Chapitre 9 : Gueule de bois


Chère Many,

C'est un truc de ouf malade dégénéré que tu me racontes ! Il est méga dangereux ton collège de mutants ! Faut dire à Charles Xavier de mettre des sécurités enfant ! Tu aurais plongé pour moi aussi, ton Willie adoré ? (Moi bof parce que tu sais, je m'enrhume facilement alors... mais l'intention y est!)

Et d'ailleurs je suis enchanté de découvrir que tu fricotes avec des Terminale Hawaïens musclés et torse poil ! Sache que moi aussi, je fais tomber les filles ! Mais bon, je peux pas t'envoyer de photo parce qu'elle ne veut pas. Dommage !

Continue à m'envoyer plein de lettres comme ça parce que depuis que tout le monde est coincé dedans je m'ennuie à mourir ! J'en suis arrivé au point que même les maths sont devenus palpitants !

Au fait, t'apprends peut être des petits tours de passe passe mais moi, je suis devenu une bête en géométrie : Si deux droites sont parallèles entre elles alors toute droite parallèle à l'une est parallèle à l'autre ! Ha ! Tu sais pas faire, ça, hein ? Humain power !

On se voit bientôt ! Vivement les grandes vacances !

Will

P.S. J'ai pris 1cm ! Tu verras, quand tu vas revenir, tu ne vas pas du tout me reconnaître ! Je suis un pur beau gosse maintenant.

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En cette dernière semaine du semestre, nous croulions sous les devoirs et les contrôles. Rien que pour lundi, nous enchaînions l'évaluation pratique de Métamorphose avec celle de Défense contre les forces du mal, et allions terminer la journée en beauté avec l'énorme contrôle de SMIS sur les fractions, la mécanique, les atomes et l'appareil digestif. Will était bien mignon avec ses droites parallèles, mais notre programme était bien chargé aussi. En plus de ça, Lewis nous avait demandé de rendre trois parchemins sur les catalyseurs célèbres et l'utilisation des répresseurs en routine. On était vendredi soir et je me demandais déjà comment j'allais me débrouiller pour finir tout ça en un week-end.

La bibliothèque grouillait d'élèves désespérés à la recherche d'aide dans les livres. Zach, Plumeau et moi étions parmi ceux-là. Toutes ces histoires d'assassinat de directrice, de suspects et de profs louches avaient été reléguées dans un coin sombre de notre tête avec tous les autres sujets sans conséquence immédiate.

- J'ai l'horrible impression que tous les livres sur le sujet auront déjà été empruntés, avoua Plumeau.

- C'est quasiment sûr, répondis-je. Mais on perd rien à chercher quand même, de toute façon.

- Je hais les bibliothèques, glissa Zach. On dirait que tout l'environnement me traite de crétin.

- Hum, acquiesçai-je, mais si tout autour de toi te le dit, tu devrais peut-être l'accepter.

- Fais pas ta maline, miss serre-tête. Rappelle-moi qui a fini premier du tournoi ?

- Ça va, levai-je les yeux. T'es beaucoup trop susceptible pour quelqu'un qui se fout autant de la gueule des autres. On va t'apprendre l'humour, avec Plumeau.

- Aucun problème, confirma cette dernière. Ça va pas être facile, mais je relève le défi.

- Arrêtez, toutes les deux, vous me faites passer pour un mec allergique au fun. Je vous rappelle que mon frère s'appelle Marvin Andersen.

- Lui, il est drôle, au moins, me moquai-je.

- Allez, c'est bon, pouffa-t-il. Je rends les armes. On va les chercher, nos livres ?

- Je vais chercher de quoi écrire la partie sur les répresseurs, proposa Plumeau. Vous deux, vous avez qu'à chercher des infos sur les catalyseurs et les artefacts.

- Ok, ça me va, fit Zach. Tu vas probablement trouver plus vite que nous.

La bibliothèque de Treehall était à l'échelle de l'école. Les rayonnages étaient encastrés entre de multiples racines perçant le sol et le plafond. Les couloirs étroits qui sillonnaient l'endroit étaient tortueux et il était très facile de s'y perdre. Je n'étais jamais allée très loin en profondeur de peur de ne plus trouver la sortie. Plus on s'enfonçait dans la bibliothèque et plus on oubliait qu'on se trouvait dans une école tant on se serait cru au sein d'un bois empreint de magie. Je n'aurais pas été surprise de tomber nez à nez avec une biche. Les rayonnages les plus excentrés devaient être déserts et bien mystérieux.

J'étais curieuse de savoir ce qu'on y trouvait, mais une petite voix me disait que le jeu n'en valait pas la chandelle. Je savais par expérience que les coins mystérieux de cette école n'étaient pas tous fréquentables.

Des planches en bois clouées aux racines indiquaient régulièrement le sujet des rayonnages. Nous finîmes par trouver celui sur les catalyseurs, artefacts et objets magiques. Il était immense et débordait d'élèves de première année affolés.

- On dirait qu'on va avoir le choix, admira Zach. Même si chacun de nous empruntait dix livres, il en resterait encore assez pour construire une pyramide.

Pourtant, au bout d'une heure, il fallut se rendre à l'évidence.

- Bon, résuma Zach. J'ai pris Bonnes recettes de tata Agnès, Les pires endroits où passer ses vacances, et Le Leprechaun des records. Je retire ce que j'ai dit tout à l'heure, les meilleurs trucs ont déjà été pris.

- Pareil pour moi, répondis-je. Pouki et le Pilou-Pidou et Histoires notables en Ouzbékistan. Allons emprunter tout ça, ce sera déjà un petit pas vers la sortie de cet enfer de devoir. Ensuite, on a qu'à aller faire un tour sur Google pour compléter.

- Sur quoi ?

- Ah, oui, c'est vrai, me rappelai-je. Comment ça s'appelle, déjà, le moteur de recherche avec lequel vous allez sur internet ?

- ArachNet. Mais tu sais bien qu'avec internet, on a vite fait de se faire avoir et d'écrire de grosses conneries sur nos parchemins.

- On aura qu'à faire le tri et vérifier les infos dans ces livres.

- Comme tu veux. Il faut qu'on retrouve Plumeau d'abord.

Elle n'avait pas trouvé grand chose non plus. Nous nous installâmes peu après devant un des ordinateurs de la Bibliothèque.

Mes parents m'avaient déjà répété mille fois qu'il ne fallait pas croire tout ce qu'on lisait sur internet, mais j'avais découvert que cet avertissement prenait une toute autre dimension pour les sorciers. Le moteur de recherche mis au point par les cyber-sorciers ciblait préférentiellement les pages fiables provenant des sites officiels de représentants de la communauté sorcière, certes. Cependant, internet restait ouvert aux moldus, et n'importe quel site pouvait contenir des informations erronées écrites par des moldus, de manière éparse. Leur imagination était débordante et on se laissait souvent berner par les plus grosses inventions.

Sur le domaine de l'informatique aussi, l'Amérique du Nord avait une longueur d'avance sur l'Angleterre. C'était Rosendale qui avait mis en place la formation Informatique Magique à Poudlard, alors que la matière était enseignée depuis des lustres à Treehall. J'avais de moins en moins d'arguments à opposer à la clique de Johan Brown quand ils nous appelaient « les Arriérés ».

- J'ai trouvé un forum qui parle des catalyseurs, fit Zach. On jette un œil ou je cherche ailleurs ?

- Vas-y, dis-nous. On verra si c'est fiable ou pas.

- Une des personnes parle de ses préférés. La lampe d'Aladdin, le bâton de Moïse, Excalibur. Ces trois-là sont super connus, on peut déjà les noter, il y a pas de doute à avoir. Après, je sais plus. Il cite le sabre Musashi Masamune porté par Miyamoto Musashi, et la Barbe portée par les pharaons d'Egypte Antique, mais c'est la première fois que j'entends parler de ces deux-là.

- Continue de lire, je vais chercher dans les bouquins, fit Plumeau.

- Un peu plus loin, j'ai des exemples de catalyseurs pêle-mêle, mais c'est hors-sujet, non ?

- Dis toujours, on est pas obligés d'en parler dans le devoir.

- Ils citent de nouveau la barbe des pharaons. Il doit y avoir du véridique là-dessous. Ensuite, les peintures corporelles à base de sang de vouivre de certaines tribus en Afrique sont un catalyseur, apparemment. Elles leur permet d'utiliser la magie à mains nues, en réalisant des gestes ou en prononçant des incantations. C'est trop stylé ! Vous avez entendu ?

- Oui, oui, répondis-je. Reste concentré, je prends note.

- C'est assez similaire aux Runes de Dijkstra dont m'ont parlé mes frères, s'excita Zach. J'ai trop hâte d'être en troisième année ! Il paraît qu'il est recouvert de tatouages runiques qui le rendent invincible !

- Les Runes, je note, marmonnai-je. C'est qui, Daïkstra ?

