Chapitre 7 : Sous-sol
Chère Many,
J'ai pas tout compris à ta dernière lettre mais je te promets de mettre la totalité de mes deux neurones au travail pour t'aider à attraper le super vilain. Personne n'échappe au détective Willie Jenkins.
D'abord, il me faut tous les indices que tu puisses trouver. Sans ça, même pour moi, le meilleur détective d'Angleterre, ça risque de tourner au pifomètre. Tout me va : les empreintes, les traces de pas, les mégots, et même un journal intime, je prends. Avec ça, je te retrace toute sa vie, à ton Mister Bean. T'auras juste besoin de Kitty pour te faire passer à travers les murs de sa chambre, et piquer tout ce que tu vois d'intéressant.
Sinon, je suis trop content que tu mettes mon cadeau porte-bonheur ! Il te va super bien sur la photo que tu m'as envoyé. Mais la prochaine fois, préviens quand tu envoies une photo qui bouge ! J'ai failli mourir d'une crise cardiaque !
Ici, je m'éclate trop, mais j'avoue que c'est quand même pas pareil sans toi ! Tu rentres quand ? J'ai plein de copains à te présenter !
William
P.S. Je voudrais un nifleur pour mon anniversaire.
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L'idée que le professeur Bean était le criminel que nous cherchions nous tourna dans la tête toute la semaine, et notre liste de suspects fut oubliée. Plus nous y pensions, plus elle s'imposait en nous comme une évidence. Si Bean voulait s'approprier le Choixpeau, il ne lui fallait que deux choses ; le mot de passe de Chourave pour entrer dans le bureau de la directrice, et se rendre à Poudlard pour aller le chercher, ce qu'il n'avait même pas à faire lui-même. Une fois le moyen d'entrer entre ses mains, il pouvait bien confier la tâche à quelqu'un d'autre et il ne serait jamais lié au délit si le voleur se faisait arrêter.
Ceci dit, Chourave ne lui donnerait jamais son mot de passe comme ça. Et quel intérêt à l'assassiner ? Il restait encore beaucoup de zones d'ombres dans cette théorie.
Plumeau soutenait qu'il nous fallait chercher des preuves avant d'aller crier sur tous les toits que Bean était un criminel, et je devais bien avouer qu'elle et Will n'avaient pas tort.
Autour de nous, toute l'école ne parlait que de la deuxième épreuve, dont le mystère attisait tous les esprits, et chacun y allait de son idée pour deviner ce dont il allait s'agir. Par respect pour Lys, nous avions gardé le secret. Et puis Johan Brown paraissait tellement excité à l'idée de voir gagner Treehall que nous ne voulions pas lui gâcher le plaisir.
Lys avait une popularité incroyable. Les Louveteaux en devenaient fous de patriotisme et les natifs américains étaient gonflés d'orgueil à l'idée de voir une amérindienne représenter l'école. Quant au reste de Treehall, ils étaient tout aussi emballés par la première victoire de la championne. La pression devait être étouffante. Je n'enviais pas sa place.
Le jour de l'épreuve, les trois directeurs nous gratifièrent d'un discours vague d'encouragement et de dépassement de soi avant de nous inviter à nous rendre au terrain de Quidditch d'été.
- Mais, c'est au-dessus d'un lac, s'exclama Johan Brown. Qu'est ce qu'ils vont bien pouvoir y faire à cette période de l'année, c'est tout gelé !
Nous nous rendîmes à pied jusqu'au terrain, qui en été devait effectivement se trouver au milieu d'un lac géant. Les gradins et les anneaux jaillissaient hors de l'eau de façon caractéristique, et je m'imaginais tout à fait en train de regarder un match de Quidditch sous un ciel dégagé et ensoleillé, au dessus de l'eau sombre du lac. La violence du Quidditch Américain pouvait bien s'enflammer là-haut, la chute dans le lac devait étreindre le joueur avec plus de douceur que la pelouse anglaise.
Le paysage d'aujourd'hui ne possédait rien de cette douceur. La surface du lac, gelée, serait de la pierre pour le malheureux qui viendrait s'y écraser. Le gel venait lécher la partie basse des anneaux et des gradins.
Quand au froid mordant, il avait obligé les profs à créer un sortilège pour garder le haut des gradins au chaud pendant la durée de l'épreuve.
Celle-ci n'était visible nulle part. Depuis le milieu des gradins, rien ne laissait deviner qu'il allait s'y tenir un événement de cette ampleur. Hormis lancer les champions dans une poursuite sur patinoire, je ne voyais pas bien ce qu'ils allaient bien pouvoir y faire. Et aucune trace de labyrinthe de glace.
Plumeau et moi suivîmes Johan Brown et ses comparses dans la tribune de Treehall. Le blason de l'école était brandi partout. Il représentait un arbre entouré d'un vautour, un cheval, un scorpion et un ours. Un loup avait été rajouté après coup en petit, tout en bas, noyé dans les racines de l'arbre. Je me demandai si c'était la raison pour laquelle il s'agissait de Louveteaux et non de Loups.
Johan Brown sortit son téléphone pour filmer l'ambiance agitée de ses camarades d'école qui brûlaient d'envie d'en découdre avec les autres compétiteurs. Les visages peints aux couleurs de Treehall rayonnaient de joie.
- Tu l'as déjà réparé ? demanda Plumeau.
Il fallait hausser la voix pour se faire entendre au milieux des cris.
- Tu rigoles ? Ça m'a pris toute la semaine à bûcher sur les livres que tu m'as passés pour arriver à lui redonner une tête à peu près correcte ! Et encore, même si j'ai réussi à refaire marcher les fonctions magiques, les applis no-maj' sont complètement irréparables. J'ai pu sauver l'appareil photo et la messagerie, mais le reste, c'est mort. Je dois rendre le résultat de mes recherches demain mais je vais me faire complètement défoncer par Lewis.
- Bah, il te fera la leçon et il te le remettra comme neuf, fis-je.
Il grimaça.
- C'est que tu le connais pas assez. Je peux toujours rêver.
Mon regard accrocha une tête rousse mal coiffée qui descendait les gradins vers nous avec un air de fugitif. Elle profita du moment où Plumeau s'éloignait avec Johan Brown filmer la glace en contrebas pour s'approcher de moi.
- Est-ce que je peux venir avec vous le temps que Rowe et Alyss me rejoignent ?
J'eus un soupir désespéré. Puis un sourire para mon visage.
- Mais bien sûr, Kathleen, tu peux venir ! Et on est assez copines pour que tu sois pas obligée de demander, non ? Moi, ça me fait plaisir quand tu viens, alors te gêne pas !
Pour toute réponse, elle serra ses bras autour de moi.
- Houlà, qu'est-ce qui t'arrive ?
Je lui rendis son étreinte quand je l'entendis rire de sa petite voix de souris.
- Merci ! J'ai vraiment de la chance de vous avoir, toi, Rowe, Alyss et Lyra. Merci merci merci !
J'éclatai de rire devant cet excès de gratitude, mais j'en restai quand même un peu émue de la voir autant rayonner de joie. C'était si rare.
- C'était quoi, cet air inquiet, tout à l'heure ?
- Ah, ça ? David a décidé de m'étriper aujourd'hui.
- Qui ?
- Taylor. Tu sais, un des poursuiveur de l'équipe...
- Ah, oui, ça y est, je le remets. La grosse brute. Qu'est-ce qu'il te reproche encore ?
Elle se gratta le nez nerveusement en regardant de biais.
- J'ai encore attrapé le vif d'or trop vite et on a perdu de dix points contre les Vautours. Mais de toute façon on allait jamais rattraper le score et plus j'attendais, plus l'écart aller se creuser.
- Il est débile ? C'est complètement grâce à toi si vous avez gagné contre Gryffondor, l'autre fois. Ton équipe était en train de se faire mettre la misère quand t'es entrée en jeu.
- L'autre attrapeuse était pas très douée, c'est tout, s'excusa-t-elle d'un ton modeste.
- Potter ? Oui, c'est pas faux. Elle est complètement pistonnée, et si la moitié de sa famille était pas déjà dans l'équipe, elle aurait jamais été prise.
Elle pouffa doucement.
- T'y vas fort.
- Je serais plus tendre si elle était pas la pire des pestes. On est d'accord, non ? Elle est complètement insupportable ?
Elle dut me donner raison. De toute façon, qui pouvait bien me donner tort ? Layla Potter, ou Lily Potter, comme elle se faisait appeler, était non seulement une crapule de première espèce, mais en plus elle avait cet air mielleux avec les profs qui lui laissaient passer n'importe quoi à cause de son nom. Et plus irritant encore, elle considérait tous les non-Gryffondors comme de la bouse, et nageait dans sa célébrité comme une reine au milieu de ses sujets.
- De toute façon, Kathleen, tout le monde s'est rendu compte que t'étais douée. Peu importe ton adversaire, repris-je. Est-ce que t'as déjà joué un match sans attraper le vif d'or ?
Elle devint rouge tomate et baissa les yeux.
- Non, mais...
- Tiens ! J'entends cracher sur Lily, et qui je vois ?
Je me retournai d'un bloc, m'attendant à tomber sur James Potter et Louis Weasley, mais ce n'était qu'Alyss qui avait parlé, accompagné de Rowena Fox.
- Je peux participer ? demanda cette dernière. Moi aussi, j'ai des choses à dire sur Potter.
