Chapitre 11 : Franck, Jean-Eudes, Jessie et Mythomanie


« A la Une : Assassinat de la très respectée directrice du Collège de Sorcellerie Poudlard, Pomona Chourave, lors d'un échange culturel avec les Collèges Outre-Atlantique. Les circonstances sont encore... Article de Daria Springer, pour La Gazette du Sorcier. »

« Exclusif : Le meurtre de la directrice de Poudlard soulève de nombreuses interrogations à propos de la sécurité de l'école anglaise. En effet, comment ne pas se mettre à la place des parents d'élèves lorsque l'une des protectrices des enfants se révèle être mêlée dans de sombres histoires de règlements de comptes. Nous avons en revanche pu obtenir de source fiable que l'événement s'est produit en dehors de l'enceinte de Treehall. Les parents d'élèves américains peuvent se rassurer leurs enfants sont gardés dans le lieu le plus sûr du monde magique, démontrant une fois encore la puissance de notre pays en comparaison... Nick Flag pour The New Orc Times. »

« Faits Divers : La directrice de la prestigieuse école de Magie anglaise Poudlard a trouvé la mort hier matin. L'hypothèse d'un homicide est à l'étude, même si le suicide n'est pas totalement écarté... Romilda Raul pour El Diario Mago. »

« Scandale ! Poudlard, école pour Mangemorts ? Hier matin, nous parvenait la nouvelle de l'assassinat de Pomona Chourave, directrice du Collège Poudlard où nous laissons allègrement nos enfants à chaque rentrée. Tragédie, me direz-vous ? Cependant, un esprit aiguisé notera que l'enquête a été donnée non pas, comme nous l'aurions pensé, à la Brigade de Police magique, mais de manière très suspecte, au Bureau des Aurors, qui pourtant ne prend en charge que les cas d'usage de magie noire et traque en ce moment la nouvelle vague de néo-mangemorts. Cette information a été passée sous silence, mais nos sources sont formelles. La directrice trempait-elle dans ces associations de néo-mangemorts qui fleurissent à Londres ? Ce serait une nouvelle désastreuse pour les parents qui... Tyrine Fletcher pour Le Nifleur Déchaîné. »

« Faits Divers : Ce sont des centaines de milliers d'abonnés qui sont en deuil. Nous regrettons la disparition prématurée de la célèbre youtubeuse Pomonette, une jardinière retraitée dont les astuces et la main verte avaient enchanté la toile. Il s'agirait d'un bête incident domestique... Norman Hogan pour The Times. »

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Si nous avions compté sur Swan pour nous couvrir de louanges pour nos prouesses nocturnes, c'était illusoire. Elle piétina notre moral déjà au plus bas d'un talon puissant. Dès que les aurors furent partis, notre mise à mort débuta et elle ne nous lâcha que lorsqu'elle fut assurée qu'elle nous avait bien enfoncé la leçon dans le crâne. Nous fîmes perdre cinquante points chacun à Poufsouffle pour avoir fugué de l'école. Zach réalisa l'exploit de doubler son score en faisant remarquer que nous avions fugué dans Poudlard, et non hors de l'école. Puis Hugo nous acheva en rejetant la responsabilité de l'assassinat de Chourave sur Swan et la faisant culpabiliser de ne pas nous avoir écouté, faisant sauter toutes les alarmes de combo lorsque Swan brailla que nous avions tous doublé nos points perdus. En faisant le rapide calcul je conclus que Poufsouffle finirait très probablement l'année avec des points négatifs pour la première fois de l'histoire de Poudlard.

Quand, finalement, elle nous libéra aux alentours de huit heures du matin, elle dut s'apercevoir de nos bâillements répétés et nous signala qu'il était hors de question qu'on manque un seul cours de la journée et qu'elle veillerait personnellement à vérifier notre présence.

Poncho et Johan Brown avaient échappé au courroux de Swan, mais je me doutais bien que leurs directeurs respectifs leur avaient aussi passé un savon. Nous ne les avons pas revu de la journée.

Le cours d'Histoire de la Magie avait déjà commencé quand nous entrâmes en classe. Je ne sus si c'était par timidité, mais Hugo s'installa à part. Des têtes curieuses se tournèrent vers nous mais reprirent vite leur sieste. Le professeur Dube me parut plus soporifique que jamais et je me joignis au reste de mes camarades dans leur somme collectif.

Je supposai que notre virée nocturne était restée relativement secrète car personne ne vint nous assaillir de questions. En revanche, la nouvelle de la mort de Chourave devait être dans la presse du matin, et toutes les conversations ou presque tournaient autour de ça. Dans un demi-sommeil, j'aperçus plusieurs élèves sangloter. Mais la somnolence anesthésiait mes émotions plus puissamment qu'une surdose de rêveuse. Même le cours de Hemingway ne parvint pas à me sortir de ma torpeur. Je me souviens vaguement que Hugo avait suggéré d'organiser des cours de duel magique, et que le prof lui avait assuré qu'il verrait pour mettre ça en place l'année prochaine. Le repas de midi fut ponctué d'une annonce de la directrice Armstrong exprimant ses condoléances à l'école Poudlard et informant qu'une veillée en l'hommage de Chourave aurait lieu ce soir dans les Hautes Branches.

Les cours de l'après midi se diluèrent dans un brouillard semi-conscient. Nous luttâmes de toutes nos forces pour faire honneur à Chourave lors de la veillée mais je finis affalée en sandwich entre Zach et Plumeau. J'accueillis les ténèbres avec gratitude.

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Après une nuit de sommeil, Plumeau, Zach et moi retrouvâmes une énergie salvatrice. Zach recommença ses blagues usantes et passa tout le cours de balai volant à faire le malin. Je l'imitai avec joie et m'éclatai à réaliser des loopings pendant que le prof, un petit sorcier aux cheveux en fouillis à qui les sorcières de Treehall vouaient un culte nous applaudissait.

- Trop de style, les Poud'souffle ! Qu'est-ce qu'on va devenir ?

- Et nous ? boudaient les trois filles de Treehall du village de l'Ourse qui tournoyaient tant bien que mal plus bas.

- Regarde, Yeong ! Ici !

Comme d'habitude, ses cours de balais volant étaient un énorme bordel où tout le monde voletait dans l'anarchie la plus totale. Le professeur Yeong Yan nous observait distraitement sans perdre une miette de sa drague active du troupeau de sorcières de première année qui trouvaient plus intéressante sa conversation que le vol sur balai.

Et pour ne pas faire insulte à cette joyeuse routine, Hugo nous ignorait royalement en faisant des petits cercles dans les airs au-dessus de nous.

Le prof se décida à mettre fin au cours et Zach poussa un cri de déception. Je me posai avec douceur sur une des Hautes Branches avec tous les autres élèves de la classe. Je posai mon balai dans le creux du Tronc prévu à cet effet. Zach sauta brutalement après une figure de style à mon côté et rangea tristement l'objet de tout son bonheur. Plumeau s'écrasa sans grâce derrière lui en jurant. Je ramassai son balai et le rangeai.

- Je suis vraiment une catastrophe sur un balai, soupira Plumeau en descendant les escaliers du Tronc.

- Je peux te donner des cours particuliers, fit Zach en levant un sourcil.

- Je préfère encore des leçons de Many, rétorqua-t-elle.

- Ha ! m'esclaffai-je … Hé ! Attends. Comment ça, je préfère encore ? m'offusquai-je.

- Tu noteras le subtil remplacement de « cours » par « leçon », me souffla Zach avec une tête hilare et un clin d'œil appuyé.

- C'est parce que ce sont des synonymes, crâne de ruminant, lançai-je en faisant semblant de ne pas comprendre la pique.

- Non, mais c'est un jeu de mots, tu vois ? Pour ton côté donneuse de leçon, continua-t-il dans sa fierté la plus ingénue.

- Ouais, ben restes-en aux jeux de balle, ça vaut mieux, fis-je.

- Heeeey ! Si c'est pas Vivent-les-moldus et compagnie ?! Les stars du moment !