- C'est le prof d'Étude des Runes ! Le prof préféré de Marvin ! Ses cours sont énormes !

- Ce serait pas cet espèce de gorille avec une barbe bleue ?

L'image de l'épais Viking assis à la table des professeurs me revenait en tête. Il ne passait pas vraiment inaperçu, même si ni les première ni les deuxième année n'avaient de cours avec lui.

- C'est lui, s'exclama Zach. Il en jette, hein ?

- On peut se concentrer sur ce qu'on est en train de faire ? Vous me polluez les oreilles alors que je m'abîme les yeux à dénicher la moindre phrase d'intérêt au milieu de Pouki et le Pilou-Pidou, se lamenta Plumeau.

- Et tu trouves quelque chose ?

- Non, c'est le vide intellectuel. Je vais changer de livre.

Quand la bibliothécaire vint nous mettre dehors à la fermeture, nous avions noté un bon paquet d'autres pistes fiables à explorer, telles que les totems amérindiens, les bâtons de magiciens, les baguettes magiques bien sûr, les catalyseurs les plus couramment utilisés en Europe occidentale, mais aussi les lames japonaises, des crânes de bêtes pour chaman, les rarissimes pierres précieuses de dragon utilisées dans des bijoux, des habits ou des armes, et bien d'autres. Même les baguettes étaient d'une telle variété selon les pays et les fabricants qu'il était difficile de croire qu'on les classait dans la même catégorie.

En revanche, nous étions tombés sur de magnifiques perles moldues telles que la balayette maudite ou la statuette en plastique porte-bonheur. Je fis aussi mon deuil de la Force et des sabres lasers, malheureusement pure invention moldue.

De retour au Raton, nous nous installâmes tous les trois autour d'une des tables pour mettre au propre nos recherches et trouver des exemples célèbres pour chaque trouvaille. Nous dûmes faire preuve de beaucoup de patience et comprîmes l'enfer de vivre avec le nom d'Andersen.

- Coucou Riri-d'amour, qu'est-ce que tu fais ?

- Laisse-moi tranquille, Marvin. Je dois finir ça ce soir et je suis super concentré. Va plutôt réviser tes Aspics.

- Je vais pleurer, mon frère adoré se souvient même pas que je suis en sixième année. C'est l'an prochain que je passe les Aspics, Riri-d'amour.

- Je sais ça, mais vu que t'es extrêmement lent à comprendre, je me disais que tu gagnerais à prendre de l'avance.

- Vas-y, Riri-chou ! A bas les grands frères casse-pieds ! Oh, salut les filles !

- Steevie-joli, c'est pas très très gentil, ça ! Je suis un grand frère plein d'amour et de bonté.

- Vous faites trop de bruit, des gens essaient de lire là-bas.

- Oh non, pas lui ! Et en plus, dites-moi que je rêve, il était même pas en train de lire ! Dieu-sorcier tout puissant je souhaiterais que Justin s'occupe enfin de ses oignons et ne vienne plus bourdonner sans arrêt dans mes oreilles !

- Tu vois, Steevie-joli, ce qui arrive quand le grand frère est pas assez casse-pied ? Elton a pas rempli son rôle d'emmerdeur et maintenant, Justin se croit le roi du pétrole et vient nous casser les pieds à nous. Et tu avoueras que mon cassage de pieds est nettement plus agréable que celui de Justin, n'est-ce pas ?

- Arrêtez de m'ignorer !

- Hou, il s'énerve. Tu as vu, Steevie-joli ?

- Mais qu'il s'énerve, s'il veut, je m'en lévite l'orteil !

- Fermez-la ! s'exclama Zach. Est-ce que vous êtes obligés de toujours venir vous engueuler à deux centimètres de mon oreille ?

- Pardon, mon Riri-d'amour, s'excusa Marvin en l'entourant de ses bras d'ours. Je voulais juste apporter mon aide. Tu avais l'air tellement crispé.

- J'apprécie le geste, répondit-il en repoussant son frère, mais tu traînes avec toi deux boulets aussi chiants l'un que l'autre, alors ton aide se transforme en cauchemar. Donc non, merci, et cassez-vous.

- Compris, je me retire donc avec mon troupeau. Travaille bien, Riri-d'amour.

Zach poussa un soupir quand l'atmosphère bruyante s'éloigna.

- Au fait, en profitai-je, tu restes plus avec Grace ? Vous aviez l'air assez proches au début de l'année.

Il haussa les épaules.

- Je me suis rendu compte qu'elle appréciait plus l'admirateur que l'ami, alors c'est pas une grosse perte. Maintenant elle traîne avec Cedric le pleurnicheur.

- Oui, c'est vrai, maintenant que tu le dis, remarquai-je. D'ailleurs, il a l'air content d'être à Poufsouffle, finalement.

- C'est l'effet Grace, chuchota-t-il.

Nous pouffâmes discrètement et nous remîmes au travail. Plumeau était la plus rapide, et elle alla nous chiper à manger au banquet pour nous éviter de perdre du temps. Le visage de Zach se transforma quand il la vit revenir telle une apparition divine, les bras chargés de pain et de mandarines.

Vers neuf heures du soir, nous approchions de la fin. Toutes les infos avaient été vérifiées. Les bonnes recettes de tata Agnès était le livre qui nous avait le plus aidé, bizarrement. La description des lieux où trouver les bons ingrédients était une mine d'or.

Les pires endroits où passer ses vacances nous avait appris qu'il ne faisait pas bon voyager dans certains endroits en Afrique où les sorciers étaient utilisés comme ingrédients de potions magiques, ni aux États-Unis où vous aviez toutes les chances de voir votre enfant enlevé et mis dans un camp de recherche sur les pouvoirs paranormaux, comme ce que nous avait raconté Johan Brown sur Sale Gosse et le rêveur. J'avais bien envie de le chambrer sur ce sujet.

Dans mon parchemin j'avais parlé de la barbe de Ramses II, du bâton de Moïse, d'Excalibur et du sabre de Miyamoto Musashi Zach des Runes de Dijkstra, des peintures corporelles de Sol Zaffa, de l'amulette de Gandhi et de la lampe d'Aladdin Plumeau des amérindiens avec les totems et les crânes d'animaux, du bâton de Merlin et des trois reliques de la mort.

Pour ces dernières, nous avions hésité à les considérer comme des catalyseurs, mais elles étaient souvent cité sous ce terme alors Plumeau convint d'en parler dans son parchemin. Il était dit que la famille Potter possédait toujours la Cape d'Ignotus Peverell, tendis que la Pierre de Résurrection et la Baguette de Sureau restaient cachées dans la Forêt interdite de Poudlard en un endroit où personne ne les avait jamais retrouvées. Je me demandais qui des enfants Potter avait hérité de la cape. Probablement James, l'aîné. Dommage, parce qu'il ne me laisserait jamais me glisser dessous... Et continuerait à m'appeler Vivent-les-moldus à chaque fois qu'il me croiserait dans les couloirs. Ce qui était déjà relativement lourd.

Le Raton était plongé dans le noir. Les lumières étaient éteintes depuis longtemps. Nous éclairions notre table avec une lampe à lumos minuscule. Plumeau releva soudain la tête et nous fixa d'un regard effrayé. Elle était encore plus blême que d'habitude.

- Les gars, dit-elle. On a oublié la partie sur les répresseurs.

La tête de Zach retomba lourdement sur son parchemin et je posai mes mains pleines d'encre sur mes joues.

- Aaaaargh, émit Zach.

- Quelle bande de blaireaux, fis-je d'un ton désespéré.

Je vis du coin de l'œil la tête de mon voisin se relever lentement, avec ses propres écrits décalqués sur le front.

- Tuez-moi, gémit-il. J'en peux plus.

- On fera ça demain matin, essaya Plumeau. On aura qu'à mettre un réveil.

- Non...

- Il faudrait savoir ce que tu veux, Zach, remarqua-t-elle.

- Je sais pas ce que je veux...

- Youpi.

- Si, je sais. Je veux des vacances, se réveilla-t-il.

- On a qu'à finir ça maintenant, proposai-je. Au point où on en est, ça peut pas être pire. Et on a tous les livres avec nous.

- J'accepte uniquement parce que je trouve ça inhumain de mettre un réveil un dimanche matin, grimaça Zach. Désolé, Plumeau.

- Alors, on se bouge. J'ai déjà trouvé deux ou trois allusions tout à l'heure dans la Bibliothèque. Dans ce livre-ci, ils parlaient des répresseurs dans les enclos de dragons. Là, des répresseurs aux pieds des prisonniers à Azkaban. Il nous suffit d'en trouver un troisième et on est bon pour un sujet chacun.

Je fus assignée au sujet sur les prisonniers d'Azkaban. J'écrivis très rapidement un paragraphe ennuyeux sur la mise en place des répresseurs par Angus Dwight au XIXe siècle après les évasions massives de 1848. Ensuite j'expliquai le principe qui faisait qu'un répresseur empêchait de transplaner, ce qui était son principal intérêt dans le cas d'Azkaban.