- Toi aussi tu t'y mets, Rowe ? reprocha son camarade.
- Je suis pas du style à dire du mal des gens biens. Tu sais ça. Mais elle en fait absolument pas partie, répliqua Rowena.
Il fronça les sourcils et prit cet air concentré dont lui seul avait le secret.
- Je comprend pas, ça doit être un trucs de filles parce qu'avec moi, elle est super sympa.
- Peut-être qu'elle te fait les yeux doux pour jeter ses griffes sur toi quand tu t'y attendras le moins, et être la première à mettre sa langue dans ta bouche de crétin fini, lança Rowena avec amertume.
- Quoi ?
C'était amusant de voir combien Alyss était aveugle devant l'attraction magnétique qu'il exerçait sur toutes les filles qui le croisaient. De ses yeux noir d'encre plein de cils et sa frange trop longue, à son air maladroit et serviable, jusqu'à ses joutes avec Eli dès que son honneur était mis à mal, tout en lui faisait aimant. Mais tout ça lui échappait. Le jour de la Saint Valentin, il avait reçu des kilos de lettres et de chocolats, ce qui l'avait laissé plutôt perplexe, et il avait réparti son butin à tout le dortoir des garçons en pensant le celui qui avait déposé ce tas sur son lit avait oublié de le distribuer.
- Peut-être que t'es jalouse, répliqua Alyss après un moment de réflexion.
Il n'obtint aucune réponse, seulement un rideau de cheveux châtains lorsqu'elle tourna la tête de l'autre côté. Elle portait ses cheveux aussi longs que Lyra, mais avait préféré se couper une frange droite plutôt que de s'embêter avec une barrette comme sa sœur.
Le bruit ambiant s'intensifia brutalement et la foule se pressa vers le bord des gradins pour voir ce qu'il se passait. Un orchestre s'était mis à jouer. Une voix amplifiée s'éleva pour présenter les champions.
- Voilà que s'avance en premier celle qui mène le tournoi ! Une sorcière qui n'a pas froid aux yeux ! La championne de Treehall ! Lys Gardener !
Une image en trois dimensions se matérialisa au milieu du terrain, prenant la forme d'une Lys colossale s'avançant l'air déterminé. Elle était méconnaissable. La moindre parcelle de son corps était recouvert. Son masque était passé par-dessus une cagoule et elle portait une combinaison de ski, des gants et des bottes. Dans ses mains elle serrait sa baguette et une grosse clef.
- Une technologie no-maj' pour affronter un froid magique, c'est surprenant ! Mademoiselle a bien deviné le lieu de l'épreuve, en tout cas !
- Tout à parier que son masque est ensorcelé, fit remarquer Rowena. Je pense que toute sa tenue est à l'épreuve du froid. Le présentateur a rien compris.
Une deuxième forme apparut à sa droite, représentant un jeune homme torse nu et frigorifié, une grosse clef pendue à son cou. Je reconnus le champion du Pacifique à sa musculature et sa fameuse coupe au bol.
- Ho ! Ho ! En voilà un qui ne se doutait pas du sujet de l'épreuve d'aujourd'hui ! Le champion de Kai'ohana ! Kai Mahi'ai ! Sa course risque fort d'être raccourcie !
En effet, on voyait clairement la vapeur s'échapper de ses lèvres bleues, alors qu'il essayait vainement de se réchauffer en se frappant les flancs.
Une troisième silhouette se matérialisa à gauche de Lys. Soleil-man était tout ce qu'il y avait de plus serein et confiant. Les disques dorés qui pendaient contre sa poitrine et à ses oreilles diffusaient une lueur dorée. Il était habillé de la même robe à capuche qu'il portait tout le temps ; pas de moufle ou de bonnet en vue.
- Et notre dernier champion n'est pas des moindres ! Le champion de Nocheira ! Inca Quiroz ! Il n'a pas l'air de souffrir du froid, et pourtant ! Pas de trace de sortilège connu ! Est-ce une magie secrète du peuple Inca que nous avons le loisir de découvrir ?
Les trois images magiques restèrent un moment puis disparurent pour laisser la place à une représentation du labyrinthe.
- Ils n'ont pas tous deviné les circonstances de l'épreuve, mais qu'en est-il des clefs qu'ils ont récupérées lors de la première épreuve ? Ont-ils trouvé la réponse à l'énigme ?
Le sorcier qui commentait s'en donna à cœur joie quant à nous faire part de tout ce qui lui passait par la tête.
Je compris que l'épreuve se déroulait juste en dessous de nous, à l'intérieur du lac. Le labyrinthe avait l'air extrêmement complexe. J'aurais été incapable de m'y retrouver, surtout avec ces murs de glace quasiment transparents. Je n'avais jamais été une adepte des palais des glaces dans les fêtes foraines.
Le départ fut donné pour Lys, qui était arrivée en tête. Les deux autres suivirent peu après. Passa un premier temps d'exaspération devant les commentaires inutiles qui résonnaient dans tout le terrain, rapportant ni plus ni moins que ce que tout le monde pouvait voir sur la représentation du labyrinthe. Cependant, au fur et à mesure que les champions s'enfonçaient dans le labyrinthe, leurs actions devenaient parfois illisibles.
- Quiroz échappe enfin des griffes du serpent à plumes qui lui a fait perdre beaucoup de temps ! Gardener semble ne jamais ralentir sa progression ! Alors que Mahi'ai est toujours sur le départ à chercher un sort pour se réchauffer ! Quel malheur pour les supporters de Kai'ohana ! La course est déjà finie pour lui !
Tout le monde devenait fou autour de nous. Ils étaient tous debout à faire du bruit pour encourager Lys. Un grand dadais avec une voix éraillée à force de crier nous rendait sourds en s'égosillant « LOUVETEAUX ! ».
- Mais... ! Incroyable ! Mahi'ai, qui vient de finalement réussir son sort de caldulbus après avoir échoué avec un caldere animus, est en train d'essayer d'enchanter une plaque de glace ! Drôle d'idée. J'ai pourtant l'impression de la voir bouger ! Mais oui ! Elle s'élève au dessus du sol ! Il vient de monter dessus et de partir à toute vitesse au cœur du labyrinthe ! Mais rien ne sert de courir, il faut sortir les poings, comme dit ce proverbe no-maj'!
- J'ai jamais rien compris à cette fable, confia Johan Brown.
Le début de l'épreuve était excitant, mais je dois bien avouer que quelques heures plus tard, l'entrain venait à diminuer.
- C'est qui ce garçon qui traîne toujours avec toi, Kathleen ? demandai-je à propos du Serpentard aux cheveux décolorés qu'elle suivait tout le temps.
Elle reporta son attention sur moi.
- Andrew ? C'est le seul qui accepte de s'asseoir à côté de moi en cours. Quand on était encore à Poudlard, les cours étaient en commun avec toi, Alyss ou Rowena. Mais ici, comme ils nous ont mis en commun avec les Tribus de Treehall, je suis toujours toute seule.
Moi qui avais lancé cette question pour la taquiner... Beau résultat.
Nicholas Fergusson choisit ce moment pour se faufiler entre nous l'air contrarié.
- Vous auriez pas vu un petit bonhomme avec une salopette rouge se balader par ici ? demanda-t-il. Tout petit. Pas plus de dix centimètres.
Je secouai la tête en signe de dénégation et il poursuivit son chemin en maugréant et en interrogeant tous ceux qu'il croisait.
- Il y a une chose qui me perturbe depuis le début de l'année, Rowe, fit Alyss. T'as remarqué comme tous les Serpentard ont peur de Lyra ?
- Si j'étais eux, j'aurais aussi peur de son caractère de cochon, plaisanta-t-elle.
- Non, ça va plus loin que ça, poursuivit sérieusement Alyss sans remarquer le ton ironique. Ils l'évitent et je suis quasiment sûr d'en avoir vu certains obéir à un ordre de sa part.
- T'auras qu'à lui poser la question directement, répondit Rowena, je suis sûre qu'elle se fera un plaisir de t'expliquer. Moi s'il y en a bien un qui m'angoisse, c'est Dink avec ses levers de doigt supersoniques en cours. T'as vu ça ?
Alyss éclata de rire.
- J'avoue que je me demande d'où il sort toutes ses réponses.
Les hypothèses fusèrent, jusqu'au fait que Dink était probablement un robot sanguinaire programmé pour être major grâce à la télépathie. Puis Lys finit par s'approcher de la fin du labyrinthe.
- Quiroz semble s'éterniser dans ce sortilège de miroirs et la victoire s'éloigne de lui ! Gardener a atteint la porte en pierre qui met fin à l'épreuve !
Sa petite silhouette prit plus de taille et nous vîmes mieux ce qu'il se déroulait. Le commentateur continuait de débiter son flot de paroles inutiles. La fin du labyrinthe débouchait sur un vaste pan de mur en pierre gelé. Un trou de serrure colossal y était percé. Lys sortit sa clef titanesque et l'y introduit.
En un instant, une sphère opaque d'une dizaine de mètres de large entoura Lys et le pan du mur, nous masquant la scène qui devait s'y dérouler.
Un long moment s'écoula.
- Le Mur des Murmures ! Un trésor de mystères ! Sa capacité à sonder l'esprit et son espièglerie sont bien connus de Treehall, pas vrai ? Ses énigmes font le bonheur des élèves joueurs, et le mien également, car à présent le suspens est à son comble ! Si Gardener a su sortir indemne de son énigme, ce sera certainement un grand pas vers la troisième épreuve !