En train de monter les escaliers vers les Hautes Branches apparurent James Potter, Louis Weasley et la ribambelle de lèche-bottes qui nourrissaient leur ego au quotidien en les suivant partout, tels Tic et Tac avec leur réserve de noisettes. Potter s'arrêta pour nous féliciter. Il tendit une paume vers moi pour que je vienne y claquer la mienne. Je me demandais encore s'il valait mieux que je l'ignore ou répondre à son invitation quand Zach vint y claquer sa main avec un air ravi. James Potter eut un haussement de sourcil surpris puis reprit le fil de ses pensées.

- Pour des Poufsouffle, c'est vraiment courageux de votre part, ce que vous avez fait l'autre nuit, reconnut-il. Respect !

- Merci, mec ! répondit Zach d'un ton ému.

Je n'en croyais pas mes oreilles. Le respect de James Potter ?

- Comment ça, pour des Poufsouffle ? releva Plumeau.

- L'avantage à être à Poufsouffle, s'expliqua James Potter avec enthousiasme, c'est que vous pouvez toujours tenter n'importe quoi, tout le monde sera toujours agréablement surpris si quelque chose de bon en ressort.

Une Noisette gloussa de ce si beau cliché.

- Carrément ! Personne vous en veut pour Chourave, ajouta Louis Weasley. C'est l'intention qui compte.

La bonne humeur qui virevoltait avec nous en cours de balai s'écrasa en plein vol. Une boule de culpabilité revint se loger dans le creux de mon estomac. La teinte déjà blafarde du visage de Plumeau vira au translucide et même le sourire de Zach devint hésitant.

- Au fait ! Si vous voyez Hugo, dites-lui que je vais le défoncer s'il me rend pas mes affaires, se renfrogna James Potter.

- Hey ! Vous avancez, devant ?

La voix nous parvenait des élèves bloqués par le groupe de noisettes qui encombrait le passage. Je sentais déjà pousser. Louis Weasley fit un signe de main séducteur à la fille qui râlait et elle devint rouge tomate. Je l'entendis chuchoter à ses amies. La célébrité a bien des avantages, me fis-je la réflexion.

Les escaliers se débouchèrent à mesure qu'ils reprenaient leur montée, et nous notre descente. Même partis, leur remarque restait imprimée dans ma tête et je ruminai le reste du trajet vers le cours de Botanique dans l'Humus.

La salle était creusée dans la terre et des milliers de racines serpentaient du plafond au sol.

- Répartissez-vous en binômes autour des plants de Goldenseal, demanda le professeur Lettriminel. Les gants de jardinage sont dans les cartons au fond. Vous pouvez laisser vos sacs à l'entrée, vous n'en aurez pas besoin aujourd'hui.

Nous étions en classe avec les Vautours en Botanique. Ceux-ci se dépêchèrent de choisir les plantes qui avaient l'air le plus en forme.

- Bon, qui se met avec moi ? lança Zach.

- Pas moi, souris-je. J'ai tellement de talent pour faire crever la verdure que ce serait la pire idée. Il vaut mieux qu'on se mette ensemble avec Plumeau.

- Cool ! répondit-elle. Ça fait longtemps qu'on a pas fait un truc à nous deux.

Zach nous lança un regard de bébé phoque abandonné.

- Mets-toi avec Hugo, fis-je. Il est super fort en Botanique. Ça fera remonter ta moyenne.

- Many ! Tu peux pas me faire ça, gémit-il en attrapant mon col. Tu veux que je meure d'ennui ? J'avais pas prévu d'écrire mon testament si vite.

- Faudrait déjà savoir écrire, me moquai-je.

- Tu veux pas y aller, toi, avec lui ? Vous avez des tas de trucs à vous dire, j'en suis sûr.

- Pas particulièrement. Et puis c'est toujours moi qui fais des efforts pour l'intégrer !

C'était pas loin de la vérité. Je lui proposais souvent de venir manger avec nous le midi et le soir, mais il préférait rester avec le groupe de Jess et Lily Potter à Gryffondor, ou s'asseoir tout seul lorsque les Maisons ne pouvaient pas se mélanger. Dans les deux cas, il restait silencieux, ce qui me révoltait quand le groupe de sa cousine se servait de lui comme bouc émissaire de leurs blagues et qu'il se contentait de leur adresser un sourire en coin gêné.

- Monsieur ! On peut se mettre à trois ? appela Zach.

- Non, répondit le professeur Lettriminel. J'ai dit binômes. Si vous êtes trois vous n'allez pas pouvoir participer comme il faut.

Plumeau et moi nous assîmes devant un plant avec les gants et le matériel. Zach se dirigea comme à l'abattoir à l'autre bout de la salle pour s'installer à côté de Hugo qui s'était mis tout seul sur un plant. A force de tergiverser, nous avions récupéré le plant le plus rabougri de tous. Ses grandes feuilles vertes tiraient la tronche et les tiges s'affaissaient.

- Bien. Maintenant que vous êtes tous installés, est-ce que quelqu'un peut me dire les possibilités d'utilisation du Goldenseal ? Oui, Monsieur Sarratorre ?

- On l'utilise comme teinture, fit l'élève de Treehall qui avait levé la main.

- Oui, très bien. La teinture de Goldenseal donne une très jolie couleur miel. Savez-vous quelle est sa particularité ?

- Heu... Il me semble qu'elle donne une certaine résistance contre les dégradations des doxy.

- C'est presque ça. En fait, la couleur de la teinture de Goldenseal peut créer des illusions d'optique en fonction de la luminosité. Les doxy, comme d'autres créatures magiques qui se repèrent à la vue, sont perturbées par ces illusions et en général elles préfèrent s'éloigner. Savez-vous comment on la prépare ?

L'élève secoua la tête. Le prof chercha des mains levées et trouva celle de Hugo.

- On mélange l'intérieur des tiges avec de l'huile de tournesol, répondit-il.

- Oui, tout à fait. Mais peu importe le type d'huile, corrigea le prof. Et les affaires teintes ne doivent pas être lavées avec un sort ou sinon la couleur part. D'autres utilisations ?

Plumeau leva la main. Il lui fit un signe de tête.

- Les feuilles de Goldenseal entrent dans la composition du collyre de longue vue, récita-t-elle. Il rend son utilisateur sensible à la détection d'illusions en les faisant miroiter. Mais le collyre donne une coloration légèrement jaune au blanc de l'œil, donc c'est facilement repérable.

- Excellent, Miss Cayle, mais je ne pense pas que ce soit si facilement repérable. Je suis sûr que peu connaissent cet effet secondaire et la plupart d'entre nous n'y verrions que du feu. Pour la fabrication de ce collyre, il faut aussi de la poudre de gingembre, de la poudre d'encre de pieuvre et des larmes de kelpy qui sont très difficile à se procurer... oui ?

Plumeau avait levé à nouveau la main.

- Je crois que c'est la gélatine de pieuvre qu'on utilise dans ce cas, Monsieur. La poudre d'encre de pieuvre rendrait le collyre opaque.

Le professeur resta surpris quelques secondes, faisant apparaître un air penaud sur le visage de Plumeau, puis il reprit son sourire bienveillant.

- Vous avez sûrement raison. Vingt points à Poufsouffle pour votre brillante participation au cours, Miss Cayle. Dix points également pour Monsieur Weasley.

- Super, me parvint un grognement agacé de Grace. Comme ça, ils nous auront plus fait perdre que 370 points.

J'allais répliquer mais le prof me devança.

- Miss Lady, je vois que vous brûlez également de participer. Connaissez-vous d'autres utilisations du Goldenseal ?

La belle à la chevelure noisette de Poufsouffle devint toute rouge et balbutia dans ses boucles.

- Alors, restez concentrée. Il existe beaucoup d'autres utilisations. Par exemple, on brûle le Goldenseal dans certains rites de passage de sorciers des tribus natives américaines, comme certains élèves de Treehall le savent déjà probablement. La fumée produit des formes très réalistes lorsque le chaman maîtrise l'art magique avec perfection. L'inhalation est en revanche relativement toxique même si elle est parfois recherchée pour les hallucinations qu'elle peut procurer. Ces hallucinations sont souvent fatales, malheureusement. Et son utilisation la plus célèbre mais peu glorieuse, c'est sa toxicité pour le fœtus si une femme enceinte en consomme, effet dont les néo-mangemorts se sont servis pour leur tentative d'éradication moldue de l'an dernier, heureusement tuée dans l'œuf par les aurors.

