Chapitre 12 - L'Arbre Creux
-... homme est un véritable spectre. Malgré les avis de recherche, il reste à ce jour encore en liberté. Le meurtre de cette jeune fille hier est une nouvelle défaite pour la police. Encore une fois, l'entourage de la victime signale qu'elle fréquentait un joueur de violon qu'elle refusait de présenter à sa famille.
- Peut-on voir apparaître un motif récurrent dans ces crimes ?
- C'est bien là le problème. Ses victimes semblent n'avoir aucun lien. Homme ou femme, enfant ou vieillard, il ne semble pas faire de différence. Le mode opératoire en lui-même ne présente pas non plus de signature caractéristique. La seule chose qui relie ces homicides est ce Violoniste. Il ne craint d'ailleurs pas d'être aperçu en flagrant délit. Ce ne sont pas les témoignages qui manquent. Mais il se volatilise ensuite comme par magie...
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Je m'étirai dans mon lit, heureuse d'avoir pu faire la grasse matinée.
Premier jour des grandes vacances.
Je descendis en baillant et me servis du lait et des céréales, les yeux encore mi-clos.
- Je peux goûter tes céréales ?
Je sursautai et faillis renverser mon bol. Féline sauta d'un bond souple sur la table.
- Tu reparles, maintenant ? fis-je avec les yeux toujours écarquillés.
J'avais vraiment fini par me convaincre que j'avais rêvé, ce jour-là sur le Chemin de Traverse. C'était une jolie chatte isabelle toute maigrichonne. Elle avait passé l'année à faire son asociale et la plupart du temps il était impossible de mettre la main dessus. J'en avais déduit que ce n'était qu'un chat ordinaire et indépendant. J'en arrivais presque à l'oublier, parfois.
- Les chats ne parlent pas, s'excusa-t-elle. Je te l'avais dit. Si quelqu'un m'entendait...
- Mais dans les dortoirs, parfois on était seules et tu me répondais jamais.
- Les tableaux ont des oreilles, à Poudlard. Je préfère éviter les ennuis.
Je n'avais jamais vu les tableaux de cette façon. Je tentai de me représenter l'immense réseau de tableaux de Poudlard comme un système de surveillance ultra perfectionné. C'était flippant.
- A Treehall, il y avait pas de tableaux. Tu pouvais me parler.
- Détrompe-toi. L'arbre de Treehall entend tout.
- Alors je t'entendrai qu'ici, à la maison ? fis-je avec déception.
- Peut-être, miaula-t-elle. Je verrai...
- Je peux parler de toi à mes amis ?
- Qui ?
- Mes amis, répétai-je. Plumeau, Zach, Hugo.
Elle fronça le museau.
- Zach ? Qui c'est, celui-là ?
Je soupirai. Ce chat ne m'accordait décidément aucune attention.
- On traîne toujours ensemble, lui fis-je remarquer. Je sais pas comment tu te débrouilles pour pas te souvenir de sa tête !
- C'est celui qui a la peau aussi noire que mes pattes ?
- Ah, ça y est, tu le remets ?
- Oui. Je ne fais pas confiance à celui-là. Ne lui parle pas de moi. Les deux autres, c'est bon, je te donne mon autorisation.
Je haussai les sourcils.
- Zach ? Pourquoi ? Il est complètement inoffensif.
- Intuition, ronronna-t-elle. Je sais certaines choses que les autres ne soupçonnent pas.
- D'accord, obéis-je. Mais c'est idiot. Zach ferait pas de mal à une mouche.
- Si tu le dis...
D'un côté, Zach était une vraie pipelette et si je lui parlais de mon chat parlant, le château entier aurait vite fait d'être au courant. Elle n'avait peut-être pas tort de me mettre en garde. Mais comment ce chat pouvait-il savoir ça, alors qu'elle se rappelait à peine de qui il s'agissait ? J'avais plein de questions sur cette capacité bizarre dont elle parlait. Ce chat était peut-être devin, mais la divination était une science inexacte par excellence.
- Tu vois vraiment dans le futur ?
- Je ne peux pas répondre à cette question, répondit-elle.
- Pourquoi ?
- Cette question non plus, je ne peux pas y répondre.
Féline était décidément beaucoup trop énigmatique pour laisser ma curiosité tranquille.
- Pourquoi est-ce que tu m'as pas prévenue de tous les dangers que j'ai traversé l'année dernière ? J'aurais pu mourir. C'est le genre d'information que j'aimerais bien avoir. T'es censée m'aider, non ?
- Je suis pas un calendrier prévisionnel, feula-t-elle. Il y a des choses que je sais, et d'autres pas. Je peux pas tout savoir.
- Ah bon ? Pourtant, à ton air supérieur, on aurait cru, me moquai-je.
Un miaulement courroucé répondit à ma provocation.
- Espèce de petite...
- Ouh là ! Calme, l'apaisai-je. Je voulais pas te vexer.
Elle fit ses griffes sur le bois de la table pour rediriger son agacement.
- Arrête, implorai-je, maman va dégoupiller si elle voit ça !
Féline planta ses yeux noisette dans les miens et rétracta lentement ses griffes comme pour me signifier que j'étais avertie. Ce chat n'avait aucun sens de l'humour.
- Ça va, j'ai compris, dis-je. Je resterai sinistre comme une pierre tombale lorsque je m'adresserai à toi. Satisfaite ?
- Très, ronronna-t-elle.
- J'imagine que tu veux aussi des remerciements pour m'avoir avertie concernant la véritable nature du professeur Lewis ?
Ce journal avec à la une l'avis de recherche du Violoniste, ce tueur en série recherché depuis des années, m'avait fait crier au loup auprès de Swan. Pour rien. Le Violoniste était l'oncle du professeur de Sortilèges de Treehall. Ce dernier était inoffensif, du moins envers les être humains. Envers les affaires personnelles de ses élèves, c'était une autre histoire. Johan Brown s'en souvenait.
Et à force de crier au loup, lorsque le loup s'était pointé pour de vrai, personne ne nous avait cru. Et Luke avait assassiné Chourave.
- Un peu de reconnaissance serait agréable, oui, fit-elle.
- Tu t'es trompée, rétorquai-je. Lewis était innocent.
- Je ne me trompe jamais.
