Chapitre 10 : Retour sur Terre
« Réveille-toi ! On a trouvé le coupable, on va l'arrêter avant qu'il assassine Chourave ! »
- Quelle heure est ? J'arrive, je mets juste ma poncho et j'arrive.
- Mouaarf... Trouvé le... Cool ! Deux secondes! Quoi ? Je peux pas réveiller Joe et Joey ? Sûr ?
- Mmmh... non, j'en ai rien à battre... allez vous faire assassiner en silence... oui, dégage...
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- Comment est-ce qu'on va pouvoir se rendre à Poudlard ? C'est à l'autre bout du monde, me rappelai-je. Littéralement.
- Vous voulez aller à Poudlard mais vous avez pas réfléchi à comment, se moqua Hugo.
- C'était pas prévu au programme de ce soir, à la base, répliquai-je.
- Bon, maintenant c'est au programme.
- Qu'est-ce que tu suggères ? demandai-je devant le sourire en coin qui éclairait son visage.
- Je propose de rentrer à Poudlard par le même moyen qui nous a transporté ici.
Je mis un moment à trouver.
- Le Poudlard Express ? T'es malade ? Tu sais conduire ce truc ?
Il haussa les épaules.
- Super, commentai-je. On est bien parti...
De toute façon, le premier problème restait de sortir de l'école sans se faire repérer. Johan Brown en était encore à se demander si l'entrée était ouverte la nuit.
- Dans le doute, mieux vaut pas passer par là, recommanda Hugo.
- Par où tu veux passer alors ? C'est la seule entrée, répliqua l'américain.
- J'ai peut-être une idée, glissa Plumeau. Si on s'envole en balais depuis les Hautes Branches, on devrait pouvoir aller sans trop de problème jusqu'au Poudlard Express. Treehall a aucune protection magique.
Je vis le visage de Zach s'illuminer.
- Plumeau ! T'es ma nouvelle idole !
Et il la serra contre lui en poussant un « youhou » joyeux.
- Et où est-ce qu'on est censés trouver des balais ? doucha Hugo.
- J'avais bien dit qu'il allait passer son temps à faire le rabat-joie, se félicita Zach. Sache que j'ai un balai, et que je suis assez généreux pour partager avec mes potes. Je suis pas certain pour toi, par contre. Tu voudrais pas rester là, finalement ?
Hugo frotta nerveusement son long nez fin et jeta un regard d'appel à l'aide en direction de Plumeau et moi.
- Arrête avec ce regard, chuchota-t-elle. Débrouille-toi.
- Il vient avec nous, Zach, répondis-je. C'est toi le rabat-joie, là. Sérieux...
Il me fit une tête de chiot pris en faute tellement convaincante que j'oubliai dans l'instant ses commentaires désagréables. Nous fîmes un crochet par le Raton pour attraper le balai avant de grimper jusqu'aux Hautes Branches.
- On y voit vraiment rien, fit observer Johan Brown une fois perché sur le bout d'une branche. J'espère que tout le monde sait faire un lumos ?
Le bout de sa baguette s'illumina. Les autres suivirent. La mienne avait été retrouvée avec celle de Zach et mon uniforme dans les couloirs d'Ilvermorny quelques jours après la fin de la troisième épreuve.
Sa baguette toussota avant de s'éclairer, après sa deuxième tentative de lancer le sort. Il fit monter Johan Brown à l'arrière du balai et disparut dans la nuit. Il fut long mais finit par revenir.
- Suivant !
Il nous descendit un par un en nous déposant sur le quai magique qui était apparu avec le Poudlard Express à notre arrivée en novembre.
- Allons-y, fit-il finalement après son dernier voyage. Comment on rentre dans le train ?
- Zach...
- Quoi ?
- T'as pas l'impression d'avoir oublié quelqu'un là-haut ?
- Allleeeez Many, on a pas besoin de lui !
- Donne-moi ce balai, Zach, ordonnai-je. Je vais y aller moi-même.
Il souffla et finit par enfourcher son balai pour retourner chercher Hugo. En arrivant, ce dernier paraissait presque choqué qu'on ait pu ne pas l'abandonner.
Il faisait froid et sombre, mais nous finîmes par retrouver la gare qui était apparue avec le Poudlard Express. Difficile de croire que ces pavés qui semblaient bien durs et réels allaient s'évanouir après le départ du train. Celui-ci était totalement éteint, hibernant en attendant son retour à la maison.
- Comment on est censés rentrer dans ce truc ? prononça tout haut Johan Brown ce que tout le monde pensait tout bas.
- Peut-être qu'il y a une formule, supposa Plumeau. Je sais pas...
Un bruit nous fit nous retourner. Zach tenait la poignée de la porte d'un wagon qu'il venait d'ouvrir. Il affichait l'air surpris de celui pris en faute.
- C'était ouvert, s'excusa-t-il sans y croire.
- T'es sérieux ?
Plumeau et Johan Brown pouffèrent devant l'absurdité du truc.
- C'est pas parce que Treehall a aucune protection repousse-moldu qu'il faut faire pareil juste parce qu'on est garé devant, commentai-je. C'est un coup à se faire piquer le Poudlard Express par le premier délinquant du coin.
Rien que le fait d'imaginer une racaille du bac à sable faire son kéké aux commandes du Poudlard Express dans les rues de Cambridge me faisait basculer dans une réalité burlesque étonnamment fun. Drôle d'impression.
- Vous venez ? lança Zach en entrant dans le wagon.
Nous montâmes à sa suite. Il nous mena le long des couloirs bordant les compartiments déserts. Sans lumière, à la seule lueur des baguettes, l'atmosphère n'était pas rassurante. Les ombres mouvaient et formaient parfois des illusions troublantes.
- Bon, j'ai trouvé l'avant du train, annonça la voix de Zach plus loin, mais si quelqu'un sait comment faire démarrer ce truc, qu'il se manifeste, parce que j'avoue que la charbonnerie, ça me dépasse. Tout ce que je peux faire avec ça, c'est improviser une chicha.
J'avais rattrapé les autres dans la locomotive. Zach tenait une pelle en fer qu'il avait sortie de sous un tas de charbon au pied d'une cheminée éteinte. C'était ce qui devait alimenter le train, puisqu'il s'agissait d'un vieux train à vapeur.
- Hugo-le-cerveau a une idée ? Parce que c'est le moment de briller, mon pote, l'encouragea Zach. Au sens propre, ajouta-t-il avec un clin d'œil.
- J'ai lu des tas de choses sur le Poudlard Express dans l'Histoire de Poudlard, répondit-il en haussant ses épaules maladroitement. Mais ils décrivent jamais comment le faire démarrer.
- Dommage, on trouve donc pas toutes les réponses dans les livres.
- Je vais aller faire un tour pour voir si je trouve un manuel ou un truc de ce type, dit Plumeau exactement en même temps.
Zach et elle se regardèrent un moment, puis ils éclatèrent de rire.
- Incorrigible, se lancèrent-ils en chœur avant de pouffer à nouveau.
Plumeau quitta la salle des machines.
- Il faudrait déjà allumer ce machin, supposa Johan Brown.
- Facile à dire, répliquai-je. Avec nos sorts de première année, on est au top. Wingardium Leviosa.
Une poignée de charbon s'éleva dans les airs puis retomba à sa place avec un bruit sourd.
- Fantastique, me félicita Zach. Je sens qu'on touche au but.
- Hapichiyy, murmura Poncho.
Le disque doré qui pendait à son cou diffusa une lueur chaude, et une langue de feu vint balayer les résidus au fond de la cheminée. Les morceaux de charbon se mirent à crépiter et se fendre, puis s'embrasèrent.
- Cool ! s'exclama Zach.
Il remua le feu déjà haut pour l'attiser. Celui-ci était le feu le plus agité que j'aie jamais vu. Il s'animait et léchait les parois de fer comme doué de vie propre. Une flamme s'échappa, s'enroula avec vivacité autour du manche de la pelle et vint fouetter les doigts de Zach. Il poussa un petit cri et lâcha l'outil qui vint tinter contre le sol.
- Qu'est-ce que c'...
Il se figea en voyant la même chose que moi. Le feu, plus que prendre une vie propre, se repliait sur lui-même comme aspiré dans une autre dimension. Il explosait alors en une gerbe de braises brûlantes puis se recroquevillait à nouveau. Les explosions étaient de plus en plus grosses. Je me reculai en même temps que les autres.
- Poncho, c'était quoi ce sort ?
- Pas moi, se défendit-elle. Mon sort est un sort normal pour allumer feu.
Une langue de feu plus imposante que les autres jaillit de l'âtre et resta en suspension, s'enroulant sur elle-même. Puis une deuxième.
- C'est normal ça ou faut qu'on s'inquiète ? fit Zach.
Pas normal, je pensai.
Dans le maelström brûlant qui crépitait toujours, un grondement grave et puissant entremêlé d'un sifflement aigu violent nous fit dresser les poils.
La voix de Plumeau surgit de derrière nous quelques secondes avant qu'elle apparaisse.
- Il faut sortir ! Vite !
Elle attrapa la manche du premier venu et se rua vers les wagons dans le couloir que nous avions emprunté pour venir. Personne ne discuta. Dans notre brève course dans le couloir, tout le monde eut le temps d'apercevoir ce qui nous attendait si nous restions plus longtemps. Les compartiments au loin s'enroulaient sur eux mêmes. Notre wagon commençait à onduler. La porte ouverte par Zach en vue, Plumeau s'engouffra dehors avec nous à sa suite.
Une fois une bonne cinquantaine de mètres de sécurité entre nous et le Poudlard Express, je m'autorisai un regard en arrière. Vu de l'extérieur, le train était aussi immobile et désert qu'à notre arrivée. Aucune fumée ne s'échappait de la locomotive. C'était comme si nous n'étions jamais entrés. La porte du wagon restait ouverte et laissait entrevoir un bout de couloir, lui aussi complètement inerte.
- J'ai eu une grosse hallucination ou vous avez vu comme moi ? demanda Zach.
Nos têtes le renseignaient assez bien sur notre réponse.
- Haaa... Imagine à mon enterrement : épitaphe « Mangé par un train », gémit-il. Qui est l'abruti qui râlait parce que le Poudlard Express avait pas de protection magique ?