Je regardai dans la direction de Zach. Il paraissait s'ennuyer ferme. Je m'en voulais un peu de l'avoir mis dans cette situation.

- Votre objectif du jour sera de prélever certaines tiges pour la fabrication de teinture. Mais attention, les plants sont fragiles et je les veux toujours en bonne santé à la fin du cours. Ne me coupez pas tout ! Juste une ou deux tiges par binôme. Je passerai parmi vous pour vous aider à choisir les tiges à couper.

- T'es trop forte ! D'où tu sors cette histoire de gélatine ?

- Bah, tu sais que j'aime bien les cours de potions, haussa-t-elle les épaules. De temps en temps je vais emprunter des livres à la bibliothèque pour aller plus loin.

- Et pour aller plus loin, tu connais tout sur la façon dont on doit manipuler ces tiges ?

- Absolument pas, pouffa-t-elle. Avec un ciseau ?

- On va peut-être attendre que le prof passe nous expliquer...

Nous n'attendîmes pas longtemps. Il nous montra comment faire en prenant comme exemple une tige de nos voisins de droite. Il la fendit sur toute sa hauteur et racla la lame de son couteau depuis la base des feuilles jusqu'à la partie coupée. Un liquide vert jaunâtre épais en sortait. Il nous demanda de réitérer l'opération jusqu'à ne plus obtenir que des fibres.

En s'éloignant, le professeur Lettriminel nous demanda à toutes les deux de venir le voir à la fin du cours, sans trop d'explication. Nous échangeâmes un regard mais ni Plumeau ni moi ne comprîmes.

C'est elle qui s'attela à faire le geste technique pendant que j'allais chercher un récipient. En revenant, je jetai un œil soucieux en direction de Zach.

On n'entendait pas ce qui se disait entre Zach et Hugo, mais toutes les deux phrases ils explosaient de rire et Zach gesticulait de bien-être en continu.

- Non mais c'est une blague ? Il se fout de moi ?

Plumeau leva les yeux de son travail minutieux et me lança un regard interrogateur.

- Regarde moi cet abruti, lui montrai-je. C'était bien la peine de nous faire tout un cake tout à l'heure. J'hallucine.

- Tant mieux si ça les rend un petit peu plus ouverts d'esprit, remarqua Plumeau.

Je grognai et posai le récipient.

- Sois pas jalouse, gloussa-t-elle.

- Moi ? m'insurgeai-je.

Elle éclata de rire devant mon air outré et me tendis les fibres qui restaient à peler. Mes gestes étaient loin d'être aussi précis que les siens et je retroussai le nez devant les lambeaux de fibres charcutées qui se mélangeaient à la pâte dans le récipient.

- Dis, demanda Plumeau, tu crois que Grace a raison ? Peut-être qu'on est pas faits pour prendre des risques comme on a fait, non ? Peut-être qu'à l'avenir, on devrait plutôt...

- Ah, non, tu parles comme Tic et Tac !

- Qui ?

Je lui expliquai ce qu'étaient Tic et Tac et pourquoi je trouvais que les glousseuses de James Potter et Louis Weasley ressemblaient à un gang de noisettes.

- Ah oui, ça leur va bien, rigola Plumeau. Mais tu crois pas qu'ils aient raison ?

- Sûrement pas, fronçai-je les sourcils.

- On a fait perdre tellement de points... Même en participant à tous les cours, j'arriverai jamais à tout rattraper, grimaça Plumeau.

Je m'interrompis et la regardai. Je n'avais rien remarqué, mais maintenant la différence me frappait. Plumeau ne participait pas souvent, d'habitude. Elle se contentait de briller aux contrôles. Mais depuis qu'on s'était faits défoncer par Swan au niveau des points, elle levait toujours la main en cours quand elle connaissait la réponse.

- C'est juste quelques points, lui rappelai-je. On s'en fiche, de ça. On aurait pu sauver une vie. C'est ça qui compte.

- Dit comme ça, ça paraît simple, fit-elle avec un air d'excuse. Mais au final, personne a été sauvé.

- Mais il fallait tenter quelque chose, non ? Qui pouvait savoir ?

Elle m'adressa un sourire sincère.

- T'es toujours tellement sûre de toi... C'est rassurant de t'avoir pour copine.

- Et toi, t'es moins prise de tête d'habitude, remarquai-je. Tu laisses toujours tout couler sur toi comme si rien avait d'importance, mais là, cette histoire te fait perdre la boule.

- T'as raison, je m'en fais pour rien, soupira-t-elle. On peut rien y faire, alors autant plus y penser. Je ferai de mon mieux pour la suite. Et tu pourras toujours compter sur moi.

- Ah ! Ça c'est cool ! Pareil pour moi, lui répondis-je en ébouriffant son plumeau.

- Arrête, il est déjà assez touffu comme ça !

A la fin du cours, le professeur Lettriminel nous demanda d'écrire un devoir pour la prochaine fois sur l'entretien des Goldenseal. Nous ramassâmes nos affaires et allâmes rejoindre Zach, encore en pleine conversation avec Hugo.

- Toi, t'es vraiment un macaque versatile, lui glissai-je.

- Hé, m'attaque pas avec des mots compliqués comme ça, fit Zach.

- Vous vous êtes bien amusés ? détourna Plumeau.

- Trop ! Il explique super bien, Hugo, s'exclama Zach. J'ai tout compris !

Celui-ci affichait un demi sourire en coin mal à l'aise en tentant de lisser ses boucles brunes sur son front comme dans l'espoir de se cacher derrière.

- Et on a bien rigolé, en plus, ajouta Zach.

- Ouais, on a vu, grognai-je.

Je ne tins pas plus d'une seconde avant de m'adoucir devant son air sincèrement heureux.

- Laisse tomber cette tête de ravi de la crèche, Plumeau et moi on doit aller voir le prof avant de partir. Je sais pas ce qu'il veut mais il avait pas l'air trop en colère.

- Ah ! Moi aussi, il m'a dit de venir, s'exclama Zach. Hugo aussi.

- Ah bon ? Il l'a dit à toute la classe ?

De toute évidence, non. Les autres élèves quittaient déjà la salle. Nous nous approchâmes du professeur Lettriminel. J'espérai que nous n'allions pas encore recevoir une leçon de morale sur l'autre soir.

- Vous vouliez nous voir ? demandai-je.

Il s'arrêta de ranger et parut chercher ses mots avec soin. Il lança un coup d'œil à la porte pour s'assurer que tous les autres étaient partis.

- Je voulais que vous sachiez que certains professeurs, dont je fais partie, n'approuvent pas la punition que vous avez eue pour votre escapade nocturne de l'autre soir. Vous n'avez pas à avoir honte de ce que vous avez fait. Vous avez fait preuve de beaucoup de courage et je voulais vous dire que j'étais fier de vous, acheva-t-il avec un sourire.

Le pincement au cœur que je ressentis était tout autre que celui que je traînais depuis notre échec de sauvetage. L'amertume et la culpabilité s'étaient changées en autre chose, plus profond. Comme une intense reconnaissance et un poil de satisfaction. La chaleur me montait aux joues et je voyais bien que la même chose se produisait chez Plumeau et Hugo. C'était difficilement visible à cause de la couleur foncée de la peau de Zach, mais vu sa tête choquée et ses yeux humides je l'imaginais devenir aussi rouge tomate que nous.

Hugo fit un pas et enlaça avec force le professeur en murmurant un « merci tonton Neville ».

Je me doutais bien que le geste lui était permis par le fait qu'ils se connaissaient en dehors de l'école, mais je suivis le mouvement et serrai le professeur à mon tour. Je sentis Plumeau et Zach faire de même.