Je ne comprenais pas ses phrases mystérieuses. C'était Luke qui avait tué Chourave, pas Lewis. Sauf si...
Lewis pouvait-il être Franck ?
Non, c'était stupide. Lewis et Chourave se côtoyaient au quotidien et il aurait très bien pu s'en charger lui-même à l'occasion d'un isolement, occasions qui n'avaient pas dû manquer.
Pas question de m'emballer encore une fois. A ce stade, tout le monde pouvait être Franck.
- Ne va pas dans l'aile Ouest, fit soudainement Féline.
- Quoi ?
- Tu m'as entendue.
- Celle en ruine ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il s'y cache ?
- Je ne sais pas, ronronna-t-elle. N'y va pas, c'est tout.
- Pourquoi tu me dis ça ? Tu penses que je serai en danger là-bas ?
- Tout à l'heure, tu râlais parce que je ne t'avais pas aidée l'an dernier. Alors voilà. Je t'apporte mon aide. Ne t'approche pas de l'aile Ouest.
- Tu peux pas m'en dire plus ? demandai-je.
- Non.
- Mais...
- N'y va pas.
Je soupirai de frustration. Son avertissement avait l'effet inverse de celui recherché. Maintenant, j'étais dévorée par la curiosité. Mais j'avais retenu la leçon de l'année passée.
- Bon, acceptai-je. D'accord. Je resterai loin.
- Bien, se coucha Féline. Sage décision.
Qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir dans cette aile abandonnée ? Le souvenir de cette porte couverte de plantes grimpantes que nous avions failli ouvrir le premier jour, avec Plumeau, pendant le cache-cache du bizutage, était encore parfaitement net. Et si nous y étions entrées ? Qu'est-ce que nous aurions bien pu y découvrir ?
- T'as d'autres avertissements ? lançai-je.
- Non, grogna-t-elle sans prendre la peine d'ouvrir les yeux.
Je me levai pour laver mon bol. J'avais encore du mal à prendre conscience de la chance que j'avais d'être tombée sur ce chat parlant doté de double vue. Je notai les intuitions de Féline dans un coin de ma tête, bien décidée à ne pas les oublier.
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J'étais tranquillement en train de manger des fruits avec mes parents en fin de repas quand j'entendis Will hurler mon nom en criant au secours. Je faillis m'étrangler et me levai d'un bond pour accourir en ignorant ma mère qui aboyait que je n'avais pas la permission de sortir de table. Je retrouvai Will devant mon portail. Sa tête soucieuse fut éclairée par un immense sourire en me voyant.
- Many ! Il faut que tu me sauves la vie ! J'ai besoin de ton aide !
- T'es malade de hurler comme ça ? J'ai failli m'étouffer, espèce de demeuré !
- Je te jure, j'ai vraiment besoin de toi !
Il ne me laissa pas le temps de protester et me traîna jusqu'à sa chambre, un bordel sans nom.
- Maintenant, ordonna-t-il, claque des doigts !
Je haussai les sourcils et obtempérai. Mes doigts claquèrent mais je ne voyais pas bien où il voulait en venir.
- Si tu veux monter un orchestre symphonique de claqueurs de doigts, je suis pas la plus douée pour ça, lui fis-je remarquer.
- Attends, attends, il faut peut-être du temps. Tu vas voir.
Son sourire perdit petit à petit de son intensité et devint hésitant.
- Dans quel bazar t'es en train de m'embarquer ? pouffai-je.
- Ben, tu vois, c'est justement le problème. Ma mère m'a promis de me décapiter si ma chambre est pas rangée d'ici ce soir.
- Si ta chambre est... ? T'es sérieux, là ? Tu m'as prise pour Mary Poppins ? m'exclamai-je en explosant de rire.
Alors que je lui ébouriffais ses mèches blondes, il resta figé la bouche ouverte, comme en intense réflexion. Puis il percuta et pointa son doigt sur moi.
- Mais oui ! C'est vrai que t'es une X-men. J'ai confondu.
- Sorcière ! Sor-cière! Pas X-men ! Crâne de pigeon !
Il se mit à loucher et à roucouler en agitant les coudes. Impossible de retenir mon fou rire.
- Je pouvais pas rêver mieux comme confident, me moquai-je après avoir pu reprendre une respiration normale.
- T'inquiète pas, me rassura-t-il avec un sourire. Tu peux me dire la vérité. Je dirai à personne. Alors, c'est quoi ton pouvoir de mutant ?
Je rigolai et mimai Charles Xavier en mettant les doigts sur mes tempes.
- Je vois claiiiir dans ton esprit !
Ses yeux s'ouvrirent en grand et il fit mine de paniquer.
- Oh non ! Je vais pas pouvoir te cacher le fait que ce serre-tête est horriblement moche !
- Ah ! J'en étais sûre ! Embobineur !
J'arrachai le serre-tête rose et le jetai.
- Non ! Il faut le garder ! C'est un porte-bonheur, dit-il en le ramassant délicatement.
Il le replaça avec douceur sur ma tête et me gratifia du sourire le plus angélique de son répertoire. Je me résolus à porter cette chose immonde pour le restant de mes jours.
Je l'attrapai entre mes bras et le serrai fort.
- Tu m'as trop manqué !
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- J'te l'dis, maman, si j'apporte pas eul'tiot avec, te va avoir Malany que va t'braire eud'sus ! Mais oui, l'est tout sage ! Tu m'dis quoi de suite, pour moi savoir si j'prends un billet d'rab pour l'train. Hein ? Bah oui, maintenant ! Te sais combien ça coûte, un billet ?
- Qu'est-ce qu'elle dit ? demanda Will.
Je tentai de traduire en anglais.
- C'est une rude négociation, grimaçai-je. Ma grand-mère veut pas de toi chez elle, alors on va devoir te faire voyager clandestinement. Mais j'ai peur que tu rentres pas dans ma valise.
- Ah ! Si c'est juste ça, il suffit d'échanger, s'illumina-t-il. Toi tu vas rentrer facilement dans la valise. Impec'.
- Me prendrais-tu pour un jambon ?
- Moi ? fit-il avec un air outré. Quoique, depuis que t'as le derrière qui pousse, on sait plus trop voir la différence...
