Chapitre 5 : Treehall


Chère Many,

C'est trop nul que tu sois obligée de rester avec les autres mutants pendant les vacances de Noël. Moi, je m'ennuie ici. Il n'y a absolument rien à faire, personne à embêter. Je me sens un peu comme Batman sans le Joker. (Comme tu es un peu lente à comprendre le second degré, je précise pour que tu ne le prenne pas mal que j'ai cité le Joker en référence à ton sourire enchanteur.) Mais bon, je suppose que le professeur Lettriminel a besoin de toi pour sauver le monde ou d'autres trucs du genre. Comment il s'appelait déjà ? Charles, non ? C'est bizarre, il aurait pas dû être en fauteuil roulant normalement ? Tu m'expliqueras la prochaine fois qu'on se verra. Ça doit être un truc de mutants, ça, de se régénérer.

Enfin, comme j'étais sur le point de mourir d'ennui, il m'est venu une idée. C'est un cadeau pour toi. Je l'ai donné au hibou du ministère, j'espère qu'il l'aura bien porté jusqu'à toi. Je l'ai empaqueté avec amour et tendresse (et deux trois trucs que j'ai piqué à ma sœur, mais c'est un secret, tu n'as pas intérêt à le lui dire, elle cherche encore « le troufion qui a mis son sale nez dans ses affaires pour lui arracher les yeux »), alors fais-en bon usage. Joyeux Noël !

William.

P.S. Je me suis renseigné sur la magie. Dans Harry Potter 7 ils disent que l'amour est la plus forte des magies. Alors je veux que tu le gardes tout le temps sur toi, il te protégera contre les demi-vampires demi-loup-garous demi-zombies qui pourraient t'attaquer.

P.P.S. D'ailleurs il faudra que tu m'aides à trouver un nom à ce hibou, parce qu'il s'appelle Merlin et que c'est pourri.

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Je reposai la lettre de Will sous le sapin de la salle du Raton et ramassai le paquet censé contenir une arme contre des éventuels monstres. Monstres qui avaient de toute évidence un demi de trop. Le papier-cadeau était un journal datant d'il y a quelques jours avec à la une les conséquences du naufrage d'un cargo plein de whisky dans les communautés de saumons. Je le tâtai avec appréhension. Willie qui s'ennuyait était plus dangereux qu'une bombe atomique sous commande manuelle confiée à un parkinsonien. Et le ton mielleux de sa lettre n'arrangeait pas ma méfiance.

Je déchirai lentement le papier, avec une infinie précaution, dévoilai son contenu centimètres par centimètres, et écarquillai les yeux de bonheur. Non, ça c'était dans mes rêves. Entre mes mains fit son apparition un horrible serre-tête rose fluo. Tout fin, en plastique semi-transparent, avec des dents pour tenir dans les cheveux. Et il espérait que j'allais porter ça ?

- Will, je te hais, pensai-je à voix haute.

Parce que maintenant, c'était un cadeau, offert avec amour, par Will. Et que, même moche, il me ferait penser à lui. J'avais besoin de mon ami près de moi. Il me manquait.

Je déposai la chose au sommet de ma tête blonde avec précaution comme si le fait de le faire entrer en contact avec le moins de surface de mon corps possible allait le rendre plus seyant.

- T'as gagné, espèce de sale chacal. Je suis une pauvre mutante manipulable et sensible.

- A qui tu parles ? Berk, c'est quoi cette horreur ?

Zach me dévisageait avec dégoût. Il avait lui aussi quelques paquets devant lui. Nous étions rassemblés dans la salle du Raton, autour d'un grand sapin. Une multitude de paquets, de toutes tailles, débordaient de son pied. J'avais pris Féline avec moi pour la sortir un peu du dortoir où elle dormait toute la journée. Elle jouait avec un morceau de scotch du papier journal de Will. J'avais fini par accepter le fait d'avoir rêvé ce chat parlant. Féline était ordinaire, soit, mais particulièrement inventive quant à faire des crasses à mes compagnes de dortoir.

Une grande partie des élèves était encore en train de fouiller à la recherche d'un cadeau à son nom. L'aile du Raton avait été attribuée à Poufsouffle quand nous étions arrivés à Treehall le mois dernier. Les trois autres Maisons avaient eu droit aussi à leur coin privé. Celles du Chat, de l'Aigle, et du Serpent. Chacune était en fait une suite de salles immenses, dont les dortoirs.

En réalité, c'était l'école de Treehall toute entière qui était titanesque. Elle avait été creusée dans un arbre de taille monstrueuse. Le château de Poudlard aurait fait figure de nain à côté. Et ce n'était que la partie émergée de l'iceberg.

Au sens propre.

L'école s'enfonçait en profondeur dans de multiples sous-sols aménagés dans les racines, la terre et la pierre.

Plus on avançait dans l'hiver, plus le froid devenait insupportable, et plus les habitants de l'école se déplaçaient dans des étages de plus en plus profonds, là où la terre gardait la chaleur. Maintenant, en plein mois de Décembre, le Tronc et les Branches étaient désertés, à l'exception des cours de balai volant, une véritable épreuve pour nous chaque semaine. Notre dortoir se trouvait au dixième étage sub-litière et il y régnait une chaleur agréable. On nous avait placés là dès notre arrivée, même si les autres occupants de Treehall n'allaient déménager dans les quartiers hivernaux que deux semaines plus tard. A présent, eux aussi avaient quitté le Tronc et résidaient aux étages Humus.

Bon, tout ça ne vous dit probablement pas grand chose. Comment donner un aperçu de ce colosse qu'était Treehall et son jargon de végétarien ? Autant avoir une vue d'ensemble. C'était ce qu'avait fait la directrice pour nous expliquer le fonctionnement de son école.

Il suffisait de voir le sol comme le niveau zéro. Au-dessus, il y avait les secteurs aériens, soit le Tronc et les Branches, et au-dessous, les secteurs sub-litièriens. C'est là que ça se compliquait. On comptait les étages à l'envers, à partir du niveau zéro. En allant vers la profondeur, on avait le secteur du Sol ou de la Litière, puis de l'Humus, le secteur le plus habité de l'année. Encore plus bas, le secteur du Sous-sol puis le mystérieux secteur de la Roche à partir du quarantième étage sub-litière au moins. Ces deux derniers étaient inondables. Il y avait des sortilèges à leur entrée prévenant les élèves que l'accès y était interdit en automne et au printemps.

- Ho, Malany ? s'impatienta Zach. Tu es au milieu. Il y a un cadeau pour moi sous tes fesses.

Il hésita, et ses yeux s'éclairèrent comme à chaque fois qu'il allait sortir un truc stupide.

- Pardon, votre majesté. Loin de moi l'idée d'insulter votre royal postérieur, articula-t-il en fixant mon nouvel accessoire. Et toutes mes condoléances à votre dignité perdue.

- Ma dignité se porte bien, Andersen, râlai-je. C'est un cadeau de mon meilleur ami, c'est l'intention qui compte.

Je savais pertinemment que Will avait justement eu l'intention de m'offrir un machin horrible. Je savais qu'il disait ça pour rigoler. Mais Zach m'exaspérait à chaque fois qu'il ouvrait la bouche. C'était plus fort que moi.

- Faut pas s'énerver, c'est gentil, s'excusa-t-il. Plumeau a beaucoup plus d'humour que toi.

Il n'avait toujours pas laissé tomber le surnom. Avec Selina, nous avions convenu que je la surnomme aussi Plumeau pour donner une meilleure connotation au mot. Nous avions espéré que les autres le laisseraient tomber après ça.

Loin de là.

Apollo et Harry le disaient toujours avec un ton moqueur. Leurs copains de Gryffondor et la bande d'Eli l'avaient repris aussi. En revanche, Zach avait une façon amicale de le dire.

- Plumeau est beaucoup plus tolérante que moi à propos de ton crâne de moineau, avouai-je.

- Ouuuh, j'aurais pas aimé, envoya une voix dont l'accent écossais encore plus marqué que celui de Zach démasquait son propriétaire dans la demi-seconde. Elle t'a mouché, Riri-chou.

Steven Andersen. De deux ans son aîné, et aussi deux fois plus stupide.

- La ferme, Steven, grogna Zach. De qui tu crois que je le tiens, mon crâne de moineau ?

- Promis sur la tête de maman, je jure que c'est pas moi ta mère, ironisa Steven.

- Un peu de respect, les gars, temporisa un troisième avec les cheveux tirés en arrière. C'est de votre mère dont vous parlez.

Justin Andersen. Un cousin germain de Zach dont les efforts pour masquer son accent campagnard teintaient de ridicule le ton péremptoire qu'il employait. J'attendis en comptant les secondes. Steven n'allait pas tarder à lui répondre de la manière habituelle.

- J'ai les oreilles qui bourdonnent, aujourd'hui, s'interrogea-t-il.

- Ne fais pas comme si j'étais pas là ! Ouf ! suffoqua-t-il quand un quatrième, bien bâti, celui-là, lui envoya une tape musclée entre les omoplates.

- Relax, cousin, je parie que maman aurait été la première morte de rire.

Que venaient faire tous ces Andersen au même moment au même endroit ? On aurait dit une jolie famille de vautours attirés autour d'une charogne. Restait à savoir qui était la charogne. Il ne me fallut pas longtemps avant de comprendre. Les paquets de la famille avaient été déposés en un même tas dans ce coin du sapin.

J'observai le dernier arrivé. Marvin Andersen. Une pile chargée de blagues, au plus grand malheur de ses chers frères, qui étaient ses cibles de choix. Sûrement parce que c'était l'aîné de la fratrie.

- Qu'est-ce que t'en sais, grommela Justin. T'es devin ?

- Non, ça, rit-il, ça risque pas, même avec Firenze comme prof pendant un an il y a un bail je comprenais rien à ses histoires de conjonctions de constellations.

- C'est parce que Firenze était nul, le rassura Steven. L'indien qu'on a cette année il est complètement taré, on rigole bien.