Comme pour répondre à son affirmation, le globe s'évanouit, laissant apparaître le même sol gelé qu'auparavant. Seulement, à présent y gisait Lys, sans sa combinaison de ski et inconsciente.
Les cris de joie et d'excitation se changèrent en grondements d'appréhension.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? demandai-je, mais le bruit de la cohue emporta mes paroles.
Soleil-man semblait définitivement coincé dans sa prison de miroirs, mais le champion de Kai'ohana se rapprochait dangereusement.
Lorsqu'il arriva en face du mur, il parut hésiter un long moment, sa clef à la main. Il approcha sa clef de la serrure, puis changea d'avis et alla s'agenouiller près de Lys. On aurait dit qu'il cherchait un moyen de la protéger contre le gel qui avait déjà commencé à entamer ses cheveux blancs. Il peina aussi longtemps qu'à son départ pour trouver la bonne façon de lancer le sort qui lui permettait de se déplacer torse nu sans risquer l'hypothermie. Une fois Lys mis au chaud magique, il la souleva pour l'éloigner de la zone.
Des murmures d'étonnements parcouraient à présent la tribune. J'imagine que le phénomène se voyait rarement. Les champions devaient probablement plus souvent se tirer dans le dos que l'inverse.
Le champion de Kai'ohana repartit en courant dans la direction de la serrure, mais tout le public sauta sur ses pieds quand Soleil-man lui coupa l'herbe sous le pied en tournant sa propre clef en premier. Le globe reparut et le champion torse nu s'arrêta net à sa frontière. Des huées s'élevèrent de tout autour du terrain.
Lorsque le globe s'évanouit, Soleil-man avait disparu. Coupe-au-bol se précipita à sa suite et tourna sa clef. Le globe revint une dernière fois, puis s'effaça pour toujours, sans aucune trace du champion de Kai'ohana.
- Ils sont où ? s'enquit Plumeau un peu plus loin.
- Si c'est bien le Mur des Murmures, répondit Johan Brown, alors ils doivent être quelque part dans leur inconscient en train de vivre chacun une énigme qui leur est spécialement dédiée. Mais j'ai l'impression que Lys a pas pu y accéder...
Sa déception était palpable.
Il y eut un éclair et Soleil-man reparut avec un air triomphant, les bras levés. Coupe-au-bol revint lui aussi, quelques minutes plus tard, et une trompe sonna la fin de l'épreuve.
L'image s'effaça. Il ne restait que le lac gelé.
- Vous croyez que Lys a perdu ? demanda Johan la voix pleine d'inquiétude. Elle va pas être disqualifiée du tournoi, quand même ?
- Mais non, le rassurai-je sans aucune certitude de ce que disais.
L'attente fut courte avant que la voix du commentateur ne s'élève à nouveau.
- Le jury a délibéré ! La première place revient à Nocheira ! Seconde place : Kai'ohana ! Et enfin, Treehall en troisième place ! Nous nous reverrons au mois d'Avril pour la troisième et dernière épreuve de ce tournoi !
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- Hé ! Vivent-les-moldus ! Si je pensais te croiser à un endroit pareil !
Je sentis tous mes poils se hérisser. L'après-midi était parti sur une note pourtant agréable, sur les canapés moelleux du Foyer, la grande salle commune d'accès libre pour toutes les Tribus, en compagnie de Plumeau et Johan Brown. Le mois de mars était déjà bien entamé, et nous étions sur le point de lui soutirer où était le bureau de Bean.
Un quatrième année avec une masse de cheveux auburn indomptables sur le crâne se tenait accoudé à mon dossier. Un grand rouquin avec une natte et un sourire charmeur était campé près de lui, deux filles glousseuses sur ses talons.
- Je suis ravi de voir que tu t'es faite des amis sorciers, continua-t-il. Tu vois qu'il y a pas que les moldus dans la vie.
Je décidai de ne pas répondre et de l'ignorer. Je devais reconnaître que le jour de notre rencontre sur le Chemin de Traverse, je ne m'étais plus sentie et j'avais été complètement insupportable. Mais j'avais des circonstances atténuantes : je venais de découvrir que j'étais une sorcière, ce qui était un bouleversement en soi, et associé au fait que c'était mon vœu le plus cher, je m'étais prise pour la reine du monde.
Ceci étant, il aurait pu avoir la décence d'oublier notre altercation et voir que j'étais quelqu'un de normal au final, non ?
- James Potter, enchanté, fit-il en direction des deux autres. Et lui c'est Louis Weasley.
Il afficha un sourire satisfait en voyant les visages se transformer à l'évocation de son nom. Il passa une main dans sa touffe pour l'ébouriffer puis se redressa pour s'en aller.
- Tu me diras des nouvelles de la rêveuse la prochaine fois qu'on se croise, Vivent-les-moldus ?
Le groupe disparut derrière un coin de mur et je pus à nouveau respirer normalement.
- Tu m'avais jamais dit que tu connaissais James Potter, fit Plumeau.
La nonchalance de son ton laissait à penser qu'elle s'en fichait totalement. En revanche, Johan Brown avait encore les yeux ronds d'admiration. Puis il capta quelque chose au loin et sourit en agitant la main.
- Salut Quilla, dit-il à la fille qui s'approchait.
Je reconnus Poncho à ses cheveux noirs qui n'avaient probablement jamais rencontré un peigne de leur vie, et à ses grands yeux écarquillés. Et à son poncho aussi, évidemment.
- Salut. Je suis contente que pas les autres débiles.
Elle devait parler du quatuor de la Tribu du Cheval qui l'avait mise en rogne le soir du bal.
- Je les ai laissés au Cheval en train de jouer à action ou vérité pour venir passer un moment avec les copines anglaises. Il nous manque juste les tasses de thé.
- Bien, les préjugés, applaudis-je.
- Je rigole, dit-il. Viens t'asseoir avec nous, Quilla. On parlait de quoi tout à l'heure, les filles ?
J'échangeai un regard avec Plumeau alors que Poncho venait nous rejoindre. Est-ce qu'on avait intérêt à parler de notre histoire d'assassinat avec elle dans les parages ?
- On l'a barrée de la liste, souviens-toi, fis-je à Plumeau.
- Oui, je sais, mais...
Elle rechignait à aborder le sujet devant Poncho. Et si nous l'avions mal jugée, après tout ?
- J'ai rien compris, constata Johan Brown. On parlait de Bean tout à l'heure, non ? Ah ! Je me souviens ! Vous vouliez savoir à propos de son bureau ! Il a deux bureaux. Celui d'été est dans le Tronc et celui d'hiver au Sous-sol. Actuellement, il doit pas encore avoir déménagé dans celui d'été. Mais pourquoi vous voulez savoir ça ? Malany se tourne vers un ours maintenant ?
La tirade fut ponctuée d'un clin d'œil appuyé. Plumeau ne put réprimer un rire et mon front tomba dans ma paume.
- Tu vois, Quilla, elle adore les poils, chuchota-t-il lourdement à sa voisine.
Je tentai un commentaire pour leur faire comprendre qu'ils avaient épuisé l'effet comique de la blague depuis au moins mille ans mais Poncho s'esclaffa à son tour et ruina ma tentative.
- On pourrait leur expliquer notre problème, murmurai-je à Plumeau. Ils pourraient nous aider. Je suis pas contre un coup de main, si on doit aller fouiller le bureau d'un prof.
- C'est une très mauvaise idée, répondit-elle à voix basse. Moins on est nombreux au courant, mieux c'est.
- Au courant de quoi ? Vous allez fouiller le bureau de Bean ? Cool ! On peut venir ?
Plumeau sembla se décomposer. Je lui adressai un sourire d'excuse.
- Trop tard.
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Malgré l'air grognon de protestation de Plumeau, je finis par leur raconter la totalité de notre problème. J'espérai en mon for intérieur qu'elle n'avait pas raison. Si Poncho était mêlée à l'assassinat, je venais de signer notre arrêt de mort. Mais je ne croyais vraiment plus du tout à l'hypothèse Soleil-man/Poncho, ni à aucune autre en dehors de Bean.
Je me félicitai de mon manque de discrétion quand Johan Brown nous apprit que le mot de passe du bureau de Bean était une phrase Cherokee accompagnée d'une fumée préparée par Hernandez, et que Poncho se révéla parler couramment plusieurs langues natives, dont le dialecte Cherokee.
Un regard satisfait vers Plumeau ne me valut qu'une moue désapprobatrice en retour.
- Au final, entrer dans le bureau sera super facile, conclut Johan Brown. Le gros souci va être d'y rester un long moment et en ressortir sans se faire choper.
- Je dirais pas super facile, fit remarquer Poncho. Je parle Cherokee mais je connais pas le phrase pour bureau.
- Ouais, ajoutai-je, et je nous vois pas demander directement à Hernandez, le cœur sur la main, « Ho dites, vous voudriez pas nous filer de la fumée magique qui ouvre le bureau de Bean ? On voudrait juste fouiller dans ses affaires ».
Il fit un clin d'œil.
- Joe et Joey ont joué plus d'un sale tour aux profs en se faufilant dans leur bureau. C'est super facile, je vous dis.
- Hé ! On se calme, là ! Pas un mot à Joe ni Joey de cette histoire, s'inquiéta Plumeau.