Il s'assit lourdement sur le pavage en pierre du quai et s'étala en arrière. Je l'imitai et les autres s'assirent aussi.
- Bon, on rentre ? conclut-il. Je vous remonte en balai.
- J'ai pas d'autre idée, appuya Hugo.
- Moi, oui, les arrêta Plumeau.
Tous les regards convergèrent vers ma voisine. Elle fouilla dans ses poches et en sortit une bourse en tissu qui semblait pleine de sable ou de poudre à la façon de la tenir. Elle en tira une petite poignée et ouvrit sa main pour nous montrer une fine poudre noire avec de rares reflets émeraude.
- Du Feu Argentin ? s'émerveilla Hugo. Où est-ce que t'as trouvé ça ? Je croyais que c'était interdit à la vente !
- J'en ai trouvé dans le compartiment des profs, pendant que je cherchais un moyen de démarrer le train, répondit-elle. J'ai pensé que ça pourrait nous être utile. J'allais vous chercher pour vous le dire quand le wagon a commencé à faire des siennes.
- C'est génial ! s'exclama Johan Brown. On va pouvoir y aller quand même !
- Maintenant que je me suis préparé psychologiquement à rentrer... rumina Zach.
- C'est beaucoup chance, commenta Poncho.
- Vous voulez bien m'expliquer ce que c'est ? me plaignis-je.
- Tu vois la poudre de cheminette ? fit Plumeau.
- Heu, oui, en théorie, hésitai-je.
- Bah c'est un peu la même chose.
- Et ça va nous transporter à Poudlard ? C'est galère s'il faut aller trouver une cheminée dans Treehall à cette heure, remarquai-je.
- Pas besoin de cheminée, corrigea Plumeau. C'est la différence avec la poudre de cheminette classique.
- Ha bon ? Mais pourquoi on utilise pas ça tout le temps ?
Elle sourit.
- En principe, les seuls à avoir le droit de s'en servir sont la police magique et les hôpitaux. En dehors de ces cas là, c'est censé être interdit. En réalité, c'est plus ou moins toléré, mais de toute façon au marché noir ça se vend tellement cher que pas grand monde en a les moyens.
- On va a Poudlard, alors ? lui rendis-je son sourire.
- Moi je suis toujours partante, fit-elle. Zach ?
Il grogna.
- La dernière fois que vous m'avez embarqué dans un truc aussi barré, vous deux, j'ai dû passer deux heures en tête-à-tête avec la vielle Gonzalo pour me faire démollusquifier. Cette histoire de train mangeur d'homme, ça m'a complètement déchauffé. Laissez-moi réfléchir deux minutes.
- Je suis avec vous, dit Hugo.
- Ok, je viens ! ajouta Zach.
- Carrément partant, s'exclama Johan Brown.
- Je viens aussi, termina Poncho.
Chacun de nous six plongea une main dans la poudre pour en tirer une poignée.
- On va viser la cheminée du Hall d'entrée, proposa Plumeau. Je compte jusqu'à trois. Many, il faudra que tu jettes la poudre à tes pieds de manière énergique en disant « Hall d'entrée, Poulard ». C'est compris ?
- Bien compris, acquiesçai-je.
- On se retrouve là-bas, alors.
Elle compta. Je jetai ma poudre et criai en chœur avec les autres.
La bourrasque qui m'emporta fut de courte durée et une surface dure me racla douloureusement le dos jusqu'à-ce qu'une souche ne stoppe ma glissade en heurtant le sommet de mon crâne.
- Aïeuh.
Je me redressai dans l'obscurité en me massant la tête.
A première vue, je n'étais pas dans le Hall d'entrée de Poudlard. Je n'étais même pas dans l'école. J'étais... dans une forêt. Il faisait nuit noire.
Une tranchée roussie surmontée de flammèches émeraude partait de sous mon derrière et traçait un sillon rectiligne sur une vingtaine de mètres devant.
Je tournai la tête de tous côtés sans apercevoir mes camarades.
- Ah... Super...
Je ne savais dire si c'était la poudre qui était périmée ou bien si la sécurité de l'école était plus performante que ce à quoi on s'attendait. Je penchais pour la deuxième solution. Dans ce cas, ça signifiait que je me trouvais à la limite de l'enceinte de Poudlard. Et la partie de l'enceinte qui était une foret... eh ben... C'était l'endroit où j'aurais le moins souhaité me retrouver seule la nuit.
C'était la deuxième fois en quelques mois que je me retrouvais seule dans un lieu inconnu et hostile. Au moins, cette fois-ci, j'avais gardé ma baguette et ma mémoire. Je songeai que Zach allait me réduire à l'état de mucus.
Je me dessinai trois objectifs, dans l'ordre de leur priorité. Sortir de la Forêt interdite vivante. Ensuite, retrouver les autres. Et enfin, éventuellement aller faire ce pourquoi j'étais venue, à savoir sauver une directrice.
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Je me rendis compte assez rapidement que les couches de pulls que j'avais enfilées en partant de Treehall n'étaient plus adaptées. Nouées autour de ma taille, elles me permirent de me sentir un poil plus à l'aise. Du moins si on pouvait se sentir à l'aise dans ce genre d'environnement. La forêt où j'évoluais était dense et le sous-bois touffu. Je me griffais dans les chardons planqués au milieu des fougères. La cime des arbres était bien trop haute et écrasante, sans pour autant laisser voir grand chose du ciel. Quelques rares étoiles pointaient timidement leur nez. En dehors de leur lumière faiblarde, c'était le noir complet. Pas de lune en vue. Je tentais d'éclairer mon chemin tant bien que mal avec un pauvre lumos qui ne portait pas plus loin que le bout de mes baskets.
J'avais déjà dû parcourir, quoi ? Un kilomètre ? Probablement moins. Mais la forêt restait aussi touffue, aussi sombre, aussi effrayante. Au moindre craquement, je jetais des coups d'œil paniqués autour de moi pour repérer la menace. Pourtant, pas le moindre signe de vie hostile. Enfin, autre que végétal. Un bosquet de buissons épineux m'avait lancé une gerbe d'échardes avant que j'aie eu le temps de réaliser ce qu'il m'arrivait. C'était il y a un moment déjà. Depuis, je voyageais relativement sans encombre.
Pour la énième fois en cinq minutes, je crus entendre un bruissement et je me retournai sur un tas de fougères inoffensives. Ce phénomène, rare il y a dix minutes, était devenu beaucoup trop fréquent. Il devenait évident que j'étais suivie. Mais par qui ? Ou plutôt par quoi ?
- Nox, chuchotai-je en me maudissant d'avoir laissé allumé avec moi un si merveilleux attire-prédateur.
Le noir complet ne m'aidait pas à me sentir plus en sécurité. Je me décidai à me cacher dans un bosquet de fougères. J'attendrais de voir à qui j'avais à faire. A tout les coups, il s'agissait d'un de mes coéquipiers égaré dans la même situation déplaisante. Zach ?
Je sentis un frisson glacé glisser entre mes omoplates en découvrant que ce n'était pas du tout le cas. Je vis sortir des buissons autour de moi des créatures hideuses. Elles ressemblaient à des vieillards centenaires mais ne dépassaient pas le mètre de haut. Leurs yeux luisaient de reflets rougeâtres. Ils étaient coiffés de bonnets rouges assortis et portaient de lourds gourdins peu engageants.
Ils se groupèrent et grognèrent dans un langage guttural grossier, puis continuèrent leur chemin dans la direction vers laquelle je me dirigeais quelques secondes auparavant. Je remerciai silencieusement ma paranoïa et attendis un bon moment avant de repartir dans une autre direction.
Sans lumière, cette fois !
J'avançais à l'aveuglette et sans aucune notion d'orientation. Je pouvais tout aussi bien m'éloigner de l'école.
Un nouveau bruissement pas si loin me fit bondir dans les fougères les plus proches. J'attendis, mais ne vis pas les affreux revenir. Les minutes passèrent sans bruit. Je n'étais pas d'une grande patience. Je repérai un buisson épineux tout près de la source de bruit et lançai un caillou dessus. Si personne ne sortait, je continuerai mon chemin sans attendre. Le buisson dut se sentir attaqué car il lança une grande gerbe d'échardes dans les fougères voisines.
- Aïe !
Puis le silence à nouveau. Je me redressai.
- Zach ?
- Malany ?
Une silhouette se redressa. Je n'y voyais rien du tout. En nous approchant l'un de l'autre, je reconnus Hugo. Une vague de soulagement me traversa.
- J'ai cru que tu étais un Chaporouge, s'excusa-t-il.
- Les trucs ridés, là ? Moi aussi, acquiesçai-je.
- Attends... c'est toi qui m'as balancé les échardes ?
- Beeeen...
Il finit par exploser en un rire nerveux.
- On est mal barrés, hein ?
- Ouaip, confirmai-je avec un grand sourire.
- Mais je suis content qu'on soit mal barrés à deux, confia-t-il.
- Ravie...
En réalité, ce fut surtout lui qui m'aida. Il connaissait le sort pour faire de sa baguette une boussole. Il m'apprit comment faire. C'était assez simple. Enfin à peu près.
- Tu t'y prends mal, corrigea-t-il. Il faut que ta main soit bien à plat, comme ça, regarde. Et tu dois détacher plus les mots quand tu dis « pointe au Nord », sinon tu vas te retrouver avec une baguette qui te pointe n'importe où selon ce qu'elle veut bien comprendre de ton charabia.
- Tes encouragements me font chaud au cœur, marmonnai-je.
Poudlard se trouvait à l'ouest d'ici. Depuis que j'avais atterri, je ne m'étais jamais sentie aussi près de sortir de cet enfer.
Du moins c'était jusqu'à ce que nous croisions les licornes.
Rien que ça.
En marchant à l'aveuglette, nous nous étions avancés au milieu d'un troupeau de licornes. Hugo s'en était rendu compte en frôlant l'une d'entre elles. Il avait posé une poigne serrée autour de mon avant bras pour stopper mon pas. Je m'immobilisai et les vis. Elles m'étaient apparues, une par une, dormant entre les broussailles et les arbres, leur robe argentée iridescente ne laissant que deviner leur silhouette. Nous étions complètement encerclés.
