi son lot de surprise. Et même si certains cours donnaient envie de se jeter par la fenêtre – je pensais avoir vu l'ennui en personne avec Lore, mais c'était avant que je découvre Binns, le fantôme enseignant l'histoire de la magie –, la plupart me laissait l'impression d'être Alice découvrant le Pays des Merveilles.

Je redécouvris la verdure avec mon cher Lettriminel, tout excité de nous montrer les saules guérisseurs pluricentenaires de l'école et expliquant à qui voulait entendre qu'on avait découvert leur propriété quand Golibert le Fol, un de ses prédécesseurs, avait soigné ses maux de tête intempestifs en venant lécher leurs troncs sur un coup de tête.

Le mercredi matin, je fabriquai ma première potion sous la direction du professeur Mestick, notre référente de Maison, que les autres élèves surnommaient Mojito. C'était une sorcière ronde aux yeux pétillants en amande. Je reconnus son chignon jaune canari noué avec des mèches de ses propres cheveux, qui tombaient en rubans sur sa nuque. Une frange courte à peine esquissée encadrait un visage malicieux. Elle avait une montre à gousset portée autour de son cou de façon originale. Je ne pus me décider à la trouver totalement sympathique. Elle passait des compliments chaleureux à la foudre de colère en un battement de cils, si bien qu'on n'osait pas respirer trop fort de peur de la contrarier. Elle se contentait souvent de montrer les gestes à faire, ou de les faire rentrer à coup de louche sur la tête de Nicholas Fergusson qui devait trouver les gloussements de Grace plus intéressants que le cours.

Les cours de potion étaient en commun avec Serdaigle, et à la première question, je sursautai presque au lever brutal de leurs petits bras impatients. A lui seul, Elyann Dink, un Serdaigle à la bouille ronde et à la frange blonde devant les yeux, fit gagner plus de trente points à sa Maison en répondant parfaitement à toutes les questions. Selina s'en sortait étonnamment bien et compatit à mon désespoir. Je me contentai de suivre les instructions à la lettre pour ne pas rester à la traîne, pendant que Dink interrogeait Mestick sur des subtilités préparatoires.

Le cours suivant resta un mystère pour moi jusqu'à y arriver. Sur l'emploi du temps il n'était inscrit que SMIS, ce qui ne voulait strictement rien dire.

- Sorcellerie Médicale d'Initiation aux Soins, tenta Selina.

- Où est-ce que t'es allée chercher ça ? ris-je. Peut-être Sortilèges de Mécanique Informatique et de Système ? Ou Stimule-Moi ton Intelligence Steuplé ?

- Tu t'égares, se moqua Selina. Il faudrait demander à Zach, ce serait plus simple.

Il nous suivait avec le reste du groupe cinq minutes plus tôt. Mais lorsque Selina et moi attendîmes, personne ne fit son apparition au coin du couloir.

- Ils ont dû prendre un autre chemin, en conclus-je. On les retrouvera là-bas.

Nous étions dans un couloir du septième étage complètement désert, mis à part les personnages mouvants peints dans les tableaux. L'endroit devait se trouver près de l'extérieur, parce qu'il faisait sacrément froid et qu'à travers les murs on entendait clairement le hurlement aigu du vent au dehors. A moins que ce ne soit des cris lointains venant de pièces plus animées qu'ici. Je ressentis le malaise de Selina juste avant qu'elle annonce :

- On pourrait accélérer ? Il caille ici, et puis ça m'inquiète que les autres aient pas suivi. Désolée, je suis vraiment ridicule.

- Non, non, t'en fais pas. Je le trouve pas très rassurant non plus, ce couloir tout vide. On a qu'à demander notre chemin, proposai-je.

- Mais à qui ?

- Eux.

Je m'approchai d'un des tableaux. Bizarrement, la plupart des œuvres avaient été désertées par leurs occupants. Les rares personnages restants firent mine d'être très occupés. Je tentai avec le suivant. Des duchesses en train de prendre le thé se déplacèrent pour me tourner le dos. Un peu plus loin, je tombai sur une imposante tapisserie assez vide mis à part un bonhomme assis dans l'herbe qui avait l'air de s'ennuyer.

- Euh, excusez-moi. Est-ce que vous pouvez m'indiquer le chemin le plus court pour aller en cours de SMIS ? Mon amie se sent mal.

- Ha ! Pas étonnant ! Il y a de quoi vous donner la migraine avec ces courants d'air ! Si je n'étais pas l'objet principal de cette œuvre, je serais parti avec les trolls il y a belle lurette.

- Les trolls ?

- Peu importe. Prenez le premier couloir à gauche jusqu'à la fée dévorée par le kelpy, puis à main droite tout au bout. Je vous souhaite bonne aventure, les jeunes.

- Merci beaucoup !

- Et saluez ce brave Rosendale de la part du vieux Barnabas, lança-t-il une fois que nous nous étions mises en route, avant d'ajouter en grommelant, fichus courants d'air !

x

xxx

x

Au final, SMIS n'était pas un acronyme à propos de médecine ni de mécanique, ni de rien que j'aurais pu imaginer. C'étaient les initiales de Sciences Magiques et Initiation à la Sorcellogie. Ce qui était une sorte de science fondamentale de la magie. Tous, nous en ressortîmes avec l'impression que quelqu'un avait passé un violent coup de balai dans notre esprit. Le brouillard de l'ignorance montrait par quelques trouées l'infini des possibles de l'univers.

C'était une matière récente à Poudlard, que le prof lui-même avait lancé. Il était parmi les nés-moldus dont les parents avaient refusé d'envoyer leur enfant à Poudlard, croyant à un canular. Il avait fait de brillantes études scientifiques et pendant sa préparation de thèse, il avait découvert l'existence des sorciers et de la magie. Trop tard pour lui pour l'apprendre et la maîtriser, il se contenta de l'étudier. Peu de temps après, il persuadait la directrice McGonagall de réformer l'enseignement à Poudlard. Nous lui devions le SMIS ainsi que l'apparition de nouvelles matières comme les langues vivantes et la littérature, et de nouvelles options appliquées comme la magie technologique et informatique, ou la formation aux premiers secours obligatoire délivrée par le personnel de Ste Mangouste en cinquième année. Il annonça avec fierté que les sorciers étaient beaucoup moins mauvais en orthographe que lorsqu'il avait débarqué et qu'on avait de la chance de ne pas avoir été parmi cette catastrophe linguistique et scientifique qu'étaient les sorciers de son temps.

- Réjouissez-vous qu'on vous apprenne à lire et à compter, parce qu'à force de se focaliser sur leur nombril et leur magie, les sorciers étaient partis pour devenir complètement débiles et analphabètes avant la fin du siècle.

Il était jeune. Très jeune, en fait, comparé à tous les changements qu'il avait provoqués. La trentaine au maximum. Sa touffe de cheveux châtain devait être énorme pour arriver à y tresser des nattes aussi épaisses. Moi, même avec une seule, ça tenait plus de la queue de rat que de la coiffure. Son nez avait du être cassé parce qu'il pointait vers le bas de façon bizarre. Mais il avait un sourire plein de malice qui attisait notre curiosité autant que ses paroles.

Au lieu d'une bête description du programme de l'année, il nous fit une introduction incroyable où il nous expliqua que nous étions tous constitué de petites cellules qui dialoguaient entre elles pour nous faire fonctionner, et que ces petites cellules étaient constituées de petites molécules qui s'emboîtaient comme des briques, elles-mêmes constituées d'atomes minuscules, des électrons qui tournoyaient autour d'un noyau de protons et de neutrons faits de particules élémentaires comme le quark. Je n'ai rien compris mais le fait de penser qu'on était fait de constructions titanesques était sacrément intriguant. Et il y avait aussi les gluons, pour tenir les quarks ensemble, et les transmutons, qui étaient capables de modifier la nature des autres particules, et les magons, qui véhiculaient l'information magique, et les photons, et les neutrinos, etc.