Cette fois, je partageais son avis.
- On préférerait que ça reste entre nous quatre, renchéris-je.
- Bon, bon, ça va, céda Johan Brown, de toute façon je les ai vus à l'œuvre. Je devrais pouvoir me débrouiller. Le principal problème, ce sera de...
Un bonhomme minuscule en salopette et casquette rouges de dix centimètres de haut à peine trouva le moment opportun pour venir sautiller à pieds joints entre nous en émettant des « Ho ! » et des « Ha ! » à chaque décollage. Il aurait tenu en entier dans ma main. Il alla gaiement faire des cabrioles dans les mèches rebelles de Poncho, qui s'affola et chercha à le saisir en vain. Nous nous joignîmes à ses efforts, sans plus de succès. Le petit homme se faufila derrière Johan Brown puis lança joyeusement « It's a-me, Mario ! » une fois perché sur sa tête, remuant ce faisant sa moustache bien fournie.
- Il me semblait bien qu'il me disait quelque chose, lui, commenta Plumeau.
L'intéressé changea brusquement d'attitude et détala en bondissant vers une des sorties, ponctuant sa course par des « Ho ! » répétés.
- Je disais donc, avant que le clown ne vienne nous interrompre... continua Johan Brown.
- C'est un plombier, corrigea Plumeau avec des yeux rieurs.
- Bref, peu importe, je...
- Hé ! Vous auriez pas vu un petit bonhomme en salopette passer ? Salut les filles, au fait, fit un nouvel arrivant.
Fergusson venait de se glisser entre nous avec une expression contrariée, sa Nintendo DS à moitié démontée dans la main.
- Il parti par là-bas, dit Poncho.
- On dirait que ça avance bien, ton bricolage, ironisai-je.
Il soupira.
- M'en parle pas. Un vrai cauchemar.
Il s'éloigna en appelant « Mario ! Au pied ! » et tourna au coin du mur.
- Je disais donc, répéta Johan Brown qui commençait à perdre patience, que notre principal problème reste entier, à savoir comment rester seuls pendant notre virée chez Bean. Ce serait rageant d'être dérangés en pleine fouille.
- J'y ai pensé depuis la dernière fois, répondit Plumeau d'un air hésitant, et j'ai peut-être une solution.
- Ah bon ? Cool, s'étonna-t-il.
Encore un qui découvrait avec surprise que le cerveau de Plumeau marchait bien plus vite que ce que laissait penser son attitude détachée et silencieuse au premier contact. Pour ma part, je ne comprenais toujours pas ce qu'elle faisait à Poufsouffle.
- C'est tout simple, poursuivit-elle en s'empourprant. Il suffit que tout le monde soit hors de Treehall. Il y aura qu'une occasion où tout le monde sera réuni hors de l'école. C'est lors de la troisième épreuve du tournoi.
- Ah, oui. C'est vrai, comprit Johan. Il nous faudra agir à ce moment-là.
- On aura qu'une seule chance, et il y a deux bureaux à fouiller. Je propose qu'on se sépare en deux. Toi et Poncho, vous irez au bureau d'été, et avec Malany on ira au Sous-sol.
- Génial, fit-il.
- Attends, remarquai-je, tu nous avais pas dit que c'était inondable, le Sous-sol ? L'épreuve a lieu en avril, je vous rappelle.
- Non, le bureau de Bean est dans la partie haute du Sous-sol. Vous serez au sec, me rassura-t-il. Et ça nous laisse presque un mois pour trouver la formule d'entrée. C'est parfait.
L'excitation qui rayonnait autour de lui était contagieuse, et je me sentais l'activité d'une pile électrique. J'avais envie d'y aller tout de suite. Mais Plumeau avait raison, il fallait attendre.
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- Je pense que tu l'as assez bien saisie, répétai-je avec lassitude.
Plumeau s'évertuait pourtant à poursuivre son charabia Cherokee en remuant sa baguette avec précision. Nous avions quitté le Foyer et ses centaines d'yeux indiscrets pour nous isoler sur l'une des plus hautes branches de l'école. Nous y venions tous les jours depuis plus de deux semaines pour nous entraîner à la formule ouvrant le bureau de Bean. Difficile d'oublier que c'était sur ces mêmes hauteurs que nous avions failli laisser notre peau pendant la tempête. Pourtant, l'atmosphère avait bien changé. La neige avait en partie fondu, et malgré la persistance d'un vent glacial et humide, on pouvait deviner le printemps dans les quelques gazouillements d'oiseaux de retour en avance. Nous avions appris à prendre bien soin de respecter un périmètre de sécurité large autour du rêveur, qui squattait toujours le même endroit.
Plumeau arrêta son marmonnement incessant et sembla plongée un instant dans ses réflexions. Les courants d'air chassaient les mèches brunes de son front pâle, mais son plumeau tenait bon malgré les rafales.
- Imagine que ce soit pas la bonne formule, fit-elle.
Je soupirai. Elle paraissait de plus en plus anxieuse à mesure que les heures nous rapprochant de la troisième épreuve s'amenuisaient.
- C'est la bonne formule, la rassurai-je. De toute façon, ce serait trop tard.
- Je sais, accorda-t-elle.
L'épreuve devait avoir lieu en fin d'après midi. Nous n'avions rien eu à faire, la formule nous était tombée dans les bras au bout d'une semaine à peine, une fois que Joe l'eut obtenu du pote au frère d'un de ses amis du Vautour, enfin bref, un collectionneur de retenues qui avait profité de son séjour dans le bureau de Bean pour capter la dite formule à travers la paroi en bois qui servait d'entrée. La formule était rarement changée, puisque seule une baguette de cerisier comme celle que possédait le directeur adjoint pouvait espérer pouvoir ouvrir le bureau avec la formule appropriée et la fumée d'Hernandez, or les baguettes de cerisier ne couraient pas les rues.
Mais heureusement pour notre projet, l'une d'entre nous possédait justement une baguette en bois de cerisier.
- Peut-être que Neygus s'est trompé, poursuivit Plumeau. Peut-être qu'il faut la baguette de Bean et pas une baguette de cerisier quelconque.
- C'est trop tard aussi, répondis-je. Et s'il faut piquer la baguette de Bean, c'est mort. Tu vois un moyen ? Ne t'en fais pas, il avait l'air certain. Ce genre de sortilège de sécurité est loin d'être assez évolué pour différencier deux baguettes semblables.
- Il pourrait très bien faire la différence au niveau des cœurs, insista-t-elle. On ferait peut-être mieux de pas y aller.
- C'est quoi le cœur de ta baguette ?
- Ventricule de dragon.
- Bon ! Voilà ! Tout à parier que cet arriviste de Bean a aussi du dragon, non ?
Un cognard vint s'encastrer en une multitude d'éclats d'échardes dans le tronc à quelques centimètres de nos têtes. Quand mon cœur eut daigné recommencer à battre, je lançai un regard débordant de rage à l'origine du projectile, les insultes prêtes à sortir.
Ce fut Zach Andersen qui fit son apparition, le petit frère de Steven, à califourchon sur un balai volant, agitant la main en signe d'excuse.
- Je suis vraiment, vraiment désolé, j'ai pas réussi à le rattraper celui-là, mais en même temps vous avez vu les patates que m'envoie Marius ? … Hou ! fit-il surpris, fais gaffe à toi. C'est une tête monstrueusement déformée que je vois là. Et tout sorcier sait qu'avec un vent pareil, on a vite fait de rester coincé à vie.
Mon visage se détendit de perplexité devant l'énormité de ce qu'il affirmait avec conviction.
- Mieux, ajouta-t-il avec un pouce en l'air.
Il posa le balai au sol et sortit sa baguette.
- Accio cognard !
Aucun effet.
Il grogna et recommença plusieurs fois avant que Plumeau ne lui vienne en aide pour démouler sa balle.
- Merci, t'es géniale ! Je vous paie un jus de citrouille à toutes les deux cet après midi pour me faire pardonner. On aura qu'à se retrouver pour aller voir l'épreuve ensemble, on ira s'asseoir à côté. Je suis sûr que ça va être géant ce soir. C'est d'accord ?
- Heuuu... oui, dis-je en regrettant aussitôt mes paroles.
- Super, à tout à l'heure, fit-il en s'envolant.
J'échangeai un regard catastrophé avec Plumeau.
- Qu'est-ce qui t'a pris de dire oui ?
- J'en sais rien, paniquai-je. Je voyais pas comment refuser ! Je pouvais pas dire non.
- Il fallait dire non, corrigea Plumeau. Qu'est-ce qu'on va faire, maintenant ?
- On peut pas lui mettre un lapin, quand même.
- C'est toi qui voulais y aller, au Sous-sol, non ? Moi j'y tiens pas, finalement, donc si tu veux, on...
Je flairais l'embrouille.
- Hors de question de laisser tomber. On s'est entraînées à réciter cette formule débile pendant des jours et des jours, et puis la vie de Chourave est en jeu, je te rappelle.
Elle souffla, mais acquiesça.
- On a qu'à le prendre avec... commençai-je.
- Non !
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- Vous venez, les filles ?
- Partez devant, on vous rejoint. Plumeau a perdu le drapeau hurleur qu'on avait acheté pour l'occasion. Il faut qu'on le retrouve d'abord.
- Ah bon, à tout à l'heure !