- Est-ce que j'ai bien entendu Sauvez-Willie critiquer mon gras ?
- Je vois pas du tout de quoi tu parles, fit-il mine de rien.
- C'est la puberté, mongolien, répliquai-je. Va pas me filer des complexes, déjà !
- La puberté, c'est pas les nénés qui poussent ? demanda-t-il innocemment. Parce que là...
Il haussa les sourcils d'un air entendu. Je croisai mes bras devant ma poitrine inexistante et me préparai à répliquer mais ma mère nous coupa.
- C'est vrai qu'il faudra que je te donne des vieux soutien-gorges à moi pour cette année, et que je te prépare un kit de secours pour au cas où tu-sais-quoi arriverait, réfléchit-elle.
- Mamaaaaan ! Tu me fais trop la honte devant Will !
Mais celui-ci était déjà mort de rire.
- Il vaut mieux prévenir que guérir, ma chérie, répliqua-t-elle.
Je fis la moue pour exprimer mon désaccord.
- Mamie veut bien que William vienne en plus de ta copine de l'école, embraya ma mère. Mais à condition que vous soyez sages, tous les trois.
- Promis, assura Will en chœur avec moi.
Elle ne put se retenir de sourire devant nos têtes de chatons innocents.
- Je vais confirmer à tes parents que tu viens bien avec nous, dit-elle en s'éloignant.
Will me lança un regard soupçonneux.
- Tu invites tes copines mutantes et pas moi ?
- C'est pas ma faute si t'as mis la pagaille chez ma grand-mère l'été dernier !
- Hum...
- Fais pas ton jaloux, le taquinai-je. Je suis sûre que tu vas l'adorer, Plumeau.
- Plumeau ? C'est son nom de super-héros ? C'est pas hyper classe, fit-il remarquer.
- C'est pas un nom de super-héros, Plumeau. Tu dis n'importe quoi.
- Si c'est son vrai nom, c'est encore pire.
- Mais non, ris-je. Son vrai nom, c'est Selina Cayle.
- Hein ? Catwoman ? T'es pote avec Catwoman ? Trop cool !
- Qu'est-ce que tu racontes ? m'esclaffai-je. Tu délires complètement.
Rien à faire, je ne parvins pas à éteindre les étoiles dans ses yeux.
- J'ai bien fait de venir, s'exclama-t-il. C'est fou !
Je gloussai.
- T'as du bol que ma mère est de bon poil aujourd'hui, observai-je. T'es complètement maboul de t'être ramené avec ta valise comme ça.
- C'est mon intelligence supérieure qui a bien travaillé, répondit-il en se toquant la tempe d'un doigt. J'en parle depuis une semaine à ma famille pour être sûr qu'ils profitent de mon absence pour se prévoir des vacances entre grands. Maintenant, je viens avec vous où bien je dors à la rue.
- T'es un génie, ris-je.
- C'est pas pour rien que j'ai eu les félicitations, se pavana-t-il. Mrs. Szczajak a dit que je tirais la classe en avant.
- C'est pas comme s'ils étaient capables de retenir un Sauvez-Willie rien qu'avec leurs petits bras, me moquai-je.
- Ah ! Ben tu verrais les gorilles qu'il y avait dans ma classe, me confia-t-il. Il y en a un qui a déjà seize ans. T'imagines ?
- Will, qu'est-ce que tu ferais si tu savais que quelqu'un voulait t'assassiner, mais sans savoir qui, ni pourquoi, ni quand, ni comment ?
C'était sorti tout seul. Je voulais ses conseils. Will avait toujours été mon plus proche ami.
- Probablement que je te dirais de montrer ta cueillette de champignons au pharmacien avant de les consommer, pouffa-t-il.
- Je suis sérieuse ! m'insurgeai-je.
Il explosa de rire et failli en tomber par terre. Je le secouai pour le faire arrêter.
- Aaaeh, j'arrête, j'arrête, gloussa-t-il. Many l'essoreuse m'a convaincu.
Je le recoiffai gentiment.
- Je te dirais de garder le porte-bonheur que je t'ai offert, sourit-il.
Je plissai les yeux et pointai mon doigt sur son nez.
- William Jenkins, menaçai-je.
- Oui, shérif, c'est moi, capitula-t-il en levant les mains. Je suis un honnête cow-boy. Ne faites pas de bavure.
Ce fut cet instant que choisit mon invitée pour débarquer par ma cheminée dans un nuage de suie verte. Elle toussa un coup puis balaya son plumeau pour le débarrasser des résidus de poudre de cheminette. Un gros sac était hissé sur ses épaules.
- Salut Many ! Salut... heu... Will ?
- Plumeau !
- Waahou ! s'écria Will. C'est énorme comme pouvoir, de passer à travers les murs ! Fallait me dire que ta pote c'était Kitty ! Ah ! Mais ! Quel débile ! Kitty, Catwoman... Bien sûr !
Il se frappa le front et j'observai Plumeau hésiter entre le sourire interrogateur et la grimace confuse. Je tentai une présentation.
- Alors, Plumeau, Will. Et Will, Pl...
- Attends, attends, me fit-il en posant sa main sur mon bras. Je vais essayer de communiquer.
Je regardai Plumeau en haussant les épaules en signe d'incompréhension.
- Miaou, se présenta-t-il. Miaou, miaouuuu, miaaa.
- Ok, j'avais pas prévu d'appeler la S.P.A., aujourd'hui, moi, désespérai-je.
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La semaine de vacances à Merricourt se déroula sans incident fâcheux avec Will pour origine, ce qui le réconcilia aux yeux de ma grand-mère. Elle accueillit Plumeau avec un « T'es bellotte, toi, la tiotte ! ». Mon rôle de traductrice était fatigant, mais je parvenais à maintenir le lien de communication.
Un matin, ma mère décréta qu'on devait aller à la ville pour régler des histoires d'administration pour mamie. Le TER Merricourt-Lille n'avait pas le panache du Poudlard Express, mais nous nous en somme contentés, et le port du masque eut pour effet de décupler démesurément l'imagination de Will qui passa le trajet à se prendre pour un savant fou.
- Allez avec papa, tous les trois, lança ma mère à l'arrivée en attrapant ma grand-mère.
- Où c'est qu'te m'emmènes, Kevina ? s'enquit mamie.