Et puis, au summum de notre curiosité, (ce qui est peu dire vu que nous étions avec les Serdaigles et qu'ils affichaient tellement des têtes d'assoiffés de savoir que ça en était comique), il déclara que pour arriver à comprendre tout ça en fin de cinquième année il nous faudrait beaucoup travailler, étudier les sciences magiques, c'est-à-dire les maths, la physique, la biologie et même un peu de géologie. Sur ce il nous libéra avec un devoir de maths gigantesque pour la semaine suivante.

- Je crois que je suis amoureux de ce prof, nous annonça Nicholas Fergusson en sortant.

- Félicitations, dit Zach, j'enverrai des confettis à votre mariage. Aïe !

- Je le vénère, si tu préfères, espèce de veracrasse. C'était énorme, non ? Ou c'est juste moi ? Il faut que je lui amène ma DS, qu'il m'explique comment elle marche, comme ça j'aurai moins de mal à la démonter.

- T'as un ticket avec ce truc de moldu, toi, lança Zach.

- J'aimerais bien voir si je peux en faire une console magique. Ce genre de choses a beaucoup de succès chez les moldus, je suis sûr que je peux devenir riche et célèbre avec ça en l'adaptant pour les sorciers !

Je réalisai à ce moment que j'en avais oublié de passer le bonjour au prof de la part du bonhomme de la tapisserie.

- Dites, demandai-je, avec Selina on est passées dans un couloir bizarre à l'aller. Un couloir désert avec de sacrés courants d'air.

- Ah, oui. Mon cousin, Elton, nous en avait parlé quand il était entré à Poudlard, répondit Zach. Il me semble que ça a à voir avec la Salle sur Demande.

- Pourquoi ? demandai-je.

- La quoi ? dit Selina.

Il poussa un soupir.

- Tu dois être la seule personne dans cette école à pas en avoir entendu parler, Plumeau, grogna Zach. J'ai la flemme d'expliquer, tu chercheras.

Selina haussa un sourcil contrarié. Si même Zach commençait à la surnommer Plumeau, j'espérai qu'elle n'était pas du style de Kathleen à se fermer à la moindre attaque. Mais elle haussa les épaules et Grace, la belle gloussante, sembla tout d'un coup s'intéresser à la conversation.

- Qu'est-ce que c'est, cette salle ?

Zach s'empressa de balbutier une description. Selina me sourit et leva les yeux au ciel, et je me retins d'éclater de rire.

- Quand il y a eu la Biographie Romancée, continua-t-il, le secret de la salle est tombé et tout le monde a voulu s'en servir. Pendant deux ou trois ans, c'était quasiment impossible d'y entrer vu qu'il y avait constamment quelqu'un à l'intérieur. Et puis d'un jour à l'autre, elle en a eu assez. Elle s'est volatilisée. Elle a changé d'endroit dans le château. Mais personne sait où elle est actuellement. Ou alors ceux qui le savent gardent le secret pour eux.

- Mais si elle a changé de place, d'où vient le bruit ?

- Justement, c'est le vide qu'elle a laissé qui pose problème. Le vent s'engouffre dedans et ça fait un bruit insupportable. En général les gens évitent de passer par là.

- Pas de bol pour les tableaux, commenta Selina.

- Kathleen ! m'exclamai-je en la voyant nous dépasser d'un air pressé. Hé ! Arrête de m'ignorer, je vais me vexer. On est copines, non ?

Je l'attrapai par le bras pour la faire s'arrêter. Le petit groupe de Poufsouffle continua sur la lancée, sauf Selina qui s'arrêta pour m'attendre.

- Désolée Malany, je dois vraiment y aller, on se voit plus tard...

Elle regarda par-dessus mon épaule et devint livide.

- Oh, non...

- Faut pas t'enfuir comme ça, meuf, fit une voix derrière moi. On est potes d'enfance, on peut discuter tranquillement. Tiens, t'as des amis ?

Eli se glissa près de nous avec ses trois acolytes. La vue de Selina et moi lui tira une mine contrariée. Une demi-seconde après, il avait retrouvé son air de vainqueur, mais cela avait suffit à m'inquiéter.

- Je te reconnais, la petite blonde...

- Malany.

- C'est ça. J'ai besoin de parler avec Kath. Donc si toi et ton... animal de compagnie, hésita-t-il en détaillant Selina, pouviez aller jouer un peu plus loin, ce serait cool.

- L'animal de compagnie va rester, souffla Selina avant que j'aie pu faire quoi que ce soit. Mais faut pas trop l'insulter parce que sinon, il mord.

- Ouh là là , fais attention à tes fesses, Eli, gloussa une petite blonde potelée aux boucles folles et aux joues roses. Elle a l'air sauvage, celle-là. Elle te mettrait au tapis.

- Occupe-toi de tes licornes, Philippa, tu collectionnes les tickets avec elles, il paraît, siffla Eli.

Le coup de pied partit sans que personne ne l'ait anticipé. L'acolyte appelée Philippa lui décrocha un coup à l'entrejambe en gloussant.

- Insulte pas la princesse de Poudlard, espèce de bouseux, minauda-t-elle d'une petite voix de poupée.

- Calme-toi, Philippa, énonça la voix profonde d'une autre acolyte à l'allure de croque-mort, de sa silhouette toute en longueur à sa longue frange noire retenue mollement par des épingles rouges sur un côté. Il en vaut pas la peine.

- Merci, Leda, grogna Eli en se redressant péniblement. Enfin quelqu'un de sensé ici.

Il jeta un regard en coin à la petite princesse aux boucles d'or comme pour vérifier qu'elle n'allait pas recommencer. Philippa lui adressa une figure d'ange et il se détourna. Puis il sembla se rappeler de notre présence.

- Bon, vu que les deux pigeonnes vont pas s'en aller, je suppose qu'elles t'aideront à faire ton choix, Kath.

J'allais ouvrir la bouche pour protester mais Selina me fit signe de ne pas la ramener.

- Je suis le prochain attrapeur des Dragonneaux de Serpentard. Je sais pas ce que tu t'es mis en tête...

- Eli, arrête, demanda le seul acolyte garçon de la bande, le petit avec la tête de gangster. Tu parles trop.

- … je te conseille juste de rester en dehors de la sélection, continua Face-de-rat avec un rictus mauvais. Et on restera bon potes, meuf, je te le jure. Parce que si par hasard tu te pointais samedi sur le terrain...

- C'est le moment de te la fermer, là, proposa posément le petit acolyte, et je remarquai qu'il portait un anneau à l'oreille gauche.

- … il se pourrait qu'un accident survienne ...

- Eli. Ta gueule !

Face-de-rat se tut et posa un regard inquiet sur son ami. L'acolyte se tenait tranquillement en retrait et avait à peine levé la voix. Il avait les mêmes sourcils archi-froncés que les autres fois où je l'avais aperçu. Ils lui donnaient un air d'échappé de prison, surtout avec ses cheveux ternes coupés courts.

- Désolé, Seth, s'excusa Eli. On est potes avec Kathleen. On s'entraide. On a des différends parfois mais on s'aime bien au fond. Pas vrai ? interrogea-t-il en direction de la petite rousse.

En voyant sa mine déconfite, il reprit son rictus en coin habituel. Il s'approcha pour la prendre dans ses bras. Elle se laissa faire, tétanisée.

- Oh, non, voilà ta nounou, Eli, se plaignit Philippa.

Je paierai cher pour revoir la tête de Face-de-rat à ce moment là.

- On se casse, ordonna-il, avant de détaler vers le bout du couloir avec sa bande sur les talons, à part le dénommé Seth, qui souffla d'exaspération et les suivit en marchant.

- ELI !

Lyra Fox avait son air assuré et imperturbable quand elle atteignit notre hauteur, accompagnée d'un garçon roux de son année. Elle abordait la même coiffure que lorsque je l'avais croisée chez Ollivander's, les cheveux lâchés à l'exception de sa longue frange, relevée à l'arrière de sa tête par une pince.

- Eli est de plus en plus intenable, annonça-t-elle comme si c'était une évidence. Il a tout compris et s'en prend aux faibles. Résultat, il s'enfuit dès qu'il croise quelqu'un de sa taille.

Est-ce qu'elle parlait d'elle-même ? Je haussai les sourcils devant cette belle démonstration de manque de modestie. Elle parlait d'une voix douce et calme qui contrastait avec le contenu de ses phrases.