- On est en plein dans leur coin, murmura Hugo. Le troupeau se retrouve toujours au même endroit pour dormir. C'est pour dissuader les prédateurs de les attaquer. Trop nombreux.
- Comment on fait pour sortir ? chuchotai-je avec une pointe d'angoisse dans la voix.
- On continue à avancer, poursuivit-t-il. Tout doucement. Tant qu'elles dorment, c'est sans danger.
Nous avançâmes à pas de souris. Les premières lueurs de l'aube commençaient déjà à changer le gris et le sombre en un dégradé légèrement plus coloré. Lorsque je compris ça, je perdis pied. Il devait être deux heures du matin au maximum !
Puis la logique trouva son chemin dans mon esprit embrouillé et je me rappelai le décalage horaire. En Angleterre il devait être pas loin de six heures du matin. On n'y voyait quand même pas encore très clair et je souhaitais de tout mon cœur être loin de ces bestioles et de cette forêt au lever du soleil.
Une paire de globes scintillants dans le noir me fit presque sursauter. Une des licornes se tenait à deux mètres de nous, et nous fixait d'un regard fantomatique. Elle renâcla et sa voisine leva le nez à son tour. Je me figeai avant même que Hugo ne m'agrippe le poignet.
Les deux spectres s'éloignèrent vers le reste du groupe, qui commença à s'éveiller à son tour. Nous étions encore bien encerclés. Quelques unes s'ébrouèrent et firent quelques pas entre les arbres, leur robe scintillant entre les ombres sous l'effet de l'aurore.
- Surtout, murmura Hugo d'une voix à peine perceptible. Ne fais pas. Le moindre. Geste brusque. Il y a. Des poulains. Les licornes mères sont prêtes à tout. Pour défendre leur progéniture.
Bien. Ne pas bouger. Pour ne pas finir embroché au front d'un poney.
- Et maintenant ?
- On attend qu'ils s'en aillent. Pas le choix.
Une licorne mâle s'était placé à quelques mètres de nous et nous fixait avec un regard mauvais en raclant le sol de son sabot. L'anxiété me faisait monter les larmes aux yeux. Au bout de quelques minutes, il comprit que nous n'aillions pas faire un geste et il s'éloigna. Vexé ?
Je tentais de faire refluer la boule qui me serrait la poitrine en songeant que je vivais une scène unique, que je n'aurais certainement jamais l'occasion de revoir. Tout le troupeau était éveillé, à présent. Les poulains au pelage doré tétaient leur mère avec la force et les gestes aussi brusques que désordonnés du nourrisson. Certains gambadaient maladroitement autour des adultes. L'un d'entre eux s'approcha beaucoup trop près de nous et commença à nous brailler dessus, les pattes écartées pour garder son équilibre. Son cri tenait plus du couinement que du hennissement. Il était à un mètre de nous, n'osant approcher plus.
- Ne le touche. Surtout. Pas.
Le message avait été prononcé dans un souffle, mais c'était parfaitement clair. D'autant plus clair que la mère s'approchait derrière en nous jetant un regard hostile.
Dégage, pensai-je.
Le poulain finit par se lasser et s'éloigna en titubant. Il lâcha un éternuement en trébuchant derrière sa mère qui le raccompagna plus loin dans le troupeau. Je soufflai de soulagement.
Ce fut de courte durée.
Soudainement, au lieu de se disperser progressivement, le troupeau éclata au galop dans tous les sens, dans le fouillis le plus total. Mes yeux n'arrivaient plus à se poser nulle part. Tout partait et fuyait de tous les côtés.
Hugo restait aussi paralysé que moi au milieu de toute cette agitation. Le moindre faux pas pouvait nous envoyer nous empaler sur une corne effrayée.
Effrayé par quoi ?
Plus aucun crin en vue.
Seulement le silence, et le chant des oiseaux à l'aube.
L'aurore adoucissait les contrastes. Le visage de Hugo, dans la semi-pénombre, ne pouvait plus cacher la peur qui le saisissait. Le mien devait bien s'y assortir. L'indécision nous pétrifiait.
Qu'est-ce qui avait fait fuir les licornes ? Quel genre de créature affreuse allait surgir ? Qu'est-ce qu'il fallait faire ? Grimper sur les arbres ? Partir en courant ? Se cacher ? Ne pas bouger ? L'inconnu rendait la réponse impossible à saisir.
Au sein du gazouillement rassurant des oiseaux s'immisça ce qui ressemblait à ce son si simple et pourtant si sinistre signalant le jeu de la kératine s'articulant sur les pattes d'un insecte. Le sifflement s'intensifia et je compris de quelle créature affreuse il s'agissait bien avant que les acromantules n'arrivent. C'est ce qui nous sauva.
Mon cerveau se dégela d'un bloc et la joute d'adrénaline répondit à ma question muette.
Courir !
Je saisis la manche de Hugo, toujours tétanisé, et l'entraînai derrière moi en prenant mes jambes à mon cou. J'avais perdu la direction à suivre, et aucune idée de celle dans laquelle je filais. Mais ça n'a aucune importance quand des araignées géantes sont dans le coin. Je le fis courir jusqu'à épuisement, jusqu'à-ce que je fus certaine qu'aucun arachnide titanesque n'allait plus surgir de nulle part. Les bestioles avaient dû poursuivre les licornes. C'était une chance inespérée pour nous deux.
Je m'écroulai contre un tronc et refis mes réserves d'oxygène bruyamment. Hugo m'imita.
- A choisir, haleta-t-il. Je préfère... les... licornes...
Nous prîmes le temps de reprendre notre souffle. Les couleurs se dessinaient à mesure que le jour se levait lentement.
- Je crois que j'ai besoin de dormir, remarqua Hugo.
- Désolée, c'est pas dans le programme, lui rappelai-je.
Il jeta à nouveau son sort d'orientation et sa baguette se mit à tourner dans sa paume, s'arrêtant sur le nord. Je l'aidai à se relever et nous poursuivîmes en direction de l'école.
Marcher dans cette densité de buissons rendait la progression lente et laborieuse. Des épines nous accrochaient de partout et le moindre pas nécessitait de repousser trois ou quatre branches du milieu du chemin. Enfin, par chemin, j'entendais notre direction. Aucune trace de sentier en vue.
Au détour de quelques troncs d'arbres larges comme trois sumos en accolade, nous découvrîmes quelque chose de complètement déplacé au milieu d'une foret magique maléfique grouillant de créatures fantastiques.
Une voiture.
Une très vieille voiture.
Une épave, en fait.
La peinture s'écaillait et laissait entrevoir une carrosserie en partie rouillée, mais elle avait dû être d'un joli bleu à l'origine. Pas exactement le même bleu qu'ils avaient utilisé dans les films, mais il n'y avait aucun doute. C'était la Ford Anglia de Mr. Weasley.
Hugo parut la reconnaître aussi. Il posa sa main sur le capot et en chassa quelques feuilles mortes.
- C'est... Je crois que c'est la vieille voiture de papi, s'étonna-t-il.
- On dirait, confirmai-je.
Il me jeta un regard de biais en fronçant les sourcils.
- Quoi ? y répondis-je.
- Je déteste cette sensation, grogna-t-il.
- Quelle sensation ?
- Quand des inconnus en savent plus que moi sur ma famille, grimaça-t-il.
Notre rencontre autour d'un chaudron à récurer en début d'année remonta à la surface de mes souvenirs. Il ne tenait de toute évidence pas J. K. Rowling dans son cœur.
- T'as vraiment... jamais lu Harry Pot... enfin La Biographie Romancée ?
Il retroussa son nez long constellé de taches de rousseur.
- Pourquoi j'aurais lu cette poubelle ?
- Pour en savoir plus sur ta famille que des inconnus ? proposai-je avec un sourire ironique.
Mauvaise réponse.
Ses oreilles devinrent cramoisies et son visage se chargea de colère.
C'était la première fois que j'assistais à ça. Même si je le connaissais assez peu, Hugo paraissait être un garçon calme. Ses boucles brunes adoucissaient un visage ovale sans rien d'anguleux. Son regard était souvent dirigé vers le bas dans un de ses énormes bouquins antiques qu'il trimballait d'un bout à l'autre de l'école. S'il jetait un regard à quelqu'un, c'était souvent en biais et par dessous. S'il souriait, c'était en coin et timidement.
Pas de remous, pas de vague. Pas l'océan, pas une cascade. Juste un petit étang au calme.
Sauf qu'en cet instant précis, l'étang bouillonnait.
- Est-ce que tu sais combien Albus a souffert des stupidités écrites là-dedans ?
Je me rendis compte trop tard que je n'aurais pas dû le lancer sur ce terrain-là. Je secouai la tête en signe que non.
- Ouais, continua-t-il. Ça lui a pourri son enfance. Il lui a fallu toutes ses années de primaire pour convaincre tout le monde qu'il était pas un Serpentard en devenir. Et au moment où il va rentrer à Poudlard, où il a enfin convaincu ses proches, juste ses proches, de ce qu'il est pas, voilà qu'on lui sort toute cette bouse d'Enfant Maudit pour l'enfoncer plus bas que terre. C'est de la violence gratuite. Je vais pas m'abaisser à lire ce qui a failli tuer mon cousin. Ces livres auraient jamais dû exister. Ni ces films, ni ces pièces de théâtres, ni rien d'autre.
Je n'avais strictement rien à voir dans cette histoire, mais le ton me faisait sentir aussi coupable que si c'était moi qui l'avais écrit.
- J'espère juste qu'ils se contenteront de sucer la moelle de Norbert Dragonneau pour l'éternité et que le monde finira par nous oublier.
Je n'osais pas dire un mot.
- Je sais pas pourquoi je te raconte tout ça, souffla-t-il.
Il ouvrit une portière de la voiture et s'installa au volant. Je montai du côté passager.
- Tu sais conduire ? demandai-je.
- Et toi, tu sais conduire ? répondit-il avec un regard d'interrogation sincère.
- Toi non plus, donc, conclus-je. Tu connaîtrais pas par hasard la formule magique pour la faire démarrer ?