- Hé, fis-je à la fin de mon devoir, je viens de lire un truc bizarre.

- Quoi ?

- Dans ce livre, ils parlent d'une « Grande Erreur » en 2008, et on dirait que c'est quelque chose que tout le monde connaît. Ils expliquent rien mais ils le citent comme une date clef d'Azkaban avec un avant et un après. Vous savez à quoi ça correspond ?

Ils se regardèrent un moment, et ce fut Zach qui répondit.

- T'en as vraiment jamais entendu parler ? T'as vécu dans un trou ou quoi ?

- J'ai vécu à Cambridge, c'est pas vraiment ce qu'on peut appeler un trou.

- Mais si, t'as dû en entendre parler ! On l'appelle aussi la Grande Libération, mais ça dépend du point de vue. C'est ce qui a fait démissionner Kingsley Shacklebolt à peine un an après avoir été réélu pour la deuxième fois en tant que Ministre de la Magie.

- Non, j'en ai jamais entendu parler, ricanai-je. Je suis née-moldue, je te rappelle. Arrête de tourner autour du pot, c'est quoi ?

- C'est la date de la libération des détraqueurs, répondit-il.

Je sentis des sueurs froides me parcourir le dos. La surprise dut se lire sur mes traits car Plumeau entama une explication à mon égard.

- J'ai lu pas mal de trucs là-dessus dans les livres qui traitent des avancées récentes dans le domaine des animaux fantastiques. Il me semble que tout ça est parti sur le mouvement global de libération des espèces magiques intelligentes, dont les elfes de maison. Les centaures ont obtenu un statut et un territoire. Et des associations ont demandé la libération des détraqueurs en tant que tribu autonome. Ils étaient soutenus par les sorciers qui pensaient qu'Azkaban était un traitement inhumain à cause de la présence des détraqueurs.

- Ouais, c'est exactement ce que m'avait expliqué Elton. Ils ont eu la pression et ils ont libéré les détraqueurs. Bien sûr, ils les ont pas lâchés dans la nature, encore heureux ! Ils les ont envoyés en Antarctique comme une espèce autonome en espérant voir s'y développer une civilisation. Complètement débile !

- Ça a pas marché ?

- Ils ont surtout compris trop tard que les détraqueurs sont pas une espèce autonome. Loin de là. Ce sont des parasites. Particulièrement adaptés aux primates que nous sommes. Ils peuvent pas survivre sans nous.

- Et alors ? Ils sont tous morts et le monde a pleuré ?

- Le monde aurait bien aimé, tu veux dire ! s'esclaffa Zach.

- C'était idiot de vouloir les contenir sur un continent. Les détraqueurs flottent, continua Plumeau. Alors ils ont juste flotté vers nous. Tu vois le problème.

- C'est horrible, compris-je. Est-ce que ça veut dire qu'on peut tomber sur un détraqueur dans la rue, comme ça ?

- C'est pas aussi simple, répondit-elle. En théorie, oui. Mais ils sont attirés par la peur, la tristesse et la misère humaine. Tu peux en croiser quelques uns qui se seraient égarés aussi loin, mais ce serait vraiment pas de chance. La plupart se sont arrêtés dans des nœuds de désespoir de l'hémisphère Sud et des zones tropicales.

- Et les premiers à trinquer sont les moldus, ajouta Zach. Ils les voient pas mais ils sentent leurs pensées heureuses les quitter. Ils ont l'impression que la guerre les consume, ou la famine, ou la dictature, ou bien les trois. Mais en plus de ça, ils doivent se traîner ces affreux parasites qui leur rendent la vie impossible.

- C'est un cercle vicieux, compris-je. Leur désespoir les attire, mais ils font que creuser ce désespoir et en attirer d'autres.

- C'est ça, et personne sait quoi faire pour les en empêcher. Enfin, plutôt, tant qu'ils viennent pas jusqu'à chez nous, tout le monde s'en balance. Mais tu verras que dès qu'on commencera à en voir en Europe, tout le monde criera au scandale et ces crétins de politiciens se réveilleront peut-être.

- Il y en a déjà, corrigea Plumeau. En Hongrie, ça fait longtemps qu'on sait qu'il y en a un bon paquet. Et on commence à comprendre que les nouveaux nids trouvés en France et en Grèce sont pas si nouveaux que ça. Et je serais pas étonnée qu'il y en ait un gros ici, en Amérique du Nord.

- T'exagères, fit Zach.

- T'as qu'à lire le journal, tu verras bien.

- C'est bon, j'ai compris, pas la peine de partir dans une dispute, les arrêtai-je. Vous en êtes où dans votre devoir ?

- J'ai fini, répondit Plumeau.

- Bof, grimaça Zach.

- Moi aussi, j'ai fini.

Je regardai le travail de mon voisin. Il n'avait presque pas avancé.

- Comment tu fais pour être aussi lent ? demandai-je. On t'a filé le sujet le plus facile exprès. Les dragons, c'est un sujet qui passionne tout le monde.

- Les dragons, ok, admit-il. Mais leur enclos, j'avoue que ça me laisse froid.

Plumeau leva les yeux au ciel. Il faisait noir dans la salle du Raton. Nous aidâmes notre ami à finir et nous levâmes comme des zombies aux alentours de minuit pour aller nous écrouler dans nos lits.

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- Rendez les copies !

La voix sans timbre du prof d'astronomie fit accélérer nos battements de cœur dans un ultime élan pour répondre aux questions laissées sans réponses sur nos feuilles. Il finit tout de même par les arracher des mains des plus récalcitrants en rappelant aux élèves déjà à moitié dehors que la correction aurait lieu à minuit dans une semaine tout pile.

Plumeau et moi ramassâmes la serpillière au teint grisâtre qui nous servait d'ami depuis peu. Nous franchîmes le pallier du Tronc et entamâmes la descente, d'un pas mou, chacun s'imaginant déjà dans le moelleux de son lit. Pas de tour d'astronomie à Treehall il fallait observer les constellations depuis les Hautes Branches de l'école. Et le soleil se couchant de plus en plus tard à mesure que l'on avançait dans le printemps, les cours d'astronomie avaient été décalés à minuit, heure à laquelle tout examen demandait un effort surhumain. Surtout pour Zach.

Entre nous et le sommeil se dressa malheureusement un duo impromptu dans les environs de l'Humus.

- Hey ! Les filles ! On vous cherchait, murmura Johan Brown.

- Salut ! ajouta Poncho. On a pas beaucoup parlé depuis visite dans la bureau de Bean.

- Ouais, renchérit son acolyte. Il faut qu'on débriefe.

- Monouerwahonduadebrifer, émit Zach.

- Quoi ? grimaça Johan Brown.

- Qu'est-ce qu'il a ? demanda Poncho.

- Rien, les rassurai-je. Il parle toujours comme ça après un examen, et on en a eu trois aujourd'hui. Plumeau est passée maître en décryptage.

- Il dit que son cerveau a fondu et qu'il peut pas débriefer, traduisit-elle.

- Le mieux, c'est qu'on aille le coucher de suite, proposai-je.

Le duo américain montra un air dépité.

- Quand est-ce qu'on en parle, alors ? Je pense avoir une nouvelle piste, si on considère que Bean a un complice, c'est forcément quelqu'un de Poudlard. Et les profs de...

- J'en sais rien. Pas maintenant, je t'en prie, le coupai-je. Vraiment désolée, les gars, mais on discutera de ça une autre fois. Là, on a besoin de dormir.

Nous les plantâmes là et allâmes retrouver nos lits douillets. Les remarques de Lyra m'avaient fait réaliser à quel point nos hypothèses étaient ridicules, et les voir tous les deux encore à fond dedans ne faisait que m'agacer. Nous avions enfin fini notre série apocalyptique d'examens et de devoirs à rendre. J'avais compris que nous avions absolument besoin des lumières de Lyra sur l'histoire de Luke. J'irais la trouver dès demain pour lui demander si elle en avait tiré des conclusions. Mais pour ça, j'avais besoin d'un esprit vif.

Personne n'eut d'insomnie ce soir là.

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Je finis par la trouver près de la statue du sorcier amérindien. Cette statue était sculptée sur une saillie rocheuse immense non loin de l'école, et représentait le fondateur de Adoeete, l'ancienne Treehall. Les formes étaient très stylisées et la couleur sombre de la pierre rendait ses traits difficiles à appréhender. Il s'agissait de la même pierre au sein de laquelle était creusée la piscine souterraine. Celle-ci s'étendait loin en dessous de nos pieds. Un paquet d'élèves de Treehall aimait venir s'installer sur cette pierre les beaux après-midi de printemps, car la roche chauffée par le soleil nous inondait d'une atmosphère agréable. Ailleurs, l'herbe était trop froide et humide.