- L'indien ? s'étonna Zach. Tu parles du gars bizarre avec les plumes et tout ? C'est un prof ?

- Ouais, de Divination, et on fait que fumer le calumet de la paix pendant ses cours. C'est le rêve, mon frère, nargua Steven. De la fumette gratuite, et personne pour te dire que c'est mauvais.

- J'hallucine, se lamenta Marvin en s'asseyant de dépit. Dire que je me tape Lore ! On a la chance d'essayer des profs nouveaux, et là, quoi ? Lore ?

- Bah, t'as Bean, essaya une amie de Steven.

- Un bouffon, affirma-t-il sans énergie.

Il fallait bien équilibrer. On avait gardé la moitié de nos profs de Poudlard, et l'autre moitié des cours étaient donnés par des profs de Treehall.

- Il faut bien équilibrer, fit Selina avec un haussement d'épaules. On a gardé la moitié de nos profs de Poudlard, mais pas forcément les mêmes selon l'année.

Qu'est-ce qu'il s'était passé ? J'avais encore eu une intrusion de pensées venant de quelqu'un d'autre. Venant de Selina, cette fois. C'était effrayant.

- Je sais bien, admit Marvin. C'est tout à fait logique. Mais pourquoi je suis tombée sur la moitié moisie ? Lore !

- Moi aussi j'ai la moitié moisie, fit Justin. J'en fais pas tout un plat.

- Oui mais toi, Justin, personne te plaint parce que tu emmerdes tout le monde, répliqua-t-il. Laisse moi dans mon moment tragique. S'il-te-plaît.

Il se détourna et reprit sa respiration.

- Lore ! s'exclama-t-il en s'allongeant brutalement sur le dos, les bras en croix. Noodle ! Swan l'affreuse ! Lore ! LORE, bordel ! Alors que le prof de Sortilèges de Treehall a l'air si cool !

Il se recroquevilla autour des tibias d'une des filles de son année, mince avec des cheveux courts qui partaient dans tous les sens.

- Tu me comprends, toi, gémit-il d'une petite voix d'enfant.

- T'es pas si bête, Marvin, au final, remarqua-t-elle d'un air détaché. Peut-être que je vais accepter ton invitation au bal.

- C'est vrai ? demanda-t-il comme si c'était le meilleur cadeau qu'il puisse recevoir.

En réponse, elle se baissa et lui posa un baiser. Quand elle se redressa, Marvin se mit à ronronner et à frotter sa joue à ses jambes amoureusement. Ses cheveux mi-longs en bataille s'emmêlaient contre le mollet de la fille.

J'interrogeai Selina du regard devant ce spectacle étrange. Elle haussa les épaules.

- J'ai jamais vu un couple aussi bizarre, avoua Zach, les sourcils froncés toujours en direction de son frère.

Il reporta sa concentration sur le paquet qu'il était en train d'ouvrir, une collection de balais de compétition miniatures qui s'envolèrent à peine libérés du papier. Il tournoyèrent un moment autour de sa tête avant de s'immobiliser en rang d'oignon devant son nez.

- Ouais ! s'écria-t-il. Génial !

J'avais reçu une carte de mes parents, aussi, avec un énorme jeu d'échecs. J'eus un poil de regret. Je voulais ce cadeau depuis l'an dernier. Je leur en avais parlé des milliers de fois. Mais maintenant que Selina m'avait montré le jeu d'échecs version sorcier, celui-ci me paraissait comme mort.

La plupart des élèves autour de moi avaient eu des cadeaux magiques ou enchantés. Sauf Selina. Ses parents lui avaient offert une jolie chaîne en argent. Selina resta bouche bée pendant un moment.

- Ça va ? demandai-je.

Il lui fallut un temps pour me répondre.

- C'est la première fois que j'ai quelque chose d'aussi beau. C'était celle de... ma grand-mère, ajouta-elle vivement après quelques instants de contemplation.

Un bruit attira notre attention. Steven et Justin avaient haussé le ton. Steven s'approcha et empoigna son cousin comme s'il l'avait insulté.

- Calme-toi, Steevie-joli, lança Marvin depuis le sol où il était resté blotti. Tout le monde sait que Justin a une tête de con. C'est pas une raison pour y taper dessus.

- Cet enfoiré a dit que j'étais la honte de la famille, tonna Steven.

- Oui, voilà, c'est ce que je disais, ajouta Marvin. Une tête de con. CQFD.

- Je maintiens ce que j'ai dit, insista Justin.

Je m'attendais à un coup, ou au moins une riposte en insultes, mais rien ne vint. Steven recula d'un pas et Justin baissa les yeux.

- Salut, Elton, marmonna Marvin.

Il y eut un instant de flottement. La plupart des groupes d'élèves qui s'affairaient autour de l'arbre continuèrent de discuter et de s'esclaffer. Le niveau sonore ne se modifia pas d'un poil. Ce fut plus subtil que ça. Elton Andersen passa tranquillement près de moi sans que je lui accorde grande attention. Il n'avait ni un physique grandiose ni un débit de parole supersonique comme Marvin. Ses cheveux noirs étaient portés longs sur les épaules, aussi soyeux qu'auraient pu l'être ceux d'une fille. Il était plus fin que son cousin et à peine plus grand.

Ce qui le rendait différent, il ne le portait pas sur lui. Son charisme transparaissait à travers les autres. Quelques uns seulement stoppèrent leur conversation pour le saluer. Mais quelques uns, quand ils agissent au même instant, sont une foule. Quelques « salut » respectueux interrompent votre fil de pensées, et quelques têtes tournées vers une même personne vous font poser les yeux sur elle.

- Salut, dit-il à Marvin qui s'efforça de reprendre une contenance. On m'a dit que nos cadeaux étaient avec ceux des première année.

- Le tien est là-bas, répondit son cousin en désignant le tas près de Zach.

Je remarquai l'insigne de Préfet-en-chef accroché au tissu de son uniforme quand il s'avança. Pas étonnant que les gens s'adressent à lui de cette façon, surtout qu'il était déjà capitaine de l'équipe de Quidditch.

- Attrape, Elton, fit son plus jeune cousin en lui passant un livre énorme enveloppé dans un ruban.

- Je m'attendais presque à entendre Zach l'appeler « Monsieur le Président », glissai-je à Selina. Dommage, j'aurais bien ri.

Elle pouffa discrètement et Féline fit un petit bruit. Ça peut paraître bête mais pendant une seconde j'avais pris ça pour un rire. Puis je réalisai qu'elle avait juste éternué.

Il fallait que j'arrête de psychoter sur ce chat.

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J'étais loin d'imaginer ce qu'était le vrai froid avant ce dernier week-end des vacances. Professeur Armstrong, la directrice à plumes de Treehall, annonça un soir que les sorties de l'école seraient dorénavant impossibles jusqu'au mois de Mars.

Nous étions rassemblés comme tous les soirs dans la salle qui donnait son nom à l'école, la Salle de l'Arbre, ou la Salle Sylvestre comme l'appelaient certain profs. C'était le lieu le plus vaste de l'étage Humus, et probablement de toute l'école. Elle ressemblait à une cathédrale boisée, mais qui aurait défié la gravité par sa taille et par son absence de colonne de soutien. Il y avait des colonnes, oui, mais elles étaient si fines en comparaison avec la hauteur des voûtes qu'il était évident qu'elles ne servaient qu'à décorer.

Les murs de la salle laissaient jaillir en relief quatre titanesques sculptures en bois représentant des animaux. Devant chacun, une phrase flottait en écriture irisée que faisaient scintiller les raies de lumière. J'imaginai qu'il devait s'agir de la devise de leurs quatre Maisons. Je tentai de les déchiffrer, mais la luminosité de clairière rendait la tâche difficile. L'animal le plus reconnaissable était un ours, devant lequel scintillait L'Ourse terrasse l'ouragan pour ses oursons. Je reconnus aussi une sorte de cheval et Respect et sincérité devant. De l'autre côté je crus reconnaître un gros oiseau, peut-être un vautour, avec simplement écrit Patience. Presque derrière moi j'apercevais un insecte ignoble qui ressemblait à un très, très gros scorpion derrière Nous sommes déjà là. Leurs devises me faisaient froid dans le dos. On était loin des prétendues Maisons de bisounours d'Ilvermorny décrites sur Pottermore. Mon œil capta tout à fait en arrière une cinquième statue en bois bondissant du mur, plus petite et sans rien inscrit devant, représentant un chien ou un petit loup.

La végétation était omniprésente, depuis les plantes grimpantes envahissant la quasi-totalité des surfaces aux épaisses racines qui traversaient la salle de part en part. Et l'atmosphère forestière qui y régnait puait la magie à des kilomètres. Que se soit pour tenir la structure en place ou pour donner cette luminosité féerique, il n'y avait rien de rationnel. Des puits de jour perçaient le plafond en de multiples endroits, mais il était impossible qu'une lumière aussi limpide atteigne des étages aussi profondément enterrés.

- Les cours ayant lieu aux étages Litière déménagent à l'étage Sous-sol à partir de lundi, annonça Armstrong. Les professeurs responsables de chaque Tribu feront passer les nouvelles salles aux référents de promotion.

La directrice de Treehall dégageait une aura impressionnante. Elle était très certainement d'origine native américaine, tout comme la plupart des autres profs de l'école Nord-Américaine. Il était difficile de lui donner un âge parce que ses cheveux blancs emplumés et son visage flétri taillé à la serpe faisaient contraste avec une voix forte et un physique olympique. Jeune, elle avait dû être extrêmement belle, de ce genre de beauté charismatique qui force l'obéissance. Elle évoquait plus Cléopâtre que Aya Nakamura.