Il fit non de la tête, toujours contrarié. Son regard tomba sur les clefs encore sur le contact. Après avoir vérifié mon approbation, il les tourna et la voiture toussa. Puis cala.
Il tenta une deuxième fois, sans plus de succès. A la troisième tentative ratée, un coup de klaxon sortit de nulle part et je frôlai la crise cardiaque. Hugo leva les mains pour signifier qu'il ne touchait à rien. Ce n'était pas un coup de klaxon amical ou blagueur mais plus le style de coup de klaxon prolongé indigné qu'on entend dans les embouteillages, agrémenté de quelques insultes fournies. Deux autres coups de klaxon désapprobateurs suivirent, puis la clef tourna seule dans le contact. Le moteur démarra. Quelques grondement d'accélérateur dans le vide, puis l'autoradio s'alluma lui aussi, crachant un son de death métal furieux.
- Elle a pas l'air ravie, grimaça Hugo.
- C'est la première fois que je me fais engueuler à travers un autoradio, remarquai-je.
Il déposa lentement les mains sur le volant mais une nouvelle série de coups de klaxon le firent reculer. Avant que lui ou moi n'ayons pu réfléchir à comment la faire avancer, elle se mit en branle toute seule et accéléra bruyamment à travers les broussailles. Elle atteignit très vite une vitesse à laquelle il serait fortement déconseillé de rouler dans une forêt. A la troisième fois où je crus qu'on allait s'écraser, je décidai d'épargner mon petit cœur et fermai les yeux. Nous nous faisions balader dans l'habitacle au rythme des cahots, accompagné de l'autoradio qui vomissait toujours la même musique. Par-dessus ce vacarme, on n'entendait quasiment plus Hugo et moi hurler à pleins poumons.
Je ne saurais pas dire combien de temps dura cette chevauchée de l'extrême, mais nous finîmes par émerger de la lisière des arbres. La voiture fit un dérapage et s'arrêta dans l'herbe. J'ouvris les yeux lentement et découvris le château de Poudlard juste en face. Le lac s'étendait un peu plus loin et on pouvait voir la cabane de Hagrid... enfin du concierge.
Les portières s'ouvrirent et je me jetai au sol.
- Je me sens vraiment pas bien, gémit Hugo après avoir atterri dans les pâquerettes.
Il eut un haut-le-cœur mais parvint à se retenir. Je me relevai et remarquai que la musique s'était tue. Les portières s'étaient refermées. Hugo se remit sur pieds en titubant et me rejoignit. Il murmura un « merci » quasiment inaudible et effleura la carrosserie du bout des doigts. La voiture recula brutalement en klaxonnant puis s'immobilisa.
Hugo lui fit un signe hésitant de la main. La voiture se mit à avancer puis reculer pendant que l'autoradio hurlait « ...an I... will always loooove youuuuuuuuuouououuuu... » et que les portières s'ouvraient et se refermaient dans le chaos le plus total. La parade dura quelques secondes puis la voiture fonça à nouveau dans la forêt, nous laissant tous les deux seuls et perplexes dans le parc du château.
- Cette voiture a aussi sauvé la vie de mon père, il y a longtemps, me dit-il.
Je me retins de lui dire que je savais. Tact, Many, tact.
- Désolée de casser ton moment émotion, mais on est censés trouver Chourave avant Luke, rappelai-je. On ferait mieux de pas traîner.
Il acquiesça et me suivit en direction de l'entrée de l'école. L'horizon explosait sous les mille nuances orangées de l'aube. Les quelques nuages qui surplombaient les tours du château renvoyaient cette lumière en la parant de subtils ombres et dégradés magnifiques. Seule atypie au tableau, la scène était déserte. Nous avançâmes donc seuls jusqu'à la grande porte du château.
Elle était ouverte.
Je sentis mon rythme cardiaque accélérer. Je fonçais tête baissée mais commençais à prendre conscience que l'éventualité d'un affrontement avec Luke risquait de tourner mal. Surtout s'il avait plus de vingt ans comme Hugo l'avait décrit.
Je pénétrai dans le château avec Hugo sur mes talons. Après la luminosité féerique du dehors, l'intérieur de l'école était si sombre que mes yeux mirent un bon moment à y distinguer quoi que ce soit. Quand ma vue me revint, je retrouvai ce décor que j'aimais tant, avec ses murs de pierres massives, ses colonnes, ses escaliers, ses portes de bois. Nos pas résonnaient. Il faisait froid. Je m'arrêtai et réalisai que je n'avais aucune idée de l'endroit par où commencer mes recherches. Peut-être par le bureau de la directrice ? Je tendis une oreille pour essayer de capter le moindre bruit qui pouvait me signaler la présence d'êtres vivants dans ce château. Un bruit de froissement me fit tourner la tête vers Hugo, qui galérait à déplier un espèce de plan complexe de taille conséquente. Au détail près que ce plan-ci était vierge.
- Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises, prononça-t-il.
Mes yeux s'écarquillèrent tout rond quand je compris ce qu'il tenait entre ses mains. Je mis toute mon énergie à réprimer des bonds d'excitation. Une encre noire se répandit sur les feuillets de la carte du Maraudeur, dévoilant les méandres les plus intimes de Poudlard.
- Elle est à toi ?
- Non, répondit-il, je suis allé au dortoir du Chat la piquer à James pendant que vous étiez en train de réveiller vos potes. Il va m'étriper quand il découvrira qu'elle est plus là.
Il parcourut les pans de carte.
- Dis-moi si tu vois apparaître le nom de Chourave, me dit-il.
Mais ce fut lui qui le trouva.
- Elle est dans la tour d'astronomie, fit-il. Merde. Luke est avec elle.
- Ah non, me dis pas qu'on nous refait le coup du balcon de la tour d'astronomie, rageai-je.
Le nom près de celui de Chourave était inconnu, mais il ne pouvait s'agir que de Luke. Nous fonçâmes en direction des escaliers que nous gravîmes en courant. Je ne pus m'empêcher de penser que nous courions vers notre mort. Comment espérer l'emporter avec nos sorts de première année ?
- Hugo, m'enquis-je entre deux respirations amples, est-ce que tu sais lancer un sortilège de stupéfixion ?
- Hein ? souffla-t-il. Oui, oui, je sais faire. Le sortilège du saucisson aussi, mais c'est à peu près tout ce que je sais lancer pour un duel. Et toi ?
- Rien, avouai-je. A part en tentant de l'éblouir à mort avec un lumos, je risque pas d'être très utile. Mais je peux te couvrir s'il te lance un sort.
- Merveilleux...
Le trajet fut plus long que prévu quand l'escalier que nous voulions prendre se trouva être allé se balader ailleurs. Nous fîmes un long détour qui eut le mérite de nous permettre de retrouver notre souffle dans les couloirs.
Nous stoppâmes notre course devant l'entrée de la salle d'astronomie. J'entrai prudemment en premier. Pas un bruit ne nous parvenait. La salle était déserte. Les tables et les chaises étaient à l'abandon. Plus loin, une alcôve menait à la dernière volée de marches pour atteindre le sommet de la tour et le balcon. Une masse étendue devant nous en barrait l'accès.
Avec horreur, je reconnus le visage de Chourave. Il était gris.
- Professeur ! criai-je en chœur avec Hugo.
Nous nous jetâmes à ses côtés et je la secouai avec toutes mes forces.
- Professeur ! Est-ce que ça va ? Il vous a rien fait ?
Je frappai sa joue et un œil vide s'entrouvrit.
- Arrête, me souffla Hugo. C'est fini.
- Réveillez-vous ! ordonnai-je.
- Arrête ! C'est trop tard ! me poussa Hugo.
- Non, non, non, gémis-je en sentant que ma tentative de refouler mes larmes était vaine.
Il se laissa tomber en arrière et resta assis à me regarder pleurer sans un mot. La seule chose qui traversait mon esprit en cet instant était de la culpabilité. Pourquoi est-ce que nous avions été aussi lents ? Qu'est-ce que nous avions mal fait ? A quel moment nous avions pris la mauvaise décision ? Est-ce qu'il aurait fallu insister auprès de Swan pour avoir de l'aide ? Insister pour parler aux aurors ?
Pourquoi est-ce que j'avais cru un seul instant que résoudre cette histoire à six élèves de première année mènerait à une conclusion heureuse ? Je m'étais pris pour une héroïne et avais fermé les yeux à la logique. Harry Potter est une fiction, me répétai-je. Qu'est-ce que je m'imaginais ? Bien sûr que nous aurions dû insister pour parler aux aurors. Bien sûr que nous aurions dû insister auprès des profs. Bien sûr que nous n'aurions jamais pu arrêter Luke à nous six.
Je me jurai de ne plus jamais, jamais, jamais garder sur mes seules épaules un enjeu aussi grand. Jamais.
Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans Biographie Romancée, crétine ?
Un bruit nous parvint en provenance du haut des escaliers.
- Il est encore en haut, souleva Hugo d'une voix rauque.
Je reniflai et échangeai un regard avec lui.
- T'as un téléphone ? demandai-je en chuchotant.
- Non mais j'ai une broche Katz.
- Une quoi ?
- C'est une broche qui permet de communiquer à distance par effet Katz, dit-il. Un peu comme un téléphone, ajouta-il en voyant que je fronçais les sourcils. Enfin, sauf que non, parce que ça marche avec un sortilège et puis ça existe depuis des siècles... Quoi ?
Je ravalai mes larmes et décidai de tenir mes bonnes résolutions.
- Appelle les aurors, ou quelqu'un, pour prévenir de ce qui vient de se passer. Dis-leur aussi que je vais aller l'affronter le temps qu'ils arrivent.
- Les aurors... on peut pas se fier à eux. C'est juste une bande de...
- On a pas le choix, on a besoin de renforts, insistai-je. Regarde ce qu'on a fait en voulant tout régler seuls !
- Ils vont nous prendre pour des débiles en train de se payer leur tête... C'est de la folie furieuse, commenta-t-il. Mais ok, je les contacte. Et je t'accompagne. Tu vas pas aller affronter Luke toute seule. Tu sais même pas lancer un sort du bouclier correct !
Il prononça une incantation et une voix masculine s'échappa de son col.