- Arrête d'm'appeler Kevina, m'man, te sais que je m'fais appeler Ruth, maintenant.
Elles s'éloignèrent en pestant.
- Bon, maintenant qu'elles sont parties, glissa mon père avec un sourire complice. Qui veut une glace ?
- Moi ! cria Will en chœur avec moi.
Plumeau pouffa.
Nous finîmes tous les quatre allongés dans l'herbe du parc de la citadelle, chacun une glace à la main et le masque sur le menton.
- Pas un mot à maman, hein ?
- Aucun risque, le rassurai-je.
En moins d'un quart d'heure, mon père ronflait dans l'herbe.
Will s'intéressa tout à coup à un groupe de garçons et filles déguisés qui se battaient avec des épées en plastique. Il s'élança vers eux en hurlant qu'il voulait essayer. Un des garçons éclata de rire en voyant l'énergumène qui s'agitait en piaillant en anglais. Il lui prêta son arme et Will se mit à tournoyer en faisant de grands moulinets.
- Many ?
Je me tournai vers Plumeau d'un air interrogateur.
- Tu connais Will depuis longtemps, non ?
- Depuis la maternelle au moins, m'exclamai-je.
- Vous avez l'air très proches... C'est pas bizarre de pas vous voir pendant l'année scolaire ?
- Tu parles, j'aimerais tellement que Will puisse venir à Poudlard avec nous, avouai-je.
- C'est vrai ?
- Bah oui ! Ce serait génial !
Elle me regarda d'un air interdit.
- Si seulement je pouvais transformer Will en sorcier, comme ça, montrai-je en claquant des doigts, ce serait le rêve.
- Ah bon ? Tu aimerais ?
- Trop !
- Que pour Will ? demanda-t-elle. Ou bien pour tous les moldus ?
- Oh, je suis pas radine, répondis-je. Je veux bien en donner à tout le monde. Mais faut pas trop rêver, ça arrivera jamais.
Elle me fixa avec des yeux ronds étonnés, puis un large sourire illumina sa bouille blafarde.
- De toute façon, ajoutai-je, si je pouvais donner un peu de ma magie à Will pour qu'on reste ensemble, ça fait longtemps que je l'aurais déjà fait.
- T'es trop gentille en fait, s'amusa Plumeau.
- Pas assez pour le boss de Luke, pourtant, grognai-je.
- Franck doit vraiment être idiot pour te vouloir du mal, fit Plumeau.
- Mouais, répondis-je sans conviction. Tu sais, je commence de plus en plus à penser qu'on s'est un peu emballés dans le train avec ces histoires de Franck. Hugo a raison. Luke nous a dit n'importe quoi.
- Peut-être, rigola-t-elle. Mais c'était drôle.
- Je propose qu'on aille retrouver Willie, coupai-je. Il a du mal à déterminer le moment à partir duquel il devient chiant.
Elle acquiesça et nous le rejoignîmes. En nous voyant, il s'interrompit et pointa brusquement son épée de fortune sur ma poitrine.
- Arrière ! Sorcière ! Ou tu seras pourfendue par Sir William le Bel !
Je ne pus retenir une exclamation de joie.
- Bravo Willie ! applaudis-je. Mais faudra changer ton nom, le Bel, ça te va pas trop.
Je me confectionnai un visage de mégère et recourbai mes doigts en griffes. Son épée fut arrachée en moins de temps qu'il n'en faut à Will pour s'endormir. Je me jetai sur lui et m'agrippai sur son dos.
- Au secours ! Une goule ! Aidez-moi, elle va me manger tout cru !
- Une goule ?! retrouvai-je mon sérieux. Tu te fous de moi ?
Will poussa un cri d'un ridicule à mourir et Plumeau partit dans un fou rire.
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L'été défila à une vitesse hallucinante. Je ne passai pas un seul jour des vacances sans Will. Je sus tout de son collège, de ses nouveaux amis de classe et de la petite copine à qui il avait tenu la main une fois. Celle-là, je le soupçonnais de l'avoir inventée pour m'impressionner. En retour, je lui racontai tout ce que j'avais vécu à Treehall, sans omettre le moindre détail. J'avais du mal à savoir s'il me croyait ou pas, vu comment il se marrait à chaque fois que je lui expliquais comment j'avais failli mourir mille fois.
- Je vais me vexer si tu es plié en deux à mon enterrement, remarquai-je.
- Quel enterrement ? T'es une sorcière ou un zombie ? Faudrait savoir !
Il ouvrit la bouche en grand.
- T'es une nécromancienne !
- Mais...
J'agitai les bras tellement les mots me manquaient pour lui faire comprendre mon désespoir.
- Je sais, je sais, me pointa-t-il du doigt. C'est un moulin à vent !
Je poussai un cri et m'affalai sur son lit.
- Je capitule.
Il me regarda quelques instants avec un sourire malicieux.
- Qu'est-ce que tu prépares ? demandai-je.
- Tu risques rien avec mon porte bonheur, rappela-t-il avec un doigt dans ses mèches dorées.
Je passai deux doigts sur mon serre-tête rose et soupirai.
- Tu voudrais pas faire semblant d'être un sorcier pour venir à Poudlard avec moi ? T'es le roi de l'esbrouffe, ça pourrait marcher.
- Je tiendrais pas longtemps avant de me faire repérer, opposa-t-il. Mais j'avoue que j'aurais bien aimé voir. Il y a pas de journées portes ouvertes, par hasard ?
- Tu rêves, répondis-je. C'est un des endroits les mieux protégés du monde.
- Viens dans mon collège, alors, fit-il.
- Tu me fais visiter ?
Une heure plus tard, nous étions dans l'enceinte du collège. L'endroit était entièrement désert. Escalader le grillage nous avait pris moins d'une minute.
- Bon, s'excusa-t-il, c'est moins glauque quand il y a du monde.
En passant devant un vieux bâtiment, il s'illumina.
- Many !
- Quoi ? gémis-je avec un pressentiment.
- Tu veux me rendre un immeeeeense service ? Tu nous fais rentrer, et là tu fais un petit tour de magie et abracadabra ! Les notes de mes potes se transforment en vingt sur vingt pour toute l'année prochaine !
- Je croyais que tu avais eu les félicitations ? le taquinai-je.