A sa droite se tenait Chourave, toute en rondeurs. Il aurait été difficile de trouver plus différentes que ces deux femmes. A côté d'elles étaient assis les directeurs des écoles Sud-Américaine et du Pacifique. Là aussi, difficile de trouver plus antagonistes. João Pedro Condor, de Nocheira, l'école Sud-Américaine, tenait plus du rapace que de l'humain avec ses cheveux longs à frange impeccable et son nez en forme de bec. Kahai Kãne, de Kai'ohana, l'école du Pacifique, faisait penser à un Zeus chauve à cause de sa carrure imposante et de sa large barbe blanche. Je ne les avais pas encore entendu dire un mot depuis notre arrivée. Le directeur de l'école d'accueil du tournoi devait être tenu de faire les discours pour les trois.

La première épreuve avait déjà été disputée. Les trois champions avaient dû monter le plus haut possible en altitude par tous les moyens possibles. Il me semblait avoir entendu que Treehall avait gagné, mais je n'étais pas sûre.

- Je rappelle que le bal de Noël aura lieu dans cette salle le deuxième samedi de la rentrée. Pourront participer tous les élèves, toutes écoles confondues, à partir de la quatrième année. En revanche, j'ai une mauvaise nouvelle pour les plus sportifs d'entre vous. Le premier match de Quidditch qui devait avoir lieu cette semaine devra être déplacé à une date ultérieure à cause des conditions météorologiques.

La fautive : une tempête monstrueuse prédite par les devins de l'école pour la semaine de la rentrée. J'en avais bien ri, moi, de leurs prévisions, jusqu'à ce que la tempête soit là. Les rares moments où Selina et moi allâmes nous aventurer aux étages Litière, nous crûmes que la fin du monde était arrivée. Le nom de « couloir aux courants d'air » de Poudlard devenait une exagération monumentale. L'étage Litière de Treehall était une bourrasque permanente, le vent hurlant au dehors à nous rendre sourds.

Enfin, le vent n'était pas le seul en cause pour les oreilles qui bourdonnaient depuis le lundi de la rentrée. Le Raton était devenu invivable depuis que Steven Andersen avait décrété qu'il avait une vie de merde et qu'il allait le faire partager à tous ses collègues.

- Pas de bal, et pas de Quidditch ! Il y a quelqu'un qui nous prend pour du jambon de faykrill dans cette école moisie !

Il tournait en boucle depuis quelques jours. Une grande partie des Poufsouffle préférait rester flâner un peu dans l'école après les cours afin d'éviter le Raton le plus possible. Depuis la veille, sa dernière lubie était de faire signer une pétition à tous les élèves de Poudlard pour que les troisième années puissent aller au bal.

Bien entendu, seuls les troisième années avaient signé pour le moment.

- Malany ! s'exclama-t-il tout sourire. Je t'ai toujours trouvée magnifique.

- Je signerai pas, le coupai-je.

- Sois sérieuse ! C'est juste une petite signature. Ça te coûte absolument rien.

- Ce que t'as du mal à comprendre, c'est que personne signera s'il y a rien à y gagner. Je me tape complètement de savoir si les troisième années vont aller au bal ou pas.

- T'as qu'à ajouter les deuxième et première année à ta pétition, proposa Selina.

- Mais dans ce cas, c'est même pas la peine d'essayer, ce sera refusé d'avance. Les profs laisseront jamais des première année aller à un bal qui dure toute la nuit, geignit-il.

- Eh bien, rien t'empêche à ce moment là de négocier avec les profs la participation des troisième années seulement, conclut Selina.

- Mais c'est dégueulasse pour ceux qui auront signé, s'offusqua-t-il. C'est une trahison, ça.

- T'es pas obligé de dire aux autres que c'est toi qui as émis l'idée. T'as qu'à dire que ce sont les profs qui ont proposé le compromis.

- C'est vrai, réfléchit-il les sourcils froncés. Je vais voir.

Il resta un moment bloqué sur place avec une tête de cocotte minute sous pression. Puis il nous tourna le dos et s'éloigna.

- T'es une vraie manipulatrice ! m'exclamai-je. Tu fais ça souvent ?

Elle rougit un peu et me sourit.

- Je sais pas. Je l'ai juste aidé, non ?

- Va savoir, hésitai-je. J'ai un peu peur de ce qu'il va nous pondre ensuite, comme problème. C'est le frère de Zach, je te rappelle. Un saboteur d'idée hors-normes.

La réponse ne tarda pas. Le lendemain ne fut marqué par aucune esclandre ni appel au désespoir de sa part. Avec Selina, nous allâmes prendre notre repas du midi au réfectoire, comme d'habitude, après être sorties du cours de Botanique. J'étais heureuse de toujours avoir le professeur Lettriminel en cours, même s'il était un peu grognon depuis qu'on l'avait obligé à faire ses cours en intérieur.

En face de moi, Selina avait la fourchette à mi-chemin vers sa bouche quand elle se figea et jura tout bas.

- Enquiquineur numéro un en vue, murmura-t-elle. Et il a une sacré tête de vainqueur. Bouse de crabe de feu, il vient vers nous. Planque-toi.

- Hey les filles, s'enquit Steven joyeusement. Pourquoi vous vous cachez comme ça ?

Il s'assit à la droite de Selina et l'entoura de ses bras pour l'embrasser bruyamment sur la joue. Elle grimaça et le repoussa avec force.

- Ça va pas bien, toi ? s'écria-t-elle.

- Si, trop bien, grâce à toi, la remercia-t-il. En repensant à ce que tu m'avais dit, j'ai eu une idée géniale !

Oh, youpi. C'était le moment de l'idée stupide à la Andersen.

- Au lieu d'aller au bal avec les autres, il suffit d'organiser un bal secret pour les première, deuxième et troisième années. Comme ça, tout le monde en profite !

Et voilà. Une belle galère en prévision.

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- Eeeeeet c'est un magnifique tacle de la part d'Andersen, qui reprend le souaffle à Waltz ! Serpentard perd encore une fois la main. Vont-ils se ressaisir ? … Passe à Littlerock. Andersen reprend le souaffle. Ah ! Le souaffle est récupéré par Serpentard ! Waltz passe à Simple. Elle fonce vers les anneaux de Poufsouffle ! Andersen est le dernier obstacle entre Simple et le but ! Va-t-il parvenir à arrêter le tir ? Et... Mais que ce passe-t-il ? C'EST UN COGNARD ! Quel retournement de situation ! Simple lâche le souaffle, percutée par un superbe tir de cognard venant d'Andersen, malgré son jeune âge ! Andersen récupère le souaffle et le remet en jeu en faisant une passe à Andersen... Je me demande si une seule personne des tribunes comprend ce que je dis.

Effectivement, il était difficile de suivre le jeu de cette façon. Il y avait quatre Andersen dans l'équipe. Elton était le gardien, Zach un des batteurs, Steven un poursuiveur et Marvin n'avait pas encore fait son entrée puisqu'il était attrapeur. Selina et moi nous contentions donc de suivre les robes de couleur en criant « ALLEZ ! POUFSOUFFLE ! ».

Comme la tempête ne daignait pas prendre fin, Armstrong avait annoncé que les matchs de Quidditch auraient lieu dans les immenses gymnases de Quidditch en Salle de l'étage Sous-sol en attendant de meilleures conditions. J'avais fait une erreur en disant que la salle de l'Arbre était la plus vaste de l'école. L'espace prévu pour le Quidditch en Salle était colossal. Seule la magie pouvait permettre une construction aussi énorme sans que tout s'écroule sur les joueurs.

Une troisième voix criait en cœur avec nous. Tom Kindeye, le garçon blond rieur de Gryffondor, avait décidé qu'il viendrait s'égosiller avec nous même s'il ne s'agissait pas de son équipe. C'était un ami d'Alyss, d'Apollo Mattews et de Harry Ling, mais eux étaient allés soutenir Kathleen avec la tribune de Serpentard.

- Apollo et Harry se fichent complètement de Walker, en fait, déclara Kindeye. La vérité, c'est qu'ils savent que l'équipe de Poufsouffle est bien plus forte que celle de Serpentard. Alors ça les arrangerait bien que Poufsouffle parte avec des points de retard. Parce qu'il faut avouer que l'équipe de Gryffondor ce sont vraiment des ...

Un hurlement dans la tribune l'interrompit. Poufsouffle venait de marquer. Les supporters peinturlurés de rayures jaune et noir bondirent et sautèrent sur leurs bancs comme des sauterelles. Quoique vu leur aspect l'insecte le plus approprié aurait été l'abeille.

- Poufsouffle mène 160 à 0 ! tonna Joe Donovan, le commentateur. Lopez fait la passe à Andersen...

- Tu oublies les équipes de Treehall, fis-je remarquer à Kindeye. Le match d'hier entre les Scorpions et les Louveteaux était assez impressionnant. J'ai l'impression qu'ils jouent de façon plus brutale. C'est peut-être juste une impression.

- Non, t'as raison, confirma Selina. Tu te souviens du nouveau en deuxième année à Serpentard ? Luke. L'ami de Lyra Fox.

- Le roux, là ? Oui, oui, je m'en souviens. Pourquoi ?

- En fait, l'année dernière, il était à Treehall, continua-t-elle. Il est en cours de français avec moi, et comme toi tu fais espagnol, j'étais un peu toute seule, alors on s'est mis à côté.

- Il est pas en cours de langues avec les deuxième années ?

- Apparemment, à Treehall, les cours de langues étrangères sont optionnels. Donc il en avait jamais fait avant.

- Ok, et le rapport avec le Quidditch ?

Elle pouffa.

- Un peu de patience, j'y arrive, se moqua Selina. On discute beaucoup pendant les cours parce que c'est pas super intéressant. Il m'a dit que le Quidditch de Treehall avait des règles un peu différentes. Mais pour les compétitions internationales, ils font des efforts pour suivre les mêmes règles que tout le monde. Seulement, ça se voit un peu dans le style.

- C'est quoi ces règles différentes ?

Kindeye m'avait devancé et posé la question qui menaçait de sortir de son plein gré.