- Bureau des aurors...
- Hugo Weasley, message pour les aurors, Le professeur Chourave de Poudlard vient d'être assassinée. Le tueur est toujours là. Nous sommes dans la tour d'astronomie de Poudlard.
- C'est un canular ?
Hugo fit une grimace.
- Non !
- Êtes-vous seul ?
Il me regarda avec une demi-grimace demi-sourire en coin.
- Non.
- Très bien, avec qui êtes-vous ?
- Une camarade de première année, répondit-il.
- Une... Quoi ? Bon, ça suffit ces bêtises ! C'est une ligne réservée aux urgences ! Vous me faites perdre mon temps !
- Non ! C'est sérieux ! On était sûrs que personne nous croirait, de toute façon ! Vous êtes des fainéants et des vendus ! Vous allez laisser filer un assassin dangereux !
- Oui, oui, bon, admettons, dit la voix de l'auror avec un soupir qui laissait entendre qu'il n'y croyait pas plus mais souhaitait abréger la conversation. Vous êtes cachés ?
- On va aller tenter d'arrêter l'assassin avant qu'il s'échappe, fit Hugo.
- Mais bien sûr, maugréa la voix. Bon, les gnomes, vous restez où vous êtes, je...
- Dépêchez-vous, sinon vous allez arriver alors qu'on a déjà fini le travail, criai-je dans la broche.
- Ne...
Hugo coupa la communication avec une incantation courte. Pas de soutien des aurors, donc. Je m'y attendais plus ou moins, mais j'espérais encore un peu d'aide. Dépitée, je me relevai et lui tendis la main. Il la prit et m'accompagna dans les escaliers montant vers le danger.
Au sommet des escaliers, nous émergeâmes baguette tendue sur la plate-forme donnant sur le balcon de la tour d'astronomie. Une silhouette était accoudée sur la rambarde de pierre et contemplait le paysage. Elle nous tournait le dos. De la fumée s'échappait de devant elle. C'était la silhouette d'un homme, habillé d'un jean et une veste, un bonnet péruvien avec des oreilles à pompons sur des mèches rousses.
Luke.
Nous nous approchâmes silencieusement et je criai « Repulso » au moment où Hugo s'écriait « Stupéfix ! ». Mon sort l'atteignit de plein fouet et le recul fit rater celui de Hugo. Les épaules de Luke furent projetées par-dessus le balcon mais son bras se raccrocha à une colonne du mur, l'empêchant d'aller plus loin. Il se retourna vers nous.
- Hé !
- Stupefix ! réitéra Hugo.
- Protego ! Expelliarmus ! Expelliarmus !
Nos deux baguettes volèrent dans la main de Luke. Il les lança dans le vide par-dessus le balcon et tendit la sienne vers nous.
- On se calme, les jeunes !
Je me jetai sur lui en hurlant de rage, et me pris un sort de répulsion de plein fouet, m'envoyant m'écraser au sol un peu plus loin. Ma deuxième charge fut arrêtée aussi facilement et il jeta un sort qui nous ligota l'un à l'autre.
- Arrête de faire n'importe quoi, m'intima Hugo.
- Exactement, ajouta Luke. Écoute-le.
Des larmes de rage et d'injustice traçaient de nouveaux sillons par-dessus celles de tout à l'heure sur mes joues.
- Luke, espèce de...
Il fit un geste de sa baguette et mes paroles s'assourdirent pour disparaître.
Aucun doute qu'il s'agisse de Luke. Il était adulte, certes, mais je reconnaissais son visage. C'était la même personne qui se trouvait devant moi, avec quelques années de plus. Quant à savoir comment il s'y était pris pour se rajeunir si longtemps... Se rajeunir ? C'était possible, ça ?
- Pourquoi ? demanda Hugo.
- Pourquoi quoi ?
Il haussa les sourcils, puis eut un sourire de compréhension.
- Pourquoi j'ai tué votre directrice ? finit Luke avec un air ravi.
Hugo hocha la tête.
- On m'a payé, répondit Luke. Bien payé. C'est mon boulot.
- Qui ?
Il éclata de rire.
- Mon employeur préfère rester anonyme.
- Pourquoi tuer Chourave ? continua Hugo.
Je l'encourageai mentalement à poursuivre les questions. Murée dans le silence, je ne pouvais pas participer.
- J'ai de la chance que vous soyez arrivés, rit-il, je commençais à m'ennuyer ferme en attendant. Je veux bien répondre à tes questions, Weasley. J'ai cinq minutes avant mon portoloin.
- Alors ?
- Alors quoi ?
- Pourquoi Chourave ?
- On m'a pas donné d'explication, lança-t-il.
Hugo fronça les sourcils. Luke disait vouloir répondre mais se montrait peu motivé jusqu'à présent.
- C'est n'importe quoi, asséna Hugo. Même lorsque j'ai eu les preuves de ta culpabilité sous le nez, ce que j'avais du mal à comprendre, c'est pourquoi t'as attendu tout ce temps. Je veux dire, il te suffisait de tuer Chourave chez elle, ou peu importe. C'était réglé en deux minutes. Pourquoi avoir passé un an avec nous à Treehall, et surtout pourquoi avoir prévenu Selina et Malany ? C'est complètement débile.
- Ah, oui, c'était très pénible, accorda-t-il. Mais mon employeur avait une requête supplémentaire. Je devais tuer Chourave mais il m'a clairement sous-entendu que si une certaine Malany Baker venait à décéder dans la manœuvre, ce serait parfait.
- Malany ? s'étonna Hugo.
J'étais aussi estomaquée que lui d'entendre mon nom sortir au milieu de cette histoire. Et je ne voyais pas le moindre rapport que je pouvais avoir avec Chourave. Ni qu'est-ce que j'avais bien pu faire pour que quelqu'un puisse souhaiter ma mort.
- Oui, celle-là, confirma Luke en pointant son doigt sur moi.
De lourdes secondes s'écoulèrent, le temps que mon camarade digère cette information complètement invraisemblable.
- Alors pourquoi est-ce qu'elle est toujours en vie ? le provoqua Hugo.
Je lui donnai un coup de coude. Si je pouvais vivre un peu plus que les prochaines cinq minutes, ça m'arrangeait. S'il avait choisi de m'épargner pour je ne sais quelle sombre raison, j'aimais autant qu'il ne change pas d'avis.
- C'est simple, répondit-il. Parce que je travaille pas gratuitement.
Il souffla un nuage de fumée et nous gratifia d'un sourire d'excuse.
- J'ai rien contre vous, les jeunes. J'ai fait ce pour quoi on m'a engagé, mais qu'on compte pas sur moi pour aller au delà. J'ai aucune idée de pourquoi mon employeur m'a sorti toute cette histoire alambiquée mais je l'ai fait. Je vous ai mêlé pendant un an à cette histoire pour que vous alliez vous fourrer dans les ennuis jusqu'au cou parce que c'est ce qui m'était demandé. Vous avez survécu malgré ça. Très bien. Félicitations. C'est pas mon style de faire de l'excès de zèle. Je suis très content que vous vous en soyez sortis malgré tout.
- Alors pourquoi avoir sauvé la vie de Malany ce soir là sous la tempête de neige ? Tu aurais pu tout aussi bien la laisser tomber.
Je me remuai. Comment est-ce que Hugo était au courant pour ce soir-là ? Je n'en avais parlé à personne. Plumeau ?
- C'est vrai, réfléchit-il. Mais ça me rend triste quand les gens meurent. J'aime pas ça. Surtout les enfants. Et j'avais aucune consigne en ce qui concernait l'autre petite. Je suis pas un monstre, quand même.
Cette conversation me faisait enrager de plus en plus. Je le fixais de mon regard le plus noir à travers les rivières de larmes d'impuissance qui coulaient toujours et la morve qui les accompagnait.
- Qui es-tu ? D'où est-ce que tu viens ? Qui t'a payé ? demanda Hugo.
- Je suis pas grand chose, marmonna-t-il en consultant sa montre. On pourrait dire... Houla, il faut que je sorte le portoloin. C'est l'heure. Le temps passe vite quand on papote. Passez le bonjour à Lyra. Salut !
Il avait sorti un briquet avec un mouchoir, puis il l'agrippa avec sa main nue et disparut.
J'ouvris la bouche pour crier mais toujours aucun son n'en sortait. Hugo jura. Les sorts de Luke, eux, n'avaient pas disparu.
Nous attendîmes.
Longtemps.
Ce fut Plumeau qui nous retrouva. Elle paraissait aussi bouleversée que moi. Johan Brown et Poncho étaient avec elle.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Où est Luke ?
Les trois s'affairaient autour de nous en parlant en même temps, Plumeau à moitié en pleurant, Johan Brown tellement catastrophé qu'il répétait deux fois la même phrase à chaque fois, Poncho marmonnant d'un air misérable avec un teint plus blafard que le corps de... Je préférais ne pas y penser. Rien que d'imaginer qu'on allait devoir repasser devant au retour me serrait la poitrine.
Hugo dut s'y reprendre à quatre fois avant de pouvoir les faire taire.
- Calmez-vous ! C'est trop tard, il s'est enfui ! Reprenez votre calme ! Quelqu'un peut nous libérer s'il-vous-plaît au lieu de gesticuler ?
- Je connais pas de sort pour... commença Plumeau.
- Quispichiy, murmura Poncho.
Les liens invisibles se désolidarisèrent et nous pûmes enfin nous relever.
- Il est parti ? demanda Plumeau avec un regard coulant de désespoir.
- Oui, acquiesça Hugo. C'est trop tard. Il s'est servi d'un portoloin. Impossible de savoir à quel endroit il a été transporté. C'est fini.
Un silence pesant accueillit sa remarque. Je tapotai sa manche pour lui rappeler que mon histoire de mutisme n'était toujours pas réglé. Plumeau, comprenant mon problème, me rendit ma voix. Je la remerciai avec un souffle de soulagement.
- Ouf, j'ai cru que j'allais vraiment rester muette.
- Mouais... Ta langue est beaucoup trop autonome pour rester au repos bien longtemps, me fit remarquer Plumeau entre deux reniflements et je souris malgré la situation.