- Oulà, je pensais pas avoir cet effet, hésita le professeur.

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- Tiens, ça c'est mon numéro. Et mon adresse à côté, pour que vous puissiez m'envoyer des lettres en attendant d'avoir un téléphone. Tiens, Quilla, toi aussi, prends ça.

Johan Brown nous donna à tous les cinq un petit papier froissé. Nous griffonnâmes notre adresse sur le sien et celui de Poncho.

- Pour nous envoyer des lettres à Poudlard, il suffit de donner le nom de l'école au hibou, lui expliqua Hugo.

- J'ai l'impression de revenir un demi siècle en arrière, soupira Johan Brown.

- C'est possible avec Quetzal ? demanda Poncho en nous donnant un coin de feuille avec son adresse.

- Heu... Oui, j'imagine, répondis-je.

Mais j'avais du mal à visualiser la scène du Quetzal au milieu des hiboux de la volière.

- Pour Nocheira il faut envoyer au nom Castelobruxo, c'est la façade qui est au Brésil pour garder Nocheira secret. Ensuite les Quetzal nous apportent les lettres.

- Cool, siffla Zach. Il paraît que c'est super beau, comme oiseau.

- C'est vrai, sourit Poncho. Vous verrez si j'envoie une lettre à vous.

- Dépêchez-vous de monter dans le train, on part dans cinq minutes, fit la voix grésillante de O'Noguel.

La petite sorcière centenaire se faufilait parmi les groupes et posait sa main de momie sur les épaules accessibles pour faire remuer les élèves. Nous échangeâmes une dernière accolade avec Johan Brown et Poncho et montâmes dans le Poudlard Express.

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Au départ du train, nous avions trouvé un compartiment vide et nous étions installés comme des pachas sur les banquettes. Hugo avait fait mine de continuer dans le couloir pour chercher un autre endroit, mais je ne lui avais pas laissé le choix en le poussant à l'intérieur avec nous. Zach fit coucou par la vitre mais on ne voyait déjà plus que des petits points dans l'herbe là où le quai magique venait de partir en fumée.

- Ça va me manquer, dis-je.

- Surtout le Foyer, ajouta Plumeau. J'aimais bien qu'on puisse partager une salle commune avec les autres Maisons.

- Moi, c'est les cours de Sortilèges de Lewis qui vont me manquer, trancha Zach. Vous imaginez que l'année prochaine on va devoir se taper Lore toute l'année ?

- Et Noodle en Métamorphose, grimaça Hugo.

- Oh ! parut se rappeler Zach. Faut que je vous montre un truc ! Mais vous le répétez pas, hein ?

Il se leva et fouilla dans sa valise jusqu'à en sortir une petite boîte en fer. Il l'ouvrit et nous montra son trésor. C'était une unique feuille jaunie plantée dans de la terre.

- Qu'est-ce que tu fais avec ça dans ton sac ? demandai-je. Tu veux commencer une plantation de feuilles mortes ?

- C'est pas juste une feuille, fit Zach. Tu reconnais pas ?

- C'est un plant de Goldenseal, décrit Plumeau en haussant un sourcil.

- Tu l'as volé ?

- Faites pas ces têtes, s'esclaffa Zach. Je l'ai pas volé. J'ai juste déraciné un tout petit plant pendant le dernier cours de Botanique pour le ramener chez moi.

J'étais perplexe quant à savoir dans quelle mesure c'était différent.

- Hugo m'a bien expliqué au dernier cours, j'ai tout compris sur la manière de l'entretenir. Je vais en faire un géant et comme ça, je pourrai prendre des tiges pour faire de la teinture repousse-bestioles. J'en mettrai partout dans ma chambre et comme ça, adieu les blattes cyclopes. Génie, pas vrai ?

- Des blattes-cyclopes ? fit Plumeau avec une grimace de dégoût.

- Ouais, c'est l'enfer. Une véritable invasion, chez moi.

- Elles sont pas aveugles, les blattes cyclopes ? remarqua Hugo avec politesse.

- Si, sûrement, s'étonna Zach, pourquoi ?

- Ben...

La longue et pénible explication nous fut épargnée par l'ouverture à la volée de la porte du compartiment. Lyra referma derrière elle.

- Vous allez devoir m'éclairer sur pas mal de trucs, lança-t-elle en s'asseyant.

Échange d'une longue et pénible explication pour une interminable et épuisante explication. Et je ne savais pas vraiment ce dont on pouvait parler librement et ce qu'on devait garder pour nous. Devant notre silence hésitant, elle précisa sa pensée.

- Vous pouvez commencer par me dire où est passé Luke.

- Il a dû rentrer chez ses parents, supposa Hugo sans le moindre signe pouvant trahir son mensonge.

- N'essaie pas de me baratiner, Weasley, lui jeta Lyra. Ne me dites pas que l'autre soir, lorsque vous êtes venus me réveiller, c'était pour aller peler des courgettes au clair de lune. Chourave est morte et Luke a disparu la même nuit. Même un Andersen ferait le lien.

- Hé ! râla celui-ci.

- Le reste était pas bien difficile à reconstruire, continua-t-elle. Si Luke était venu avec vous et s'était fait tuer, il aurait eu droit à une veillée en même temps que Chourave. La seule autre possibilité, c'est que ce soit lui l'assassin. Tout colle. Bref. Maintenant qu'on a posé les bases, s'adoucit-elle. Vous pouvez tout me dire.

- Tout colle, marmonna Hugo, mais ça t'a pas empêchée d'être à côté de la plaque. C'est sûr que lorsqu'on a décidé de mettre sa propre sécurité avant tout le reste, on finit toujours par conclure que tout n'est que fausse alerte et mythomanie pour pas avoir à se bouger.

Nous posâmes tous un regard effaré sur Hugo. Je ne pensais pas qu'il avait aussi mal pris le fait que Lyra nous ait tous envoyés bouler quand nous étions allés la réveiller pour aller secourir Chourave. Elle nous avait toujours prévenus qu'elle ne voulait pas être impliquée, de toute façon, alors ça ne m'avait pas surprise, mais Hugo n'avait jamais eu à interagir avec elle auparavant. Il n'avait eu que l'histoire racontée de notre point de vue, et manifestement ne partageait pas les convictions de Lyra. Elle se contenta d'afficher un air étonné.

- Luke a fait foirer mon raisonnement en m'embrouillant l'esprit, se défendit-elle.

Hugo leva les yeux au ciel sans répondre. Elle chercha les mots pour rétorquer, mais il tua ses justifications dans l'œuf.

- Ok, ok, c'est bon, fit-il. J'ai compris. T'as toujours raison.

- Allez, ça y est, on se détend, tout le monde a raison, calma Plumeau de sa voix apaisante. Lyra, il y a pas grand chose à expliquer. On est partis empêcher l'assassinat de Chourave mais on est arrivés trop tard. C'est tout.

J'étais soulagée de voir qu'elle avait enfin pris assez de recul sur cette nuit pour pouvoir la raconter de façon aussi détachée.

- Ouais, corrigea Zach, t'oublies qu'un taré veut la peau de Many, aussi.

Il se cacha derrière sa pousse lorsqu'il réceptionna les regards assassins de Plumeau et Hugo.

- Quoi ? fit Lyra.

Je ne voyais pas de raison de le lui cacher.

- Luke nous a fait tout un laïus pour nous dire que la personne qui le payait pour tuer Chourave voulait aussi ma mort, expliquai-je.

Elle haussa un sourcil sceptique.

- Et donc, lança-t-elle, tu es toujours vivante parce que... ?

- C'est pas facile à comprendre, dis-je en évitant les regards réprobateurs de mes amis. D'après ce que Luke nous a dit, son boss lui aurait sous-entendu que si je venais à disparaître pendant l'année, c'était bien, mais sans le payer pour me tuer. Tu me suis ?

- Encore heureuse, sourit-elle de ses dents de requin.

La façon qu'avaient ses incisives de côté de chevaucher les autres dents conférait à son sourire une aura de prédateur prêt à vous sauter dessus qui donnait envie de sortir de la pièce en courant. Je réprimai cette envie et continuai.