- Je sais plus quoi faire de toi, Kath, ajouta-t-elle en tournant ses petits yeux de rapace vers sa sœur d'adoption. Tu te traînes dans les couloirs avec un tel air de punching-ball que c'est impossible de te louper. Et vous, les épouvantails, vous regardez sans rien faire, ça vaut pas mieux que ces abrutis qui traînent avec Eli. Au fait, je vous présente Luke, il est nouveau dans le collège, alors je le sociabilise.

- Salut, lança le rouquin qui la suivait.

J'avais envie de lui répliquer quelque chose mais la vérité c'est que j'avais honte de ne pas avoir réagi. La conversation entre Eli et Kathleen était allée tellement vite que je n'avais rien compris à ce qu'il voulait dire.

- Il avait une raison de m'en vouloir, en fait, grimaça Kathleen.

- Dis pas ça, répondit Lyra. Pourquoi ?

- Au cours de tout à l'heure, enfin, c'était, balbutia-t-elle, avant ce cours, au cours de Mme Bibine, de balais, enfin de vol.

- Accouche, j'ai pas toute la soirée. T'as fait quoi ? T'es tombée de ton balai en plein sur lui ? T'as pas réussi à décoller et il se fout de ta gueule ? … Tu lui as donné un coup de balai ?

- Non, non, justement. J'ai... j'ai bien volé. Enfin, plutôt bien. Alors, Mme Bibine m'a dit que je pouvais, enfin si j'avais envie, que je pouvais entrer dans l'équipe des Dragonneaux de Serpentard, qu'il suffisait que j'aille voler un peu ce samedi aux sélections.

Le sourire de Lyra s'étira en un rictus malicieux et je frissonnai.

- Ah, d'accord. C'est un sale jaloux, Eli, ricana-t-elle. Mets-lui en plein la vue samedi, hein ? Défonce son ego jusqu'à ce qu'il se traîne de honte.

Elle la prit dans ses bras et lui ébouriffa les nœuds de sa touffe rousse sans volume. Je me joignis à leur étreinte mais Lyra me repoussa. Décidément, je ne plaisais pas à cette fille.

- Elle t'en veut pas personnellement, me glissa Luke. J'avoue qu'elle a pas l'air d'apprécier grand monde. Mais de temps en temps, elle a de petits élans gentils, comme ça, s'empressa-t-il d'ajouter.

- Merci, lui dis-je avec gratitude.

- J'entends, fit remarquer Lyra.

Un peu plus tard, les deux deuxième année étaient repartis vers les cachots. Kathleen nous raconta son cours de balai dans Grande Salle à l'heure du repas de midi. En réalité, elle lui avait déjà mis la honte en volant comme une déesse alors que lui peinait à se maintenir sur sa branche magique. Pas étonnant qu'il se soit mis en rogne. Je vérifiai l'emploi du temps. Nous avions notre premier cours de langues vivantes, alors que Kathleen devait se rendre en cours de métamorphose. Nous la laissâmes en bas des escaliers du troisième étage pour monter au quatrième.

- Elle a vraiment pas de bol, de se traîner un boulet pareil, fit Selina.

- Tu parles d'Eli ?

- Pas seulement. T'as vu l'autre, qui l'a mouché en deux mots ? Il fait vraiment peur. Tu crois qu'Eli rigolait en parlant d'accident ? Parce que ça m'a un peu flanqué la trouille et puis après j'ai oublié.

- Non, il est idiot et fait beaucoup de bruit mais je pense pas qu'il soit capable de faire du mal à Kathleen juste pour avoir le poste d'attrapeur, la rassurai-je.

- C'est ce que je pense aussi, répondit Selina, mais l'autre, Seth, tu crois pas qu'il pourrait...

- Deux secondes. T'es en train de dire qu'on vient de laisser notre copine toute seule face à une bande de crétins qui risquent de lui péter une jambe pour qu'elle monte pas sur un balais samedi ?

- Je sais pas, hésita Selina, c'est peut-être juste une impression.

- Demi-tour.

Nous descendîmes l'étage en vitesse, et rencontrâmes Kathleen toujours en haut des marches en train d'essayer de se repérer sur un vieux plan du château.

- Qu'est-ce que vous faites ? Vous avez plus cours ?

- Tu vas bien ? demandai-je.

- Oui, oui, je suis juste un peu perdue, c'est tout, pourquoi ?

Puis son regard se perdit derrière moi.

- Mais qu'est-ce qu'ils font... ?

Un sortilège la heurta violemment à l'épaule et elle dévala quelques marches la tête la première.

x

xxx

x

- Zut!

- Tu l'as ratée, espèce de veracrasse! Huhu !

- C'est pas ma faute, meuf, elle a bougé au dernier moment.

- Chut ! Merde, elles nous ont vu. Je t'avais dit de te la fermer tout à l'heure. Et surtout d'attendre qu'elles soient parties, abruti !

- Vous êtes fatigants...

Je localisai les voix à une dizaine de mètres, leurs propriétaires mal camouflés derrière une large colonne. Eli tenait une boîte ouverte dans ses mains. Il affichait un air de voleur pris la main dans le sac. Seth en tenait deux autres identiques, mais fermées. Philippa et Leda se tenaient en retrait.

- Vous êtes complètement malades ! m'étranglai-je pendant que Selina allait voir l'état de Kathleen.

- Elle a l'air d'aller bien, juste une bosse, c'est tout, dit-elle.

- Qu'est-ce qu'on fait ? gémit Eli.

Pour toute réponse, Seth ouvrit discrètement une des boîtes qu'il tenait. Prise d'un mauvais pressentiment, je levai ma baguette et criai « PROTEGO ! ». Rien ne sortit de ma baguette. Par contre, une lumière vive jaillit de la boîte dans ma direction. Je me préparai mentalement à l'impact.

Mais le sort rebondit avec un grésillement sur le disque bleuté apparu devant moi, et retourna frapper son expéditeur dans une explosion de couleurs. Seth hurla puis sa tête heurta la colonne de marbre derrière lui avec un bruit mat. Il s'effondra et ne bougea plus. Leda s'approcha de lui et fit glisser les trois boîtes vers moi d'un geste détaché. Je ramassai une des deux boîtes ouvertes. Une inscription disait « Boîte à foudre, pour un feu d'artifice du tonnerre ! ». On pouvait lire qu'elle venait de chez W&W, le magasin de farces et attrapes. Il y avait aussi un symbole triangulaire barré d'un éclair, pour danger électrique.

- Nom d'un satyre ! Dans mon bureau immédiatement, jeune fille !

Je relevai la tête et pris conscience de la situation. Le professeur Swan venait d'apparaître du couloir du troisième étage. Elle avait les yeux écarquillés et les lèvres noires tirées de colère. La scène qu'elle contemplait était on ne peut plus précise. J'étais la seule debout, au milieu, une boîte ouverte à la main et les deux autres à mes pieds. J'avais un élève assommé de chaque coté, et les autres agenouillés auprès d'eux. En bref, j'étais dans la bouse jusqu'aux genoux.

Et le clin d'œil de Leda finit de m'achever.

x

xxx

x

- Ah ! La haine ! Les boules que tu dois avoir !

- C'est bon, Zach, je crois que c'est pas trop le moment, lui glissa doucement Nicholas.

J'étais dégoûtée. J'avais envie de frapper ce crétin de Zach pour qu'il se taise. On était jeudi matin, et le cours de balai volant venait de s'achever.

- J'en fais du steak haché, de la Swan, si tu veux. Là, tout de suite, continua-t-il avec des mouvements pseudo-ninja. Enfin, non, plutôt dimanche, sinon elle serait capable de m'empêcher d'entrer dans l'équipe. Imagine, si toi ça te fait râler, moi, ça serait quoi ? Un Andersen qui fait pas de Quidditch, ça s'est jamais vu. Enfin si, il y a Justin le casse-pied, mais je suis quasiment certain qu'il a été adopté.

Je m'arrêtai et me plantai devant lui.

- Zach, articulai-je difficilement. T'es incapable de garder la bouche fermée deux minutes quand il s'agit de parler de toi. C'est trop demander, un peu de tact ? Ou bien t'es juste un crétin sans cœur et égocentrique ?