Fergusson quitta le Raton avec Grace et Cédric. La salle commune se vida au compte goutte. Nous attendîmes d'être les dernières pour sortir... et nous retrouvâmes nez à nez avec Zach Andersen.
- Vous en avez mis du temps ! Je vous attendais, moi ! On va rater le coup d'envoi.
Je sentis Plumeau se tendre de manière perceptible près de moi. Notre expédition n'avait même pas encore commencé que déjà elle tournait à la catastrophe. Ce fut Plumeau qui brisa le silence gênant qui s'installa.
- Ah ! Je viens de m'apercevoir ! J'ai oublié mon drapeau hurleur dans mon sac...
Nous le plantâmes là et passâmes la porte du Raton à nouveau. Mais à notre plus grand désespoir, il nous suivit. Il avait croisé les bras, et fronçait les sourcils sous une intense réflexion.
- Je suis peut-être un peu lent à la comprenette mais pas totalement stupide. Je t'ai entendu servir la même excuse à Ferguss tout à l'heure. Qu'est-ce que vous fabriquez ?
J'avais beau tourner le problème dans tous les sens, je ne voyais aucun moyen de revenir en arrière. Il se tenait debout les pieds dans le plat et attendait notre réponse. Les secondes s'écoulaient inexorablement.
- Alors ?
Son visage s'éclaira d'un coup. Il sourit et lança un clin d'œil.
- Si vous préparez un sale coup, chuchota-t-il, je veux en faire partie. C'est quoi le plan ? Si c'est pour aller faire des crasses en salle des profs pendant que tout le monde est occupé, je suis cent pour cent partant. Je prends Lore et cette vielle bique de Swan. Je sais exactement où c'est.
Il tendit la paume et attendit le check approbateur.
- On a pas le choix, fis-je en direction de Plumeau.
- Non, t'as raison, on a pas le choix, répondit-elle en écho en pointant sa baguette sur Zach.
- Holà ! s'exclama-il. Doucement. Qu'est-ce qui te prend ?
- Plumeau ! C'est pas ce que je voulais dire ! Je pensais l'emmener avec nous.
Je posai une main sur son bras tendu et l'abaissai. Elle avait rougi.
- Pardon.
Je plaquait ma paume dans l'une de celles de Zach et l'attirai.
- On va pas à la salle des profs. C'est très sérieux, et en aucune circonstance tu dois nous gêner, compris ?
- Euuh... Ok ? Je crois ? Qu'est-ce que t'entends par sérieux ? On tue personne, hein ? Vous me faites flipper. Tout compte fait, je vais peut-être aller voir la troisième tâche.
- Maintenant que t'es mis dans la confidence, soit tu viens, soit je te pétrifie jusqu'à la fin de l'épreuve. Sinon tu vas tout cafter, expliqua Plumeau.
- J'imagine que t'as raison, confirmai-je.
Après tout, être pétrifié, ce ne devait pas être si gênant, il se débloquerait dans quelques heures. Et puis Hermione Granger avait bien fait ça, elle, et c'était une héroïne.
- Je suppose que je vous accompagne, alors, hésita Zach. Avancez devant, je vous suis.
- Pour que tu tapes un sprint dès qu'on aura le dos tourné ? Passe devant, fis-je.
- Chouette, lança-t-il.
Nous descendîmes le long des racines de l'Humus en file. Plumeau fermait la marche. Le vert sylvestre et les trouées lumineuses se firent plus rares à mesure que nous progressions. Nous atteignîmes l'écriteau en bois indiquant « Accès interdit de Mars à Juin et de Septembre à Novembre – Secteur inondable ». Les lumières du couloir n'allaient pas au-delà, et il régnait au loin une obscurité insondable.
- Ne t'arrête pas, Zach, lui intimai-je. On continue de descendre. Lumos.
- Quoi ? Ah, non, je descends pas là-dedans, moi. C'est plein de bestioles sauvages. Et en plus il fait noir...
- C'est trop tard pour changer d'avis, dis-je. Fais pas ta poule mouillée.
- Au contraire, j'aimerais bien rester au sec autant que faire se peut...
Il se décida pourtant à progresser dans le couloir sombre. Nous fûmes rapidement dans le noir total, si ce n'étaient nos lumos. Les trois lueurs faiblardes faisaient danser des ombres mouvantes sur notre chemin.
- Enfreindre les règles pour faire des trucs fun, ça me paraît justifié, voire même indispensable pour profiter de la vie, mais le faire pour aller se balader dans un endroit aussi glauque, et dangereux, ça me laisse perplexe.
Les escaliers du Sous-sol étaient faits de glaise, grossièrement maintenus par des racines rongées. Aujourd'hui, la terre était humide, et il fallait redoubler de vigilance pour ne pas glisser. Des filets d'eau ruisselaient dans des sillons érodés sur les murs et entre nos pieds. Il fallait esquiver les gouttes d'eau boueuse qui tombaient sur nos têtes. L'éclairage orangé du Sous-sol avait perdu de son éclat dans le noir. Il en dégageait un sentiment d'oppression.
Nous avions bifurqué plusieurs fois pour nous rapprocher du bureau de Bean. Les salles de classe désertes étaient couvertes de gadoue. Nos chaussures s'enfonçaient jusqu'aux chevilles à chaque pas avec un bruit de succion.
- Si Marvin savait ce que je suis en train de faire subir à ses baskets...
- Si je me souviens bien, il faut prendre à droite pour trouver l'escalier privé qui doit nous conduire au bureau de Bean, suggérai-je.
- Tu te souviens bien, confirma Plumeau. Ensuite on devrait tomber dessus au bout du couloir d'en-dessous.
- Au bureau de Bean ? C'était la peine de faire tout ce chemin pour aller faire des crasses à ce gros lourdaud ? La salle des profs était beaucoup plus accessible, quand même...
Il pesta dans sa barbe mais n'arrêta pas son pas.
Nous étions arrivés en haut des escaliers qui descendaient jusqu'au bureau de Bean. Ce n'étaient plus des filets d'eau mais de véritables ruisseaux qui couraient dans ces escaliers-ci.
- Vous êtes sûres de vous pour ce coup-là ? Regardez le bas des marches.
En effet, nous avions un problème. Les dernières marches disparaissaient sous l'eau.
- Ne t'inquiète pas, ça ira, déclara Plumeau. On devrait s'enfoncer jusqu'à la taille au maximum.
- Je pense que le moment est pertinent pour que je vous mette au courant du fait que je sais pas nager, gémit Zach.
- On aura pas à nager, le rassura Plumeau. On est presque arrivés.
Il s'enfonça avec réticence dans l'onde glacée. Quoi qu'ait pu nous dire Plumeau, on avait de l'eau jusqu'à la poitrine. Zach laissa échapper des vocalises quand le niveau lui remonta juste en dessous des aisselles.
- Aaah ! Comme c'est chaud ! Que c'est agréable ! Quelle jolie balade !
Je claquai mon poing entre ses omoplates mais un rire nerveux me surprit.
Heureusement, le sol remonta en pente douce et le niveau d'eau baissa jusqu'à nos genoux. Je vis la porte du bureau s'esquisser dans l'ombre et me tournai vers Plumeau pour l'avertir de commencer la formule, mais mon pied accrocha quelque chose et je perdis l'équilibre. Mon pied se décrocha et je tentai plusieurs pas en avant pour me rattraper dans un concours d'éclaboussures, dépassant Zach au passage.
Et puis d'un coup, un de mes pieds ne rencontra plus le sol au fond de l'eau. Avec horreur, je découvris un subtil tourbillon à la surface de l'eau qu'éclairait ma baguette et basculai dedans.
Une main me tira par la robe in extremis et je m'écrasai en arrière. Je sortis la tête de l'eau boueuse dans laquelle j'avais atterri et me relevai en panique. Je me tournai vers Plumeau qui semblait catastrophée. De l'autre côté je voyais toujours le subtil tourbillon qui avait failli m'avaler.
- Il est où, Zach ?
Elle resta muette.
- C'est lui qui m'a rattrapée ? Plumeau, réponds. Il est tombé dedans, c'est ça ?
Elle acquiesça en silence. Je jurai et fis tourner mon cerveau à cent à l'heure.
- Jette-moi un sortilège de Tête en bulle, lui demandai-je.
- Tu vas pas y aller, quand même ?
- Il vient de me sauver la vie, je peux pas rester sans rien faire. Vas-y, vite !
Elle hésita encore puis prononça la formule qui fit apparaître une bulle ondulante autour de ma tête. Il n'y avait plus qu'à espérer que ça tiendrait. Je sautai dans le tourbillon.
Un courant violent m'attira vers le bas dans un chaos aquatique. Il me sembla durer une fraction de seconde puis je fus recrachée dans une salle si grande que ma baguette ne permettait pas d'éclairer jusqu'à ses murs. La bulle marchait. Je respirais normalement. Je nageai autour à la recherche de Zach. Il avait dû s'éloigner. Mais vers où ? Je heurtai mon front au plafond de pierre. Pendant un instant, j'eus peur que ma bulle se délite, puis voyant qu'elle tenait bon, je partis explorer vers le bas. Des algues gigantesques montaient depuis les profondeurs, des poissons affairés autour. Je n'étais plus dans le Sous-sol. Je n'étais même probablement plus au niveau de la Roche.
- ZAAAAAACH !