- C'est pour ça qu'il s'est fait passer pour un élève de notre âge cette année. Il nous a continuellement mises en danger, Plumeau et moi. J'ai failli tomber des Hautes Branches et me noyer dans la Roche inondée. Et je sais toujours pas comment j'ai survécu à ma balade dans les ruines d'Ilvermorny. Le seul truc bizarre, c'est...

- Qu'est-ce que tu veux dire, par « s'est fait passer pour un élève de notre âge » ? m'interrompit Lyra.

Nous nous regardâmes. Elle grimaça et tourna la tête devant notre silence éloquent.

- Ok, c'est bon, ne me dites rien, j'ai compris, j'ai mis ma langue dans la bouche d'un vieux lubrique sous polynectar...

Elle eut un frisson et mit sa main devant son nez.

- Ça me dégoûte...

La porte du compartiment s'ouvrit devant le chariot de confiseries. Zach s'empressa de planquer sa verdure et commanda un sachet de cheveux de goule pétillants. Il fit partager en mettant en garde contre le goût piquant. J'en attrapai un bout et tirai un long fil iridescent. J'imitai les autres et portai une extrémité à ma bouche. Ce n'était pas mauvais. On aurait dit des têtes brûlées.

- Tu disais que tu trouvais un truc bizarre, Baker, s'impatienta Lyra. Accouche.

- Ah, pardon, m'excusai-je en aspirant le reste du fil. En fait, ce que je trouve bizarre, c'est que Luke a pas vraiment fait d'effort pour moi. Il m'a même sauvé la vie sur les Hautes Branches. C'est pas logique, non ?

- Tu trouves ? s'étonna Lyra. Moi, à sa place, j'aurais pas fait d'effort non plus. Pas de paye, pas de résultat. Au contraire, ça me paraît tout à fait logique. C'est celui qui lui a donné ces consignes qui est détraqué.

- Pourquoi ? demandai-je.

- Cet homme... ou femme, appelons le Franck, proposa-t-elle. Il est pas cohérent...

- Je préfère Jean-Eudes, suçota Zach.

- Il faudrait plutôt un nom mixte, comme Jessie, ajoutai-je.

- Bref, on s'en fout, coupa Lyra. Le-prénom-que-vous-voulez est pas cohérent dans sa requête. Est-ce qu'il voulait la mort de Chourave, ou de Baker ?

- C'est vrai qu'on a vraiment aucun lien, suivis-je.

- Peut-être que Luke nous mène en bateau pour brouiller les pistes, supposa Hugo.

- Alors maintenant, c'est toi qui parles de fausses alertes et de mythomanes, glissa Lyra avec un petit rire et un haussement de sourcil.

Les oreilles de Hugo se tintèrent de rouge.

- J'exposais juste d'autres possibilités avant que vous vous focalisiez sur une seule solution.

- Pourquoi est-ce que Luke nous aurait dit n'importe quoi ? réfléchit Plumeau.

- Non, il a raison, rebondis-je. Je vois pas pourquoi quelqu'un voudrait ma mort, c'est absurde. Peut-être que Luke veut juste faire perdre du temps au Bureau des aurors sur des recoupements de pistes entre Chourave et moi qui les mèneront nulle part. Entre temps, Jessie a le temps de disparaître.

- Pas d'inquiétude à avoir là-dessus. Les aurors risquent pas de perdre du temps sur ces fausses pistes, m'arrêta Hugo.

- Comment est-ce que tu sais ?

- Parce que je leur ai dit que tu avais raconté cette histoire de tueur qui voulait ta mort pour faire ton intéressante et que Luke avait jamais parlé d'autre chose que de Chourave.

- T'es sérieux, là ? répondis-je avec horreur. T'as pas fait ça ?

- C'est évident que Luke nous embrouille, se justifia-t-il. Tu l'as dit toi même, c'est complètement absurde son histoire. Soit il devait tuer Chourave, soit toi. Vous avez aucun lien. Et qui est-ce qu'il a tué au final ? Chourave. Point. Le reste, c'est de l'esbroufe de prestidigitateur. Il nous a raconté n'importe quoi pour faire perdre du temps aux aurors. Ils peuvent pas se le permettre.

- Mais t'as pensé à moi ? Tout le monde va me prendre pour une grosse mytho égocentrique, répliquai-je. C'est faux !

- Je sais, mais...

J'allais exprimer le fond de ma pensée, mais c'est Plumeau qui parla d'un ton peiné.

- Les aurors s'en seraient bien aperçus tous seuls, Hugo. T'aurais vraiment pas du faire ça. Je sais que tu nous considères pas comme des amis, mais c'est quand même sale de ta part.

Hugo fixait Plumeau d'un air bouleversé comme s'il attendait le moment où elle éclaterait de rire et lui annoncerait qu'elle plaisantait. Mais elle resta froide comme le marbre, et il croisa les bras maladroitement.

- Je pensais bien faire, marmonna-t-il. Je suis désolé, Malany. C'était une erreur de ma part. J'aurais pas dû. Je regrette. Pardon.

- Non, non, c'est pas grave, tentai-je de contrebalancer le ton de Plumeau, je comprends.

- Il te suffit d'aller dire à ton père ce que tu viens de nous dire, ajouta celle-ci. Dès que tu rentres chez toi. Comme ça, tout sera réparé.

- Ok, céda-t-il. J'essaierai de leur expliquer mon point de vue, mais avec mon père, c'est comme sortir un livre devant un troll. Aucune chance qu'il accorde de l'importance à ce que je lui dis, si encore il m'écoute.

- Ah, je te comprends, le soutint Zach, mon père est pareil. Il dit tout le temps que ce que je dis c'est de la bouse de dragon et il fait souvent semblant de pas m'entendre.

- Merci, Zach, mais c'est pas tout à fait...

- Vous faites fausse route, songea Lyra à voix haute. L'hypothèse de Weasley est complètement à côté de la plaque. Je pense aussi que Luke avait une seule cible et qu'il nous embrouille avec la deuxième. Maintenant, si la cible était Baker ?

- Alors, il vise très mal, ironisa Hugo.

Il masquait mal son air vexé.

- Effectivement, accorda-t-elle. Mais si tu réfléchis deux minutes, ton explication tient pas debout. C'est évident que si la consigne était d'assassiner Chourave, Luke aurait pas eu besoin d'attendre un an en se faisant passer pour un élève. Il l'aurait assassinée de suite. Pour moi, s'il est resté un an à Treehall en allant mettre Baker en danger, c'est qu'il a dit la vérité. Franck lui a donné une consigne tarabiscotée et il a fait avec. Ce qui est sûr, c'est que Franck voulait brouiller les pistes en faisant croire que la cible était Chourave.

- Ton explication est aussi tarabiscotée que la consigne de Franck, remarqua Hugo. Tu connais le principe du rasoir d'Ockham ?

- On est pas en train de parler sciences magiques, on parle de quelqu'un dont on est même pas sûrs de l'existence.

- Oui, mais faut rester logique quand même, répliqua-t-il.

Les regarder dans leur duel analytique était fascinant. Je n'aurais jamais échafaudé le dixième de ces hypothèses sans eux. J'avais de la chance d'avoir l'aide de cerveaux de compétition dans cette histoire à dormir debout.

- Si tu suivais depuis le début au lieu de faire des commentaires sarcastiques, Weasley, tu verrais que c'est parfaitement logique, rétorqua Lyra. On parle de quelqu'un qui fait pas lui-même l'assassinat qu'il projette mais qui engage quelqu'un à sa place. Il est peut-être dans l'impossibilité de donner l'ordre d'assassiner Baker directement ?

- Elle a peut-être raison, Hugo, appuya Plumeau. On parle de quelqu'un probablement diminué. Franck pourrait être quelqu'un qui a pas accès à la magie, comme un moldu, ou alors un tableau, un fantôme...

Elle se figea et sembla réfléchir en regardant autour d'elle, puis son regard se posa sur moi. Son air était perplexe.

- Hugo...

- Quoi ? coupa celui-ci.