Lyra était posée avec Luke dans une aspérité. Nous nous incrustâmes.

- C'est à propos des cours de français ? demanda Luke à Plumeau.

- Pas vraiment, répondis-je à sa place.

- J'ai pas de réponse pour vous, interféra Lyra.

- Même pas une toute petite microscopique idée ? insistai-je.

Elle hésita.

- Allez, sourit Luke, tu me feras pas croire que t'y as pas du tout réfléchi. J'ai bien vu que tout problème insoluble te rendait accro comme un moucheron devant une ampoule.

- Je te remercie de me comparer à un moucheron, tes flatteries me transportent.

Elle se tut et je crus qu'elle n'allait plus rien nous dire. Pourtant, l'hésitation de tout à l'heure en disait long. Elle savait quelque chose.

- Je vois qu'une seule personne de louche dans votre histoire.

- Qui ?

Nous nous étions exclamés en chœur avec Plumeau et Luke. Zach avait toujours un temps de retard. Lyra regarda nos têtes et éclata de rire. Je ne l'avais jamais vue faire, et ça donnait froid dans le dos. Un demi-sourire de prédateur resta flotter sur ses lèvres ensuite.

- Aha... C'est un mystère.

- Arrête ! C'est hyper sérieux, me vexai-je. On parle d'assassinat !

Son sourire devint un vague souvenir avant même la fin de ma phrase. Cette fille est capable de jeter un regard noir foudroyant, me fis-je la réflexion.

- J'ai jamais été aussi sérieuse. Je vous le dirai si le moment se présente. Pas avant.

- Quel moment ? C'est super important !

- Tu dois nous le dire !

- De quoi vous parlez ?

- De rien, Zach !

- N'insistez pas, ça change rien au fait que c'est tout ce que vous aurez comme info.

- Tu auras sa mort sur la conscience, lançai-je.

- Et je vivrai avec sans problème, conclut-elle avec un haussement de sourcil. Maintenant lâchez-moi et allez chercher de quoi vous occuper ailleurs.

Toutes les insistances du monde ne purent parvenir à lui faire dire quoi que ce soit. C'est bredouille que nous sommes rentrés ce jour là, avec comme seule certitude celle que le bien d'autrui n'était pas une priorité chez Lyra Fox.

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Le visage peint en jaune et noir, les drapeaux à la main, Plumeau et moi nous faufilâmes dans les tribunes pour chercher des têtes familières. Je repérai des ondulations rousses sur la tête d'une freluquette solitaire, et lui bondis dessus. Kathleen eut un cri de surprise en s'affalant sous mon poids, mais finit par nous faire une place.

La finale de Quidditch opposait sans surprise Poufsouffle à Serdaigle. Les Scorpions arrivaient troisième de loin dans le classement des points. Les paris sur l'issue de l'ultime affrontement Elton VS Hélène étaient au centre des conversations depuis un certain temps. Les Maisons étaient secondaires. Savoir qu'ils étaient en plus tous les deux préfets en chef et se disputaient chaque année la place de major de promotion, leur donnait une aura quasiment divine. Et agaçante.

- C'est chouette que tu sois venue dans notre tribune, Kathleen !

Elle haussa timidement les épaules.

- Je pense sincèrement que Poufsouffle a une meilleure cohésion d'équipe. Et Andersen a une super technique à la batte. Ne lui dites pas que j'ai dit ça.

- Oooh, t'es trop mignonne, minaudai-je en la serrant dans mes bras.

- Arrête, rit-elle, tu me mets de la peinture partout !

Un coup de cor magique retentit dans le stade. Cette fois, nous avions eu droit au stade extérieur. L'air était froid mais le soleil nous réchauffait. Les tribunes sortaient directement de la surface du lac. Celui-ci était immense. La surface dégelée, il paraissait encore plus impressionnant que lors de la deuxième épreuve du tournoi.

- Ici Isidor Ingle en direct de la grande finale de Quidditch ! Ravie d'être avec vous cet après-midi, j'espère que vous avez bien reposé vos voix parce qu'on attend de vous des encouragements de folie ! Entre à ma droite une équipe qui nous a prouvé depuis longtemps sa valeur sur le terrain. Malgré leur effrayant équipement sombre, ils ont montré un fair-play exemplaire qui leur a valu les dix points de courtoisie du tournoi ! Menés par leur charismatique et ténébreux capitaine, voici l'équipe anglaise de Poufsouffle !

Des salves d'applaudissements et des cris d'encouragement nous entoura soudain, et nous nous joignîmes au bruit, Kathleen avec nous. Puis les hourras retombèrent. Notre équipe était apparue sur les balais, flottant au-dessus de la surface de l'eau.

- T'as pas l'impression qu'il nous mettent dans le rôle du méchant ? me glissa Plumeau.

Je n'avais jamais fait attention au fait que la tenue noire de Poufsouffle pouvait être intimidante. Il y avait bien quelques marques jaunes par-ci par-là, mais rien à voir avec l'ancienne tenue jaune-et-noire que nous avait montré Zach, abandonnée à cause de son effet maya-l'abeille risible.

- Entre à ma gauche ! Une équipe légendaire dont les victoires ont fait le tour des écoles de sorcellerie ! Portant fièrement leurs couleurs bronze et saphir ! Menés par leur imbattable capitaine ! Voici l'équipe anglaise de Serdaigle !

Bien qu'étant à l'opposé de leurs tribunes, les acclamations nous soufflèrent tous. Combien de fois plus nombreux est-ce qu'ils étaient ? De toute manière, si j'en croyais Johan Brown, qui était dans l'autre tribune, tout ado normalement constitué irait supporter une déesse telle que Hélène Cerblanc. Poncho l'avait naturellement suivi, sans trop poser de question.

Les deux équipes volèrent l'une vers l'autre sur le terrain et les deux impressionnants capitaines se serrèrent solennellement la main. Ils s'élevèrent dans les airs, comme autant de petits insectes colorés, de cette distance. Un sifflet lança le coup d'envoi et les insectes se mirent à virevolter dans tous les sens.

- Littlerock prend le souaffle ! Passe à Andersen !...

Le début du match fut extrêmement frustrant. Les équipes jouaient d'agilité mais les deux gardiens étaient de vrais murs de pierre. Pas un seul point ne fut marqué pendant la première demi-heure. Puis la petite poursuiveuse trapue qui s'appelait Littlerock feinta Cerblanc et marqua les dix premiers points du match.

L'hymne de Poufsouffle s'éleva dans la tribune. Il faudrait un jour que j'en apprenne les paroles. Chaque fois, c'était un tel enchevêtrement de mugissements et cris que la seule parole que je comprenais était quand tous hurlaient « … les blaireaux t'ont mis K.O ! », mais je supposais que ce n'était pas la partie la plus poétique. Je me contentai de beugler « Vas-y Zaaaaaach! Mets leur la misèèèèère ! » en chœur avec Plumeau.

- On est trop forts, commentai-je. Depuis le début du match, on domine. Les poursuiveurs de Serdaigle sont toujours à la traîne. Zach et Marius les laissent jamais se poser.

- Oui, mais ils vont vite se fatiguer, expliqua Kathleen. Ils tiendront jamais ce rythme tout le match. Quoique... Elton Andersen tient les buts comme personne. C'est bon signe.

- Ils faudrait qu'ils fassent une montée de terrain en triangulation pour prendre Hélène à revers. Littlerock est méga agile et elle a le viseur d'un sniper.

- C'est classique contre une équipe avec un bon gardien, mais Hélène Cerblanc doit connaître l'enchaînement. Ils faut qu'ils la surprennent.

- Je suis ravie de participer à vos conversations techniques sur le Quidditch, soupira Plumeau. Je capte rien à ce que vous dites.

- Le principal atout de Serdaigle est encore à venir, rappela Kathleen sans se soucier de sa voisine. Marvin Andersen pourra rien contre Mathilda Goldhand et son Foudroyeur.

- Tu rigoles ? Marvin est super fort ! Il attrape le vif d'or super souvent.

- Mais pas contre Mathilda. Elle est toute petite et son Foudroyeur est le balai le plus rapide au monde. Il est trop lourd. Il parviendra jamais à la suivre.

- Je déteste cette peste, râlai-je. En plus, elle vaut strictement rien sur le terrain sans son balai. C'est injuste.

- C'est peut-être injuste, mais elle en reste pas moins un des meilleurs attrapeurs du tournoi, reprit Kathleen.

- Toi, au moins, t'as pas besoin de ça pour tous les défoncer, rageai-je.

- T'es énervée, aujourd'hui, fit remarquer Kathleen.

- Mouais... C'est peut-être en rapport avec le fait que je suis de retenue ce soir, et que si on gagne, je serai pas là pour fêter ça.

- Vraiment désolée, me dit Plumeau.