Un long son grave et vibrant de puissance me répondit. Si je n'avais pas su que j'étais dans une école inondée, j'aurais pu croire qu'une baleine se baladait dans les parages... Ce n'était pas pour me rassurer. Qui sait quel genre de créatures magiques sordides avaient pour habitat ces étages à l'abandon ?
Je repérai une traînée de bulles et la suivis, en croisant les doigts pour qu'il ne s'agisse pas d'un Kelpy. Et puis je l'aperçus, s'agitant comme un fou un peu plus loin sans réussir à avancer vraiment, sûrement à la recherche d'une sortie. Je l'appelai encore et il se retourna. Ses gestes saccadés trahissaient sa panique. Il montra sa bouche avec ses doigts puis en passa un sous sa gorge. Il manquait d'air. Je lui fis signe de me suivre et nageai vers le fond en suivant les algues, de plus en plus denses. Il devait bien y avoir une sortie à cette salle, un moyen de retrouver les escaliers et remonter. Je m'accrochais à cet espoir et refoulais la certitude affreuse que nous n'aurions jamais le temps de tout remonter. Je ne savais pas à quel niveau nous étions, mais vu la faune et flore du coin, cet endroit devait être immergé la totalité du temps. Nous étions donc bien plus bas que la Roche elle-même.
Je crus distinguer une ouverture. En me frayant un passage au milieu de la forêt d'algues, et en écartant un tas de tiges agglutinées, je démasquai enfin la porte d'entrée. Elle était faite de bois pourri et de ferraille rouillée, et béait grande ouverte, complètement dégondée. Je passai la tête et laissai échapper un cri de joie en découvrant les escaliers.
Je me retournai, mais Zach n'était plus derrière moi. A sa place, un banc de strangulots tétait les bulles que j'avais faites sur mon passage. Je remontai précipitamment, affolée à l'idée de l'avoir peut-être perdu définitivement. Je fouillai les algues épaisses à sa recherche, appelant son nom désespérément.
Je le trouvai en train de flotter la tête en bas, immobile, enlacé à ma grande horreur par les bras d'une sirène. Son épaisse queue de poisson se prolongeait par un torse et une tête de femme, mais les ressemblances avec Ariel s'arrêtaient là. Les dents de la créature étaient une forêt de rasoirs. Elle avait ôté la robe et le pull de Zach et passait une langue démesurément longue sur la peau de ce qui devait signifier pour elle son prochain repas. Je ne fus pas assez rapide. Elle me vit et s'enfonça dans les profondeurs avec mon camarade.
- Repulso !
Je sus que mon sort l'avait atteinte par le couinement qui s'éleva de la végétation. Je retrouvai Zach et le saisis par la taille. Il retenait toujours sa respiration et tenait ses mains plaquées contre sa bouche et son nez. Ses yeux étaient plissés par l'effort. Il n'arriverait pas à nager dans ces conditions. Je devais le tracter jusqu'à la surface.
Il s'agissait de nager vite en espérant que la créature ne revienne pas rechercher son dîner. Je retrouvai la porte rouillée et m'engageai dans l'escalier qui montait. Les algues y étaient aussi denses que dans la salle. Je nageai avec force en tentant d'oublier la distance décourageante qu'il me restait avant d'atteindre les étages émergés. S'il était encore en vie, il ne le resterait pas longtemps, et alors... Je fonçai.
La végétation se raréfia, puis disparut. J'avais à peine atteint la Roche, et il me semblait que je nageais depuis des lustres. Je passai devant un mur sculpté en forme de visage d'amérindien et mon cœur fit un bond. La piscine souterraine !
Je posai ma baguette sur son nez et la pierre s'ouvrit. J'avais une idée. J'espérais juste que Zach était encore...
Je traçai mon chemin dans le creux de la roche qui accueillait la piscine en hiver, et trouvai le tunnel au fond du trou qui menait à la petite grotte.
Je perçai la surface et étalai Zach sur les galets. Il était inconscient et ne respirait pas. Sa peau presque noire tirait vers le gris et ses yeux restaient clos. J'appuyai sur sa poitrine, comme m'avait dit le père de Will. Des ruisseaux d'eau sortaient d'entre ses lèvres, mais il ne réagissait pas. Je sentais mes larmes tracer des sillons sur mes joues boueuses. Je tentai de souffler dans sa bouche, sans succès. Je pointai ma baguette entre ses dents.
- Accio eau ! Accio aqua !
Des gerbes d'eau jaillirent sur les cailloux et je vis avec joie ses sourcils se crisper sous l'effort de toux. Il lui fallut cinq bonnes minutes pour arrêter de respirer comme un noyé. Il restait allongé, les sourcils froncés et les yeux fermés. Il finit par les ouvrir et les plisser dans ma direction, puis se redressa avec peine et s'adossa à un rocher. Sa chemise et son pantalon dégouttaient par terre et ses cheveux d'ordinaire dressés en houppe étaient plaqués sur son front sombre.
- Est-ce que tu m'as sauvé la vie ?
Je haussai les épaules. Je ne savais pas quoi répondre.
Il examina sa chemise dont les boutons avaient été arrachés par la sirène et reluqua avec stupéfaction la traînée irritée sur son bras.
- Ça démange, ce truc.
Il sembla réfléchir.
- J'ai rêvé que j'embrassais une sirène. J'en ai encore un goût bizarre.
- C'est pas si éloigné de la réalité, répondis-je en lui racontant les dernières minutes.
Il me regarda avec des yeux ronds, puis il passa la main dans ses cheveux mouillés en riant.
- Quel tombeur ! Steven va tellement être jaloux quand je vais lui raconter ça ! Enfin...
Son sourire s'évanouit. Il devait en arriver à la même conclusion que moi.
- Tu sais jeter le sortilège de Tête en bulle, pas vrai ?
- Non, c'est Plumeau qui l'a jeté. Et il s'est brisé à l'instant où je suis sortie de l'eau.
- Tu veux dire qu'on est coincés ici... pour toujours ?
Ce fut mon silence qui lui répondit. Je ne voyais aucun moyen de sortir d'ici vivants. En apnée, nous n'atteindrions jamais le Sous-sol.
- Plumeau va avertir les profs, s'emballa-t-il, ils vont venir nous chercher !
- C'est immense, le refroidis-je. Ils nous retrouveront jamais.
On va mourir ici, ajoutai-je dans ma tête.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Ils vont venir, c'est sûr !
Il se leva pour marcher mais tourna vite en rond dans cet espace exigu. Je le voyais lutter pour ne pas se mettre à pleurer, mais il le cachait mal. Je détournai les yeux pour qu'il puisse laisser cours à ses émotions tranquillement. Et moi, pourquoi est-ce que j'étais si calme ? Tout ça me semblait tellement irréel que j'avais l'impression de rêver.
Il s'était rassis à coté de moi. Ses yeux étaient tout gonflés.
- Je sais que ça va te paraître niais mais puisque qu'on va finir tous les deux seuls ici, est-ce que tu veux bien être ma confidente pour des choses que j'ai jamais dites à personne ? Il y a des trucs que tu aurais aimé faire, toi ? Sans jamais oser, je veux dire.
- Des tas, ris-je. Mais c'est pas très important.
- Ah bon ? Quoi ?
- Je sais pas, plein. Heu... par exemple, dire à mon meilleur ami que j'aime bien le surnom qu'il me donne, même si je faisais toujours semblant de détester ça.
- Quel surnom ?
- Many. Comme dans l'Age de glace.
- C'est quoi ça ?
- Ah oui, c'est vrai, tu dois pas connaître. C'est connu des moldus. C'est le nom d'un mammouth, en fait.
Il éclata de rire.
- Ok, Many, quoi d'autre ?
- C'est pas à ton tour ?
Il fit une grimace.
- C'est pas facile, laisse moi juste une minute. J'ai des sentiments envers... quelqu'un. C'est pas toi, rassure-toi. Mais j'avais l'impression que lui avouer serait me prendre un râteau définitif. Voire m'attirer des ennuis. Enfin, tu vois, quoi ?
- Pas vraiment. De qui tu parles ?
- Aaah... C'est dans ce genre de moments gênants que j'ai envie de me métamorphoser en faykrill pour me faire oublier...
Je bondis. Mes pensées, qui s'étaient engourdies tout à l'heure, venaient de se multiplier.
- Quoi ?
- Zach !
- Oui, c'est moi.
- Je peux te métamorphoser ! On va sortir d'ici ! Je te change en animal marin, peu importe lequel, qui respire sous l'eau, c'est le but. Comme ça, tu sors d'ici, et tu préviens les autres de l'endroit où je suis.
- Et comment je suis censé communiquer si je suis changé en thon ?
- On a qu'à écrire un message.
- On a ni papier ni stylo, sans vouloir casser ton idée.
Il n'avait pas tort. Et puis une pensée me traversa, tellement simple, que je ne comprenais pas comment nous avions pu l'oublier.
- Le boyau qui nous faisait monter, tu te souviens ? Ascendio ?
Son visage s'éclaira.
- Mais on est complètement débiles de pas y avoir pensé avant ! Dire que je me voyais déjà mort ! Haha ! T'es géniale !
Il me serra dans ses bras.
- Il reste un micro problème, dis-je. Tu sais toujours pas nager, pas vrai ?
- Non, avoua-t-il.
- Est-ce que tu penses pourvoir nager jusqu'au boyau de roche ? Et sans respirer ? Je pourrai pas te traîner en apnée sur une aussi longue distance.