Il prit un air de chien battu et s'éloigna.

Je pestai intérieurement contre moi-même. J'avais été méchante envers lui. C'était l'injustice qui me faisait dérailler.

Je tentai de contrôler mes membres pour qu'ils arrêtent de trembler. J'avais été parmi les quelques élèves auxquels Mme Bibine avait conseillé de participer aux sélections des Dragonneaux samedi. En d'autres circonstances, j'aurais sauté de joie. Sauf qu'aujourd'hui, c'était la pire chose qu'elle puisse m'annoncer, vu que j'étais en retenue samedi après-midi. Cadeau de Leda et compagnie.

Le sortilège du bouclier de Selina m'avait protégée au dernier moment. Seth avait eu moins de chance. La sorcière de l'infirmerie, que tout le monde appelait Bernadette, l'avait sauvé in extremis d'une fracture du crâne qui sentait mauvais. Il se baladait depuis hier avec un bandage autour de la tête. Kathleen n'avait rien eu, mais je ne pouvais m'empêcher de penser que si on n'avait pas attiré son attention sur Eli, elle aurait probablement était projetée violemment au bas des escaliers, ou pire, par-dessus la rambarde.

Swan n'avait rien voulu entendre et avait pesté plus d'une heure dans son bureau à propos de sécurité et d'inconscience et d'objets interdits. A la fin, elle me laissa partir avec une retenue en pleine sélection de Quidditch du samedi, sachant qu'en ce faisant elle m'y interdisait l'accès. Je n'avais pas été très gênée sur le moment, pensant que je serais une catastrophe en balai volant. Sauf que ça n'avait pas vraiment été le cas, et maintenant, j'avais des envies de meurtres envers Eli, ses acolytes, Swan, et Zach qui ne cessait de se pavaner d'être le futur capitaine de l'équipe.

Génial.

x

xxx

x

C'était lui ! Je n'osais pas le regarder dans les yeux. Nous étions tous les deux en retenue avec le professeur Mestick, enfin Mojito, qui nous avait accueillis avec un de ses visages froids qui vous glacent le sang dont elle avait le secret. Une fois le malaise bien installé afin que nous n'oubliions pas pourquoi nous étions ici, elle se targua d'une expression bienveillante et nous expliqua joyeusement comment nous allions récurer ses vieux chaudrons plein de gras durant les quatre prochaines heures. Le ressentiment que j'avais en venant ici s'était évanoui lorsque j'avais aperçu mon compagnon de retenue. Swan avait dû convaincre O'Noguel de l'envoyer au même créneau du désespoir que moi. Ce qui fait que je me retrouvais à récurer un chaudron en tête à tête avec Hugo Weasley. La groupie qui sommeillait en moi luttait pour sortir au grand jour, aller le toucher pour voir s'il était bien réel. Je la contins tant bien que mal.

Je profitai qu'il était penché sur le chaudron pour l'observer. Un nez long et fin attirait l'œil. Par contre, les oreilles légèrement décollées dont il avait hérité se camouflaient partiellement au milieu de ses boucles brunes. Et le nombre de ses taches de rousseur était loin de rivaliser avec celui de Kathleen. Il avait de jolis yeux, aussi. Le style de couleur incapable de se décider entre marron et bleu, dont personne ne se souvient jamais. Mais moi je m'en souviendrais. C'était comme dans les fanfictions que j'avais lues. Le héros et l'héroïne se retrouvent pour la première fois seuls. Et puis, passé le moment de maladresse, la scène finit toujours par un premier baiser.

Il me jeta plusieurs coups d'œil gênés, et se frotta le nez avec sa manche. Puis il ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose. Je sentais le rouge me monter aux joues.

- Tu pourrais... arrêter de me fixer comme ça ? marmonna-t-il. C'est perturbant. J'ai un truc collé quelque part ?

Je me sentis stupide. Autant jouer la sincérité.

- Je me demandais juste si tu étais le fils de Ron et Hermione Weasley.

Il resta bloqué quelques secondes les sourcils haussés, comme pour attendre que je lui annonce que j'avais dit une blague très drôle. Comme je ne disais rien, il poussa un soupir et se pencha sur le chaudron sans un mot.

- Désolée, mais comme t'avais le même nom, j'avais cru...

- Non, c'est bien mes parents, mais j'ai l'impression que les gens viennent me parler rien que pour ça. En plus, en théorie, ceux dont tout le monde parle, c'est pas vraiment mes parents. Avec les déformations des médias et le bouche à oreille parfois j'entends vraiment n'importe quoi. Excuse d'avoir été un peu sec. J'anticipe les conneries.

Je me sentis encore plus stupide. Je me concentrai sur un morceau de cramé bien fixé au bronze. Même avec l'ongle, cette saleté refusait de partir.

- C'est quoi ton nom, au fait ? On est dans la même classe, non ? T'es une Poufsouffle aussi.

Je m'étonnai qu'il eût pu être aussi peu attentif quant aux gens de sa propre classe. On était, quoi, sept à tout casser ? Mais c'est vrai qu'il était sans arrêt collé aux basques de Layla Potter et les Gryffondor. Alors je l'aidai, et lui donnai même les noms du reste de la classe histoire d'éviter les quiproquos à l'avenir. Et aussi avec l'espoir qu'il s'intégrerait un peu plus parmi nous à l'avenir. Mais sans grand espoir.

- Pourquoi t'as pas protesté ? T'as rien à faire en retenue. C'est elle qui aurait dû y être.

Il mit un moment à comprendre de qui je parlais.

- Lily ? Bah, j'allais pas la dénoncer quand même, on s'entraide, entre cousins, répondit-il avec un sourire en coin.

- Elle avait pas beaucoup l'air de vouloir t'entraider, sans vouloir te contredire.

Il rougit du bout des oreilles et je maudis mon manque de tact.

Changement de sujet urgent.

- Dis, c'est quoi cette allusion du choixpeau à une compétition Weasley-Andersen ?

Ma question eut le mérite de le faire rire. Il haussa les épaules.

- Familles nombreuses, annonça-t-il avec un ton d'excuse. Ils ont l'impression de jamais en voir la fin. Et ils ont raison. Après moi, il y a encore Roxanne et Lucy qui vont débarquer l'an prochain. Mais je sais pas si les Andersen ont encore de la réserve.

- Faudra demander à Zach, dis-je en sachant très bien que je n'étais pas prête d'adresser la parole à ce crétin égoïste de sitôt. Au fait, ton cousin Albus serait pas à Serpentard par hasard ?

Je venais de repenser à quelques histoires que j'avais lues. Albus Potter était toujours à Serpentard, c'est qu'il devait y avoir eu des fuites d'infos. Et j'espérais qu'il pourrait un peu protéger Kathleen des psychopathes qui l'entouraient.

- Non, ils sont tous à Gryffondor.

Son expression reflétait une bonne déprime en préparation. Donc il était le mouton noir de la famille. Bienvenue au club de ceux qui ont raté leur orientation.

- Dans le fond, on s'en fiche un peu de la Maison où on est, non ? je suggérai. Le but est le même, se mettre en compétition avec les autres Maisons pour avoir de meilleurs résultats et se faire des amis dans sa Maison.

- J'ai déjà des amis à Gryffondor.

- C'est ta famille. T'es pas obligé de t'arrêter de les voir sous prétexte que t'es pas dans la même Maison. Je me suis faite des copains dans le train qui sont dans d'autres Maisons, et je risque pas de les laisser tomber rien que pour ça.

- Je parle pas seulement de ma famille. Les gens sont plus sympa à Gryffondor. C'est plus facile de devenir ami avec eux.

- Merci.

- Je parle pas de toi, rougit-t-il. T'es sympa. Mais en général, quoi. Et puis j'ai aucune envie de finir drogué à la rêveuse.

- Parce que tous les Poufsouffles sont des drogués ?

Ses oreilles se faisaient de plus en plus cramoisies. Mais je ne risquais pas de lâcher l'affaire. J'ai horreur des préjugés. Même si moi-même j'en étais pleine.

- C'est ce que m'a dit James.

Encore lui. Décidément, on allait être de bons copains, James Potter et moi.