- Moi, oui, grimaça-t-il, mais Mathis a failli redoubler.
- De toute façon, même en admettant que je sache faire ce que tu me demandes, j'ai pas le droit d'utiliser la magie en dehors de l'école.
- Allez ! S'il-te-plaît !
- Je risque d'aller en prison, ajoutai-je.
- Si c'était pour moi, tu le ferais ? fit-il avec des yeux brillants.
- Tu aurais plus de chances de me voir devenir patineuse olympique.
- T'as pas de cœur !
- De pas vouloir finir derrière des barreaux ?
- Je t'aurais amené des jolies oranges, sourit-il.
- Ravie, répondis-je à son sourire.
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C'est à la toute fin du mois d'Août que je reçus mon premier appel sorcier. J'étais tranquillement installée dans ma chambre avec Will quand ma mère hurla depuis le salon. Nous dévalâmes les escaliers en courant et la retrouvâmes sur les fesses devant la cheminée, complètement déboussolée.
- Je crois que c'est pour toi, ma chérie, balbutia-t-elle.
La tête de Kathleen flottait au-dessus des bûches de la cheminée éteinte. Ses traits tremblotaient comme dans un mirage de chaleur. L'aspect ne jurait pas avec la chaleur étouffante environnante.
- Salut, Many, marmonna-t-elle en me voyant du coin de l'œil.
- Salut, Kathleen, c'est bizarre, t'as la tête qui flotte, souris-je.
- Many ! me tira Will. Il y a une tête coupée avec ton bois ! Ton père est un tueur en série ? Vite ! Cache-toi !
- Calme-toi, Will ! C'est une amie de Poudlard, expliquai-je en m'efforçant de trouver cette tête coupée tout à fait à sa place.
Il n'empêche que cette vision d'horreur me donnait des sueurs froides que j'avais du mal à ignorer. Je me répétais que ce n'était qu'un tour de magie, rien d'autre, mais l'impression persistait et je peinais à refréner les signaux de panique que jetait mon cerveau pêle-mêle.
- Tu as des têtes coupées parmi tes amies ? s'étrangla-t-il. Mais c'est quoi cette école de tarés ?
- C'est juste un moyen de communiquer, elle est bien vivante et entière à l'autre bout, expliquai-je autant pour me rassurer que pour Will.
- Je t'avais bien dit que t'aurais dû aller chez les mutants, me souffla Will. Eux, au moins, ils ont bon goût.
Il s'assit au pied du feu à côté de ma mère et contempla la tête de Kathleen avec fascination.
- Euh... Bien, murmura Kathleen en devenant rouge tomate malgré son teint translucide. Dis... Heu... Est-ce que, enfin, c'est pas obligé, c'est juste si tu veux, mais c'est toi qui décides, si tu veux, tu peux venir un week-end chez moi... enfin, je dis ça juste comme ça, c'est...
- Tu m'invites chez toi ? tentai-je de traduire.
- Oui, elle t'invite ! fit une voix derrière elle.
J'avais reconnu la voix d'Alyss.
- Trop bien, m'exclamai-je. Quand ?
- Ben... le week-end prochain, fit-elle dans sa barbe sous pouvoir retenir un sourire.
- Je veux bien venir à une condition !
- Ah bon ? s'étonna Kathleen avec une voix inquiète.
- Seulement si Face-de-Rat est pas invité !
Elle retrouva ses couleurs et son sourire s'élargit.
- Merci ! Je vais prévenir Mr. Fox que tu viens !
- A samedi ! retentit la voix d'Alyss par dessus des bruits d'applaudissements.
La tête se dissipa dans la cendre.
- C'était l'invitation la plus bizarre de ma vie, grimaçai-je.
- Comment tu crois qu'ils font ça ? demanda Will.
- Comment ils font quoi ?
- Ben, comment sa tête apparaît, comme ça, à distance, dit-il. C'est pas la 4G, j'imagine.
- Abracadabra, souris-je et écartant les mains.
- C'est un peu léger comme explication scientifique, fit-il.
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Je m'imaginais passer un week-end détente en compagnie de Kathleen, Alyss et la famille Fox.
J'étais à des années lumières de la réalité.
Ou plus précisément, il s'agissait en effet d'une sortie en compagnie de la famille Fox, mais celle-ci comportait une large pelletée annexe composée de tous les actuels et anciens résidents de l'orphelinat ayant répondu à l'invitation. Certains des plus vieux étaient venus en couple ou avec leurs enfants. En tout, c'était une troupe hétéroclite d'une bonne vingtaine de personnes qui s'était regroupée.
Il n'y avait qu'un seul orphelin plus jeune qu'Alyss et Kathleen. Il s'appelait Randall et du haut de ses cinq ans, il jouait au grand frère avec les rares enfants en bas âge des couples présents. La majorité des anciens résidents de l'orphelinat avait dans les vingt ans. La faute à la guerre contre le mage noir se faisant appeler Voldemort à l'époque, m'expliqua Alyss. En particulier la bataille de Poudlard. Je fis mine de m'intéresser mais je voyais très bien à quoi il faisait référence.
L'un d'eux passait son temps à gesticuler dans tous les sens et à rire bruyamment quand nous nous installâmes finalement au bord d'un lac. Je me posai sur l'herbe sèche à côté de Kathleen. Sa coupe informe n'avait pas changé d'un poil, et ses cheveux roux venaient onduler mollement autour d'un visage aussi minuscule et rachitique que sa silhouette. La seule chose qui avait évolué chez elle pendant l'été, c'était le nombre de tâches de rousseur qui avait triplé. Rowena et Alyss s'étaient allongés l'un sur l'autre juste à côté d'elle. J'avais l'impression que les cheveux châtains de Rowena avaient encore poussé. Ils s'étalaient comme des rubans sur le ventre d'Alyss contre lequel elle reposait. La frange du garçon était à l'opposé de celle bien coupée de Rowena. Les mèches d'encre d'Alyss coulaient devant ses yeux noirs, et il passait son temps à se secouer pour les chasser.
L'air était une fournaise.