- Arrête de culpabiliser, c'est pas ta faute, lui dis-je pour la cent millième fois.

La foule s'enflamma quand Littlerock marqua à nouveau. Nous hurlâmes avec le reste des bovins de notre tribune. Kathleen se contenta d'applaudir chaudement, puis s'interrompit.

- Ah. Salut, Lyra. Je croyais que tu étais dans la tribune de Serdaigle avec Rowena et Alyss.

Son interlocutrice me fit signe de me pousser et vint s'asseoir entre Kathleen et moi. Elle jeta un regard suspicieux dans la tribune autour d'elle, puis se pencha vers nous.

- On dirait que tu essaies de fuir quelqu'un, remarqua Plumeau.

Le brouhaha autour de nous couvrait de toute façon assez bien la moindre de nos paroles.

- Belle déduction, détective Cayle, ironisa-t-elle. J'en suis à plus d'une semaine à essayer d'éviter Luke. L'enfer. Un vrai pot de colle.

- Luke ? Pourquoi ? Tu l'as largué ?

- Si c'était aussi simple, soupira-t-elle. C'est une partie mineure du problème. Vous vous souvenez quand je vous ai dit que je voyais qu'une seule personne suspecte dans votre stupide histoire d'assassinat ?

- Oui, se redressa Plumeau à l'unisson avec moi. Et ?

- Quel assassinat ? demanda Kathleen.

- Je parlais de Luke.

- Quoi ? Mais c'est n'importe quoi ! C'est lui qui nous a prévenues !

Mes espoirs en Lyra s'envolaient.

- C'est à cause de ça que tu pouvais rien nous dire la dernière fois, comprit Plumeau. Mais je comprends pas du tout pourquoi tu le soupçonnes, lui.

- Et moi je comprends rien du tout, commenta Kathleen.

- C'est une histoire de grandes personnes, Kath, fit Lyra. Luke a toutes les raisons d'être suspect, Cayle.

Cette dernière lui signifia par un froncement de sourcils que ce n'était pas beaucoup plus clair. Lyra poursuivit.

- Premièrement, personne le connaît à Treehall, alors qu'il est censé y avoir étudié toute sa première année l'an passé. Personne. Pourtant, j'ai cherché. Aucun élève, aucun prof. Il se justifie en disant qu'il est timide et qu'il avait pas d'amis, mais quelqu'un aurait dû se souvenir de sa tête. Les profs, au moins. Son histoire de déménagement tient pas debout.

- J'y avais pas vraiment fait attention... réfléchit Plumeau.

- Personne y prête attention. Parce que personne s'y intéresse. C'est de l'ordre du détail. Mais un détail hautement suspect. Deuxième détail : si vous entendiez quelqu'un projeter d'assassiner la directrice, qui est-ce que vous préviendriez en premier ?

- La police magique, probablement, supposa Plumeau.

- Exactement. Pourquoi est-ce qu'il prévient deux première année qu'il connaît à peine ? Pourquoi est-ce qu'il parle jamais de sa famille ? De sa vie avant son arrivée à Poudlard ? Pourquoi est-ce que lorsque je le surprends en train de fumer planqué dans les Hautes Branches, il se dépêche de la jeter et faire comme si j'avais rien vu ? Pourquoi est-ce qu'il se trompe tout le temps en écrivant son nom dans les copies ? Pourquoi est-ce qu'il connaît rien de rien au programme de première année ?

- Tu te bases beaucoup sur des détails, remarquai-je. Peut-être qu'il veut pas que tu le dénonces s'il fume en cachette. Ce sera pas le premier.

- Soit, admit-elle. Mais tous les détails comptent. Il y a trop de détails qui sonnent faux chez lui. Il est pas net.

- C'est ridicule, rétorquai-je. Luke serait incapable d'assassiner qui que ce soit. Et puis de toute manière, s'il pensait assassiner Chourave, pourquoi nous en parler ?

- J'ai jamais dit que je pensais Luke capable de tuer qui que ce soit, corrigea Lyra.

- C'est exactement ce que tu viens d'insinuer ! m'insurgeai-je.

- Non. Ne sois pas stupide et n'essaie pas de me faire dire ce que j'ai pas dit. Suis mon raisonnement et arrête de m'interrompre.

- De quoi tu le soupçonnes, alors, s'il est pas un assassin ?

- Qu'est-ce que tu comprends pas dans « arrête de m'interrompre » ?

- Rien, modéra Plumeau, continue, Lyra.

- Je pense juste que Luke est un énorme mytho, et que vous l'avez suivi à fond dans son délire. Ça ou alors il entend des voix, peu importe. Peut-être qu'il était même pas scolarisé l'an dernier. S'il a des problèmes... psy, tout s'explique.

Sa conclusion laissa un froid. Le commentateur annonça un troisième but de Serdaigle. Son raisonnement ne laissait pas vraiment d'alternative. Dans quoi est-ce que nous nous étions laissées embarquer ?

Le violoniste, Soleil-Man, le mystérieux barbu, Bean... Toutes ces pistes sans queue ni tête sur la foi de ce que nous avait raconté un garçon qu'on connaissait à peine. Ma soif insatiable de mystère et d'aventure avait tissé tout le reste. Tout ce qui m'avait poussé de l'avant dans cette enquête de maternelle, c'était mon entêtement et l'envie de faire tout comme dans Harry Potter. J'eus une vague de honte irrépressible.

Un regard échangé avec Plumeau me fit savoir qu'elle se livrait aux mêmes pensées que moi. Et maintenant, comment éviter Luke ? Et comment éviter Poncho et Johan Brown qui pensaient encore être sur l'enquête de l'année.

- Je vous laisse réfléchir à ça, fit Lyra en se levant, il faut que je bouge sinon Luke va me retrouver.

- Tu pourrais aller le voir et lui dire ce que tu en penses, répondis-je. Peut-être qu'il cherche désespérément quelqu'un à qui se confier.

Elle me rendit une grimace.

- Je crois que je préfère encore la fuite. J'ai horreur des confidences. C'est une situation qui me met toujours très mal à l'aise parce que je sais jamais comment tourner le fait que j'en ai vraiment rien à foutre. Salut.

Elle disparut dans la foule.

- J'ai rien compris à votre histoire, avoua Kathleen.

- Crois-moi, tu rates rien, la rassurai-je.

- J'ai un peu honte d'avoir marché à fond dans l'histoire de Luke, confia Plumeau.

- Moi aussi.

Les bruits du Quidditch semblaient ne plus m'atteindre.

- Ça m'a pourri ma journée, ajoutai-je. En plus, on a la retenue avec Mojito ce soir. J'espère qu'on va gagner le match, sinon c'est vraiment la déprime.

Lorsque Mathilda attrapa le vif d'or, signant la fin du match et la victoire de Serdaigle, je ne souhaitais plus qu'une corde pour me pendre.

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Pour faire un bureau pour Mojito, Treehall avait ensorcelé un des placards de la salle des potions. C'était l'antre de prédilection de Plumeau. Elle était plus douée en fabrication de potion que Willie en blagues douteuses. C'était dire. Le prince de sang mêlé pouvait bien faire son kakou avec ses annotations, mais Plumeau le reléguait au statut de débutant. Mojito en gloussait d'admiration à chaque fois qu'elle passait devant ses fabrications. Malheureusement, ce n'est pas en gloussant qu'elle nous accueillit cette fois-ci. Ses lèvres pulpeuses nous attendaient en une moue désapprobatrice. Ses yeux en amande riaient malgré elle. Ses bras se croisèrent sous sa poitrine conséquente.

- Entrez. Je vais vous montrer votre tâche de ce soir.

Racler des chaudrons à mains nues une seconde fois ne m'enchantait guère. Au moins, cette fois-ci, j'étais mieux entourée. On pourrait papoter de trucs et d'autres pour passer le temps.

- N'espérez pas vous faire une petite chaudron party ce soir. Vous allez tous les quatre faire des tâches séparées. Baker, tu vas trier les armoires d'ingrédients. Je vais te donner une liste. Ce qui n'est pas dans la liste, tu le mets dans un carton. Ce qui est moisi, tu jettes. Andersen, tu récures les chaudrons. Et pas de magie. Cayle, tu vas classer mes dossiers, ici.

- Vous avez dit quatre ?

- Oui, quatre, Baker, je sais compter jusque là.

On frappa à la porte dans l'instant. Elle se campa dans l'ouverture pour réserver au quatrième le même accueil que nous.

- Vous êtes en retard, Sullivan. Entrez.

De toutes les personnes de l'école, celui qui entra faisait partie du podium de ceux que j'avais le moins envie de voir en retenue avec moi, ex-æquo avec Eli et leurs deux autres copines du gang de Philippa. Seth Sullivan s'avança de son pas traînant de caïd de banlieue et nous toisa d'un regard noir porté avec orgueil, accentué par le froncement perpétuel de ses sourcils châtains ternes assortis à ses cheveux ras. Il tripota l'anneau métallique qu'il portait à l'oreille gauche et replongea sa main dans la poche de son sweater à fermeture éclair ouvert. Encore quelques années et deux trois balafres viendraient compléter le tableau, très probablement.