- Alors arrête d'être naïf et de l'écouter. Pense par toi même. Observe et réfléchis. Sinon je me demande comment t'as pu faire marcher ton cerveau jusqu'ici. Je suppose que tu crois aussi au démon-vampire-épouvantail qui enlève les bons élèves inventé par les débiles pour faire peur aux plus travailleurs. Qu'on va voir des cyclopes à Treehall. Que la maladie de l'Oubli est une cochonnerie qu'on attrape de la Mort elle même. A côté Harry Potter c'est un documentaire.

Je restai un moment le nez dans le chaudron à m'acharner sur un gros morceau de glu durcie. Voyant que je m'esquintais le bras pour rien et que j'étais en train de manger mes cheveux, je relevai la tête et lâchai le grattoir. Hugo s'était arrêté et me regardait comme si j'étais complètement détraquée. Il dut s'apercevoir qu'il avait retenu sa respiration. Il souffla doucement.

- Wouahou. Faut que t'aille faire un tour à Ste Mangouste, toi.

- C'est ça, je rageai, déçue. La folle à l'asile.

- Désolé. C'est sorti tout seul. T'es flippante. Pourquoi tu me dis tout ça ?

- Parce que je te trouve complètement fermé.

- Laisse tomber, de toute façon aucun Gryffondor voudra être ami avec toi, c'est sûr.

- Tiens, c'est bien pratique, il reste encore tous les élèves des trois autres Maisons, ça me laisse le choix. Et puis tu t'es planté parce que c'est déjà fait, réalisai-je.

Alyss et Jess ne comptaient probablement pas pour rien. Enfin je supposais.

- Harry Potter ? dit-il après un moment de silence. C'est comme ça que s'appelle la Biographie chez les moldus ? Bizarre.

- Hum.

Je n'avais plus vraiment envie de tenir une conversation avec lui. C'est fou comme on passe rapidement de l'admiration au dédain.

- De toute façon ça reste les mêmes débilités, râla-t-il. Avec des histoires à dormir debout où il y a un méchant chaque fin d'année et où on combat avec de l'amour. Sérieusement.

C'était sûr. Mais je me murai dans le mutisme.

- Je crois que c'est depuis le jour où tonton Harry a appris ce que Pattenrond avait écrit qu'il est devenu allergique aux poils de chat.

J'avais très envie de rigoler un bon coup, mais ça l'aurait encouragé. Mon entêtement me força à redoubler d'efforts pour me focaliser sur une vieille tache douteuse. Je lui fis vite épuiser tous ses sujets de conversation, et je pus enfin profiter de ma retenue en silence.

Oui, beau paradoxe, moi appréciant le silence et qui plus est en récurant des chaudrons sales. Mais l'ascenseur émotionnel avait dû griller quelques neurones au passage.

- Pourquoi tu dis que le démon des cachots existe pas ? tenta-t-il après de longues minutes sans un mot. Je veux dire, il y a des preuves quand même.

Je soupirai. Son cas semblait désespéré. J'en fus donc réduite à expliquer pourquoi une invention aurait été inventée.

- Je comprends que ça pousse les élèves à pas se placer en tête de classe et que ça favorise les glandeurs, admit-il, mais il n'empêche que c'est pas du tout une invention. Si c'est pas ça, alors où est-ce qu'ils vont les élèves qui disparaissent ?

- Qui te dit que des élèves disparaissent ? rétorquai-je.

- Ben, tout le monde. Quand les élèves disparaissent, eh bien, hésita-t-il... ils sont plus là. Je sais pas trop comment expliquer plus précisément.

- Des élèves disparaissent pour de vrai ?

Je commençai à prendre cette histoire au sérieux pour la première fois depuis mon arrivée ici. Mais il fallait avouer que c'était complètement farfelu. Il éclata de rire devant mon air déboussolé.

- Ben oui ! Des fois, être naïf, ça évite de passer trois heures à vouloir prouver un truc évident et avoir l'air débile à l'arrivée.

Bien joué.

- Mais alors pourquoi est-ce qu'il y a douze mille histoires et théories différentes là-dessus ? Quand les élèves reviennent, ils peuvent raconter, non ?

- Ah, mais le problème, c'est qu'en majorité ils se souviennent de rien. Et ceux qui se souviennent, ils racontent tous des trucs différents. Chacun a sa théorie favorite. Il y a même des paris dessus, au cas où la vérité sortirait un jour. Mais bon, ça dure depuis plus de dix ans et personne a jamais avancé d'un millimètre vers la solution. Moi j'ai parié sur le démon des cachots. C'est pas très réaliste mais c'est la version qui ressort le plus souvent et si tu voyais les autres théories, franchement, celle-là paraît presque plausible.

- On a le droit d'en inventer ? Parce que j'en ai trouvé une. Il y a un sort détraqué à un endroit du château, qui envoie les élèves... Combien de temps ils disparaissent tu dis ?

- Je l'ai pas dit. Souvent deux mois. Mais ça dépend.

- Qui envoie les élèves deux mois dans le futur. Voilà. C'est normal qu'ils se souviennent de rien puisqu'il s'est rien passé. Fin de l'histoire, conclus-je avec triomphe.

- Ah, oui. J'avais pas pensé à ça. Peut-être que finalement, je vais plutôt adhérer à ta théorie. Honnêtement, le démon, ça sent la rêveuse à dix kilomètres, avoua-t-il avec un sourire en coin.

Le dédain m'avait quitté rapidement lui aussi. Pour laisser place à un peu de moquerie et un peu d'amusement. Un peu d'amitié, aussi, peut-être.

x

xxx

x

Mestick vint nous libérer avec une expression ravie bien après notre limite psychologique au raclage de chaudron. J'en étais à me demander si la punition allait aller jusqu'à nous laisser croupir là toute la nuit. J'avais nettoyé en tout et pour tout un demi-chaudron. Il faut reconnaître que la magie a des avantages merveilleux.

Nous sortîmes tous les deux avec l'espoir de voir la fin des sélections, mais il faisait déjà nuit et le repas du soir avait déjà débuté. Nous rejoignîmes rapidement la Grande Salle de peur ne plus rien avoir à dîner. La table des Poufsouffle était bruyante, comme à son habitude, mais je notai un grand nombre d'airs préoccupés. Un coup d'œil en direction de Zach et son air déçu suffit à me convaincre que les sélections ne s'étaient pas déroulées comme il l'avait prévu. J'eus un petit sentiment de vengeance accomplie. Bien fait pour ce vantard. J'allai m'installer entre Selina et Grace. Hugo alla se poser tout seul un peu plus loin. Ma tentative d'insertion n'avait pas du porter très loin le message dans le crâne du Weasley.

- On a qu'à faire tourner une pétition, non ?

- Laisse tomber, Zach, ça marchera jamais. Faut se faire une raison.

- Pas moyen que je laisse tomber. C'est pas à Waltz de faire sa loi. Il y a des règles. Lui, il en a rien a tamponner, il fout le bazar et c'est sur nous que ça retombe.

- De toute façon, toi au moins, t'as quand même des chances d'être intégré dans l'équipe, vu que ton cousin est capitaine. Nous on est déjà hors-jeu, râla un deuxième année assis à côté de Zach.

- C'est ça, je peux toujours rêver. Tu connais pas Elton. Ce croup a plus le sens de la justice que celui de la famille, je peux te l'assurer.

- Quelqu'un peut m'expliquer ce qu'il se passe ? j'intervins.

Le groupe parut me remarquer pour la première fois depuis que j'étais venue m'asseoir.

- Vas-y, Plumeau, raconte, moi j'en ai marre, pesta Zach.

Je la sentis frémir près de moi.

- J'aime pas trop ce surnom, et tu peux demander plus gentiment, remarqua-t-elle avec une retenue dont je n'aurais pas été capable.

- Je peux, fit-il avec un clin d'œil dans sa direction.

Il força un sourire et reprit sa conversation animée avec les deuxième années et Fergusson. Le visage de ma voisine passa du rouge timide à l'effarement complet.

- Oublie ce débile et dis-moi, lançai-je.