- Heureusement qu'on vous a entendu, d'en bas, fit Johan Brown. Il est super grand, ce château. Un vrai dédale. Et tout se ressemble. Au moins, à Treehall, on se repère avec les étages. Et puis les escaliers sont obéissants !
- Nocheira est encore plus grande, lui répondit Poncho. Mais il y a plusieurs pyramides pour les cours et puis même certains profs font cours dans le dehors, dans la jungle.
Je venais de percuter quelque chose.
- Où est Zach ? Il était pas avec vous ?
- On croyait qu'il serait avec Hugo et toi, répondit Plumeau.
Je jurai. Une vague de culpabilité me submergea. Il ne voulait pas venir, et maintenant, s'il lui était arrivé quelque chose... Je me sentais responsable.
- On va retourner sur nos pas et faire le tour du château, proposa Hugo sans se démonter. De toute façon, Malany et moi, on doit retrouver nos baguettes qui ont dû tomber au pied de la tour d'astronomie.
Deux fois que je perdais à la fois Zach et ma baguette... Je songeai qu'il me fallait prêter davantage attention à mes affaires.
Repasser devant la silhouette sinistre de la directrice me fit froid dans le dos. Un étau enserrait ma gorge. Tu es la responsable. Responsable.
Je chassai ces pensées envahissantes. Ce qu'avait dit Luke me trottait dans le crâne.
Quelqu'un voulait ma mort ?
Pourquoi moi ? Je n'avais rien d'exceptionnel. Est-ce que c'était à cause de moi que Luke avait... Non, aucun sens. Il nous avait baratiné pour passer le temps. Rien de plus.
Pourquoi Chourave ? Aucun sens.
Aucun sens aucun sens aucun sens...
Rien de tout ça n'était réel. J'allais me réveiller...
Maintenant.
… maintenant !
Rien à faire, notre descente dans les escaliers de Poudlard restait bien réelle. La discussion insatiable de Poncho et Johan Brown pour savoir laquelle de leurs deux écoles était la mieux me passait au-dessus de la tête. Plumeau et Hugo restaient aussi silencieux que moi. Hugo était plongé dans une intense réflexion, et me jetait des regards en biais, ainsi qu'à Plumeau qui regardait ses pieds marcher d'un pas lent. Elle semblait complètement absorbée dans ses pensées. Je me demandais lesquelles...
Responsable. Tu es responsable. Un étau douloureux l'enserrait.
Le flot des pensées fut interrompu par la douce chaleur du soleil matinal en sortant sur le pallier du château par la gigantesque porte d'entrée. En descendant les quelques marches menant au parc, je pris le temps d'apprécier comment ces quelques rayons étaient capables de balayer le poids de la culpabilité. Les lueurs de l'aube avaient laissé place à un ciel bleu et à des gazouillements d'oiseaux. Je souris à ce sentiment inattendu de réassurance. Hugo passa une main dans ses boucles et ses traits se détendirent. Plumeau poussa un soupir et me rendit mon sourire. Je ne réalisai que maintenant qu'elle pleurait. En silence, sans éclat. Je la pris dans mes bras en réalisant que la culpabilité qui me rongeait depuis tout à l'heure était la sienne. Elle me rendit l'étreinte et nous continuâmes côte à côte.
- Je veux que personne ne meure, murmura-t-elle.
- Plus personne va mourir, la rassurai-je. On va retrouver Zach et rentrer.
Elle hocha la tête. Nous marchâmes un moment en silence dans l'herbe côte à côte, les bras enlacés.
- J'ai vraiment de la chance, ajouta-t-elle.
- De quoi ?
- Qu'on soit devenues copines.
- Ouais, moi aussi, répondis-je.
- Pour moi, c'est différent, tu sais, poursuivit-elle. J'avais beaucoup d'à-priori, et j'étais persuadée que j'allais te détester. Mais en fait, pas du tout. C'est tout le contraire. C'est bizarre.
- Bah ! Pas vraiment. J'ai toujours su que j'étais repoussante au premier abord.
- N'importe quoi, fit-elle en éclatant de rire.
Je me félicitai d'avoir remonté le moral de Plumeau, et le mien avec.
Nous trouvâmes nos baguettes dans l'herbe après une bonne demi-heure à contourner le château. Je la ramassai et l'embrassai de soulagement en voyant les teintes vertes des gravures s'éveiller à mon contact. Hugo ramassa la sienne et donna le signal du retour.
Sans avoir à chercher sans cesse dans l'herbe le moindre signe de baguette, nous fûmes de retour en deux fois moins de temps qu'à l'aller.
- Il y a quelqu'un sur les marches, s'interrompit Johan Brown.
Nous étions arrivés devant le pallier de l'école. La grande porte était ouverte et une masse informe était posée sur les escaliers au-dehors de celle-ci. Un garçon en robe complètement détrempée était allongé sur les marches, les bras et les jambes écartées, sur le dos, tel un lézard sur la pierre, sous un soleil déjà haut dans le ciel. Je sentis brûler un sentiment de joie en reconnaissant Zach. Je montai pour me mettre au-dessus de lui.
- Tu fais bronzette pendant que tes amis font tout le boulot ? lançai-je.
Il ouvrit lentement les yeux et les plissa dans ma direction. Un doigt accusateur monta vers mon nez. Il ouvrit la bouche mais une quinte de toux l'empêcha de formuler sa pensée. Puis sa main retomba.
- Est-ce que... quelqu'un voudra bien m'apprendre à nager ? grogna-t-il.
Je ne voyais pas le rapport.
- Où est-ce que tu as atterri tout à l'heure ? s'inquiéta Hugo.
Oh. Merde. Le lac.
- J'aurais pas dit non à quelques tentacules, cette fois-ci, grommela-t-il. Enfin, pas vraiment les tentacules, hein, plus des branchies, ou un truc du même style. Les tentacules, c'est pénible. C'est gluant et ça se ventouse partout. La prochaine fois qu'on part en classe verte tous les deux, Many, j'espère que tu prévoiras de me métamorphoser avant de partir... un requin marteau, c'est classe, ça, un requin marteau, marmonna-t-il.
Plumeau avait aussi compris et s'était assise près de lui.
- Oh, non... Tu te sens bien ?
- Comme un charme. Par contre, si Many essaie de me noyer une troisième fois, je risque de vouloir changer d'amis. Pas que je vous aime pas, attention, juste que je tiens à ma santé.
- Comment tu as réussi à sortir du lac ? demanda Hugo.
- Quel lac ? fit Poncho.
- Tu sais, le sort pour ressortir de la piscine souterraine, là, Ascendio, expliqua Zach. J'attendais de couler un peu, puis je le lançais pour ressortir, puis je coulais, puis je lançais le sort, et tout ça jusqu'à atteindre le bord. Interminable. Pour l'ingéniosité et la persévérance, cent points pour Poufsouffle ! conclut-il en brandissant un doigt et en imitant la voix de Swan.
- Quoi ? Attends, tu as atterri au milieu d'un lac ? s'exclama Johan Brown à la masse.
- Voilà... Du coup, je vais rester là, un peu, me reposer... sécher... Vous m'en voudrez pas, j'en suis sûr. Je vous soutiendrai mentalement... Allez-y.
- Où est-ce que tu veux qu'on aille ? demanda Johan Brown. On est coincés ici.
- Bah, dans le château ! Ce pourquoi on est venus. Sauvez des directrices, tout ça ?
L'ambiance put plombée d'un coup.
- On en vient, répondit Hugo.
- Ah ! Cool ! Comment va Chourave ?
Personne ne semblait décidé à se lancer.
Des voix venant de l'intérieur du château nous sauvèrent du malaise.
- Trouvés ! Ils sont sur le pallier de la grande porte.
- Ok, reçu, je te rejoins. Pas bouger. Ashworth, tu m'as bien entend...
Un homme de dix-huit ou dix-neuf ans portant un long manteau de patchwork multicolore et un chapeau haut-de-forme en velours fatigué passa le seuil et nous rejoignit sur les marches. Je me demandai comment il ne mourait pas de chaud. Il avait une tête de hibou. Enfin pas vraiment de hibou, mais ses grands yeux écarquillés cernés et son nez en bec lui donnaient cet aspect. Pour couronner le tout, des boucles noires s'échappaient de dessous le chapeau, assorties à des sourcils épais et un début de pilosité faciale mal rasée. Il se tenait un peu voûté et les mains dans les poches.
- Des fainéants et des vendus, hein ? Qui est le gnome qui a dit ça ?
Je regardai Hugo, qui baissa les yeux.
- Ah ! Peu importe, rigola-t-il. Tout le monde va bien ?
-Kev ! Haa ! Il est long ce couloir !
Un deuxième homme à l'air essoufflé apparut dans l'encadrement. Celui-là avait à peu près le même âge, en plus beau. Lui ne portait pas de manteau ou chapeau multicolore, mais ses cheveux se chargeaient très bien de l'effet, avec un mélange de rose flashy et de vert pomme, en bazar au sommet de sa tête. Je soupçonnais la complicité d'un quelconque gel magique ou apparenté.
- Yo Ted ! T'as vu ? J'ai l'œil ! Première mission sur le terrain et je fais déjà des prouesses ! T'as pas dû en faire autant à ta première, non ?
- Tout juste, petit génie, sourit-il. Tout va bien, les enfants ?
- Au top, grogna Zach.
- Parfait, poursuivit-il sans prêter attention au ton ironique. Je suis Ted Lupin, et lui Kevin Ashworth, le Bureau des aurors nous envoie suite à une conversation douteuse par Katz avec l'un d'entre vous... Tiens ! Salut Hugo !
Ce dernier eut un demi-sourire et un petit signe de main.
- Salut, Teddy...
- Comment ça va ? C'est complètement dingue de te croiser ici ! Qu'est-ce que tu fous là ? Comment va la famille ?
- Heuuu... Je...
Ted Lupin ? Le Ted Lupin de Tonks et Lupin ? Vraiment ? Mais il devait pas avoir les cheveux bleus ? Non, non, non, il ne devait rien du tout. Et à personne. Stupide, stupide, stupide.
- Vous êtes vraiment des aurors ? demanda Johan Brown. Waouh ! Trop cool !