Qui aurait cru que celui à qui je devais ma première retenue partagerait la deuxième à mes côtés ? Belle ironie.

- Sullivan, tu nettoieras le sol de la salle de classe, du bureau et des salles de réserve.

Il prit le balai et la serpillière qu'elle lui tendait sans dire un mot. Mojito alla s'asseoir à son bureau et sortit une pile de devoirs à corriger.

- Allez, au travail. Baker, tu n'as rien à faire ici. Andersen non plus, d'ailleurs.

Je me mis péniblement au travail dans la réserve. Les murs étaient faits de blocs de pierre enchâssés dans des racines. De vieilles armoires et étagères y étaient adossées. J'ouvris la première armoire et sortis un à un tout son contenu. Le travail était fastidieux mais au moins je ne récurais pas des chaudrons. J'eus une petite pensée pour Zach. Je notai quelques ingrédients intrigants comme un flacon de fumée de djinn, ou du velours de grand-mère.

Je fus dérangée par Seth Sullivan qui voulait que je dégage mes fournitures poussiéreuses de son sol à laver. Je me poussai un poil en lui expliquant que c'était compliqué. Lorsqu'il tenta de passer sa serpillière sur mes ingrédients triés, je m'énervai.

- On est tous les deux de retenue, c'est très chiant, je sais, mais on est dans la même galère, donc s'il-te-plaît me rends pas la tâche plus compliquée.

- T'as raison, fit-il. C'est très chiant et très humiliant d'être en retenue avec des blaireaux. Si t'avais attendu que j'aie passé la serpillière pour ranger, ce serait déjà fini.

- C'est quoi ton problème ? Tes parents ont oublié de t'apprendre la gentillesse ?

Il leva le bout de sa serpillière vers mon nez.

- Ne dis pas de conneries sur ma famille, Baker, ou tu risques de regretter. Ils sont bien au-dessus de tes insultes.

Je pouffai.

- Pourquoi ? Avec leur ligne de sang pur, j'ai pas le droit d'en parler avec ma sale bouche de sang-de-bourbe, c'est ça ?

Ce fut à son tour d'éclater de rire. Il abaissa son arme improvisée.

- C'est quoi ces préjugés idiots ? Je suis sang-pur, moi ? Si tu me permets de continuer avec les insultes, je suis sang-de-bourbe aussi, Baker. Mais ça n'empêche qu'à mes yeux, le sang de ma famille est le plus pur qui soit.

Je me sentis bête. Les Serpentard nés-moldus étaient si rares que je ne les envisageais même pas. Est-ce que ça faisait de moi la moins ouverte d'esprit de nous deux ? Il me parut moins mauvais, tout d'un coup. C'était stupide. Le bien et le mal se définissaient par les actions d'une personne, pas sur la nature de ses parents. Et Seth Sullivan était un pourri jusqu'au plus profond de ses os. Kathleen en souffrait tous les jours.

- Qu'est-ce que tu fais en retenue, de toute façon ? demandai-je. Un parfait petit magouilleur comme toi devrait pas en arriver là, non ?

La raison me vint comme une illumination.

- C'est toi qui as saboté les balais de l'équipe des Scorpions ! C'est de ta faute si l'équipe de Serpentard a été disqualifiée !

Il ne soutint pas mon regard.

- Ouais, c'était moi, et j'en suis pas fier.

Je haussai les sourcils. Étonnant.

- Tu as raison de regretter. C'est petit de tricher.

Il eut un petit rire.

- Je regrette absolument pas d'avoir tenté de les saboter, corrigea-t-il. J'ai honte d'avoir été pris la main dans le sac. Pour un fin stratège comme moi, c'est vraiment pas glorieux. Crois-moi, ça se reproduira plus. J'y veillerai.

Je restai estomaquée et le laissai finir son lavage de sol sans répliquer. Il sortit de la pièce et je me jurai de toujours me méfier de ce bandit en devenir.

La retenue s'éternisait et je rêvais de venir à bout de ces monticules de poussière, quand Plumeau fit irruption. Elle posa un doigt en travers de ses lèvres. Je restai silencieuse. Elle me fit signe de la suivre. Mojito ronflait dans son fauteuil. Zach et Seth étaient à l'autre bout de la salle de classe. Plumeau ferma doucement la porte du bureau et m'entraîna auprès d'eux.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Seth, est-ce que tu peux répéter ce que tu m'as dit à l'instant ? intima Plumeau.

Il s'assit sur une table et prit son temps pour répondre.

- J'ai rien dit de très intéressant.

- Tss, je sais même pas pourquoi j'espère un effort de sa part, nous adressa-t-elle. Tout à l'heure, il est venu me voir et me demande si je suis amie avec Luke... Il me pose plein de questions sur sa personnalité, tout ça, et puis il me demande si Luke m'a parlé de Chourave !

Nous fixâmes tous l'intéressé. Il finit par soupirer en croisant les bras.

- Oui, c'est à peu près ce que j'ai dit, fit-il, et j'ai du mal à saisir en quoi c'est un problème. Rien qu'à voir vos têtes, n'importe quel crétin de Poufsouffle comprendrait qu'il va se passer une catastrophe. Et je suis pas un crétin de Poufsouffle, donc maintenant, vous allez me dire depuis quand vous êtes au courant que Luke planifie d'assassiner Chourave, et pourquoi vous en avez rien dit à personne. Et me faites pas croire que vous en savez rien, avec vos airs de coupables, ce serait me prendre pour un demeuré. Ce que je suis pas. Alors ?

- Depuis le début d'année, finit par répondre Plumeau. Mais on a eu beau chercher et se creuser les méninges, impossible de trouver ce prétendu assassin. C'est comme chercher une demiguise dans un stock de capes d'invisibilité neuves.

- Vous êtes sûrs qu'on peut lui parler de ça ouvertement ? demandai-je.

- Heuu... les filles... hésita Zach.

Seth fronça les sourcils et nous regarda tour à tour.

- Qu'est-ce que j'ai dit ? Je pense qu'il y a un malentendu quelque part.

Un nouveau silence, lourd, s'éternisa le temps que la nouvelle information fasse son chemin.

- Quoi ?!

- Chuut, Many, m'attrapa Zach.

- Donc vous étiez pas au courant, conclut Seth.

- Qu'est-ce que tu nous baratines ? se méfia Zach.

- Hmmm... Je parlerai qu'en présence de mon avocat, rétorqua-t-il. Vous dites ça aussi chez les sorciers ?

Luke allait tuer Chourave ? Aucun sens.

- Est-ce que t'es pas en train de nous balader, Sullivan ? lançai-je. Après ton petit discours de tout à l'heure, je suis assez peu disposée à croire quoi que ce soit qui sortirait de ta bouche.

- C'est pas mon style de mentir sur ces choses là. Je suis pas un menteur. Du moins, rajouta-t-il après mon haussement de sourcil, je mens en de très rares occasions, seulement si la situation le nécessite. Et je suis pas dans une de ces situations.

- Many, intervint Plumeau en me poussant derrière elle, excuse-moi de te le dire, mais t'es vraiment pas diplomate. Seth, je veux bien te croire, mais comment est-ce que tu es au courant de ça ?

- Luke parlait à quelqu'un par Katz, dit-il d'une voix désintéressée. Je suis passé par là, alors j'ai entendu.

- Même si c'était vrai, m'adressai-je aux deux autres. Il n'empêche qu'aux dernières nouvelles, Luke est censé être un mytho. Donc ?

Mais ce fut Seth qui me répondit.

- La personne avec qui il parlait avait l'air de lui donner des ordres.

- Qu'est-ce qui te fait penser ça ?

- Il s'est excusé et a assuré qu'il allait agir au plus vite, qu'il transplanerait à Poudlard ce soir pour l'attendre. Pas besoin d'être un génie pour comprendre.

- Mais, encore une fois, insistai-je, Luke est censé être un mytho, non ? Il peut s'être inventé toute une histoire sans que ça n'ait aucune conséquence sur qui que ce soit ! De toute façon, on peut pas transplaner dans l'enceinte de Poudlard. Et puis Luke sait pas transplaner. Il sait transplaner ? C'est au programme de première année à Treehall ? On a pas appris à transplaner.

- Il a transplané juste devant moi, ajouta Seth.

- Merde, conclus-je.

- Bien résumé, commenta Zach.

Il était resté silencieux pendant toute l'explication, et je me demandais s'il avait bien tout compris. Mais il avait l'air concentré.

Le fait que Luke sache transplaner faisait partir en fumée toute l'hypothèse de Luke-mytho. Aucun première ou deuxième année n'était capable de transplaner.