Je le vis réfléchir puis grimacer, puis reprendre une tête d'enterrement.
- Est-ce que cette tête veut dire « non » ? Mon idée de tout à l'heure tient toujours. Si je te change en un animal marin, tu pourras respirer et je pourrai te tirer si tu es léger.
- Je suis pas très emballé.
- Il faut un animal pas trop petit sinon ce sera trop difficile, qui puisse s'agripper à moi... Un poulpe, par exemple. Une pieuvre.
- Tu as déjà fait ça avant ? Non, ne dis rien, je connais la réponse et ça va me stresser, je préfère rester dans le déni. Est-ce que c'est possible, déjà ? Et est-ce que je pourrai retrouver ma forme initiale, après ? C'est complètement fou !
Je le laissai reprendre son calme. Je n'avais aucune idée de comment fonctionnait la transformation d'êtres vivants. On n'avait métamorphosé que des objets inanimés en cours. Je ne savais même pas si la métamorphose humaine était possible. Ou du moins, je me doutais qu'elle était possible, mais pour ce qui était de la transformation inverse...
- Ok, vas-y, lança Zach. Si j'hésite plus longtemps, je le ferai jamais.
Je mis tous mes neurones à contribution. Il fallait une forme de pieuvre, et tout son fonctionnement. Il ne fallait pas qu'il se transforme en pieuvre, mais qu'il devienne pieuvre. Les tentacules s'allongeraient pour s'enrouler autour de moi, et la texture des muscles et des os prendrait une viscosité surprenante. Tu en as besoin pour survivre, Zach. Tu as besoin de devenir pieuvre. Il sentait son corps changer. Le processus n'était pas douloureux mais il était... dérangeant. Ses ventouses le démangeaient. Il s'enroula autour de la fille qui lui faisait face, puisque c'est ce qu'elle voulait. Tu vois, Zach, que tu es bien en pieuvre ?
Il s'était collé à mon dos et ses tentacules faisaient le tour de ma taille. Beurk. Maintenant, il s'agissait de prendre une grande respiration et de croiser les doigts. J'abandonnai mes chaussures. J'allais les regretter, mais elles me ralentiraient trop dans l'eau, surtout avec toute la boue qui s'était collée dessus. Je ramassai la baguette de Zach et la rangeai dans mon pantalon.
- Lumos.
Je sautai dans l'eau et nageai le plus rapidement que je pouvais. Je sortis du boyau et remontai de la fosse rocheuse. La salle me paraissait bien plus grande en apnée. Je commençais déjà à manquer d'air. Mais la sortie s'approchait.
Un long son ébranla les murs. C'était le même que tout à l'heure. Mais plus proche.
Apparut une forme sombre immense. Elle passa à quelques mètres de moi seulement. Une baleine ? Non. Encore une créature fantastique que je ne connaissais pas. J'évitai de justesse une nageoire géante. La forme s'éloigna enfin après ce qui me sembla durer une éternité. J'étais complètement en manque d'oxygène. Je fonçai dans un dernier effort jusqu'au boyau de roche, criai ascendio avec le peu d'air qui me restait et fus aspirée. La beauté de l'ascension que j'avais vécue auparavant avait cédé place à un chaos sans nom. J'étais ballottée dans tous les sens. Puis je me sentis jaillir dans la pièce aux coussins et atterris comme une pierre sur les matelas.
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L'air s'engouffra dans mes poumons avec une violence inouïe. Je restai au sol les longues minutes nécessaires à mon corps pour assurer sa survie à base de toux et d'inspirations bruyantes. Et à la fin du processus, j'avais des lames de rasoir plantées dans les poumons.
Finalement, je réussis à trouver l'énergie pour poser une main contre les coussins humides et me redresser. La pièce était telle que je me la rappelais, à la différence que les coussins d'atterrissage étaient imbibés et qu'il y faisait mortellement sombre. Je devinais la pierre froide autour de nous.
La pieuvre était toujours agrippée autour de ma taille.
- C'est bon, Zach, tu peux me lâcher.
Voyant qu'il n'en faisait rien, je l'empoignai et le tirai de toutes mes forces. Les ventouses se détachèrent une à une et je parvins enfin à l'arracher. Je contemplai l'étendue de ma réussite. On aurait dit un poulpe à demi mort sur un étalage de poissonnier. Je réalisai petit à petit l'exploit que j'avais fait. Je ne me souvenais même pas qu'on nous ait dit qu'il était possible de métamorphoser un être humain de cette façon. Ce n'était probablement pas autorisé, de toute manière.
Je tentai plusieurs méthodes avant d'en trouver une qui parut faire s'allonger la tête de la pieuvre. Si ma mémoire était bonne, les pieuvres n'avaient pas de poumons, du moins pas du genre à permettre une survie hors de l'eau. J'avais intérêt à ne pas trop traîner. Je concentrai mes efforts sur la tête et le torse de Zach en espérant dans la panique que ce n'était pas trop tard.
- Oui ! Ça marche ! Zach ? Tu me réponds ?
- Blbl bl.
Son corps s'était transformé avec succès, mais c'était comme s'il y avait un poulpe à la place de la tête et des tentacules en lieu et place des membres. Il se leva et fit quelques pas en titubant, puis un accrochage de tentacule le fit tomber. Je réitérai la formule en me concentrant davantage, ce qui eut pour effet de faire réapparaître la tête de Zach. En revanche, si ses mains étaient libres, ses jambes avaient gardé un aspect gélatineux et étaient constellées de petites ventouses.
Il resta quelques instants immobile, les yeux écarquillés, le temps de se resituer, puis il passa une main dans ses cheveux. Ce geste était si typique et anodin que je sentis le soulagement m'étreindre d'un coup.
- J'ai une foule de pensées qui ont traversé ma tête depuis tout à l'heure, la majorité étant centrée sur le fait que je pouvais décemment pas être le premier Andersen à mourir puisque j'ai juré d'enterrer ce bouffeur de faykrill de Justin...
- Bel esprit, remarquai-je.
- ... mais là, en cet instant, le seul truc qui m'obsède est que j'arriverai plus jamais à manger de poulpe de ma vie. C'est tellement bon pourtant...
- Dramatique.
Il se leva et fit mine de s'avancer vers moi, mais ses pieds restèrent ventousés au sol et il s'étala encore. Il se releva en jurant et se mit à marcher en décollant ses pieds à chaque pas avec une multitude de petits « plops ».
- Je peux pas faire mieux, commentai-je. Il va falloir aller chercher la vieille Gonzalo pour te refaire une beauté.
- Tu rigoles ?
- Pas du tout.
- Ha non, non, non. Je peux pas rester comme ça ! Hors de question.
- C'est mon maximum, répétai-je. Estime-toi heureux d'avoir retrouvé ta tête, plutôt.
Il ouvrit la bouche pour répliquer, mais je le devançai.
- Tu penses que Plumeau a trouvé le bureau de Bean ?
- Non, ça m'étonnerait qu'elle ait continué après nous avoir vu disparaître dans le tourbillon, répondit-il. Imagine qu'elle ait sauté après nous ?
Je secouai la tête en signe de dénégation.
- C'est pas dans son caractère de risquer sa vie comme ça.
- Mais toi si.
Je ne répondis pas.
- Tu m'as sauvé la vie, continua-t-il. Si t'avais pas plongé...
- Si tu m'avais pas rattrapée, c'est moi qui serais tombée, corrigeai-je.
- Comment quelqu'un d'aussi taré que toi a pu atterrir à Poufsouffle ?
- On est quittes, alors, dis-je pour éluder la question.
- Le choixpeau doit se faire vieux...
- On a plus qu'à croiser les doigts pour que Plumeau ait pas rameuté toute l'école à notre recherche, dis-je. Sinon notre retour risque d'être tout sauf discret. Et Poncho et Johan risquent d'avoir de mauvaises surprises.
- Qui ça ?
Je lui expliquai en quelques mots l'expédition parallèle de nos deux camarades dans le bureau d'été. Après tout ce que nous venions de vivre, j'avais l'impression de lui devoir au moins un bout de la vérité. Une pointe de culpabilité me rongeait en rapport au fait de l'avoir entraîné plus ou moins contre son gré dans cette galère.
- Je m'inquiéterais pas trop pour eux, fit Zach. Si tout le monde se ramène dans la Roche, ça leur laissera le champ libre. Pour nous aussi, d'ailleurs. Vous êtes vraiment de grands malades.
- Lumos.
Une faible lumière irradia du bout de ma baguette. Zach en fit de même avec la sienne. En longeant le mur de pierre, nous trouvâmes la porte qui débouchait sur le premier étage sub-litière.
- C'est verrouillé, constata Zach.
J'essayai un alohomora que Plumeau avait eu la patience de m'apprendre, mais il s'avéra que le problème venait plus d'un dysfonctionnement de la porte plutôt que d'un quelconque verrouillage. Le bois était gonflé par l'humidité. Impossible de pousser le battant.
- Qu'est-ce qu'on fait ?
- Dans mes souvenirs il y avait une trappe au plafond qui menait à l'extérieur.
Nous la trouvâmes rapidement. Quelques coups nous suffirent à la soulever et je me hissai à l'extérieur dans la nuit. J'attendis à genoux dans la pelouse humide mais Zach ne suivait pas.