Ted Lupin s'empourpra un poil puis toussota en bombant le torse.
- Bon, restons focalisés sur ce qui nous amèn...
- Ah ! Elle arrive, l'interrompit son comparse. Hé, Griff ! On est là !
Il agita son bras, tourné vers l'intérieur de l'école. Une femme d'une quarantaine d'années se fraya un chemin entre eux pour se camper face à nous. Le premier détail qui frappait chez elle était sa taille. Elle dépassait les deux autres qui n'étaient déjà pas des nains. Son visage anguleux était sévère et ses cheveux châtains clair attachés dans un enchevêtrement complexes de petites tresses entremêlées, dont certaines s'échappaient et tombaient sur ses épaules. Elle jeta un regard circulaire pour survoler toutes nos têtes puis s'adressa à ses collègues.
- Alors, les stagiaires ? Vous me faites un état de la situation ?
Les deux compères se comportèrent alors comme deux carpes hors de l'eau, ouvrant la bouche et la fermant comme si les phrases ne venaient pas.
- Quoi ? s'impatienta-t-elle. Asworth, pour ta première sortie, qu'est-ce que tu as pu obtenir comme information ?
- Heu... En fait Ted est arrivé de suite alors...
- Lupin ? Rapport ? Je serai pas indulgente comme avec Ashworth. Tu es censé être prêt pour l'examen de juin. Je vais pas me répéter...
Celui-ci devint blême et la teinte de ses cheveux vira au kaki. Hugo le sauva.
- L'assassin s'est enfui, fit-il. Il avait un portoloin. Aucun moyen de savoir où il est parti. Vous arrivez trop tard. Et Chourave est en haut de la tour d'astronomie, Madame... heu... Griff...
- Gryffyth, l'aida-t-elle. Tangwystl Gryffyth. Je suis l'auror qu'on a envoyé pour régler votre affaire au clair. Pourquoi tu dis que c'est trop tard ?
- Chourave est morte, Madame, répondit Hugo. On est arrivés trop tard. Et l'assassin est parti sans qu'on puisse rien faire pour l'arrêter.
- Quoi ? s'exclama Zach en se redressant d'un coup. Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu délires !
- Tiens, t'es plus à l'article de la mort, on dirait, fit Hugo en haussant les sourcils. Et je plaisante pas avec ces trucs là. Tous les autres peuvent confirmer.
- Il a raison, Zach, confirmai-je. Calme-toi.
- Non, pas Chourave, pas elle, geignit-il en se prenant la tête dans les mains.
- Vous pouvez m'y conduire ? demanda Gryffyth.
La vision de Chourave n'était pas moins horrible que les deux premières fois. L'auror sembla nous prendre au sérieux pour la première fois depuis son arrivée.
- Ashworth, tu vas raccompagner les enfants au ministère pendant que Lupin et moi allons fouiller la tour.
- Elle est vide, commenta Hugo.
- Je dirai qu'elle est vide une fois que j'en aurai fait le tour, rétorqua-t-elle.
- Je prends la poudre de cheminette ? demanda Kevin Ashworth.
- Tu les emmènes au département de la police magique et tu les confies à Georges Glenn. Il se débrouillera avec. Je veux bien dépanner la police magique lorsqu'ils sont débordés mais qu'ils se débrouillent pour prendre le relais. Les aurors sont pas des baby-sitters et cette affaire relève clairement de leurs compétences.
- Tiens, ajouta Ted Lupin en tendant le sac de poudre à son collègue. Tu vas savoir faire ?
- T'inquiète, je gère, lui fit-il avec un clin d'œil. Suivez-moi, les gnomes.
Il nous mena jusqu'à un bureau au premier étage. C'était un bureau en bazar qui n'avait probablement plus accueilli personne depuis un moment. Des araignées s'en étaient donné à cœur joie pour recouvrir la moindre parcelle de leurs toiles. Il lança une gerbe de flammes dans l'âtre et sortit un sac pour l'ouvrir devant nous.
- Allez-y. La destination c'est : Ministère de la magie. Pas de blague, hein ! Je suis noté, alors si l'un de vous se perd, je risque gros, donc soyez sympa.
A mon tour, je jetai la poudre en prenant garde de bien prononcer. J'émergeai en toussant. Je me résolus à retenir ma respiration les prochaines fois que j'aurais à employer de la poudre de cheminette. Les paupières époussetées, je levai les yeux et me sentis immédiatement écrasée par l'immensité du lieu.
Le plafond s'élevait bien plus haut qu'une cathédrale et seule de la magie pouvait faire tenir un truc aussi aérien. La coupole défiait le regard d'en trouver la couleur, avec ses teintes iridescentes bleutées parcourues de dorures fines et entrelacées, descendant jusqu'aux murs de bois sculpté. La lumière dansait sur toutes les surfaces et semblait filer à une vitesse folle dans les reliefs sans que l'œil nu puisse la suivre. Au milieu, trônait une fontaine en or titanesque représentant un sorcier, une sorcière, un centaure, un gobelin et un elfe de maison. L'eau jaillissait de la baguette tendue du sorcier. Je reconnus avec un sourire d'émerveillement le lieu comme étant l'atrium du Ministère de la Magie.
Il y avait foule. Le soleil devait être levé depuis une heure ou deux. L'heure de pointe. Des marées humaines allaient et venaient dans toutes les directions. Les flammes des autres cheminées vomissaient des sorciers pressés de leurs braises. D'autres apparaissaient de nulle part au milieu, forçant les autres à faire des changements de direction inopinés pour les éviter. Les robes volaient mais à ma grande surprise, le code vestimentaire ressemblait beaucoup à celui que je me faisais des travailleurs de bureau moldus, à la différence que de longs manteaux légers serrés à la taille remplaçaient les vestes de costume habituelles. Et pas l'ombre d'une cravate.
- Wouahou ! s'exclama Johan Brown. Trop cool, cet endroit ! Le MACUSA est loin d'être aussi stylé !
- Tu dois voir El Dorado, alors, lui assura Poncho. Bien plus beau !
- Par ici, les gnomes !
- Je suis jamais venu au ministère de ma vie, remarqua Zach. Tu te rends compte ? Alors que mon père et mon oncle travaillent ici ! C'est la honte !
- T'as de la chance... sourit Hugo.
Plumeau ne disait rien et se contentait d'enregistrer tout ce qu'elle voyait avec une tête d'ahurie. Je devais avoir l'air de la même chose.
Il nous fit tous entrer dans un ascenseur avec des grilles dorées et appuya sur un bouton. Des sorciers pressés râlèrent en voyant qu'il n'y avait plus de place pour eux. Quelques papiers flottant dans l'air s'engouffrèrent entre nous avant que les grilles se referment. L'ascenseur annonça le « deuxième étage, Département de Justice Magique... » et je me dépêchai de m'extirper de là. Nous suivîmes l'auror stagiaire dans un dédale de couloirs en bois sombre décoré de tapisseries anciennes. La moquette étouffait nos pas comme une vieille bibliothécaire aigrie vous assènerait « Chuuuttt ! Il y a des gens qui travaillent, ici ! ». Un embranchement indiquait Brigade de Police Magique sur un écriteau doré dépoli auquel il manquait une vis. Il y pénétra avec nous sur ses talons et finit par toquer à une porte vitrée recouverte d'une peinture bordeaux écaillée. Un grognement de l'autre côté nous invita à entrer.
Le bureau était en fait un grand espace en rotonde avec, au centre, une table circulaire. Le mur était recouvert d'affiches, d'avis de recherche. Des tableaux blancs étaient accrochés à certains endroits. Des chaises étaient éparpillées. Les différents bureaux étaient séparés de vitres elles aussi recouvertes de peinture douteuse, comme si quelqu'un avait voulu les rendre plus opaques. Un homme trapu et cerné sortit de derrière l'une d'elles pour nous recevoir. A part lui, il n'y avait personne dans la salle.
- Qu'est-ce qu'il y a, grommela-t-il en se grattant une joue mal rasée.
- Kevin Ashworth, du Bureau des aurors. Griff... Tangwystl Gryffyth m'envoie vous déposer ces jeunes. Il étaient sur la scène de crime.
- Eh bien conduis-les au Bureau des aurors au lieu de venir m'enquiquiner. Ça me concerne pas.
- Mais... Elle a insisté en disant que Georges Glenn prendrait la suite...
- C'est moi, mais maintenant que les aurors sont intervenus sur cette affaire, la Brigade de police magique n'est plus concernée. Emmène-les au Bureau des aurors.
- C'était une affaire qui relevait de la Brigade à la base, geignit notre guide. Griff a bien voulu s'en occuper parce que la Brigade était occupée sur autre chose, pour dépanner.
- Peu importe, répondit Glenn. La Brigade est toujours aussi occupée. Regarde autour de toi. Tous mes brigadiers sont sortis, tous appelés à droite ou à gauche pour je ne sais quel délit ou autre. Je suis tout seul ici, et j'ai dix affaires de front à faire avancer en leur absence. Comment tu veux que je fasse baby-sitter en plus de ça ? Je suis sûr que les aurors se tournent les pouces pendant ce temps ! Allez ! File !
- S'il-vous-plaît-s'il-vous-plaît-s'il-vous-plaît je vais me faire tuer, fit le stagiaire.
- Non ! Allez, ça suffit maintenant, laissez-moi travailler.
C'est ainsi que nous nous retrouvâmes à toquer au Bureau des aurors avec un Kevin Ashworth en panique.
- Entrez ! nous parvint une voix étouffée par la porte.
Nous suivîmes l'apprenti auror à l'intérieur. Le Bureau des aurors était une réplique identique du Bureau de la police magique, mais ne pouvait pas être plus différent. Là où son double était en pagaille et désert, cette salle était agencée au millimètre près, comme sous l'œil d'un obsessionnel compulsif. Et une dizaine de sorciers travaillaient derrière leurs bureaux, bien visibles à travers les vitres qui, elles, restaient immaculées.
Un sorcier bedonnant portant une moustache grisonnante bien fournie, qui me faisait penser à un petit père Noël qui aurait rasé sa barbe, vint à notre rencontre et posa une main amicale sur l'épaule de Kevin.