Nous avions à peine fini de nous mettre en maillot quand la tête de Lyra apparut au-dessus de nous. Elle avait mis un bikini mais son élastique à cheveux favori ornait toujours le sommet de sa tête, relevant une frange trop longue en une demi-queue touffue. Le reste de ses cheveux cascadait jusqu'à sa taille dans la même teinte que ceux de sa petite sœur. Elle me fixait de son habituel air de rapace. Notre dernière conversation concernait le mystérieux Franck-Jean-Eudes-Jessie. Je me demandais si l'énigme la travaillait encore.
Certainement.
- Salut, Baker. Bienvenue chez les fous, fit-elle en haussant un sourcil en direction du groupe de vingt ans qui s'esclaffait bruyamment derrière.
- Salut, Lyra, répondis-je. J'ai plus l'impression d'une grande famille qui s'éclate qu'une bande de fous. Merci de m'avoir invitée, au fait.
- T'inquiète, s'exclama Alyss en balayant l'idée de la main. Ça fait plaisir.
- En fait, c'est surtout que toute la famille au complet a versé des larmes de joie en apprenant que Kathleen s'était enfin faite une copine, corrigea Lyra. Tout le monde voulait savoir qui était cette mystérieuse...
- TREMPEEEEEEETE !
Le cri venait d'un des garçons du groupe de derrière, celui avec la peau bronzée, le nez maghrébin et des cheveux bruns ébouriffés. C'était celui qui s'agitait le plus et parlait le plus fort. Il avait bondi et fauché les jambes de Lyra, avant de la soulever et de courir avec elle sur le ponton du lac pour enfin sauter dans l'eau du lac dans un fracas d'éclaboussures. Leurs têtes réapparurent après quelques dizaines de secondes à la surface. Le garçon riait aux éclats et envoyait des gerbes d'eau sur sa victime.
Devant mon air interdit, Alyss tenta une explication.
- C'est Charlie qui a inventé la trempette. Il a décidé que dès que quelqu'un disait un truc désobligeant, c'était la trempouille.
Je songeai que si Will était là, il serait déjà immergé depuis longtemps.
- Ha, acquiesçai-je. C'est rigolo. Lyra doit avoir le record, non ?
- TREMPEEEEETE !
Mes pieds décollèrent du sol brusquement. Je rencontrai l'eau avec un gros plouf. Au fond de l'eau, je comptai cinq secondes puis l'étreinte se desserra et je refis surface. Le visage blasé de Lyra me faisait face. Les deux garçons claquèrent leur paume en continuant de rire.
- Bien joué, Galahad ! J'appelle ça de la trempette de qualité.
- La tienne aussi, Charlie !
- J'ai rien dit, me défendis-je en recrachant.
- Humm, sourit le costaud blond qui s'appelait Galahad. Lyra doit avoir le record, non ? imita-t-il dans une voix féminine ridicule.
- Moi, la plus trempée, Baker ? Sans rire ? se moqua Lyra. Même en additionnant nos scores de trempage, Rowena et moi, on arriverait même pas à effleurer le centième du record de Slyha.
- Mon oreille me dit que quelqu'un n'a pas été assez trempée, fit Charlie.
Il sauta sur elle et coula ce qui dépassait de l'eau. Les deux restèrent au fond une vingtaine de secondes puis jaillirent à nouveau.
- Il y a que la vérité qui blesse, de toute manière, déclara Lyra après avoir craché une gerbe d'eau sans grand intérêt pour ce qui venait de lui arriver.
Plus loin, sur l'herbe, une silhouette qui bronzait à l'écart du groupe s'était levée et approchait le long du ponton. Elle avait des lunettes de soleil, un chapeau et tenait toujours le magazine qu'elle était en train de lire.
C'était impressionnant de constater le degré de ressemblance physique des trois sœurs Fox. Slyha devait avoir trois ans de plus que Lyra sans pour autant être très grande pour son âge malgré ses formes déjà adultes. Elle avait la même cascade soyeuse de cheveux châtains à peine cuivrés, la même silhouette menue, le même port de tête un poil arrogant. Sa frange était moins ordonnée et repoussée sur un côté. Elle s'arrêta au-dessus de nous, sur le bout du ponton de bois.
- J'ai entendu des saletés sur mon dos, par ici.
Puis elle parut découvrir ma présence et garda le silence pendant que Charlie la suppliait de venir dans l'eau. Difficile à dire avec ses lunettes de soleil, mais j'avais l'impression inconfortable d'être étudiée en détail.
- C'est toi, la pote sang-de-bourbe de Kath ? Je m'attendais à quelque chose de plu...
Elle poussa un cri quand Charlie attrapa sa cheville et la fit basculer au fond du lac en hurlant. Le chapeau flotta quelques instants à la surface, tout esseulé.
- Qu'est-ce que je disais, me glissa Lyra pendant qu'ils réapparaissaient. Preuve en image.
La grande sœur ramassa ses affaires qui flottaient mollement autour de sa tête en promettant à son malfaiteur toutes sortes de maux pour avoir rendu son magazine illisible et regagna rageusement la terre ferme avant de s'isoler à nouveau. Charlie haussa les épaules mais les menaces de Slyha lui avaient fait perdre son sourire. Il le retrouva bien vite quand un de ses amis souleva Alyss en hurlant « TREMPEEETE ! » pendant que celui-ci s'insurgeait qu'il n'avait rien dit. Il le fit taire en un Plouf.
- Je croyais que la trempette concernait que les remarques méchantes, questionnai-je.
- Parfois c'est juste au hasard, fit Lyra avec détachement. Faut pas chercher la logique.
- Charlie et la logique c'est antinomique, renchérit Rowena de là-bas.
- TREMPEEEEETE !
Plouf.
- C'est juste que ça a tendance à hacher un peu les conversations, poursuivit Lyra.
- Oui mais c'est rigolo et le but c'est que tout le monde soit dans l'eau ! rétorqua le blond bouclé baraqué qui s'appelait Galahad.
En effet, dans les dix minutes, tout le monde était mouillé et la plupart étaient restés dans l'eau.
- Lyra ! Concours d'apnée ? lança un troisième garçon du groupe de Charlie assez mignon avec les cheveux longs et clairs.
- T'es sûr de toi, Olaf ? répondit-elle. J'aime bien gagner, certes, mais on se lasse.
- Sûr ! Je me suis entraîné à fond, je vais t'exploser.
- Moi aussi je veux jouer ! s'interposa Alyss.