- Pas de soucis, c'est juste que ça me fait toujours de la peine, les gens bêtes. C'est mignon Plumeau, en plus. J'assume ma couette. C'est juste que ça se voit à dix kilomètres qu'ils disent ça pour me vexer alors ça m'énerve.

J'étais vraiment tombée sur une perle de copine. Je félicitai le hasard de nous avoir mis dans la même Maison. Je me notai mentalement que si un jour je me prenais la tête pour un truc, il suffirait que j'aille la voir pour qu'elle me persuade que ça n'avait pas d'importance.

- En fait, continua-t-elle, il y a eu un souci avec l'équipe des Serpentard.

J'eus un mauvais pressentiment. J'espérai que Kathleen s'était tenue loin des quatre crétins.

- C'est Kathleen ? Elle a encore des ennuis avec Eli ? interrogeai-je.

- Oui, c'est elle, hésita-t-elle.

- Quoi ?

- Mais c'est pas ce à quoi tu penses. Ses ennuis concernent pas Eli directement.

- Ne me dis pas qu'elle s'est mise d'autres personnes à dos, quand même, gémis-je.

- Eh bien, techniquement, elle vient de se mettre toute l'école à dos.

Je sentis mes espoirs balayés. Toute l'école ? C'était impossible.

- Mais... Comment est-ce que...

- Le pire c'est qu'elle y est pour rien, me coupa Selina.

- Je comprends plus rien à ce que tu me racontes.

- Le problème, c'est qu'elle a trop bien volé, soupira-t-elle. Du coup, le capitaine de l'équipe de Serpentard a voulu l'y faire entrer. Je te parle de la vraie équipe, là, pas de l'équipe Dragonneaux. Normalement, les première et deuxième année rentrent jamais dans l'équipe directement. Ils font leurs preuves dans l'équipe Dragonneaux, et s'ils sont bons, ils intègrent l'équipe en troisième année. Mais là, Waltz a complètement perdu la boule. Il a demandé à Hemingway s'il pouvait exceptionnellement faire griller les étapes à Kathleen et personne y a vu d'inconvénient, pas même Swan.

- Alors je vois pas où est le problème. Si tout le monde est d'accord.

- Attends. Parce que, du coup, toutes les autres équipes ont commencé à protester et ça a failli se finir en baston entre la batteuse des Serpentard et la capitaine des Gryffondor. Enfin bref, c'est vraiment la cata. Aux dernières nouvelles, Chourave est censée nous annoncer ce soir que les équipes Dragonneaux sont supprimées et que dorénavant les première et deuxième année peuvent être recrutés.

- Ah, je comprends mieux pourquoi Abruti n°1 fait une tête d'enterrement.

- Ouais. Fergusson et lui avaient été sélectionnés pour les Dragonneaux. Moi, à la limite, ça me fait une belle jambe, je vole comme une bouse.

- Au moins, la retenue m'aura rien fait rater au final, remarquai-je.

Le repas se termina effectivement sur l'annonce de Chourave, avec en dessert bonus un pudding si lourd qu'il était clairement là pour empêcher tout perturbateur de se bagarrer après le repas. La suppression des équipes fut très mal accueillie. La directrice fut huée, même par la table des Serpentard. Elle ajouta que les jeunes élèves pourraient tout de même constituer des équipes qui s'affronteraient en matchs amicaux.

Un peu plus tard dans la soirée, une fois rentrés à la salle commune, je remarquai que Zach avait repris une expression de vainqueur. Je décidai de m'adresser à Fergusson qui s'échinait sur sa DS.

- C'est parce que malgré tout ce qu'il a dit, son cousin l'a intégré dans l'équipe de Poufsouffle. Alors après, c'est pas la peine de parler de justice et compagnie. Tout est une question de piston, grogna-t-il, puis son visage s'éclaira. Sauf si un mec lambda trouve une idée de génie et qu'il la commercialise. Dans ce cas-là, mon gars, on appelle ça le Jackpot.

- Je suis pas un gars, rappelai-je. Elle avance ton idée de génie ?

Il présenta la console démontée avec une moue de dépit.

- Pas vraiment. Mais bon, je m'attendais pas à réussir dès la première semaine. J'ai demandé des conseils à Rosendale, et il trouve mon idée très intéressante, annonça-t-il avec fierté. Il m'a proposé de lui montrer comment j'avance, pour pouvoir m'aider si besoin. C'est génial !

- Tu me réserves un prototype pour quand il sera prêt ? Comme ça je pourrai m'en vanter si jamais tu deviens célèbre.

- Je suis imperméable à la flatterie, dit-t-il en se grattant les frisettes crépues maladroitement, mais si jamais j'en ai quelques uns en rab, je pourrai peut-être t'en garder. C'est parce que je suis sympa, hein ?

J'acquiesçai, l'esprit ailleurs. J'avais hâte de féliciter Kathleen le lendemain.

x

xxx

x

La deuxième semaine passa à une vitesse épouvantable. Les profs nous accablaient de devoirs et de leçons à réviser. Je commençai les cours de langues vivantes sans Selina, qui à ma grande déception, avait pris français en première langue. Langue que je parlais déjà couramment, comme vous avez pu le remarquer. J'entamai donc avec de l'espagnol, et découvris qu'apprendre à rouler les R vous transformait une classe en troupeau de limaces bégayant dans leur bave.

La prof de littérature était une cracmol qu'avait recommandé Rosendale. Le programme commençait par les mythes, légendes et contes. Nous allions étudier à la fois ceux des sorciers et ceux des moldus. D'après la prof, ils étaient souvent très proches, ou du moins de morale semblable, ce qui fit rire Philippa aux éclats, finissant de la faire passer pour une folle furieuse à mes yeux. Nous lûmes ensemble Blanche Neige et les Sept Nains et La Petite Ébène, deux contes à histoire similaire même si l'un était moldu et l'autre sorcier. Dans la version sorcière les nains étaient des gobelins et l'héroïne une demi-vélane dont la mère avait juré d'avoir la peau pour la même raison que dans le conte de Grimm.

A ma plus grande joie, je reçus ma première lettre de Will, jointe à celle de mes parents. Je me demandai comment ils avaient fait pour me la faire parvenir jusqu'ici étant donné que Poudlard ne devait pas être dans le registre d'adresses de la poste.

Chère Many,

J'espère que t'as pu t'incruster dans ton école de X-men, il faudra que tu me racontes si t'as réussi à faire léviter des trucs. J'ai un prof d'anglais à qui j'ai imaginé une petite blague et il ne manque que la touche finale, faire voler un cahier. J'attends ta réponse pour m'expliquer comment on fait ! Aussi, je me suis fait plein d'amis et je suis le premier de la classe, et tous les profs m'aiment bien. D'ailleurs je dois te laisser parce que mes amis m'attendent pour une partie de foot, et après je dois rejoindre une de mes deux petites copines pour une grenadine.

Réponds vite pour la lévitation c'est urgent !

Willam.

P.S. Tu crois que tu pourras rentrer pour les vacances de Noël ?

Je grimaçai pendant toute la lecture de la lettre, traitant mentalement Willie de mythomane égocentrique. Mais le post-scriptum me rendit le sourire. Apparemment, je lui manquais aussi. Évidemment que je rentrerais pour Noël. Quoique, est-ce que ça serait possible depuis Treehall ? Il y avait quand même un océan à traverser.

Je rangeai précieusement la lettre au fond de ma valise et filai en compagnie de Selina en cours de Sortilèges. Je profitai de m'installer près de Kathleen pour lui soutirer des informations sur son premier entraînement de Quidditch. Comme d'habitude, le cours était un bazar sans nom, mené par Zach qui trouvait toujours une façon originale d'ennuyer le prof.

- Alors, t'as attrapé ton premier vif d'or ?

- Oui, répondit-elle avec un sourire gêné. C'était vraiment génial.

Une bouffée de soulagement m'envahit. Je ne sais pas à quoi je m'attendais, mais avec sa poisse récurrente, j'avais peur d'un nouvel échec social se sa part.

- Vas-y, développe, l'encourageai-je. L'équipe est sympa ?

Je regrettai ma question en pensant que des Serpentard de plusieurs années de plus qu'elle n'avaient pas dû l'accueillir aimablement.