- Il y en a un paquet, mais globalement, c'est surtout que les règles sont très allégées. Par exemple, les batteurs ont pas de limitation et ils peuvent frapper avec leur batte s'ils veulent. Et les joueurs ont droit aux contacts directs. Du genre coups de coudes entre attrapeurs. Ou coups de balais.

- On dirait le frère de Will en train de m'expliquer la différence entre le rugby et le football américain, me remémorai-je.

- Qui ça ? grimaça Kindeye. Ruby ?

- Ce sont des sports moldus, l'aida Selina.

Je faillis tomber du banc quand un grand dadais derrière moi se leva d'un bond et planta ses deux genoux dans ma colonne vertébrale. « POUFSOUFFLEEEEEE ! OUUUUH ! LES BLAIREAUX T'ONT MIS K.O. ! ... ». L'hymne de l'équipe de Poufsouffle résonna dans mes oreilles alors que le même abruti derrière moi beuglait à dix centimètres de ma tête.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? hurlai-je pour couvrir le bruit.

Comme pour me répondre, le commentateur se mit lui aussi à mugir avec sa voix amplifiée.

- Incroyable ! C'est une attaque de Cerbère ! Le gardien de Serpentard n'a rien vu venir ! Il est resté figé comme s'il dormait ! Décidément, ce gardien est une vraie passoire !

Des points lumineux se rassemblèrent en plusieurs formes au dessus du terrain. Ce n'était pas la première fois que le phénomène se produisait. C'était l'équivalent du ralenti à la télé lors d'un but. Trois formes dorées représentant les poursuiveurs de Poufsouffle s'approchèrent des anneaux de Serpentard. Une boule de lumière passait d'une forme à l'autre. Une forme émeraude était immobile devant les buts.

Les doubles lumineux rejouèrent le but qui venait d'être marqué. La passe était complexe et je ne compris pas en quoi le commentateur était si excité.

Le gardien émeraude n'avait pas bougé d'un pouce durant la manœuvre.

- Poufsouffle mène 170 à 0 ! Serpentard, c'est le moment de montrer ce dont vous êtes capables ! Andersen passe à Lopez...

- Haha ! s'exclama Kindeye. Je paierais cher pour voir la tête des deux zigotos. Apollo doit être complètement dégoûté ! C'est fou qu'ils aient réussi cette figure, cette Littlerock est vraiment rapide, comme poursuiveuse. Ils ont du culot, ces Poufsouffle. Moi je dis que le match est déjà dans leur poche.

- Attends, dis-je, rien n'est encore gagné. Si Serpentard marque deux buts et que Kathleen attrape le vif d'or...

- Bah ! Ne te tracasse pas comme ça, rit-il. Même s'ils marquent deux buts, ce dont je doute vu la barrière que représente Elton Andersen, il faut encore que Walker attrape le vif d'or. Elle vole bien, ta petite copine rousse, mais à ce que j'ai entendu, Marvin Andersen est vraiment super fort ! Le match est gagné d'avance.

J'avais envie de le croire. Mais ce n'était pas le moment de se reposer sur ses lauriers. J'espérais que notre équipe ne l'oublie pas non plus. Sinon Serpentard risquait de remonter en flèche dans les points.

- Waltz s'approche des buts de Poufsouffle. Passe à Taylor. Waltz à nouveau. Il s'approche, épaulé par ses batteurs Hawke et Stark, surnommés effroyablement Charybde et Scylla par les autres équipes de Poudlard ! Vont-ils enfin montrer leurs crochets ? Non ! Waltz feinte et recule ! Que se passe-t-il ? Andersen est seul face aux deux batteurs de Serpentard ! Mais quelle stratégie ! Serpentard maaaarque !

Des huées montèrent de nos gradins. Les Poufsouffle s'étaient de nouveau levés, mais cette fois pour pourrir l'équipe adverse.

Les lumières émeraudes et dorées se rassemblèrent pour le ralenti. Cette fois-ci, la passe fut assez simple et rapide pour me permettre de suivre. Leur stratégie était vraiment bien faite. Scylla avait tiré un cognard sur Elton en même temps que Waltz lui lançait son souaffle. Cette manœuvre ressemblait un peu à de la triche, mais comme personne ne contesta, ce devait être autorisé.

- Pourquoi est-ce qu'ils font pas ça tout le temps, si on en a le droit ? criai-je à mes deux voisins.

- C'est super difficile, répondit Kindeye par-dessus le vacarme. Il faut une coordination parfaite entre les deux batteurs et le poursuiveur. Et tout peut rater si un batteur adverse les tient pour cible. Ils ont vraiment eu de la chance que les deux batteurs de Poufsouffle aient abaissé leur vigilance. Wouahou ! Ce match est génial !

- Ça te fait de l'effet, le Quidditch, toi, lançai-je. C'est flippant. Tu joues chez les dragonneaux au moins ?

- Ouais, mais comme les matchs dragonneaux ont été suspendus, je me rattrape ici.

La raison à leur suspension avait été qu'il y avait déjà trop de matchs. Entre les quatre équipes de Poudlard et les cinq de Treehall, leur nombre avait plus que doublé.

Une cloche sonna, annonçant la mise en jeu du vif d'or. Ce qui signifiait que si les attrapeurs étaient bons, on approchait de la fin du match. Rien du tout, dans le cas contraire.

Poufsouffle marqua deux autres fois et je crus devenir sourde.

- Poufsouffle mène 190 à 10, rugit Joe Donovan. Malgré les multiples essais de Serpentard pour marquer, Andersen semble infranchissable. Toujours aucune trace du vif d'or.

Le chant des Pourfsouffle retentissait dans les tribunes. Les spectateurs étaient devenus une masse de bêtes sauvages hurlant à la victoire.

- Avale ça, serpent ! criait Kindeye.

De mon côté, je préférais crier en chœur avec Selina. De toute façon, aucune de nous deux ne connaissait l'air ni les paroles de l'hymne.

- Andersen remet le souaffle en jeu, récupéré par Lopez. Andersen... Lopez à nouveau. Elle est encerclée par les poursuiveurs de Serpentard ! Simple et Waltz la tiennent en pince ! Taylor se rapproche, et... C'EST LA FAUTE ! Quelle déception pour l'équipe de Serpentard ! Un penalty est sifflé par l'arbitre. Lopez est forcée de quitter le match. L'équipe infirmière se tient prête à l'accueillir dès qu'elle aura touché terre. On me signale que la faute est un coup irrégulier au ventre. Taylor reçoit un avertissement. La prochaine faute de sa part durant le tournoi lui vaudra une exclusion définitive !

- Quelle bouse de magyar, cracha mon blondinet de voisin. Oser frapper une fille !

- Eh, ça va le macho ? le taquinai-je.

- Quoi ! C'est vrai, non ? C'est un bouffeur de faykrill, ce gars-là, je te le dis, renchérit-il.

- C'est reparti, commenta Joe Donovan. Les Poufsouffle jouent maintenant avec deux poursuiveurs.

Je ne pouvais m'empêcher de reconnaître que les poursuiveurs de Serpentard jouaient bien. Et les tirs de cognard de Charybde et Scylla étaient implacables. Le capitaine de l'équipe, Waltz, était un bon tacticien, et lui et ses camarades volaient le souaffle à leurs adversaires avec une extrême facilité. La balle rouge était entre leurs mains les trois quarts du temps.

La seule faiblesse de leur équipe était l'infranchissable Elton Andersen qui se mettait entre eux et la victoire.

Pas étonnant que l'un des leurs ait pété les plombs. Taylor. Mais néanmoins, un coup direct était différent d'un contact involontaire. Il avait voulu blesser délibérément.

Joe Donovan interrompit mes pensées par une exclamation aiguë. Notre équipe avait encore marqué. Je me levai et rugis à l'unisson avec le reste des gradins.

- Poufsouffle mène 200 à 0 ! L'humiliation ne semble jamais finir ! Andersen passe à Andersen, qui fait une passe rapide à Littlerock. Andersen reprend le souaffle... Mais que se passe-t-il du côté des attrapeurs ? ANDERSEN ET WALKER FONCENT EN PIQUE ! Est-ce le vif d'or ? OUI ! WALKER A LE VIF D'OR !

Une cloche sonna la fin du match. Il y eut un cri de déception dans la tribune, deux ou trois insultes rageuses, et puis les sourires apparurent sur les visages quand tout le monde comprit que Poufsouffle avait quand même gagné. Je serrai Selina dans mes bras.

Je n'osais pas l'avouer, mais c'était le résultat que j'espérais au fond de moi : gagner le match mais que Kathleen attrape quand même le vif d'or. J'étais débordante de joie.

Mais avant de pouvoir aller retrouver Kathleen pour la féliciter, il me faudrait supporter deux heures de Métamorphoses et deux autres de Sortilèges.

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J'attendais désespérément que sonne la fin du cours. J'avais réussi l'exercice de métamorphose au bout de cinq minutes, et la vieille Gonzalo était trop occupée à donner des conseils à ceux qui avaient du mal pour passer me donner un nouvel exercice.

Au début, je m'occupai en aidant Selina. Le rouge de son allumette était un peu grisonnant mais elle était encore loin du métal qui était demandé. Elle maîtrisait maintenant le changement de forme du début de l'année. En revanche, le changement de matière était encore difficile pour elle.

Finalement, la vieille Gonzalo revint sur l'estrade et nous donna les devoirs pour la fois suivante. Ne vous fiez pas à son surnom, le professeur Gonzalo n'avait rien d'une petite vieille. C'est aussi ce que nous avions cru le premier jour.

Une petite fille typée amérindienne native qui devait avoir dans les huit ans se tenait assise sur le bureau. Nous attendions dans le bazar le plus total que la prof arrive. Puis la petite fille s'était levée et avait commencé le cours. C'était étrange, au début, mais nous nous y étions faits. Les élèves de Treehall l'appelaient la vieille Gonzalo car malgré son apparence, elle devait avoir près de cent ans. Elle était aussi la prof référente des Louveteaux, une des cinq Tribus de Treehall, les équivalents de nos Maisons.