Elle sembla changer d'avis, puis hésiter.

- Je sais plus trop quoi penser, avoua-t-elle. T'as peut-être raison.

- Ah bon ? s'étonna Hugo avec un haussement de sourcil surpris. T'es d'accord avec moi ?

- Hein ? Ah, non... euh... Je sais pas, bredouilla Plumeau.

- Te fais pas embrouiller la tête par ce magouilleur, la fixa Lyra. Ce que tu disais était pas bête du tout. Franck peut très bien être un fantôme ou un tableau.

- Et pourquoi tuer Chourave, alors ? interrogea Hugo d'un ton sceptique.

- Pour brouiller les pistes, je te l'ai dit, poursuivit Lyra. La police se focalise sur l'assassinat de la directrice de la grande école de magie Poudlard, et tout le monde oublie le fait divers qui a fait qu'une élève de première année se fait tuer dans un bête incident scolaire.

- Beaucoup d'efforts pour pas grand chose, critiqua-t-il.

- Pour un assassinat, corrigea-t-elle. C'est peut-être quelqu'un en prison ? Ça l'obligerait à passer par quelqu'un d'autre pour faire le sale boulot.

- Ça devient de plus en plus tiré par les cheveux, grogna Hugo.

Plumeau réfléchissait intensément depuis tout à l'heure.

- Non, c'est simple, murmura-t-elle. Très simple, en fait.

- Tu rigoles ?

Elle sortit de sa transe et entreprit de réorganiser ses pensées.

- Pas du tout. Franck-Jean-Eudes-Jessie veut tuer Many, mais il peut pas, pour une raison inconnue. Il engage Luke. Pour pas focaliser les soupçons sur Many, il demande à Luke d'assassiner Chourave et de faire en sorte que Many meure dans ce qui semblera être un accident. Manque de bol pour lui, Luke est quelqu'un d'indépendant qui se fiche pas mal de son employeur, comprend ce qui l'arrange, tue Chourave et raconte tout à Many.

- Tu synthétises vachement bien, Plumeau, admira Zach. J'ai tout compris grâce à toi. Parce qu'avec les deux autres, là, c'est complètement opaque. Tu peux m'expliquer ce que dit Hugo aussi ?

- Ce que dit Hugo, soupira Plumeau, c'est que Franck-Jean-Eudes-Jessie-Ce-Nom-Est-Beaucoup-Trop-Long, veut tuer Chourave. Pour une raison qu'on ignore, il engage Luke pour l'assassiner. Luke fait son boulot mais comme on le surprend il nous raconte un gros bobard à propos du fait que son boss veut tuer Many, pour le couvrir. J'ai bon ?

- C'est l'idée, confirma Hugo.

- Je trouve cette hypothèse plus plausible, avouai-je.

Avec le recul, mon égocentrisme nous avait juste mené dans des impasses dangereuses tout au long de l'année. En me prenant pour une héroïne, j'avais oublié de réfléchir. J'étais résolue depuis qu'on avait trouvé Chourave à ne plus me mettre au centre du monde. Accorder plus d'importance aux autres, partager les informations, et, plus que tout le reste, avoir l'humilité de me considérer comme un être humain comme tous les autres, sans privilèges, sans que tout doive toujours tourner autour de moi. Je n'avais pas envie de contredire cette règle si tôt.

- Tu penses ça aussi, Many ? s'étonna Plumeau. C'est vrai que ça paraît plus réaliste, sauf que je vois plus Luke se comporter comme dans l'hypothèse de Lyra que celle de Hugo.

- Tu connais pas vraiment Luke, corrigea Hugo.

- Personne peut simuler un autre caractère pendant si longtemps, opposa Lyra. Dans le Luke qu'on a connu, il y avait probablement une grande part du vrai Luke.

- Tu devrais pas être aussi sûre, fit-il. Certaines personnes savent mentir comme ils respirent, sans faire transparaître le moindre soupçon.

- J'ai vu ça, lui lança-t-elle avec un regard entendu.

Comme pour lui donner tort, les oreilles de Hugo rosirent.

- Au temps pour moi, rit-elle.

Il plaqua ses mains sur ses oreilles d'un geste agacé.

- Laisse tomber, Hugo, rigola Zach. On a vu ton point faible.

Les boucles de Hugo commencèrent à rougir à leur tour.

- Qu'est-ce que... ?

En moins d'une minute il était rouge de la pointe des cheveux jusqu'aux pieds. Il se regarda d'un air étonné. Puis ce fut au tour de la brosse de Zach de devenir bleue. Le bout du nez de Plumeau se para d'une tache jaune qui s'élargissait à vue d'œil, pour venir teindre son visage et son plumeau. Lyra était rose flashy. Je regardai mes mains et constatai qu'elles étaient vertes.

- C'est quoi cette arnaque ? demanda calmement Lyra.

Zach secoua son sachet de cheveux de goules pétillants avec un air ravi.

- J'ai pris un paquet spécial carnaval, s'exclama-t-il d'une voix toute excitée.

- Génial, commenta Lyra d'une voix polaire.

- Je hais le vert, confiai-je.

Puis je me souvins que j'avais décidé de détester le vert à cause de Serpentard, et je me trouvai stupide. Je pris comme résolution de passer en revue toutes ces intimes convictions que j'avais et trouver leur origine. Et si l'origine était pourrie, les jeter.

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Il ne restait qu'une semaine de cours avant la fin de l'année. Les cours de Métamorphose, Sortilèges, ou Vol étaient terminés. Les cinquième et septième années passaient leurs BUSE et ASPICS. Cette semaine fut très légère et les profs se contentèrent de révisions ou d'informations sur le programme de l'année suivante.

En m'installant à la table de Poufsouffle au banquet de fin d'année, la salle me parut bizarrement petite et je pris conscience que j'avais passé plus de temps à Treehall qu'à Poudlard. C'était comme si la salle Sylvestre me manquait. Depuis notre retour, l'ensemble du château paraissait petit et vide. Les couloirs de pierre semblaient sombres et froids. Les tableaux me faisaient sursauter au moindre raclement de gorge. La présence de fantômes me rendait mal à l'aise. Mais je me rassurai en me disant que ça devait être la même chose pour tous ceux de mon année.

Plumeau s'était assise à côté de moi et Zach en face. Hugo s'était mis plus loin en bout de table comme si tout contact avec ses camarades de Maison pouvait le contaminer. Je soupirai et laissai tomber. Le couvert était déjà mis, mais les assiettes étaient vides. Mais ça, je m'y étais habituée. Le repas viendrait après que Swan nous avait tous assommés avec son discours de directrice adjointe.

Swan se leva et toussota pour faire le silence. Je remarquai qu'ils avaient laissé la place de la directrice libre. Comme prévu, elle entama son marathon du verbe. Je pris Mojito en flagrant délit de bâillement. Le concierge à tête de vampire qui nous avait accompagné aux barques au début de l'année avait repris place parmi les profs. Il était resté à Poudlard et nous ne l'avions pas vu de l'année. C'était la même chose pour le professeur Binns. Je me demandai s'il s'était aperçu de l'absence de ses élèves pendant toute la durée de l'année écoulée. Peut-être pas.

Le discours s'éternisa, puis elle invita les majors de promotion de chaque année à se mettre debout et lever le bras pour recevoir leur récompense, une plume de jobarbille. Celles-ci apparurent de nulle part dans les mains levées. Lyra y jeta à peine un regard avant d'enfouir la plume dans sa robe et se rasseoir. Rose Weasley agita la plume, provoquant des cris de triomphe de sa table. Celui de notre année était Dink, le petit blond rondouillard de Serdaigle avec la frange sur les yeux qui avait un lever de main supersonique en début d'année. Elton Andersen fit un coucou à ses frères et ses cousins. J'étais surprise de le voir et non Hélène Cerblanc. Bah, la coupe de Quidditch pour l'une, la plume pour l'autre. C'était une juste répartition de la gloire. Zach hurlait comme un fou dans mes oreilles.