- Ashworth ! Griff t'envoie avec des nouvelles recrues ?
Le jeune stagiaire sembla se détendre.
- Tu peux pas savoir à quel point je suis content de tomber sur toi, Bouchau. Ces gnomes ont été témoins d'une scène de crime et Griff voulait que je les dépose aux brigadiers, mais j'en viens et je me suis fait jeter ! Elle va me démembrer sur place quand elle va revenir.
- Bah ! Oublie ça, rétorqua le moustachu. Ce sera pas la première fois que la police magique nous refile ses enquêtes. Venez, les enfants.
Il fit tournoyer sa baguette et les chaises vides autour de la table ronde centrale s'envolèrent pour s'aligner devant son bureau. Il s'assit et nous invita à l'imiter. Un des tiroirs s'ouvrit et un service à thé entreprit de tous nous servir. Sa moustache frétilla d'un doute et il tapota la théière en marmonnant une formule. Le thé dans nos tasses se changea en jus de citrouille.
- De quoi adoucir toutes ces émotions, pas vrai ?
Je repérai Hugo qui tentait manifestement se s'enfoncer dans sa chaise en disparaissant derrière sa tasse. Poncho parut agréablement surprise par le breuvage.
Bouchau fit un signe à Kevin Ashworth et ils s'isolèrent tous les deux pour parler à l'écart.
- Si j'avais su qu'un jour j'allais me retrouver au cœur d'un Bureau d'aurors ! chuchota Johan Brown. C'est trop classe ! Quand je vais raconter ça à Joe et Joey, ils vont halluciner !
J'avais envie de lui dire que c'était gamin de sa part mais en mon for intérieur je mourais juste d'envie de lui crier : Grave ! Ça tue ! Je me retins.
- Alors, racontez-moi tout, les enfants ? fit Bouchau en revenant. Vous ne devriez pas être à l'école à cette heure-ci ?
- On devrait être en train de faire de joli rêves, à cette heure-ci, bailla Zach.
Son bâillement était contagieux. Le poids du manque de sommeil se fit sentir. Le décalage horaire nous rattrapait tous. Selon le fuseau de Treehall, il devait être, quoi ? Cinq heures du matin ?
- On vient de Treehall, ajouta Johan Brown. Je suis américain ! Et Quilla aussi. Enfin, du sud. Vous m'avez compris.
- Nocheira est en Amérique du Nord, corrigea Poncho.
- Ah, oui, c'est vrai, fit-il.
- Mais nous on est anglais, complétai-je. De Poudlard. Mais là on était à Treehall avant d'atterrir à Poudlard cette nuit.
- Ce matin, glissa Plumeau.
- J'ai jamais été du matin de toute façon, commenta Zach en bâillant encore.
- Commencez du début, nous arrêta Bouchau. Votre histoire part dans tous les sens.
Nous attendions implicitement que Hugo prenne la parole. C'était lui qui s'était exprimé jusqu'alors pour expliquer la situation. Mais voyant qu'il restait muet, je pris l'initiative.
- C'est une longue histoire, en fait... Au début de l'année, à Treehall, un de nos camarades nous a dit qu'il avait surpris une conversation. C'était quelqu'un qui parlait d'assassiner Chourave. Mais en réalité, on a fini par comprendre que c'était lui qui voulait la tuer ! On a voulu la prévenir mais elle était partie seule pour Poudlard... Alors on y est allés.
Mon histoire paraissait vide. Tout ce temps perdu à explorer des fausses pistes. Qui n'étaient même pas des pistes. Juste... juste notre imagination nous inventant des indices à suivre. Luke n'avait rien eu à faire à part nous regarder faire et se foutre de nous.
- Comment vous avez fait pour venir jusque... commença Kevin Ashworth.
Son aîné le coupa d'une main et poursuivit.
- Et quand vous êtes arrivés, compléta le moustachu, c'était trop tard. C'est juste ?
J'acquiesçai, la boule au ventre.
- Qu'est-ce que vous savez sur cet individu ? Cet assassin ?
- Il s'appelle Luke. Enfin, non... C'est pas son vrai nom, corrigeai-je.
Lyra disait qu'il se trompait tout le temps en écrivant son nom dans les copies. Comment est-ce que ce fait ne nous avait pas alarmé ?
- Est-ce que vous savez d'autres choses sur lui ?
- Pas vraiment, me rendis-je compte. Il doit avoir une vingtaine d'années et il est roux. Quoiqu'il aurait très bien pu changer d'apparence...
- Admettons, fit l'auror. D'autres choses ? Des détails ? Tous les détails comptent.
- Il fume, réfléchis-je. Il a été payé pour tuer Chourave. Mais il a pas voulu dire par qui.
Je repensai à la conversation de Luke avec Hugo. Quelqu'un voulait ma mort. C'était insensé. A chaque fois que j'y repensais, cette info venait tomber comme un cheveu sur la soupe. Pourquoi lui demander de tuer Chourave et ne pas lui demander de me tuer directement ? Je me demandais vraiment si Luke ne nous avait pas totalement baladés sur ce point. Ça n'avait aucun sens. Je décidai d'omettre cette info. A part nous décrédibiliser, je ne voyais pas bien l'intérêt. Seul Hugo était au courant à part moi, et il n'avait pas l'air de vouloir sortir de son mutisme. Je pris la décision de garder ça pour moi.
Et puis je me souvins de ma résolution.
Ne jamais, jamais, jamais, jamais garder une information cruciale pour moi.
Jamais.
Mais était-elle cruciale ou erronée, cette info ?
- Et... heu... Celui qui a payé Luke... Cette personne voulait...
Comment tourner ça sérieusement ?
- Je t'en prie, prends ton temps, m'encouragea l'auror.
- Luke nous a dit que la personne qui l'avait engagé voulait ma mort... Mais je vois pas bien ce que ça vient faire dans tout ce... m'empressai-je d'ajouter pour anticiper leur réaction.
Plumeau se tourna vers moi comme si elle tombait des nues. Kevin Ashworth s'était figé, sa tasse à la main, et ses yeux ronds le faisaient se rapprocher plus que jamais de son animal totem. Bouchau resta impassible et son sourire resta chaleureux.
- Intéressant...
- Quewoiii ? s'exclama Zach. Qu'est-ce que tu racontes, Many ? Tu débloques ?
Johan Brown et Poncho avaient poussé eux aussi des cris de surprise.
- Calmez-vous, calmez-vous, intima Bouchau. Le fait qu'il vous ait révélé cette information en vous laissant en vie renseigne beaucoup sur la psychologie de notre assassin. A-t-il utilisé de la magie noire ?
- Euh... Non, je crois pas. Juste un sort de désarmement et du bouclier. Et de mutisme, me rappelai-je avec une grimace.
- Cette histoire est très intéressante... Je suis ravi que ce bon vieux Glenn vous ait envoyé jusqu'ici, marmonna-t-il. A-t-il fait mention des mangemorts ?
- Non, répondis-je. Non plus. Il a pas du tout parlé de cet... employeur. De qui il s'agissait, ou même s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. C'est même possible que ce soit quelqu'un que je connais, réalisai-je avec effroi.
- Tu n'as pas à t'inquiéter, jeune fille, nous allons mettre cette affaire au clair, m'adressa-t-il. On va vous raccompagner à Treehall et nous expliquer avec les professeurs de Poudlard. Vous allez bientôt pouvoir finir votre nuit tranquillement. Ashworth, est-ce que tu veux bien aller chercher le chef ? On va avoir besoin de lui pour aller parlementer avec cette douce Cassandra Swan.
J'espérais secrètement que Swan ressente la même culpabilité que moi, pour ne pas nous avoir cru. Un coup d'œil à Zach en train de somnoler à moitié me fit comprendre la remarque de l'auror. Sa tête persistait à chuter alors qu'il essayait de résister de toutes ses forces. On avait tous besoin de dormir.
Le chef accompagnait Kevin Ashworth lorsqu'il revint. Je supposai qu'il avait été mis au courant sur le trajet. J'avais cru un bref instant revoir Harry Potter, mais en le voyant apparaître mon espoir s'envola. Le chef était un homme de grande taille d'une quarantaine d'années, sans l'ombre d'une quelconque bedaine. En revanche une calvitie débutante avait déjà bien attaqué ses tempes, au-dessus desquelles des cheveux roux étaient coiffés en brosse. Une barbe naissante garnissait ses joues comme pour compenser le manque de pilosité de son front.
- Bonjour, Bouchau, fit-il. Kevin m'a déjà fait un topo de la situa... Hugo ?
Il s'était interrompu lorsque son regard s'était posé sur nous. Ses sourcils se froncèrent et il écarta les bras.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? C'est pas croyable, ça ! Que ta sœur s'embarque dans des histoires pas possible, je m'y suis fait, mais toi ! Est-ce que tu vas bien ?
Le silence lui répondit. Hugo se contentait de fixer sa tasse en fronçant les sourcils.
- Réponds-moi au moins ! Qu'est-ce que tu as à dire ?
- Je suis pas sourd, répondit-il avec le regard le plus noir que je lui aie jamais vu.
- Peu importe, fit le chef en balayant d'une main la question. Continue de m'ignorer si tu veux. C'est pas le moment ni l'endroit pour nos soucis de famille. On en rediscutera à la maison, crois-moi. Ashworth, tu veux bien rechercher quelle heure il est à Treehall ?
Je n'en revenais pas d'avoir Ron Weasley en face de moi. Si la fatigue ne m'avait pas complètement anesthésié le cerveau, j'aurais trépigné de joie.
- ASHWORTH !
Celui-ci se recroquevilla.
- Explique-moi la raison pour laquelle tu t'es écrasé comme une bouse de dragon devant ce tocard de Glenn ? C'est la dernière fois que je rends service à ces bons-à-rien de la police magique !
- Bonjour, Griff, salua Bouchau. Une petite tasse de thé ?
[Vous pensiez vraiment que cette histoire allait bien se terminer? Dernier chapitre de l'acte 1 le mois prochain, j'espère que ça vous a plu! Je vais continuer avec une intrigue par année mélangée à la trame de fond, on verra ce que ça donne, hésitez pas à me donner vos retours, positifs ou négatifs]