Nous nous dépêchâmes de remonter dans les étages Humus pour le cours de Sortilèges. Treehall était un vrai dédale de galeries et d'escaliers. Celui qui n'était pas un minimum sportif ne survivait pas deux jours ici.

Nous dépassâmes le Nœud, le grand hall d'où partaient la majorité des galeries de l'Humus. La grande estrade au centre était vide, ce qui était plutôt rare. On y accédait par des racines qui montaient en spirale. Celui qui voulait s'exprimer était le bienvenu à Treehall, où la liberté d'expression tenait lieu de religion. En revanche, la liberté de ne pas écouter l'était tout autant.

- Je viens de penser à un truc, dit soudainement Selina.

Je n'étais pas de Treehall, moi. J'étais anglaise. Aussi écoutai-je poliment ce qu'elle avait à dire.

- J'ai remarqué qu'aucun élève a disparu depuis Rowena Fox.

Je ne m'en étais pas rendu compte. En réalité, nous avions été tellement occupés à nous adapter à la nouveauté et à la splendeur qu'était Treehall que les disparitions m'étaient complètement sorties de l'esprit.

- Peut-être que le démon des cachots nous a pas suivi jusqu'ici, ironisai-je.

Elle éclata de rire.

- T'as raison, Malany, je m'inquiète trop pour rien, admit-elle.

- Hé ! Attends ! Mais c'est pas bête ce que tu viens de dire, m'exclamai-je dans un éclat théâtral qui n'aurait convaincu personne. Maintenant, on est sûrs que le démon des cachots est le coupable !

Selina ne put retenir un rire devant mon air stupide. Je notai aussi quelque part dans mon esprit que ma théorie du tunnel temporel planqué quelque part dans Poudlard tenait toujours la route.

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- Prenez votre livre à la partie sur les locomotions. Avant les vacances, vous vous souvenez, nous avions vu le Wingardium Leviosa, qui permet de déplacer l'objet dans les trois dimensions de l'espace. Ce sort est très utile quand il s'agit de précision, mais son grand défaut est son manque de rapidité. Aujourd'hui nous allons commencer le grand chapitre des sorts de répulsion. En cette époque de bal de Noël, cependant, je vous recommanderais de l'utiliser avec parcimonie, ce même si votre cavalière a des boutons.

Les éclats de rire fusèrent dans la salle de classe.

Lewis et son humour pince-sans-rire. Enfin, ça donnait un charme à ses cours, contrairement à Lore. C'était le prof préféré de Selina. Moi je lui trouvais juste une tête de psychopathe, avec son sourire de petit diablotin et son nez aquilin. Ou de mouton, à cause de ses bouclettes blond platine et des fourrures bordant le cuir brut de ses habits inuits. Habits qui dépareillaient avec son faciès caucasien d'ailleurs.

Un mouton psychopathe, alors.

- Malany, murmura Selina. Malany !

Je détachai mes yeux du prof. Selina avait les yeux ronds et les sourcils froncés de quelqu'un se faisant du souci. Elle me montrait une des multiples gravures que les élèves faisaient sur les tables en bois quand ils s'ennuyaient. Je me rapprochai.

Et mes yeux s'ouvrirent en grand aussi.

KYLE RDV HTE BRNCHE.

Le « RDV » attirait l'œil, puis « HTE BRCHE » « Haute branche », et puis automatiquement le cerveau recherchait l'auteur ou le destinataire dans le message. « KYLE » ressemblait bizarrement à « Cayle ». Ou bien nous étions juste parano.

Non. Nous étions tout à fait saines d'esprit. Je repérai un « S » devant le « KYLE », un peu plus loin. Il était isolé, aussi nous ne l'avions pas remarqué au milieu de toutes les autres gravures du style « JTM » ou en forme de zizis. Je le montrai à Selina, mais elle avait déjà repéré autre chose de plus intéressant.

- Regarde, chuchota-t-elle. Il y a deux ronds en dessous. Je pense que ce sont deux zéros, pour minuit. Qu'est-ce que t'en penses ?

- J'en pense que t'es un génie, dis-je en montrant un « H » que je venais d'apercevoir à la droite de ses deux ronds.

Puis je remarquai trois autres lettres en-dessous.

STP.

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Le trajet vers la Salle Sylvestre se fit noyé dans les spéculations sur l'auteur du message. Et surtout, sur le fait qu'il faille y aller ou pas.

- Le problème, dis-je, c'est le « S'il te plaît » de la fin du message. Sans ça, j'aurais été sûre que c'était une blague. Mais là... C'est bizarre.

Selina hocha la tête. Elle refusait catégoriquement d'y aller. D'après elle, des crétins avaient écrit ça pour se moquer et peut-être même préparer un attrape-couillon cette nuit.

- N'empêche que je vois mal comment ça pourrait être autre chose qu'une blague, insista-t-elle. Qui pourrait vouloir me voir en urgence en secret ? Et pourquoi moi ?

- Je sais pas, moi. A ton avis ? Tu connais qui, ici ?

- Bah, pas grand monde, justement. Toi, Zach, Fergusson, Grace. C'est tout. Cedric et Hugo, je les connais pas vraiment. Je vois vraiment pas pourquoi ils voudraient me voir. Pareil pour Kathleen, Alyss et compagnie. Après, il y a toujours Hélène, mais...

- C'est qui ? interrogeai-je.

- Ma demi-sœur, hésita-t-elle. Hélène Cerblanc.

Je marquai une pause, tellement ce qu'elle venait de dire paraissait surréel.

- Noooon, je te crois pas ! m'exclamai-je. Hélène Cerblanc ? On parle bien de la même ? La capitaine de l'équipe de Quidditch de Serdaigle, invaincue depuis deux ans, némésis de Elton Andersen autant que son alter-ego, nommée fille la plus belle de l'école par Marvin ? C'est ta sœur ?

- Demi-sœur. J'ai jamais vécu avec elle, répondit Selina, sa mère s'est remariée avec mon moldu de père au lieu de rester vivre avec son riche sorcier de père. Je pense qu'elle m'aime pas beaucoup. Mais c'est quand même vexant ce que tu dis ! Ok, je sais pas tenir sur un balai et les gens préfèrent me surnommer « Plumeau » que « Bella », mais quand même !

- Oups, m'excusai-je avec un demi-sourire.

- Boulet, railla-t-elle.

- Objectivement, vous êtes différentes, ajoutai-je. Déjà, elle est blonde.

- Tu t'enfonces, rit-elle.

- Bon, j'arrête, admis-je. De quoi on parlait, déjà ?

- Du fait qu'elle pourrait être l'auteur du message, patate, s'amusa Selina.

Nous étions arrivées au Nœud. Cette fois, l'estrade était occupée.

- Oh, non, encore Soleil-man, grimaça-elle. Les mains sur les oreilles et on accélère.

C'était une image, mais justifiée. Soleil-man était un septième année de Nocheira et l'un des trois champions. Et il était aussi complètement fou.

- Le monde tel que vous le connaissez n'a plus aucun sens ! s'égosillait-il. Il est plus que temps de reconnaître vos véritables dieux ! Je suis un dieu parmi les hommes ! Votre nouveau leader ! Le nouvel Inca ! La puissance du soleil vit en moi !

Il se tenait, comme d'habitude, digne et les bras ouverts sur son piédestal d'emprunt. Les disques d'or immenses qui pendaient de ses oreilles et de son cou éblouissaient à chaque mouvement ses spectateurs forcés. Une large robe ouverte de tissu rouge sombre couverte de motifs en fils d'or reposait lourdement sur ses épaules, la capuche à demi positionnée au sommet de ses longs cheveux noirs. Les manches amples brodées étaient deux ailes de sang tentant d'embrasser son infortuné auditoire.

Une petite fille en poncho fit irruption et lui tira les robes en lui faisant la morale. Elle devait être en première année, comme nous. Ses cheveux étaient aussi emmêlés et désordonnés que ceux de Soleil-man étaient soignés.

Comme souvent, celle que l'on surnommait Poncho se prit un revers de manche nonchalant et alla s'étaler un peu plus loin.

- J'espère jamais devoir être dirigée par quelqu'un d'aussi dérangé, lâcha Selina alors que nous empruntions la galerie qui remontait vers la Salle de l'Arbre.

J'étais entièrement d'accord.

Nous nous installâmes peu après à la table où Kathleen et son ami de Serpentard aux cheveux décolorés étaient en train de manger.

- Alors, demandai-je, le match ? Comment t'as trouvé ton premier exploit sur le terrain ?

Elle devint rouge cramoisi et eut un sourire timide.

- On a pas gagné, tu sais, corrigea-t-elle. Alors, exploit, c'est pas vraiment le mot.

- Allez ! Fais pas ta modeste ! T'as sauvé ton équipe d'une sortie prématurée de la compétition ! Je suis sûre que t'es une héroïne chez les Serpentard.

- Pas trop. David m'a crié dessus parce que j'avais attrapé le vif d'or trop tôt. Il disait que j'aurais dû attendre que nos points remontent un peu avant d'y aller.

- Sérieusement ? m'étonnai-je. C'est lequel, celui-là ? Ils ont qu'à le virer ! Il est complètement stupide. Justement, plus tu aurais attendu, et plus l'écart de points se serait creusé. C'est sur votre gardien qu'il aurait dû s'exciter, plutôt.

- C'est ce qu'a dit Laura aussi.

- Laura ?

- Scylla. Elle l'a traité de tête d'autruche, sourit Kathleen. Elle a des insultes originales. Mais ils vont pas le virer, c'est un super bon poursuiveur.

- Ce serait pas le Taylor qui a envoyé une de nos poursuiveuses à l'infirmerie ? s'enquit Selina. On m'a dit qu'elle allait pas pouvoir refaire de Quidditch cette année à cause d'une histoire de rat ou un truc comme ça.

- De rate ? grimaçai-je.