- Moi aussi alors, fit Galahad.
Charlie se joignit au concours, ainsi qu'une autre fille de vingt ans avec des boucles noires. Personne d'autre ne fit signe pour participer, mais tout le monde vint regarder.
- Rowe, tu nous arbitres ? demanda Charlie.
Elle soupira et acquiesça, puis fit le décompte avant le départ. Lorsqu'elle arriva à un, tous prirent une grande inspiration et se laissèrent couler.
- On lance les paris ? fis-je.
Je n'obtins pas beaucoup de succès.
- Pourquoi faire ? grogna un garçon d'une trentaine d'années.
- C'est toujours la même chose, me glissa Kathleen. Zéro suspens.
Ils ne furent pas déçus. Alyss et Charlie réapparurent rapidement en pestant. Puis les boucles blondes et la masse de Galahad sortirent à leur tour. Un long moment s'écoula, puis la fille aux cheveux bouclés vint remplir ses poumons d'air brutalement. Encore une minute, peut-être, puis ce fut le beau gosse aux cheveux longs qui refit surface avec maintes respirations, suivi de peu par Lyra.
- Gagné, lâcha-t-elle entre deux inspirations.
- Je confirme, attesta sa petite sœur. Une minute cinquante huit pour Olaf et deux minutes et une seconde pour Lyra.
- J'ai battu mon record ! s'écria le premier.
- J'ai battu ton record ! se moqua la seconde.
- C'est traître de ta part, reprit-il. Tu sors toujours juste après moi !
- J'allais pas sortir juste avant toi, railla Lyra.
- C'est pas ce que je veux dire ! Comme tu sors juste après, j'ai l'impression qu'il me faut pas beaucoup plus pour te battre, et à chaque fois, paf ! Je reste plus longtemps, et toi aussi !
- Fascinante analyse.
Il poussa un cri mi-frustré mi-rire et la coula. Sans grand succès, puisqu'ils furent visible à nouveau hors de l'eau une minute plus tard dans le même état.
La chaleur de milieu de l'après-midi nous aspira toute énergie et nous réduisit à l'état de larves étalées dans l'herbe. Nous profitâmes de l'endroit pour faire du repas du soir un agréable pique-nique au bord du lac. Le soleil était déjà bas derrière les arbres quand Mr. Fox proposa d'aller commencer à préparer le campement avant que la nuit tombe.
Il nous fit prendre un sentier sinueux dans les bois qui serpentait entre des feuillus touffus, bordé de fougères immenses parmi lesquelles se cachaient de vicieuses branches de houx. Il avançait en tête de file, la baguette levée en quête de quelque chose. Sa grande taille et ses cheveux roux en brosse le rendaient bien visible à tous ceux qui suivaient.
La luminosité s'affaiblissait de minute en minute à présent. Les plus âgés avaient déjà illuminé le bout de leurs baguettes. Nous marchions depuis une bonne trentaine de minutes quand Mr Fox s'arrêta en étudiant sa baguette. Il marmonna et quitta le sentier à travers les fougères. Tous suivirent. Les plus petits étaient depuis longtemps sur les épaules des parents, et Rowena donnait la main à Randall. Le frais du sous bois était agréable.
Nous finîmes par arriver dans une minuscule clairière. Enfin, ce n'était pas vraiment une clairière, juste un endroit où les arbres étaient moins denses, mais où les fougères et le sous-bois envahissaient encore tout l'espace. Et ce n'était pas la peine d'espérer voir le ciel à travers les feuillages. Bref, à ce moment là, Mr Fox s'approcha d'un arbre plus gros que les autres et tapota le tronc en marmonnant. Le fin creux au sein d'une fissure dans le tronc s'élargit peu à peu jusqu'à avoir une largeur suffisante pour laisser passer une personne penchée. Il baissa la tête et entra à l'intérieur de l'arbre.
Lorsque ce fut mon tour d'entrer, je retins mon souffle et me baissai pour pénétrer dans le creux. J'émergeai dans une ambiance ocre agréable et chaleureuse. L'intérieur de l'arbre était bien plus grand que l'extérieur. J'avais beau m'en douter, l'imagination a ses limites et la réalité vous frappe de plein fouet lorsque vous y êtes confronté. Le sol était légèrement gondolé et ressemblait à une souche géante coupée approximativement puis polie. Les murs étaient dans la même veine, et ondulaient comme des pans de rideaux tout autour, formant de larges gouttières verticales. Des escaliers étaient taillés avec précision par endroits, menant vers des niches en hauteur invisibles d'ici, et dont les marches étaient usées au centre par les passages répétés.
Les premiers entrés s'installaient déjà dans les différentes niches dans un brouhaha accueillant. Je rendis son sourire à Kathleen quand elle entra après moi. On pouvait sentir dans son expression qu'elle était toute contente que l'endroit me plaise. Elle était probablement loin d'imaginer l'émerveillement qui m'étreignait depuis que j'étais entrée. J'aurais tellement aimé que Will soit avec moi...
- Lyra, Rowena, vous allez dormir dans la chambre du Loir avec Kathleen, Alyss et Malany, déclara leur père en passant. Je vous ai mis vos affaires dedans, déjà. Ne veillez pas trop tard, hein ? Je compte sur toi pour surveiller les plus petits, Lyra.
Il disparut dans le bazar de sorciers, sorcières, enfants et affaires volantes en tout genre.
- Suivez la baby-sitter, fit Lyra avec un signe.
Les escaliers nous conduisirent dans un petit tunnel creusé dans le bois, menant à un tout petit refuge où on ne tenait pas debout. Il y avait quand même assez de place pour qu'on puisse tous s'allonger confortablement sans s'empiler. Kathleen me montra comment installer le matelas et le sac de couchage.
- Vous venez souvent ici ? demandai-je.
- Tu veux dire à l'Arbre Creux ? Tout le temps, répondit Alyss en serrant Rowena et Kathleen. C'est le paradis.
Lyra ne sembla pas offusquée de ne pas avoir été intégrée dans l'accolade.
- L'Arbre Creux ? répétai-je. Pourquoi est-ce que ça me dit quelque chose ?
- Il doit sûrement y avoir des tas d'arbres creux chez les moldus aussi, supposa Rowena.