- Est-ce que tu es sûr de tout ce que tu racontes, Sullivan ?

- Certain.

- Est-ce que Luke fumait ?

- Oui.

- Pourquoi est-ce que t'en as pas parlé aux profs ? Pourquoi pas la police ?

Je repensais à tout ce que nous avait dit Lyra. Qui était Luke ?

- Je vais pas dénoncer quelqu'un juste pour une petite clope, sourcilla-t-il. Poucave.

- Je voulais parler de l'assassinat !

Plumeau m'envoya une tape sur l'épaule pour me rappeler de faire moins de bruit.

- Je sais pas, haussa-t-il les épaules. La police, c'est pas mes potes. Et puis, certaines personnes méritent de mourir, pour permettre à d'autres d'avoir une vie meilleure. Je peux pas vraiment dire que je connais Chourave. Peut-être que Luke a de bonnes raisons.

- Stop, l'arrêtai-je. Je propose qu'on arrête de demander son avis à Sullivan puisqu'il nous sort des trucs plus horribles les uns que les autres. Qu'est-ce qu'on fait ?

- Prévenir la police ? suggéra Plumeau.

- Tu penses qu'il nous prendront au sérieux ?

- Non.

- Les profs, alors, proposai-je.

- En fait, il suffit de demander à voir Chourave et la prévenir directement de pas partir de Treehall demain, non ?

Plumeau et moi regardâmes Zach avec admiration.

- Quel petit génie ! le félicita Plumeau. Allons-y.

- On parie que Mojito nous découpe en rondelles à notre retour ?

Zach ne releva pas ma remarque et nous emboîta le pas, plein de fierté. Ce n'était pas tous les jours qu'il pouvait se mettre dans la peau d'un génie.

- Qu'est-ce qu'il se passe si je vous dénonce ?

- Tu vas pas le faire, Sullivan, parce que tu connais pas le mobile de Luke. Il a peut-être de très mauvaises raisons, récitai-je. Et puis t'es pas une poucave.

Il souffla.

- Nouvelle leçon du jour, marmonna-il, n'en dis pas trop sur toi-même à autrui ou ils finiront par s'en servir pour te faire passer pour un guignol.

Nous le laissâmes à sa besogne et quittâmes la salle de classe. Au bout d'un moment, Zach n'y tint plus et commença à courir dans les couloirs.

- On avait dit qu'on s'attendait ! Zach !

Plumeau et moi lui emboîtâmes le pas quand il fut évident qu'il ne nous écoutait plus. La salle des profs se trouvait dans l'aile du Trident. Il fallait remonter presque jusqu'en haut de l'Humus. Les escaliers à répétition nous laissèrent à bout de souffle. Puis la terre fit place à la fourche de la racine du Trident. Zach ralentit sa course et s'arrêta pour nous laisser respirer quelques secondes.

- Je crois que la salle des profs est dans la racine ouest, hésita-t-il.

- Att... tends, haletai-je.

Je sentais qu'il était prêt à repartir au galop. Il ne servait à rien de se précipiter si c'était pour s'apercevoir après que nous nous étions trompés de couloir.

- On a qu'a partir chacun dans une racine, proposa Plumeau. Les deux qui auront pris un mauvais couloir auront qu'à se retrouver ici pendant que le troisième convainc Chourave de rester là.

Je la saisis par les épaules et la serrai de joie.

- T'es géniale !

- Je prends le couloir ouest, lança Zach en s'élançant.

J'échangeai un coup d'œil avec Plumeau et partis en courant dans le couloir bas. Celui-ci ne faisait que descendre. La pente était douce mais le retour allait être corsé s'il me fallait courir parce que c'était le mauvais endroit.

Je compris que la chance me souriait en voyant la porte à cinq branches tout en bas. Des gargouilles en forme de têtes d'animaux faisaient saillie à leurs extrémités. Même placé au-dessus, le louveteau paraissait risible à côté des autres.

La porte était déjà entre-ouverte. Je m'arrêtai.

La salle des profs était toujours fermée à clef, pour éviter que des élèves viennent farfouiller dans leurs affaires. Ils fermaient toujours derrière eux. Mojito n'aurait jamais laissé ouvert. Quelqu'un était entré. Ou alors quelqu'un avait peut-être juste oublié de la fermer ce soir. Ce n'était pas le moment de psychoter.

J'entrai prudemment. A l'intérieur, c'était un bazar sans nom. Il y avait des étagères et des bureaux plein la pièce, certes, mais de la paperasse et des bidules magiques en tout genre traînaient sur la majorité des surfaces disponibles. Une plume écrivait toute seule sur un bureau à l'abandon. Une étrange brume mauve se mouvait à l'intérieur d'un globe de verre posé sur une étagère. Un canapé moelleux en arc de cercle était disposé autour d'une table basse où quelques tasses à café sales traînaient encore. La couleur des coussins indiquait qu'il avaient déjà longtemps servi. La pièce en elle-même était immense, ce qui était normal si tous les profs devaient s'entasser ici pour leur lieu de vie. Pas trace du moindre d'entre eux, en revanche. Avec notre retenue à rallonge, il devait être près de onze heures du soir. Peut-être est-ce qu'ils étaient déjà couchés ? Ou à travailler au calme dans leurs bureaux respectifs ?

Mon attention fut attirée par un rai de lumière sous une des portes qui donnaient sur la salle. Des voix filtraient de la pièce d'à côté. Il s'agissait donc bien d'une personne qui était entrée. Je me plaquai contre le mur près de la lumière.

- ... jeune homme. Retournez aux festivités, disait une voix féminine que je connaissais.

- Vous comprenez pas ! s'énerva une deuxième voix, qui m'était aussi familière.

- Je comprends très bien. Mais maintenant n'est pas une heure pour déranger un professeur. La directrice part pour Poudlard tôt demain matin. Retournez à votre dortoir.

- C'est très important, je dois vraiment la voir tout de suite.

Est-ce que Luke se trouvait derrière cette porte ? Si c'était le cas, j'arrivais au bon moment. Mais pourquoi agir ici et pas à Poudlard comme Seth nous l'avait dit ? Il prenait beaucoup plus de risques à passer à l'acte ici.

Je remarquai un léger tremblement au bout de mes mains. J'étais morte de trouille.

Je fermai les yeux le plus fort que je pouvais. Si je n'y allais pas, c'était fini. Mais si je me faisais tuer ? C'était pareil ! Pourtant il fallait que quelqu'un alerte Chourave. Il me suffisait de rentrer en criant au meurtre. Il serait bien embêté.

Je pris une inspiration profonde et entrai en hurlant.

J'attendis le moment de basculement où je saurais que j'étais morte. Rien de se produisit. Peut-être que j'étais morte trop vite.

J'ouvris un œil et découvris Swan et Hugo Weasley qui me regardaient avec des yeux ronds. Pendant un instant, mon cerveau sembla en décalage entre le rêve et la réalité. Je me sentis un poil nauséeuse, comme quand on lit en voiture et que le cerveau reçoit deux informations contradictoires. Hugo Weasley était l'assassin ?

- Miss Baker, bouillonna Swan. Qu'est-ce que vous fabriquez ?

- Je... hésitai-je.

Hugo Weasley ne pouvait pas être l'assassin. C'était stupide. C'était Luke. Sauf si Seth les avait confondu. Il avait une silhouette semblable. Mais l'un était roux et l'autre brun, alors... Oui mais le brun des boucles de Hugo tirait sur l'auburn...

- Est-ce que l'un de vous peut m'expliquer ce que manigancent deux première année à venir s'introduire dans la salle des professeurs alors que vous êtes censés être à la fête en l'honneur de la victoire de Poudlard au Quidditch ?

- On manigance rien du tout, professeur, assura Hugo. Je savais même pas que Baker allait débarquer. J'étais aussi surpris que vous. Vous devez me croire. Professeur Chourave sera en danger si elle se rend à Poudlard. C'est pour ça que je voulais la voir. Pour la prévenir.

Comment est-ce qu'il était arrivé à la même conclusion que nous, alors qu'il était seul et qu'il n'avait pas eu d'avertissement ? J'étais impressionnée. Et il était même arrivé en avance. En même temps, sa mère était connue pour son cerveau surdimensionné. Les gènes devaient y être pour quelque chose.

Probablement.

- J'allais aussi prévenir le professeur Chourave, ajoutai-je.

- Ne vous moquez pas de moi ! explosa Swan. Si vous pensez que je vais croire à cette coïncidence idiote, en plus de cette histoire extravagante ! Allez vous coucher et que je n'entende plus parler de vous deux ou vous viendrez en retenue demain !

Hugo me jeta un regard noir. Et il avait raison. Notre accusation était déjà assez difficile à croire sans qu'on rajoute un deuxième messager indépendant. Maintenant, il était absolument impossible que Swan fasse quoi que ce soit pour nous aider. Notre seul espoir était que mon cri de tout à l'heure ait alerté Chourave et qu'elle vienne voir ce qu'il se passait.