- Oui, voilà, dit Selina.

- C'est lui, confirma ma petite rousse de copine. Il est toujours en colère contre quelqu'un. Heureusement que Laura le tient par la trouille.

- Salut à l'attrapeuse de génie, lança une voix derrière moi.

Alyss passa une main dans le dos de son amie d'enfance et vint s'asseoir en compagnie de Rowena Fox. Les deux sœurs Fox se ressemblaient énormément. Pourtant, Rowena était bien plus avenante que sa grande sœur. Elle abordait un visage plein de délicatesse, contrairement à Lyra qui avait un regard de rapace et un sourire de requin.

- Je suis fan de toi, Kath, la félicita-t-elle. Tu l'as attrapé en un éclair. Comment est-ce que t'as fait ?

Le visage de Kathleen se transforma quand elle aperçut ses deux amis d'enfance. Toute trace de timidité disparut au dépens d'une joie immense. Je ressentis une pointe de jalousie.

- C'est pas aussi difficile que tu le penses, Rowe. En fait, j'étais avantagée par rapport à l'autre attrapeur parce qu'il est beaucoup plus lourd que moi.

- C'est ça, dit une voix, dis que mon frère est un gros balourd, tant que tu y es, espèce de gnome. La prochaine fois je dirai à Riri-chou d'aller te fourrer un bon cognard dans le ...

- Dégage de l'espace vital de Kath, face de magyar lépreux, ou c'est moi qui vais t'en mettre une, gronda Alyss en se levant d'un bond.

Steven s'était levé de son groupe de table et se tenait au dessus de Kathleen avec agressivité. Alyss le fit reculer d'un pas, mais le jeune Andersen s'aperçut vite qu'il était plus grand et plus fort que le gringalet aux traits féminins qui lui faisait face. Alors il s'approcha de lui et colla son front au sien.

- Les gars, intervins-je, calmez-vous ! On est potes, vous vous rappelez ?

- Je me rappelle pas avoir jamais été pote avec ça, grinça Alyss.

- Ouais, moi non plus, sourit Steven. Un gnome aussi moche, sûr que je m'en serais rappelé.

Plusieurs coups fusèrent avant que n'intervienne Professeur Woods, l'amérindien joufflu à tête de ravi qui enseignait la botanique à Treehall. Le bilan fut dix points de perdus pour chaque Maison et une retenue pour chacun.

Le sport faisait naître des comportements bien étranges.

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Il y avait quand même quelque chose de vraiment rassurant à Treehall : la modernité. Alors qu'à Poudlard, j'avais été désagréablement surprise par l'absence quasi totale d'intégration de la culture moldue dans celle des sorciers, les américains semblaient avoir évolué différemment.

Un premier détail démesuré était l'absence d'uniforme. Et si une majorité de profs portait des robes à la mode, cintrées à la taille par une ceinture, les élèves, eux, avaient totalement adopté les leggins galaxie, crop tops et baskets sophistiquées. Les plumes étaient restées, quoique légèrement modifiées à leur extrémité pour pouvoir écrire sur les tablettes qui avaient remplacé les vieux parchemins tachés.

Je n'accordais pas grande attention à ce qui se disait entre Selina et quelques américains qui attendaient le cours d'astronomie avec nous. Le cours devait commencer vers six heures du soir. Le soleil était déjà couché depuis un bon moment, l'hiver arctique aidant.

En face, un groupe de filles plus âgées, tout en gloussements et déhanchés, discutait en alternance avec des coups d'œil réguliers vers leurs portables, flottant près de leurs têtes ou projetant des messages lumineux dans les airs depuis une poche de chemise. Tout ça donnait une ambiance assez Sorciers de la Galaxie...

Un barbu massif contourna le groupe avec un coup d'œil inquiet derrière son épaule. Une des filles lui lança un regard séducteur appuyé et il se détourna avec une rapidité gênée. La tête rentrée dans les épaules, il s'éloigna lentement. Sa réaction déclencha un concerto de gloussements venant des filles, puis elles se replongèrent dans leurs allers-retours entre discussion et SMS.

Je m'appuyai plus profondément contre le mur de racines. Pénétrer dans le quotidien de Poudlard avait été comme changer de monde de façon brutale, sans un regard en arrière. En y réfléchissant, s'y habituer n'avait pas vraiment été un problème. L'émerveillement avait tué dans l'œuf tout le scepticisme et tout le raisonnement dont j'avais assailli mon Lettriminel sur le Chemin de Traverse.

Mais depuis notre arrivée à Treehall, je m'éveillais.

Je me souvenais des premières réactions face aux matières de Treehall. Comment Apollo Mattews avait froncé le nez à l'annonce de « Gestion des no-maj'», matière qui remplaçait notre « Etude des moldus ». Il s'était empressé de qualifier les américains de racistes qui prenaient les moldus de haut comme un berger gère son troupeau de moutons.

Maintenant, tout ça paraissait bien hypocrite, quand on voyait l'égalité avec laquelle était considérée la technologie moldue face à celle des sorciers américains. C'était Poudlard qui avait du chemin à faire pour arriver à considérer les moldus comme ses égaux. Après tout, c'était l'Angleterre qui avait fourni le plus grand raciste anti-moldu de tous les temps, même si elle avait aussi fourni l'antidote à cicatrice qui allait avec. Une scission aussi marquée devait mettre du temps à se dissoudre.

Il n'empêche que voir cette mixture parfaite de magie et de technologie me remplissait d'envie et de déception. Je me promis qu'au retour à Poudlard je me joindrais aux efforts de Fergusson et de Rosendale pour amener de cette magie-là jusqu'en Angleterre.

Les conversations autour de moi s'éteignirent et les gens se redressèrent. J'en déduisis que le professeur Cray était enfin arrivé, avec son habituel sourire neutre sans joie qui laissait une sensation inconfortable. Le plus dérangeant chez lui était la désagréable impression que ses traits étaient aussitôt oubliés dès qu'il tournait le dos. Les détails glissaient sur nos mémoires comme sur du verglas, ne laissant qu'un visage ordinaire et sans saveur. Il n'avait pas plus de la trentaine et ses cheveux châtains clair tenaient en un brushing rappelant vaguement Ken, c'était la seule chose que je pouvais affirmer sans craindre de me tromper.

- Est-ce que quelqu'un peut rappeler ce qu'on a vu la dernière fois, et ce qu'on doit aborder aujourd'hui ? commença-t-il comme à chacun de ses débuts de cours.

Une fille de Treehall leva la main. Ce cours était partagé avec les première année de la Tribu des Chevaux.

D'après ce que j'avais entendu, les première année étaient répartis entre cinq Tribus au hasard. Il n'y avait pas de choixpeau ni de questionnaire ni de télépathie ni quoi que ce soit d'autre pour les répartir selon un quelconque trait de caractère.

Pourtant, autant de préjugés et de rumeurs couraient sur les différentes Tribus que sur les Maisons de Poudlard. Il n'y avait que deux explications à ça. Soit l'éducation au sein même de la Tribu forgeait un tempérament homogène entre tous ses membres malgré le hasard de départ. Soit les rumeurs étaient une vaste blague. Ou une manipulation de masse. Je penchais pour un mélange entre les deux explications. De toute façon, les rumeurs étaient toujours des débilités de manipulation massive, même à Poudlard. La preuve, je n'étais ni droguée ni attardée.

- Tu viendras, toi, Malany ?

- Hein ? Où ça ?

- T'as rien suivi, constata Selina, amusée.

- Non, rien du tout, m'excusai-je en lui rendant son esquisse de sourire.

- On parlait du bal de Noël, expliqua-t-elle. Tu sais que Steven veut toujours organiser son bal clandestin au Raton ? Il a aussi invité tous ceux de Treehall, Nocheira et Kai'ohana qui voudraient venir.

- Il est complètement fou, commentai-je. Quand je pense que c'est nous qui lui avons donné l'idée... On va se prendre une retenue collective historique.

- Sois pas pessimiste comme ça, dit un américain avec des fossettes assis devant nous.

Il était retourné sur le dossier de sa chaise depuis un moment. Selina discutait avec lui et son voisin.

- C'est réaliste, insistai-je. Comment une fête aussi grande pourrait ne pas être entendue par les gens en passant ?

- Justement, c'est ça l'astuce, répliqua-t-il. Tu connais pas encore assez Treehall pour t'en apercevoir, mais ici il y a très peu de passage dans les couloirs. Parce que l'école est trop grande. C'est statistiquement impossible que quelqu'un passe par hasard près du Raton de nuit, surtout s'il y a le vrai bal de Noël à la Salle Sylvestre.

- Et les Poufsouffle qui reviendront pour dormir du bal ? soulevai-je.

Il fit balancer sa chaise jusqu'à notre table. De près, ses cheveux, coupés courts, paraissaient plus châtains que blonds.

- Bien vu, Sherlock, fit-il en plissant les yeux de concentration.

Après quelques instants de silence, il se tourna vers Selina comme pour attendre une solution. Comme elle haussait les épaules, il fit retomber les quatre pieds de sa chaise au sol et sollicita son voisin de table.

Je n'avais pas plus d'inspiration que Selina quand au problème du bal. C'était dommage, parce que l'idée du bal clandestin commençait à me séduire et, malgré moi, j'avais hâte d'y être.

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Une petite main secoua doucement mon épaule.

- Malany, c'est l'heure.

J'émergeai péniblement. Selina était assise sur mon lit, les cheveux encore ébouriffés par le sommeil. Le dortoir était sombre et silencieux. Perçaient parfois quelques respirations et froissements de couvertures.

Je me levai à tâtons et enfilai une double couche d'habits chauds pendant que Selina mettait bottes, gants et bonnet. Nous enfilâmes nos manteaux à fourrure fournis par l'école et nous glissâmes entre les lits.

- Lumos, souffla ma complice quand nous franchîmes la porte d'entrée du Raton.