- Ils sont super gentils, avoua-t-elle et j'eus honte de mes préjugés. Tony Waltz, c'est le capitaine, il m'a fait beaucoup trop de compliments. J'ai cru que les autres allaient m'en vouloir mais en fait c'est tout le contraire. Ils m'ont félicitée et Scylla m'a même dit que j'allais enfin leur faire gagner la coupe.

- Scylla ?

- Ah, pardon. C'est la batteuse. Je crois que toute l'école surnomme nos batteurs Charybde et Scylla depuis qu'une fois ils ont vaincu Gryffondor en mettant KO toute l'équipe à coup de cognard. C'est Tony qui m'a raconté ça en me les présentant. J'ai eu un peu peur sur le coup mais au final ce sont ceux qui ont été le plus gentil avec moi.

- Et ça veut dire quoi, ça, Charybde et Scylla ? demandai-je.

- Des monstres de la mythologie grecque, intervint Selina. Dans l'Odyssée. Le bateau d'Ulysse doit passer entre les deux sans sombrer. Mais le truc c'est que même une fois passé Charybde in extremis, il reste Scylla pour vous couler. Ulysse s'en sort mais c'est bien parce que c'est le héros.

- Merci pour ce petit cours de littérature, murmurai-je impressionnée. La prochaine fois que j'aurai besoin d'un dico, je saurai à qui m'adresser.

- PLUMEAU, A TOI ! hurla quelqu'un.

Je fis volte-face juste à temps pour éviter un crapaud nain qui volait dans ma direction. Selina se baissa et Kathleen se prit le batracien de plein fouet. L'animal reprit ses esprits sur le sommet de son crâne puis bondit en croassant. La classe éclata de rire, le professeur Lore gémit un « calmez-vous sinon... », et Zach se leva.

- J'ai dit « à toi », pas « évite », lança-t-il. Maintenant il est perdu. Tu sais combien de temps j'ai mis à le capturer ?

- En plus, grâce à toi, Plumeau, Kathleen est encore plus dégueu que d'habitude, renchérit Eli avec qui il jouait à s'envoyer le crapaud. C'est de la pollution visuelle, meuf !

- Toi, la ramène pas, s'interposa Zach. Je suis le seul ici à avoir le droit de traiter Selina de Plumeau ! Et le plus dégueu, dans cette pièce, c'est encore toi.

- Répète ça, le Paki' ? Qui es degueu ? Tu t'es vu avec ta coupe de balai-brosse ? Je penserai à t'engager toi et ta famille pour venir brosser mon paillasson.

- Je suis écossais, espèce de bouse, et on a la même coupe, abruti ! T'es vraiment stupide, je rêve !

- S'il vous plaît, geignit le prof d'une voix suraiguë, allez vous asseoir.

La cloche annonça la fin du cours avant que Zach et Eli aient pu finir leur joute verbale. La classe se précipita dehors avant que Lore ait eu le temps de donner des devoirs.

- Kathleen, avant de t'enfuir, c'est quand tes prochaines séances d'entraînement ? demandai-je. J'aurais bien aimé te voir voler.

- C'est le jeudi soir normalement, mais je suis pas sûre qu'on ait le droit d'amener des spectateurs, surtout de Maisons adverses. A cause des stratégies, tout ça.

- Ah oui, dommage. J'y avais pas pensé.

Le soir, dans la salle commune, alors que j'observais Fergusson bidouiller sa DS, le chat isabelle se glissa dans le fauteuil avec moi. Il n'avait pas dit un mot depuis ce jour-là sur le Chemin de Traverse.

- Un jour il faudrait que j'arrête de t'appeler « le chat » et que je te donne un vrai nom, non ?

Elle cligna des yeux lentement et commença à ronronner en se frottant à moi. Je passai la main droite derrière ses oreilles.

- Minette ?

Des griffes se plantèrent à travers le jean.

- Aïe ! D'accord, c'est moche. Je vais demander de l'aide à Selina.

Elle était en train de lire un livre de sortilèges gros comme une encyclopédie.

- Tu m'aiderais à trouver un nom à cet animal ? m'enquis-je en hissant le chat sur son manuel.

- Sly... hmm... Bernard ? fit-elle en gardant les yeux baissés sur sa lecture.

Les griffes se plantèrent à nouveau.

- Non, gémis-je. C'est une femelle.

- Bernarde.

- Aïe. Tu m'aides pas vraiment, là.

- Bah, je sais pas trop. Tu connais des noms de chat, toi ?

- Nala, comme dans Le Roi Lion. Pattenrond, mais prof Lettriminel va me tuer. Féline. Garfield ?

- Tu vois que t'as pas vraiment besoin de moi, s'amusa Selina.

- Oui, c'est vrai. En plus elle a l'air d'avoir bien aimé ceux-là. Tu veux lequel ? m'adressai-je au chat. Nala ? Féline ?

- Miaou, dit-elle en posant son museau mouillé sur ma main.

- Féline, ça te plaît ? C'est pas très différent de Minou ou Le Chat, je trouve. Aïe !

- Malany... Tu parles à un chat, s'inquiéta Selina.

- Ouais, je crois que je deviens cinglée, répondis-je presque sincèrement.

J'avais peut-être rêvé que le chat m'avait parlé. Peut-être qu'il s'agissait au final d'un chat ordinaire. J'aurais peut-être du acheter un hibou, comme tout le monde.

x

xxx

x

La journée du vendredi était épouvantable. Nous devions enchaîner Sortilèges sur Histoire de la Magie et l'après-midi Astronomie sur Métamorphose et Espagnol, tous des cours ennuyeux ou avec tellement de chahut qu'il était impossible de suivre la leçon du jour.

Nous sortîmes donc d'Astronomie épuisés mais heureux d'être en week-end.

- Vivement que la vieille Sinistra parte à la retraite. Chaque fois, j'ai l'impression que le cours d'Astronomie dure le triple de temps. Et la nuit tombée n'aide pas, déclara Zach, formulant tout haut ce que tous pensaient.

- C'est clair, je comprends pas pourquoi... c'est quoi ce bruit ?

Un battement sourd résonnait en provenance des murs. D'abord faible, il s'accentuait à mesure que nous avancions, jusqu'à sentir les vibrations sous nos pieds.

- Euh, les gars, ça vient de chez nous ça, s'inquiéta Fergusson.

Un cri étouffé par les murs nous parvint, et il ajouta « Ouais, et j'ai comme un pressentiment. On pourrait aller faire un tour à la bibliothèque, non ? Qu'est-ce que t'en dis ? ». Grace hocha la tête. « On se retrouve plus tard, hein ? A plus ! ».

- Attends ! On sait pas du tout ce qu'il se passe là-bas. Il y a peut-être un troll dans la salle commune, ou un truc du genre. Tu vas pas nous laisser seuls et te défiler ? lançai-je.

- Et bien en fait, si. Bonne chance. Passez le bonjour au troll de ma part.

- Je plaisantais en parlant d'un troll ! Mais avoue que ce bruit te file la trouille et que tu préfères te sauver que d'aller jeter un œil. T'es une poule mouillée !

- Exactement, confirma-t-il.

- Vous êtes ridicules. C'est le bizutage.

Zach s'était arrêté un peu plus loin et affichait un air de dépit total. Le battement résonnait toujours, et des cris perçaient de temps en temps. En fait, on aurait plus dit le son qu'aurait fait un concert encastré de force dans une boîte de conserve remplie de coton. Je me sentis bête avec mon troll.

- Désolée si ça paraît bête mais c'est quoi un bi-sutage exactement, demanda Selina. C'est dangereux ? On ferait peut-être mieux d'aller prévenir un professeur.

- Vous verrez bien, grogna Zach, c'est une surprise que nous font les autres années pour nous accueillir. Une tradition. J'ai juré à mes frères que je dirais rien. Mais sachez que cette année c'est moi qui vais gagner, ajouta-t-il avec un sourire en coin.

Il alla toquer contre le tonneau et je le suivis avec Selina en poussant Grace, Cedric et Nicholas Fergusson qui semblaient plus que réticents à rencontrer un bizutage, même dans la possibilité où il serait moins dangereux qu'un troll. Hugo suivait sans un mot et entra dans la salle commune juste derrière nous.