Tous se rassirent et Swan commença le décompte des points. Comme prévu, Poufsouffle arrivait quatrième, et de très, très loin. Grâce à notre sauvetage raté, sans doute. Je courbai les épaules pour ne pas croiser les regards des autres Poufsouffle et vit Zach et Plumeau faire de même. J'avais quand même l'impression de sentir la foudre dans mon cou.

Après l'annonce de Serdaigle comme gagnant de la coupe des quatre Maisons, le banquet apparut. Il y avait des tartes d'une drôle de couleur rose et Zach se précipita dessus en couinant que c'était de la tarte au bruisne. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'était un bruisne. Je me servis d'un des plats de bœuf aux pruneaux inondé de sauce au pain d'épice. J'avais dû reprendre l'habitude des plats à la Poudlard. La cuisine de Treehall ressemblait beaucoup à ce que pouvait servir ma mère et n'avait pas grand chose de magique.

- Hé, Malany. J'aurais un service à te demander.

J'avalai ma bouchée et tournai la tête vers la voix. C'était Fergusson.

- Si tu connais quelqu'un qui a un vieux jeu de Super Mario pour DS à jeter, j'en aurais bien besoin. Est-ce que tu peux demander autour de toi, cet été ?

- Ben oui, bien sûr, répondis-je. Même, attends... Je crois qu'il y en a un chez moi. Mais je crois pas qu'il marche encore. Pourquoi ?

- Non non, t'inquiète, rassura-t-il. C'est pas un problème s'il marche plus. C'est génial ! Tu pourras me l'apporter à la rentrée ?

- Pas de problème, assurai-je. Mais pour quoi faire ? T'es pas en train d'en arranger un, justement ?

Il fit la grimace.

- Ouais, justement... Le problème, c'est que Mario en fait qu'à sa tête et que j'ai aucun moyen de le forcer à rester dans la console. Et le jeu d'origine, c'était un Mario de base. J'ai besoin d'un Super Mario pour l'attirer avec Peach. Tu vois l'astuce ?

- Et ça va marcher ?

- J'espère, souffla-t-il. Sinon ça va devenir apocalyptique.

- Tu l'as retrouvé, Mario ?

- Oui, oui, répondit-il. Je finis toujours par le choper, en fin de compte. Mais il se barre à nouveau dès que je laisse la console sans surveillance. C'est casse pied. Enfin, au moins, j'ai pu le retrouver avant de partir de Treehall. J'ai cru qu'il allait rester là-bas.

- Bah, au moins, t'en aurais été débarrassé, non ?

- Tu rigoles ? Tous les efforts depuis le début de l'année, à la poubelle ? Ah, non ! Ça c'est hors de question ! Il m'aura pas comme ça, ce tas de pixels, c'est moi qui aurai le dernier mot.

- Many, tu vas prendre de la tarte ou je peux tout prendre ? interrompit Zach.

Je lui fis signe de se servir et ris intérieurement devant les étoiles qui pétillaient dans ses yeux en se servant. Fergusson avait pris un air soucieux. Je tentai de changer de sujet.

- Allez, fais pas la tête, tu vas être tranquille cet été. Tu pars en vacances ?

- Non, on va juste aller voir mes grands-parents au Kenya, mais sinon je vais probablement me faire chier comme un veracrasse. Et toi ?

J'allais passer un été génial avec Will. Je trépignais.

- Bah, pas grand chose, mentis-je. Je vais sûrement m'ennuyer aussi.

- Le point positif, c'est que j'aurai tout mon temps pour bosser sur ma console, soupira-t-il. Au rythme où ça avance, j'aurai terminé à soixante-dis ans.

- Au pire, le rassurai-je, tu peux prendre un jeu plus soft, genre cervelle académie. Rosendale va pas te renier si tu réussis pas du premier coup.

- Ouais, je sais, grimaça-t-il. Mais avec tout le temps que je lui prends à la fin des cours, ce serait vraiment la honte.

Je roulai des yeux.

- De toute façon, je parie que tu vas nous pondre une révolution du divertissement magique, ris-je. J'offrirai tes consoles à mes enfants.

- T'es optimiste, sourit-il en haussant les sourcils.

- Tu doutes de mes talents de séduction ?

- Mais non, mais... N'importe quoi, conclut-il en éclatant de rire.

- Moi, j'émets de sérieux doutes, s'intercala Zach, si tu gardes ce serre-tête moche.

- Hé ! C'est un cadeau de mon meilleur ami !

- Au moins, si tu veux que ton serre-tête serve à quelque chose, tu devrais prendre les cheveux de ta frange dedans au lieu de le poser par dessus. Sinon, là, il sert à rien.

- Je t'ai demandé ton avis, mister houppette ?

Il haussa un sourcil comme pour émettre un doute et ébouriffa ses cheveux en vain. J'avais de plus en plus envie de retrouver Will mais ils allaient me manquer tout l'été.

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Dans le Poudlard Express, Zach trouva un compartiment inoccupé et se jeta à l'intérieur. Plumeau et moi passâmes avec lui. Nous fourrâmes nos affaires dans les rangements. C'était une sensation étrange de prendre le Poudlard Express une seconde fois en dix jours. Je m'étendis sur la banquette et Féline se lova sur les genoux de Plumeau.

- Elle t'aime bien, commentai-je. Elle vient plus souvent sur toi que sur moi.

Plumeau haussa les épaules d'un air gêné. Féline ronronnait d'aise.

- Désolée, s'excusa-t-elle. Les animaux m'aiment bien, en général.

Elle attrapa le chat par les aisselles et le déposa sur Zach, qui hurla quand des griffes s'enfoncèrent dans ses cuisses.

- Aïe ! Mais ça va pas la tête ? Enlevez-moi cette bête sauvage !

Les griffes se détachèrent une à une de son jean avec de petits bruits de scratch quand il la souleva loin de lui. Je l'attrapai et la déposai sur la banquette. Féline cracha sur Zach et s'enroula pour dormir. Je me demandai si cet animal allait un jour reparler ou si j'avais juste complètement halluciné ce jour sur le Chemin de Traverse.

- J'y pense, lança Zach, où il est, ce lâcheur de Hugo ?

- Sûrement dans le compartiment avec sa cousine, suggéra Plumeau. Laisse-le, il a pas forcément envie qu'on le dérange.

- Mais si, insista-t-il, je suis sûr qu'il meurt d'envie de nous rejoindre mais qu'il ose pas. J'y vais !

- Attends, fis-je. Je suis d'accord avec Plumeau. Tu veux pas que j'aille voir, juste ?

Il haussa les épaules.

- Peu importe. Tant que tu nous le ramènes, acheva-t-il avec son sourire le plus radieux.

Je quittai le compartiment et avançai dans le couloir en jetant des coups d'œil à travers les vieilles vitres opaques des portes. Je le trouvai en compagnie de Lily Potter, Jess et la petite Lily Bird. Toutes les trois gloussaient pendant que Hugo lisait un énorme grimoire en solitaire dans un coin de la banquette. J'ouvris la porte en grand.

- Chuuuut, Lily, elle est là ! chuchota Jess.

Elles pouffèrent de plus belle en se disant de se taire, puis, voyant que je ne partais pas, elles me prêtèrent attention.

- Salut Baker, fit Lily Potter. Je suis désolée mais on est serrés dans ce compartiment. On aurait bien aimé que tu restes mais il y a plus de place.

Je les ignorai et secouai ma main entre Hugo et son livre.

- Hugo ? Est-ce que ça te dirait de nous rejoindre ? C'est pas pareil sans toi et ça nous ferait plaisir que tu viennes, avouai-je.

Il me fallut une maîtrise puissante pour ne pas rougir en voyant du coin de l'œil les deux Lily et Jess dessinant des cœurs avec leurs mains et gloussant de nouveau.

Hugo ne les vit pas et ne put contenir un sourire en coin flatté. Il referma son livre et m'accompagna dans le couloir, comme s'il m'attendait pour s'extirper du compartiment de sa cousine.

- Tu prends pas tes affaires ? demandai-je.

Son regard partait de biais et il froissait ses boucles brunes de sa main.

- J'adorerais venir, mais...