Puis une autre inquiétude vint frapper mon esprit. Plumeau et Zach allaient bientôt débarquer avec la même histoire. Si avec ça Swan ne nous renvoyait pas tous les quatre, nous n'avions plus qu'à aller miser sur l'équipe de Quidditch d'Angleterre à la prochaine coupe du monde.

Comme pour me donner raison, mes deux comparses firent irruption de façon théâtrale. La porte alla heurter violemment le mur dans son élan. Swan était... blanche de colère. Ainsi, la rumeur qui courait comme quoi elle restait peinturlurée même la nuit était vraie. Son maquillage ne lui permettait pas de se fâcher tout rouge, mais la déformation de ses traits informait assez bien sur son avis à propos de notre mise en garde.

- DEHORS ! rugit-elle.

- S'il vous plaît, insista Hugo.

Avant que Swan ait pu répliquer le moindre mot, Zach avait piqué un sprint vers le bureau que Treehall avait prêté à Chourave. Il était facile de le reconnaître, il y avait le blason de Poudlard sur la porte.

- Andersen! hurla-elle sans plus se soucier de déranger les autres professeurs.

A peine quelques secondes plus tard, il refit son apparition, la mine déconfite.

- Elle est pas là, dit-il comme s'il annonçait la fin du monde.

- Bien sûr que non ! tempêta Swan. Elle voyage de nuit, avant son voyage annoncé. Maintenant retournez au Raton immédiatement ! Vous avez déjà gagné une retenue chacun ! A présent c'est le renvoi que vous risquez !

Ses menaces restèrent floues dans ma tête. Je m'étais arrêtée à l'essentiel. Chourave était déjà partie, et nous arrivions trop tard.

- Allons-y, conseillai-je.

Je tournai les talons et repris le couloir montant. Les trois autres avaient déjà tourné le dos quand des voix fatiguées s'élevèrent pour demander quel bordel pouvait bien les avoir dérangés dans leurs si importantes occupations.

Hugo nous suivait avec un peu de distance. Une fois assez éloignés de la salle des profs, je me risquai à une proposition.

- On va à Poudlard, hein ?

Je m'adressai plus particulièrement à Plumeau et Zach, mais ce fut Hugo qui répondit.

- Si vous y allez, alors je viens aussi.

- Oh, non ! Pas de rabat-joie pour ce soir, pitié, opposa Zach.

J'entendis un grognement, derrière.

- Je suis pas rabat-joie, grommela Hugo. Et en plus, on s'en fout, on va en mission sauvetage, pas en colo... Et vu la tendance des Andersen à tout saboter, le laisser mener serait la pire erreur possible.

- Quoi ?

Comment faire partir Zach au quart de tour... En même temps, il l'avait un peu cherché.

- Calmez-vous, les gars, tenta Plumeau.

- Si Elton t'entendait, balbutia Zach, il... il a un parcours parfait, tu peux pas nous retirer ça. C'est injuste.

- Ouais... Il a pas battu Cerblanc, provoqua Hugo.

- Aucun rapport avec son talent de meneur !

- Serdaigle a gagné parce que Elton était pas assez intelligent.

- Serdaigle a gagné parce que Mathilda avait un Foudroyeur ! s'exclama Zach.

- C'est pas le moment de parler de Quidditch ! rappelai-je. On a une directrice à sauver, là ! Luke est déjà là-bas et Chourave est en route.

La situation dut se rappeler à eux car ils accélérèrent le pas et Plumeau et moi dûmes trottiner pour ne pas être larguées.

- Comment est-ce que vous avez su que Chourave était en danger ? demanda Hugo. Est-ce que vous soupçonnez Luke aussi ?

Zach nous jeta un coup d'œil. Nous mines essoufflées l'informèrent qu'il allait devoir se charger du résumé. Il tenta de la faire court.

- Luke a prévenu Plumeau et Many que quelqu'un voulait assassiner Chourave, en début d'année. Mais c'est seulement ce soir qu'on a compris que c'était lui l'assassin.

- Pourquoi est-ce qu'il vous a prévenues ? C'est idiot de sa part, s'étonna Hugo.

- Aucune idée, arrivai-je à articuler. Et toi, comment t'en est arrivé à Luke ? C'est incroyable d'avoir deviné sans aucun avertissement. Sauf si... Toi aussi ?

- Non, non. Personne m'a rien dit. Je sais pas vraiment, répondit-il. Je le trouvais bizarre. Personne avait l'air de le reconnaître, et plein d'autres détails comme ça qui clochaient.

Il me faisait penser à quelqu'un.

- J'ai fouillé dans ses affaires, un jour. C'est pas bien, je sais, mais il était vraiment trop louche. J'ai trouvé des tonnes de documents sur Chourave. Et... hem... un jour, je l'ai suivi avec la cape d'invisibilité.

- T'as une cape d'invisibilité ? s'exclama Zach. Sérieux ?

- J'ai emprunté celle d'Albus. Bref, je l'ai suivi sur une Haute Branche. C'était il y a quelques heures. Il s'est allongé et a commencé à fumer. Au bout d'un moment, j'ai réalisé un truc.

Nous l'encourageâmes à continuer.

- Luke avait plus 12 ans. C'était un homme adulte, de 20 ans, par là. Allongé en train de fumer tranquillement sur une branche de Treehall.

- Non, tu rigoles ?

- J'ai l'air de rigoler ? Il a retrouvé l'apparence qu'on connaît rapidement et s'est relevé en s'étirant et disant « allons tuer quelques directrices ». Ensuite il a transplané. J'ai vite fait le rapprochement avec ce que j'avais trouvé dans ses affaires. C'est peut-être juste une grosse blague, mais je vois mal quelle blague peut justifier de faire passer un homme de 20 ans pour un élève de première année pendant un an.

Nous restâmes silencieux un moment.

- C'est Lyra qui va être dégoûtée, fit Plumeau.

En effet. Sortir avec un assassin du double de son âge doit probablement provoquer ce genre de sentiment.

- Faites comme si on allait vers notre dortoir, glissa Hugo.

Après un moment d'hésitation, je compris qu'il voulait dire que nous étions surveillés. Zach retroussa le nez et fit une grimace d'incompréhension en direction de l'autre garçon.

- Ils nous suivent, ajouta Hugo.

Je me retournai de concert avec les deux autres. Le couloir était désert.

- Si tu comptes faire ton petit chef, Weasley, tu te mets la baguette dans le nez... grogna Zach.

- Si tu veux, répondit l'intéressé. On ferait mieux de pas trop ralentir.

- … jusqu'au cerveau. Tu veux nous accompagner, ok, pas de problème. Je suis un mec ouvert et amical. Mais tu suis en silence, et tu hoches la tête pour dire que t'as compris.

- Désolé, je voulais juste vous aider, s'excusa Hugo en s'arrêtant.

- Laisse, Zach. Tu vois bien que personne essaie de dominer personne, assurai-je. On s'entraide.

- Alors qu'il explique avant de nous dire quoi faire !

- On avait tous compris, répliquai-je. Il a précisé exprès pour toi parce que ça se voyait sur ta tête que t'avais rien capté.

Il avait du se vexer car il n'ouvrit plus la bouche et se contenta de suivre comme s'il comprenait tout du premier coup.

En passant près de l'aile des Pumas où dormaient les première année de Nocheira, je me rappelai de Poncho et Johan Brown.

- On réveille Poncho ?

- Pas le temps, dit Hugo sèchement.

Mais Zach s'était déjà éclipsé.

- On continue, pressa-t-il. Il nous retrouvera au Raton.

- Attends ! Il faut aussi qu'on réveille Lyra, après toute l'aide qu'elle nous a donnée, elle voudra sûrement venir. Et Johan ? Il connaît Treehall mieux que nous, réalisai-je au moment où les mots franchissaient mes lèvres. Il saura comment sortir sans se faire remarquer.

Hugo s'arrêta, se prit la tête dans les mains, et souffla profondément. Il se redressa après quelques secondes d'immobilité.

- Ok. T'as raison. Va les chercher.

Zach avait eu raison sur un point au moins. Inconsciemment, nous nous étions tous rangés sous le commandement de Hugo. Il exposait les prochaines parties du plan avec tellement de rapidité que les déductions semblaient lui venir naturellement. Ses décisions étaient logiques, mais je ne saisissais leur sens qu'une fois qu'il les avait dites. Plumeau devait être dans le même cas que moi.

Quand à Zach... Il n'y avait qu'à espérer qu'il ne ferait pas de truc idiot.


[Vous vous en doutez, on arrive à la fin de l'année et de l'intrigue. Il reste 2 chapitres avant la fin. J'espère que ça vous aura plu. Mais après... il y aura une nouvelle rentrée, et une nouvelle année... en gros, ça continue, et on a pas fini de démêler les embrouilles de many bak]