- Je suis bloqué, souffla sa voix. Aide-moi à me dé-ventouser !
Avec un soupir, je m'amarrai à ses bras et tirai de toutes mes forces. Un festival de plops plus tard, il se retrouva étalé dans l'herbe mouillée.
- C'est une humiliation, geignit-il.
- Je me souviens pas qu'il y ait eu des tentes, d'habitude, ici, remarquai-je.
Zach suivit mon regard et se releva. Nous étions entourés de formes sombres en tissu plantées de manière éparse autour de nous. Il y eut un rugissement dans celle juste à côté de nous et je sentis mon cœur bondir dans ma poitrine.
- Haa... gémit Zach, j'arrive même plus à sursauter proprement avec ces...
- C'était quoi ce truc ? m'alarmai-je.
En tendant l'oreille, on s'apercevait que des centaines de bruits différents s'échappaient des tentes.
- Un zoo surprise ? Je pourrais peut-être me faire embaucher en l'état, fit Zach.
Des voix se firent entendre non loin de nous.
- Rentre là-dedans, chuchotai-je en le poussant dans la première tente qui se présentait.
L'intérieur était bien plus grand que l'extérieur. Des dizaines et des dizaines de cages, mobilier et objets en tout genre occupaient la place. Des créatures étranges y résidaient. Je crus reconnaître une demiguise quand un petit animal simiesque s'effaça devant mes yeux. Une sorte de lézard géant nous fixait de ses quatre yeux jaunes. Des volatiles se mirent à s'affoler dans leurs cages.
Le sol était couvert par la même toile de tente que le reste. Zach s'efforçait de marcher normalement mais la toile restait ventousée sous ses pieds et il n'arrivait pas à avancer d'un poil. Les voix semblaient s'approcher.
- S'il-te-plaît, fais moi disparaître ces ventouses, supplia Zach en se débattant avec la toile. Toutes les chances qu'on se fasse griller, autrement.
- D'accord, d'accord, admis-je. Je réfléchis.
Il attendit que je me mette au travail. Je fis plusieurs tentatives sans grand résultat. Lorsque je finis par réussir à lui redonner des jambes normales, ses bras s'allongèrent en prenant une texture de mollusque invertébré se terminant en cinq appendices couverts de ventouses. Il portait aussi une collerette de tentacules qui gesticulaient contre son torse en partant du bas de son cou.
- Misère... Comment je suis censé tenir ma baguette maintenant ?
Son constat ne m'aidait pas.
- Au moins, tu peux marcher.
Les voix se dirigeaient maintenant clairement vers nous. Ils allaient rentrer dans la tente d'un moment à l'autre.
- Rentre dans l'armoire, là. Dépêche !
J'ouvris la porte d'une grosse armoire et le poussai à l'intérieur. J'entrai à sa suite et refermai derrière moi.
Il n'y avait pas beaucoup de place et il faisait beaucoup trop sombre pour ne pas se sentir claustrophobe, et la texture gluante de Zach contre moi n'arrangeait rien.
- ...avec Nelush et Ricardo la nuit dernière, nous parvint une voix rieuse. Tu aurais vu Pete, c'était à se plier en quatre.
- T'as la liste ?
- Oui, oui, ça va ! On est pas à deux minutes. On dirait ma femme. Tiens.
- Bon, alors... cocatris, banshee, povrebines...
- Montre-moi... Tout ça ?
- On doit pas tout envoyer, Mick, seulement une dizaine.
- C'est la tente du désespoir ?
- Arrête de faire ton trouillard, c'est juste quelques créatures.
- Je suis pas trouillard, je m'inquiète pour les pauvres gnomes qui s'affrontent dans les ruines d'Ilvermorny ce soir. T'as pas d'enfants, toi, tu peux pas comprendre. Tu trouves pas que c'est un peu au-dessus de leur niveau, de leur balancer des créatures démoniaques...
- Créatures maléfiques.
- Bref. T'es pas d'accord ?
- Non. Contente-toi d'en sélectionner dix parmi ceux-là.
Un soupir frustré nous parvint. Mes jambes commençaient à s'engourdir. Ils n'allaient pas rester là à papoter toute la nuit, si ?
- Mick... Tu te fous de moi ?
- Quoi ? J'en mets dix. Laisse-moi finir.
- Tu fais exprès ? Tu veux sérieusement leur envoyer un strangulot ?
- Et donc ?
- Le but est de leur envoyer des obstacles, du challenge ! Pas de quoi se faire des sushis ! C'est la dernière épreuve du tournoi, quand même ! Donne-moi ça ! Un épouvantard ?
- C'est super flippant un épouvantard, marmonna l'autre voix.
- Comment on modifie ça ?
- C'est trop tard, le parchemin est ensorcelé. Il t'en reste un à rajouter si tu veux, après le sort va se déclencher. Qu'est-ce que tu mets ? Un lethif... arrête, t'es malade ?
Une explosion d'une brutalité monstrueuse éclata dans ma tête. Je sentis l'ensemble de la matière qui construisait mon moi se déliter dans un chaos d'une violence incomparable.
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Une sensation de bois lisse. Mes doigts courant le long des lattes. Un éclair de douleur me fit ouvrir les yeux. Une pointe de bois s'était mise dans ma main. Je l'enlevai. Ma vision était voilée par du parquet. Je levai le nez de contre le sol. Essayai. Il me fallut plusieurs faux départs pour enfin arriver à débloquer le mouvement que je voulais faire. Mes membres étaient tout raides. Le bout de mon pied tremblait tout seul. Il était posé à l'intérieur d'une grosse armoire ouverte, et mon corps était affalé sur le sol devant. Il me fallait des efforts intenses pour arriver à faire le moindre mouvement. Un sentiment était en train d'éclore. La peur. Ce mot n'avait pas de sens. Mais je le sentais s'insinuer dans mes vêtements. Mis à part cette impression, ma tête était vide. Comme une maison après un déménagement. Il persiste des indices épars indiquant que quelqu'un a vécu là, mais rien de solide à quoi se raccrocher. Quelqu'un avait vécu dans cette tête, j'en étais quasiment certaine. Mais qui ?
Mon inquiétude se mua en terreur quand j'aperçus le monstre qui somnolait à quelques centimètres de moi. Il avait une tête d'humain, sa peau noire reposant contre le bois. C'est plus bas que sa nature bestiale se révélait, là où des tentacules gluantes sortaient de son corps en lieu et place des bras. Je retins un cri de peur de le réveiller, et me fis violence pour m'enfuir. La volonté y était mais mes moindres mouvements bégayaient.
La deuxième porte de l'armoire s'ouvrit et une silhouette sortit de la pénombre qui régnait à l'intérieur. Elle portait une longue cape noire en lambeaux. Une main blanchâtre acheva de pousser le battant et un pied descendit à terre. La lumière révéla un crâne chauve et un visage étrangement familier. L'absence de nez devait certainement marquer un esprit pour toujours. Le sien n'était que deux fentes reptiliennes. Impossible de retrouver dans mon crâne vide d'où sortait ce visage de cauchemar, mais le simple fait de le voir devant moi me glaçait le sang.
Mes mouvements devenaient moins hachés. Je me traînai sur le dos le plus loin possible de l'apparition et du monstre qui heureusement dormait toujours. Je laissais une traînée d'eau derrière moi. J'étais trempée jusqu'aux os. Je tremblais de froid. Ou bien de peur, peut-être. Ou encore à cause de la rigidité qui m'engonçait. L'homme sans nez avançait vraiment lentement, comme pour donner un effet théâtral à sa présence. C'était le méchant dans une histoire, j'étais plus que certaine de ça. Une histoire que je connaissais par cœur avant le déménagement dans mon esprit. Il pointa une tige de bois dans ma direction. Je n'avais aucune idée de ce qu'il comptait faire avec, mais le sourire vil qui étirait sa bouche ne laissait présager rien de bon, et je décidai que je n'avais pas la curiosité d'attendre de voir ce à quoi cet objet allait servir. Mes pieds tressautèrent et réussirent à me hisser sur mes jambes. La raideur était partie. Je tournai le dos à l'armoire de l'horreur et trottinai devant moi. J'étais dans une pièce toute faite en bois. Sans un regard en arrière, je franchis le seuil et m'enfuis dans le couloir.
Le bois était omniprésent, et donnait une impression de chalet. Après avoir dépassé des dizaines de portes et tourné plusieurs fois dans le couloir, la peur sourde qui me poussait en avant s'était évanouie. Et à présent résonnait la sensation d'être perdue dans un lieu inconnu, sans aucun souvenir de ce qui m'y avait poussé. Je portais une robe noire encombrante et détrempée. Elle allait me gêner si le monstre se réveillait et venait me chasser. Je la passai par dessus ma tête et l'abandonnai par terre. Je me sentis de suite plus à l'aise, dans mon jean. Mes pieds étaient nus et la sensation du bois sur mes plantes était agréable. Je sautillai gaiement et réalisai que mon corps avait recommencé à m'obéir normalement. Je repris mon chemin plus sereinement. Quelque chose me gênait. Deux baguettes en bois étaient coincées dans mon pantalon. Je n'avais pas le souvenir d'avoir su jouer de la batterie. Ma mémoire semblait avoir complètement cramé. Je les ôtai et les jetai par-dessus mon épaule. Le bruit du bois contre le bois claqua derrière moi.
Je repartis avec confort et légèreté.
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