Je l'imitai. Nos baguettes ne nous offraient qu'une faible lueur, mais elle suffisait pour discerner les bifurcation et les reliefs. Les racines qui perçaient les galeries de l'école projetaient d'inquiétantes ombres tortueuses sur les parois.

J'avais finalement convaincu Selina de nous rendre au mystérieux rendez-vous. Le message ressemblait tellement peu à une blague que je ne croyais pas une seconde à l'hypothèse du piège. Le « STP » ne serait jamais venu à l'idée d'un quelconque petit malin. Il chargeait le tout d'une ambiance d'appel à l'aide. Bien que l'objet de la requête restât entièrement obscur malgré tout le temps que j'avais passé à tenter de l'imaginer.

Au niveau de la transition entre l'Humus et la Litière, le froid devint mordant en dépit de l'effort physique intense demandé par l'ascension sans fin des marches tordues taillées dans les racines.

- On va geler sur place si on sort sur les branches, rumina Selina. On aurait jamais dû venir. Si c'est quelqu'un qui veut ma mort, c'est une idée de génie. Il a même pas besoin de sortir de son lit, la tempête fera le boulot.

- Relax, c'est toi l'optimiste d'habitude.

- Oui, c'est vrai, ça. On a qu'à dire que ça nous fera une petite promenade dans la neige.

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La neige tombait avec violence. Les flocons étaient comme des milliers de coups de fouet. Nos bottes s'enfonçaient presque jusqu'au genou. Les larmes qui s'accumulaient dans nos yeux embuaient le paysage, déjà rendu indistinct par les bourrasques blanches. Nous avançâmes péniblement le long de la branche prolongeant le plus haut couloir du tronc.

Nous montâmes le long d'une branche qui contournait le tronc, vers un endroit abrité par l'arbre. Au passage dans la zone d'accalmie, je sentis mes joues chauffer quand les morsures glacées s'arrêtèrent.

La tempête soufflait toujours, et le froid restait intolérable, mais au moins on s'entendait parler et notre vue n'était pas entièrement brouillée.

- Il faut continuer à monter, dis-je à Selina.

Elle secoua la tête.

- Pas avec ce temps. C'est trop dangereux !

- Alors qu'est-ce qu'on fait ?

- Il doit être dans les parages, répondit-elle après réflexion. Bloqué ici comme nous.

Je scrutai les branches les plus proches. Je ne voyais que de la neige.

- Là, s'exclama Selina.

Au bout d'une petite branche au-dessus de nous, une silhouette se tenait assise en tailleur, nous tournant le dos. Il nous fallait grimper encore pour l'atteindre. Nous resserrâmes nos fourrures et nos écharpes et sortîmes à découvert.

Le souffle froid faillit éjecter Selina dans le vide. Elle s'accrocha à mon manteau et tomba dans la neige. Je l'aidai à se relever et nous nous ancrâmes l'une à l'autre pour avancer.

Au fur et à mesure que nous nous approchions, je réalisai que quelque chose clochait. Que faisait-il assis en pleine tempête ? Personne ne pouvait rester sans bouger dans ce froid sans se transformer en glaçon. Il est mort, pensai-je, et l'idée me glaça plus que la neige.

Soudain, la rage des éléments cessa. Nous nous tenions à quelques mètres à peine du dos mystérieux. Je me retournai. Le tronc n'était presque plus visible à cause de la violence des flocons. La tempête rugissait toujours. Mais elle ne pouvait plus nous atteindre.

Je captai un miroitement sur ma gauche. Je tendis le bras, et sentis le vent gelé du bout de mes doigts, puis sur ma paume, et mon poignet quand j'avançai.

Selina me lança un regard interrogateur.

- Il repousse la neige autour de lui, compris-je. C'est de la magie.

Le mystérieux auteur du message n'avait pas bougé. Il était plus grand que nous. C'était un sixième ou septième année. Ou un prof. Il ne portait pas de fourrure ni de bonnet. Ses boucles brunes étaient immaculées par la neige.

Il ne broncha pas quand nous nous glissâmes juste derrière lui. Il était peut-être bien mort après tout. Non. Un mort ne s'entoure pas de sortilèges pour repousser la neige.

- Salut, dis-je assez fort pour qu'il entende. Qu'est-ce que tu veux ?

Aucune réponse ne vint et je me demandai ce qu'il pouvait bien regarder si intensément. Il n'y avait que le ciel nuageux. Je posai ma main sur son épaule.

Ce fut une erreur.

Il poussa un hurlement et bondit loin de moi. L'accalmie magique se rompit et la tempête s'abattit à nouveau sur nous. Un éclair rouge illumina la nuit, et la neige se mua en une pluie sanglante pendant quelques instants.

Selina bascula dans le vide. Je criai et plongeai. Ses deux jambes enserrées entre mes bras, je priai pour que l'épais tapis de poudreuse dans lequel je m'étais jetée m'empêcherait d'être entraînée avec elle. Le choc du poids de Selina dans mon étreinte me fit glisser de quelques centimètres, mais la neige tint bon.

Le garçon qui avait lancé le sort criait des insultes terrifiées.

Je n'arrivais pas à hisser Selina. Si seulement Lewis nous avait appris les sorts d'attraction avant ceux de répulsion. Puis l'évidence me traversa l'esprit. Il me suffisait de lancer un sort de lévitation. Un Wingardium Leviosa.

Rien de plus facile. Mais pour ça, il me suffisait d'attraper ma baguette. Qui était dans une poche de ma robe, sous les multiples couches de fourrures, bien loin des mes petites mains serrées autour de ma copine.

- Allez vous-en ! s'écriait le garçon. Partez !

J'avais envie de pleurer. J'allais tomber avec Selina dès que le garçon déciderait de me jeter un sort, ou même s'il décidait d'attendre que le froid engourdisse mes membres.

- Vous êtes dans ma tête ! s'égosillait-il. Vous pouvez pas me faire de mal ! Partez! Je vous ordonne de disparaître !

Je poussai un hurlement de rage en essayant de hisser Selina une énième fois. En vain. Des larmes amères gelèrent sur mes joues. La neige s'engouffrait dans les moindres interstices entre ma peau et mes habits. La brûlure du froid était horrible.

Le garçon s'était tu. Les seuls sons étaient le souffle du vent et le doux éclat des flocons sur le sol près de mes oreilles. Puis j'entendis des pas courir vers moi. Je me figeai dans l'attente d'un choc, mais il sauta par dessus mes jambes et continua de courir vers le tronc.

Le désespoir me gagnait à mesure que j'entendais les pas s'éloigner.

- Attends ! Aide-moi ! criai-je. A l'aide !

Ma voix était couverte par le vent. Il me fallait me débrouiller toute seule.

Je tentai une dernière fois de hisser Selina, mais mes bras étaient déjà engourdis. Je ne sentais plus le bout de mes doigts.

Une idée germa. Il y avait peut-être une solution.

Avec un effort considérable, je décollai la paume de ma main droite de la cuisse de Selina. La glace craqua et des monticules de neige dégringolèrent dans le vide. Les doigts du gant restèrent accrochés les uns aux autres et il me fallut un effort supplémentaire pour les séparer. Une fois la main bien ouverte, un doute s'immisça dans mon esprit. Je connaissais la théorie. Mais je n'avais jamais fait ça auparavant.

Si ça marche, je veux bien faire une donation à JK Rowling, je songeai.

- Accio baguette.

Ma main ne recueillit que de la grêle. J'expirai et un nuage de chaleur s'échappa de mon corps. Ma vie ne tenait plus qu'à ce sort. Et il refusait de fonctionner.

- Accio, baguette !

Le prononcer plus fort ne permit que de me chatouiller la hanche quand ma baguette se trémoussa contre moi pendant quelques secondes.

Une montagne de poudreuse me recouvrait, à présent. Je remuai mes pieds pour être sûre de ne pas avoir perdu l'usage des mes jambes. Le bout de mes orteils commençait à devenir vraiment douloureux. Je les pliai dans l'espoir de les réchauffer contre mes plantes, mais elles étaient tout aussi froides.

- Accio baguette ! Criai-je. A l'aide ! Accio !

Chaque expiration me donnait l'horrible impression que la vie quittait mon corps avec la chaleur du nuage de vapeur.

- A l'aide ! Quelqu'un ! Accio ! Accio !

Une force invisible empêchait mes paupières de s'ouvrir entièrement. Je ne voyais plus qu'à travers les cils, mais il n'y avait plus rien à voir, c'était blanc en haut et blanc en bas, blanc sur Selina et blanc sur moi. Un blanc froid et doux.

Et puis le poids dans mes bras sembla s'alléger. Quand je tentai d'affirmer ma prise sur Selina, mes bras ne rencontrèrent que du vide.

Je l'ai lâchée, réalisai-je. Elle est tombée. J'ai tué Selina.

Je me laissai glisser dans le réconfort de l'abandon. Plutôt que de me laisser mourir de froid, il me suffisait d'avancer d'un petit mètre. Je poussai sur mes pieds. Ma tête se pencha au-dessus du vide. Le vide était aussi blanc et froid que le reste.

Une force tira sur mes pieds et le vide s'éloigna. Je dépassai ma position initiale et continuai de glisser vers l'arrière. Mes bras faisaient des rails dans la neige à mesure que je reculais. Je glissai longtemps. Et puis ce fut le silence et le feu à l'intérieur de mes joues.

- Baker! Réveille-toi !

Quelque chose frictionna mon visage et mes épaules. On chassa ce qui empêchait mes yeux de s'ouvrir. La lumière et le blanc m'aveugla. J'étais assise contre le tronc.

Une silhouette emmitouflée et pleine de neige se tenait face à moi. Sous la capuche à fourrure et sous le bonnet dépassaient des mèches rousses.

- Kathleen ? je croassais.

L'inconnu eut un petit rire.

- Non, pas vraiment. Selina et toi avez eu de la chance que je t'entende d'ici. Qu'est-ce que vous êtes allées faire au bout de cette branche, au milieu de la tempête ?