Mais sa famille l'attendait à la sortie du Poudlard Express. Et en sortir en compagnie d'un groupe de Poufsouffle était rédhibitoire.

- Ta famille est si peu tolérante que ça ?

Il grimaça.

- Si, si, c'est pas ça, mais...

- Ils vont pas te renier juste parce que t'es pas à Gryffondor, levai-je les yeux au ciel.

- Non, mais si je me tape l'affiche avec des Poufsouffle, mon père...

- C'est le choixpeau qui a décidé, lui rappelai-je. Poufsouffle, ça m'enchantait pas non plus, à la base. Mais maintenant, j'ai assez grandi dans ma tête pour comprendre à quel point ça a aucune importance. Pas toi ?

Il s'apprêtait à répliquer, mais je le coupai.

- Si les membres de ta famille sont assez peu tolérants pour te préférer seul et dépressif que heureux et intégré dans ta Maison, alors ils te méritent pas.

Il baissa la tête et fronça les sourcils.

- Je sais.

Il resta longtemps silencieux. Puis il reprit son tic de se lisser l'arrête du nez. Voyant qu'il n'allait pas céder, je décidai de le libérer de ses tourments.

- On se voit à la rentrée, alors ? souris-je en lui faisant un signe de la main. Bonnes vacances !

Je me détournai et commençai à avancer dans le couloir quand il me héla.

- Juste... Merci d'avoir pensé à moi et d'être venue me chercher, dit-il avec embarras.

- C'était avec plaisir, tu sais, ris-je. A plus !

- Attends ! Many... Si je viens pas maintenant, est-ce que je peux toujours compter sur votre amitié l'année prochaine ?

- Mais évidement ! m'insurgeai-je. Qu'est-ce que tu vas t'imaginer ?

Il sourit et me fit un signe de main avant de rentrer tête basse dans le compartiment. J'eus le temps de voir son sourire se métamorphoser en grimace en entrant.

Je regagnai mon compartiment en pestant contre les préjugés et la théorie du frère de Jess.

J'ouvris la porte et faillis m'étrangler.

- Mais qu'est-ce que vous foutez ?

Zach était en équilibre un genou sur la banquette et un pied sur la tablette du train, le tee-shirt relevé et le ventre collé contre la vitre. Plumeau avait le nez à deux millimètres de son ventre dans une position précaire d'allure inconfortable, comme pour observer un phénomène en train de se passer entre la peau de Zach et le verre. Le tout dégageait une ambiance de tableau de la Renaissance.

- Je m'absente deux minutes et vous faites n'importe quoi.

Plumeau se releva et Zach se décolla avec un bruit de ventouse. Son sourire était radieux et il pointa son nombril.

- Many ! Regarde ! J'expliquais à Plumeau que mon nombril a un petit bout de peau boudinée qui ressort au froid.

Il titilla le bout en question avec son doigt pour me montrer.

- Incroyable, lançai-je.

- Toi, je sens quand tu prends un ton sarcastique, se méfia-t-il.

- Moi ? Sarcastique ?

Ma performance d'actrice n'aurait pas convaincu un enfant de deux ans. Zach tomba dans le panneau.

- Ah, sourit-il, tu vois que c'est un truc de fou !

Plumeau avait toutes les peines du monde à ne pas exploser de rire.

- D'après ma grand-mère, une Andersen avec un nombril qui ressort verra son prince charmant lui tomber dessus avant ses dix-huit ans.

- Alors si tu es sûr de trouver ton prince charmant sous peu, tu m'en vois ravie, le félicitai-je.

- Mais non, t'as pas compris, me reprit-il. Je suis sûr que ça marche aussi pour les garçons. Tu verras quand toutes les filles mignonnes se jetteront sur moi !

- Parce que Plumeau et moi on est pas assez mignonnes pour toi ?

La porte du compartiment s'ouvrit derrière moi. Je souris. Je savais bien que Hugo changerait d'avis.

- Si j'ai pas d'autre choix, je préfère Plumeau, fit Zach en se lovant sur elle.

- Bah merci de me considérer comme un choix par défaut, le repoussa-t-elle.

- J'arrive ! rugit une voix aiguë dans mon dos.

Une silhouette maigrichonne se jeta sur Zach pour le séparer de Plumeau.

- J'ai dit que je voulais des filles mignonnes ! râla l'accent écossais de Zach depuis en-dessous de son attaquant.

Son agresseur se redressa, embarrassé. C'était Alyss.

- J'avais entendu que tu voulais qu'on se jette sur toi, s'excusa-t-il.

- Oui ben non, maugréa Zach. C'était conditionnel.

- Fais gaffe à ce que tu souhaites, se moqua Rowena en s'asseyant sur la banquette, ça pourrait bien se réaliser.

Kathleen s'installa à la place que Zach occupait quelques instants plus tôt. Elle riait de son petit son de souris devant l'enchevêtrement qu'étaient Zach et Alyss. Ce dernier aida le premier à se relever et ils s'affalèrent à côté de Rowena. Je jetai un dernier regard déçu vers la porte du compartiment et rejoignis Kathleen et Plumeau.

- Hé, Fox, chuchota Zach, tu veux voir un truc de fou ?

Par peur de le revoir soulever son tee-shirt à nouveau, un concert de protestations venant de Plumeau et moi s'éleva. Il pouffa devant nos têtes offusquées.

Il se leva sur le banc et fouilla dans sa valise avant d'en sortir un pot d'où sortait une vaillante pousse verte. Il se rassit et montra son trésor avec fierté.

- Mais elle a vachement poussé ! m'exclamai-je.

- Grâce aux doigts de fée de Hugo, révéla Zach.

- C'est un Goldenseal ? demanda Rowena.

- Gagné, répondit triomphalement Zach en lui tendant la paume pour qu'elle y tape la sienne.

La benjamine Fox le regarda d'un air étonné et sourit.

- Je gagne quoi ? demanda-t-elle.

- Je te filerai de la teinture, promit Zach.

- Et en contrepartie ?

- Quelle contrepartie ?

- Tu veux quoi en échange ? traduisit Rowena.

- Un échange ? réfléchit Zach. Pourquoi faire ?

- Tu vas lui donner de la teinture de Goldenseal gratuitement ? couina Kathleen. Dans une épicerie magique, ça vaut super cher.

- Ah bon ? Ben, raison de plus, réfléchit Zach. Pourquoi, ça se fait pas ?

Rowena pouffa et je me fis la réflexion qu'elle était la plus jolie et la plus aimable des sœurs Fox. Quoique je ne connaissais pas l'aînée. D'après Kathleen, elle était aussi à Serdaigle, alors elle était sûrement très gentille aussi. Il n'y avait que Lyra qui avait un caractère de cochon.

- Si le monde était fait que de Poufsouffles, fit-elle, il serait bien meilleur.

- Totalement d'accord ! s'exclama Zach.

- Eh, les freinai-je, vous allez pas encore nous sortir vos théories moisies sur les Maisons !

Il était plus que temps de tordre le cou à la théorie du frère de Jess. Kathleen n'était pas un connard, mais tout le contraire. Alyss était loin d'être le meilleur en quoi que ce soit. Rowena n'avait rien d'un bizuth. Et pour ce qui était des attardés, Plumeau et Hugo étaient parmi les personnes les plus douées que je connaissais.

La porte du compartiment s'ouvrit à nouveau et Hugo entra avec un air contrit mais ravi.

- J'ai toujours pensé que ma famille était un ramassis de crétins consanguins qui me méritaient pas.

- Hugo ! s'écrièrent Zach et Plumeau en chœur.

- Bienvenue à la maison ! continuai-je.


[Fin de la partie 1 (ou arc 1, ou saison 1, ou année 1, comme vous voulez). J'espère que l'histoire vous aura plu. Je commence à poster la partie 2 le mois prochain. Il y aura 10 chapitres pour la partie 2. J'ai essayé de faire des chapitres un poil plus courts dans la partie 2 (en relisant je trouve certains chapitres interminables comme le 2 et 4), pour plus de rythme. Retour de Many Bak dans un mois donc]