Une explosion de musique, de cris, de couleurs et de lumière vint me percuter comme un ouragan. Je distinguai une foule de gens beaucoup plus grands que moi et quelques banderoles avant d'être engloutie par un groupe de six ou septième années et poussée au milieu. Nous n'étions pas les premiers. Je reconnus d'autres première année, Kathleen, Alyss et Jess. En quelques secondes les cris se changèrent en hurlements et rugissements. Meuglements, parfois. Tout le monde ne peut pas avoir hérité de classe et distinction.

- AAAAAAAAAAHHHH !

- Les voilàààààà !

- ... and my dragon was a ROCK STAR ! He set my ears on FIRE ! …

- Chuuuuuut !

- Bizu-TAAAAAge !

- Aouuuh !

- LA FERME ! J'explique ! Le prochain qui...

- Meuh !

Il y eut un bruit sourd et un « aïeeeuh » venant de quelque part dans la foule. Quelqu'un baissa le son de la musique.

- ... parle, je lui balance ma chaussure.

Celui qui s'exprimait était un septième année massif aux oreilles décollées. Je ne connaissais pas son nom alors je décidai de le surnommer Uruk-hai en attendant, en hommage à la main blanche imprimée sur son sweat.

- Bon ! Tous les piou-piou sont arrivés. Je vais expliquer les règles du jeu. Je sais que vous savez déjà mais s'il vous plaît, un peu de respect pour nos gnomes adorés. Les première année, attendez sagement que j'aie fini d'expliquer et ensuite vous pourrez poser vos questions, ajouta-t-il à l'intention d'une asperge à lunettes le doigt levé depuis un bon moment. Et baisse les bras, j'ai l'impression d'être Noodle avec ses règles à la con.

La fille se recula de quelques pouces. Uruk-hai s'adoucit et enchaîna en se caressant la barbiche.

- Aussi, sachez que ceci est un jeu, et que donc le but est que tout le monde s'amuse. Vous pouvez partir si vous le souhaitez, par contre, seuls ceux ayant été bizutés pourront bizuter à leur tour les années suivantes. Ça me semble logique. Ceux qui vont jouer inscriront leur nom sur ce parchemin. Ils s'engagent à suivre toutes les règles, ou se verront transformés en crapaud... Sauf vous, les Poufsouffle, dit-il en pointant Zach du doigt. Vous, vous avez interdiction de vous défiler.

- Tu vas en baver, mon Riri-d'amour, minauda un garçon aux épaules larges et aux cheveux mi-longs en bataille.

- Marvin, tu veux ma deuxième chaussure ? gronda Uruk-hai. On lancera le jeu à dix heures, au moment où le concierge commence sa garde aux cachots. Ça vous laissera le temps de vous éparpiller avant qu'il ne refasse surface. Après, ce sera à vous de vous débrouiller. Vous avez tout le château. Interdiction de se cacher à l'extérieur. Nous, on vous laissera dix minutes. Ensuite la chasse au gnome commence. Le dernier trouvé devient l'ombric de sa promo. Vous lui devrez du respect. Même si vous n'êtes pas dans la même Maison, parce qu'il est le référent des quatre Maisons et le garant de l'amitié entre elles. Le premier trouvé, en revanche, ferait bien d'apprendre à transplaner vitesse éclair. Méfiez-vous les petits loups, si j'en attrape un par la queue, il va goûter de ma soupe aux acromantules. Parce que chez nous, l'ombric, c'est moi. Et ce soir, j'ai tous les droits.

x

xxx

x

Je poussai Selina dans le couloir de droite quand j'aperçus un de nos aînés qui nous tournait le dos dans celui d'en face. Je lui fis signe de ne pas faire de bruit et nous reprîmes notre course. Nous dépassâmes deux filles encastrées derrière un meuble. Elles allaient se faire trouver rapidement. Tant mieux. Je n'avais pas envie de savoir ce que Huruk-hai réservait au perdant. Avec Selina nous nous étions mises d'accord pour rester toujours en mouvement. Avec prudence, nous nous déplacions depuis une demi-heure dans les différents étages du château. Nous avons vite compris que les escaliers étaient un passage risqué. Nous restâmes donc au troisième étage.

A un tournant, nous arrivâmes sur un décors étrange. La pierre était fissurée du sol au plafond en de multiples endroits et de la végétation s'en échappait parfois.

- C'est quoi cet endroit ?

- Regarde, il y a une porte, montra Selina. Elle est verrouillée.

- Ce serait pas l'aile abandonnée ? suggérai-je alors que le discours de Chourave me revenait en tête. Celle en ruine.

- Si, probablement. Mais elle est interdite d'accès, alors on ferait mieux de continuer.

- Tu réalises que si on se planque là-dedans, personne risque de nous retrouver, remarquai-je. Même pas besoin de s'y enfoncer beaucoup. Il suffit juste qu'on se mette derrière cette porte. On gagne direct.

- Oui mais j'ai peur que personne nous retrouve tout court. Je te rappelle que si elle est interdite, c'est probablement pas pour rien. Qui sait ce qu'on risque de trouver derrière. Une oubliette ? Un psychopathe ? Des insectes mutants ? Je préfère qu'on trouve une autre cachette.

- Bon, d'accord, mais ça titille ma curiosité. Tu veux pas qu'on jette un œil ?

Selina soupira. Puis elle sortit sa baguette pour lancer un Alohomora sur la porte. Un déclic retentit. Je m'avançai. Elle fit un bruit de ferraille en s'ouvrant. Elle était épaisse d'au moins vingt centimètres et entièrement faite de métal.

Derrière elle, une autre porte.

- Hé ! Il y en a deux ici !

Un groupe de bizuteurs était apparu au bout du couloir. Ils entamèrent un pas de course.

- Selina, on s'en va !

La fuite fut vaine. Ils nous rattrapèrent en moins de deux minutes.

- Bien joué les gnomes, mais on a été plus rapides.

x

xxx

x

Nous retrouvâmes Kathleen et Alyss assis dans la salle commune déjà en fête. La musique jouait à fond, et le jus de citrouille coulait à flots.

Au bout de deux heures, Huruk-hai demanda le silence.

- Les gnomes ! Comptez-vous ! Combien est-ce qu'il en reste dehors ?

Nous étions presque au complet. Il ne manquait qu'une personne sur le nombre de départ.

- Regardez si tous vos petits copains gnomes sont revenus, tonna Huruk-hai. Sauf si vous avez pas d'amis.

Selina était là. Les Poufsouffle étaient au complet, même Cedric et Hugo. Zach était d'ailleurs vexé de ne pas avoir gagné et curieux de savoir qui lui avait ravi le titre. Ce fut Alyss qui se manifesta.

- Il manque Rowe, dit-il. Rowena Fox. On s'est tout de suite séparés pour aller se cacher, alors je sais pas du tout où elle est allée.

La plus jeune fille de Monsieur Fox. Kathleen non plus ne savait pas où elle était partie. Huruk-hai déclara qu'il était temps d'abandonner les recherches et de faire la fête. Elle reviendrait d'elle-même, et il serait toujours là pour la féliciter et lui remettre le titre.

A minuit, elle n'était toujours pas rentrée. Alyss commença à s'inquiéter.

- C'est pas son genre de rester comme ça toute seule dans son coin. Elle aurait du rentrer depuis longtemps. C'est pas normal.

Au milieu de la nuit, les gens commencèrent à partir se coucher. Elle n'était toujours pas là. Vers 3h du matin, je partis me coucher aussi.

Le lendemain matin, elle n'était pas revenue. Alyss et Kathleen l'attendirent toute la journée, mais le soir du lendemain elle n'était pas rentrée non plus.

Ni le surlendemain.

Ni la semaine d'après.

Octobre passa.

Le mois de Novembre fut entamé sans signe de Rowena. Les élèves se mirent à reparler du démon des cachots.

La veille du départ pour Treehall, elle n'avait pas reparu. Je fis ma valise avec une petite pointe d'inquiétude. Si elle revenait pendant que nous étions à Treehall, comment est-ce qu'elle allait faire toute seule dans l'école ?

Elle refit surface le matin du départ, sans le moindre souvenir depuis le soir du bizutage.

/