- Plumeau ? Comment tu sais que... m'étranglai-je.

Deux bras pleins de neige m'entourèrent. Ils n'appartenaient pas à l'inconnu.

- Merci, dit une voix familière.

Je rendis l'étreinte quand je reconnus Selina. Le soulagement et le bonheur diffusaient une étrange chaleur.

- Qui es-tu ? demandai-je à notre sauveur.

- Tu me reconnais pas ? s'étonna-t-il en s'agenouillant devant moi.

- C'est Luke, l'ami de Lyra, m'éclaira Selina. Je t'avais dit qu'on était assis ensemble en cours de français.

Son visage se rappela à ma mémoire, évident. Mais un détail m'échappait.

- Qu'est-ce que tu faisais à minuit en pleine tempête ?

- Ben, vous avez eu mon mot, non ? s'étonna-t-il.

- C'était toi ?

Il fronça les sourcils comme si la question n'avait pas de sens. Selina vint à son secours.

- On pensait que c'était l'autre garçon.

Elle lui raconta brièvement ce qui nous était arrivé. Il ne savait pas plus que nous qui était ce garçon. Du peu que nous avions aperçu, ce n'était pas un prof. A part ça, le mystère restait entier.

- Dis-nous pourquoi tu voulais nous voir, lança Selina. Surtout, pourquoi est-ce que tu voulais nous voir en pleine nuit à un endroit où on a bien failli se faire tuer.

- Je pouvais pas deviner qu'il y aurait un mec barjo à mon point de rendez-vous ! Je voulais qu'on soit seuls, c'est pour ça que j'ai donné cet endroit et cette heure.

- Eh bien, ça y est, invita-t-elle, on est seuls. Qu'est-ce qu'il y a d'assez important pour qu'on risque nos vies ?

Il marqua une pause et jeta un coup d'œil autour de lui. Il prit une inspiration.

- Je suis pas sûr de moi, hésita-t-il. Je pense que Chourave va se faire assassiner.

- Quoi ?

Selina et moi avions crié en chœur. C'était impossible. Qui voudrait du mal à Chourave ?

- Qu'est-ce qui te fait penser une chose pareille ?

- J'ai... entendu une conversation, dit-il sans conviction.

Le choc que j'avais ressenti à son annonce se transforma en un éclair d'excitation.

Un mystère ! Chouette !

- Il y avait deux voix, poursuivit-il. Un garçon et une fille, je crois. Le garçon a pas dit grand chose, mais c'est lui qui a proposé d'assassiner Chourave. Je suis sûr d'avoir entendu son nom. Et la fille a parlé de vengeance. Après, je sais plus trop. J'ai dû m'éloigner pour pas me faire repérer.

- T'as vu quelque chose ? demanda Selina.

- Non, dit-il. Je sais pas quoi faire. J'y ai beaucoup réfléchi. Je peux pas aller en parler aux profs parce que j'ai aucune preuve. Et puis je pouvais pas garder ça pour moi.

Il grimaça.

- J'ai pensé que Selina pourrait m'aider à trouver des indices concrets à présenter aux profs. T'es beaucoup plus maline que moi, alors... gémit-il.

- Un garçon et une fille, t'as dit ? réfléchit-t-elle. Quand t'as dit ça, j'ai de suite eu l'image de Soleil-man et Poncho.

Elle mettait de l'essence dans le feu de mon imagination. Ces deux-là étaient effectivement très louche. Puis je me rappelai notre rencontre avec le fou qui rêvassait sur sa branche.

- Et ce garçon qu'on a croisé ? Qu'est-ce qu'il faisait là ?

- Il avait l'air pas très net, approuva Selina. Mais je sais pas si ça a un rapport avec...

- Et l'autre jour j'ai remarqué un barbu de septième année qui avait vraiment l'air de quelqu'un qui veut pas être suivi, renchéris-je.

- Treehall est un repaire de gars louches, m'arrêta Selina. C'est pas une preuve suffisante. Luke, pourquoi tu nous parles de ça à nous ? Et Lyra ? Qu'est-ce qu'elle en pense ?

Il baissa les yeux.

- Vous êtes les premières à qui j'en parle.

- Pourquoi ?

- Plumeau, qu'est-ce qui te prend ? m'indignai-je.

Elle avait douché mon feu avec une pluie de doute. J'avais la réponse. Lyra est trop maline. Elle ne se serait jamais laissée berner par une histoire aussi stupide.

- J'en sais rien ! s'écria-t-il. Elle est trop méfiante, elle aurait dit à tous les Serpentard que j'étais un mytho sans amis qui raconte des histoires pour se rendre intéressant !

- Et c'est vrai ? continuai-je. Que tu racontes n'importe quoi ?

- Non !

Il avait les larmes aux yeux. Mes doutes avaient disparu et le brasier brûlait à nouveau haut et fort. Il fallait qu'on l'aide !

- T'as pas assez traîné avec Lyra, encore, ajouta-t-il. Elle est égoïste. Elle aurait choisi de pas me croire parce que le fait que je dise la vérité lui aurait donné trop de responsabilité. Et j'aurais eu la mort de Chourave sur la conscience, parce que tout le monde m'aurait pris pour un guignol.

Il essuya la morve qui gelait sous son nez.

- Et aussi, je crois que je suis amoureux de Lyra.

- Bon, calme-toi, dis-je avec une pointe de pitié. On va t'aider, promis.

Selina plaça un bras autour de ses épaules et lui frictionna le bras.

- Ne t'inquiète pas, on prend les choses en main, Malany et moi. La team des blaireaux est dans la place. Tout va bien se passer. Tu pourras même danser avec Lyra au bal de Noël samedi prochain.

J'aurais aimé être aussi optimiste que Selina. J'avais beau être toute excitée de l'aventure qui pointait son nez, nous n'avions aucune piste, et l'école semblait déborder de candidats au poste de criminel.

La descente jusqu'au Raton fut plus rapide qu'à l'aller, et la chaleur de la terre fut la bienvenue. Nous abandonnâmes Luke devant l'aile du Serpent et regagnâmes notre dortoir.

Ni Selina ni moi ne se sentit la force de discuter plus longuement des événements de la nuit une fois nos lits dans notre champ de vision. La fatigue nous emmitoufla avec la douce chaleur du dortoir. Je notai vaguement que Féline n'était pas sur mon lit. Elle partait souvent en vadrouille dans le château à la faveur de l'obscurité. Je laissai Selina se glisser toute habillée sous ses épaisses couvertures et m'apprêtais à faire de même quand un papier se froissa bruyamment sous mon côté.

Je refoulai une pointe d'agacement envers l'abruti qui avait posé ses déchets dans mon lit. J'arrachai rageusement les feuillets agrafés qui m'avaient dérangée et les jetai au pied de la table de nuit. Une demi-seconde plus tard, je dormais profondément.

Le lendemain me trouva trop excitée à la perspective d'établir des hypothèses avec Selina pour me soucier du vieux journal sur le sol. Les jours suivants, la flemme me fit repousser le moment où je devrais le mettre à la poubelle. Un soir, enfin, le le ramassai pour le fourrer dans mon sac. Ce n'était même pas un numéro récent ; il datait d'il y a plusieurs années au moins.

Le côté des feuilles relié par des agrafes avait été tout mordillé. Probablement par un petit animal. Comme un chat, par exemple.

Passé le premier instant d'exaspération devant les saletés de Féline, je me rappelai que malgré les efforts que je faisais pour me convaincre que ce n'était qu'un chat ordinaire, ma mémoire me rappelait sans cesse la discussion dans l'animalerie.

- Qu'est-ce que tu essaies de me dire, débile de chat ? pestai-je.

Et pourquoi elle ne me le disait pas tout haut ? Quel bol j'avais eu d'acheter un chat parlant muet ! La perle rare.

- A qui tu parles ? demanda Selina.

- Personne. Féline me fait des crasses.

- Si elle t'embête tant que ça, t'as qu'à la donner à tes parents et acheter un hibou, comme tout le monde, s'amusa-t-elle. Au moins, depuis la volière... Tiens, c'est marrant, tu trouves pas que ce gars-là ressemble au prof de Sortilèges ?

Je détaillai la photo qu'elle pointait sur la une du journal. Je compris au premier coup d'œil qu'elle ne parlait pas de Lore. L'homme ressemblait comme deux gouttes d'eau à Liam Lewis, le prof de Sortilèges de Treehall. Le papier était abîmé et l'encre passée, mais les boucles claires et le nez proéminent en bec d'aigle étaient assez caractéristiques pour ne pas laisser de doute. L'article mentionnait le Violoniste, un tueur en série dangereux qui avait déjà une dizaine de victimes à son actif. La photo était un avis de recherche. Sur l'image, Lewis avait un visage sérieux comme la mort. De temps en temps, il élargissait un sourire de prédateur tels que ceux qu'il nous adressait en cours après une blague peu fine, puis il se reprenait et continuait de nous fixer de son regard glacial.

- Qu'est-ce que c'est que ce bordel, murmura Selina.

C'était plus un aveu de totale incompréhension qu'une question, et je gardai le silence. Moi même, j'avais la tête qui bouillonnait de questions sans réponse. En dehors même du fait inouï que Treehall ait pu engager un prof pareil, les accusations de Luke étaient encore trop fraîches dans ma mémoire pour que la présence d'un ancien tueur dans l'école soit pour moi une coïncidence. Selina devait penser la même chose.

Professeur Lewis. Le mouton psychopathe.

Et nous avions promis à Luke de l'aider à coincer l'assassin. Mais nous étions, quoi ? Deux première année ? Deux pauvres blaireaux qui se dressent entre un prédateur professionnel et sa proie. Il n'y avait plus qu'à espérer que nous n'allions pas grossir son festin.

Est-ce qu'il existe des garanties pour les promesses ? Est-ce qu'on peut annuler après une semaine si jamais finalement ça ne nous plaît pas ?

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Prenez soin de vous les moldus