- Ce sont vos parents qui l'ont construit ?
- Hein ? Non, tu rigoles ! C'est de la magie architecturale avancée, ça, fit Rowena, je doute que papa ou même maman soient capables de faire ça. Et puis c'est bien plus vieux.
- Ah ouais ? Je me suis jamais posé la question, remarqua Alyss.
- Qui c'est, alors, Rowe ? demanda Kathleen.
- Je crois que papa m'avait dit que l'Arbre Creux datait de l'époque de la construction de l'orphelinat. C'est le même sorcier qui a crée les deux. L'arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père de papa. Jim, ou Jimmy, j'ai oublié. Comment il s'appelait, Lyra, l'ancêtre de papa ? Celui qui a donné son nom à l'orphelinat. Je l'ai sur le bout de la langue, c'est frustrant...
- James Matthew Barrie, l'aida-t-elle en continuant de faire son lit. Mais c'est pas notre ancêtre, c'était son ami, seulement.
- Ah oui, c'est ça, continua Rowena. C'était un architecte super doué, il a crée le plus grand orphelinat de sorciers de Grande Bretagne et en plus de ça il a écrit des tas de contes pour moldus.
- C'est fort ! s'exclama Alyss d'admiration. J'aimerais bien devenir architecte, moi.
- C'est nouveau, ça, titilla Rowena.
- Ce serait tellement cool de pouvoir créer des endroits comme ici, expliqua-t-il.
- Au lit, les enfants, grogna la voix de Lyra. J'éteins dans cinq secondes.
Elle était déjà emmitouflée dans son duvet. La lumière venait d'un petit orbe orangé tourbillonnant dans une alcôve de bois creusée dans la paroi.
- Nox.
Il y eut un concert de plaintes et réclamations qui finirent dans le vide. Je cherchai la tête de mon duvet à tâtons et me glissai à l'intérieur. Ma main alla explorer dans le noir à ma droite et rencontra un visage.
- Hé ! fit la voix de souris de Kathleen.
- Oups. Pardon.
- Pourquoi est-ce que tu as éteint si vite ? râla Rowena. Je trouve plus mon duvet.
- J'ai prévenu que j'allais éteindre, opposa Lyra.
- Il est là, Rowe, tiens, prends ma main, dit la voix d'Alyss.
- Merci.
On entendit un froissement et un pied vint pousser mes orteils. Après quelques secondes d'agitation à côté, ce fut le silence. Le reste de l'Arbre Creux restait muet.
- Baker, t'es réveillée ?
- Oui, répondis-je en me demandant ce qui pouvait bien motiver Lyra à m'adresser la parole.
- Je voulais juste que tu saches que Slyha est pas une mauvaise personne. Ce qu'elle t'a dit tout à l'heure, je suis sûre qu'elle le pensait pas. J'espère que tu l'as pas mal pris.
- Non, non, lui assurai-je en le pensant vraiment. Tu sais, j'ai toujours vécu en dehors de la magie, alors ce genre de mot est assez vide de sens pour moi. Sur le plan émotionnel, du moins.
- Bon, tant mieux.
Je me lovai dans mon duvet en bénissant la magie architecturale auto-climatisante.
- Lyra, Rowe, est-ce que mes parents étaient des moldus ? fit une petite voix.
- En quoi est-ce que c'est important, Kath ? répondit Rowena.
- Ouais, on s'en fiche, renchérit Alyss.
- Vos parents étaient sorciers, lança Lyra.
- Comment tu sais ? s'étonna-t-il.
- Des moldus n'auraient pas déposé leur bébé devant un orphelinat de sorciers, expliqua-t-elle, bébé qui par miracle s'avère être un sorcier. La probabilité de ce genre de coïncidence est pas loin de zéro.
- En plus, tu as ta broche, ajouta Rowena.
- Quelle broche ? je demandai.
- Sans lumière, je vais pas pouvoir te montrer, se désola Kathleen.
- Attends, maman m'a donné une lampe de poche.
Je fouillai dans mon sac. En l'allumant, je découvris des visages aussi émerveillés que l'était le mien tout à l'heure.
- Ouaaah !
- Comment ça marche ?
- C'est moldu ?
- Je vous la prêterai après si vous voulez, les calmai-je. Montre, Kathleen.
Elle fouilla son sac à son tour et en sortit une jolie broche ornée d'un blason. Une sorte de léopard était représenté, bizarrement enroulé autour d'une tour crénelée, l'aspect en deux dimensions rendant l'ensemble encore plus étrange.
- C'est une broche qui appartenait à mes parents, me raconta-t-elle. Enfin, je crois.
- J'aimerais bien avoir une jolie broche de mes parents, aussi, dit Alyss.
- T'as de jolies sœurs à la place, le taquina Rowena. C'est pas assez bien pour toi ?
- Hummm... Je vais réfléchir à la question. Peut-être avec un câlin... ?
Puis il se mit a rigoler tendrement et j'imaginais ses sœurs adoptives se coller contre lui. J'aurais bien aimé avoir des frères et sœurs, moi aussi.
Non. Je me trompais. J'avais Will. C'était comme un frère jumeau. L'idée de le quitter encore pendant un an brouilla mon esprit de peine. Si seulement il pouvait venir avec moi...
- Je vous mérite pas, gémit une toute petite voix.
- Bah, fit la voix douce d'Alyss. Pourquoi tu dis ça, Kath ?
- Vous êtes toujours trop gentils avec moi alors que j'apporte que des ennuis...
- Tu inclus Lyra dans vous ? lança Rowena d'un ton dubitatif.
- Je vous l'ai jamais dit parce que j'avais peur que vous arrêtiez de bien m'aimer, continua Kathleen, mais parfois je voulais tellement une famille rien que pour moi que lorsque Mr. Fox et moi on sortait seuls en ville, je faisais tout comme si c'était mon vrai papa. Quand il avait le dos tourné, je mentais. Comme on a la même couleur de cheveux, les gens acceptaient ça comme une évidence, et ça me faisait plaisir. Mais en fait c'est un peu comme si je vous volais votre papa. Je le savais très bien, mais je continuais quand même. Il m'arrive encore de le faire de temps en temps. Je suis désolée...
- C'est tellement vil que je me sens trahie rien que par ta présence, ricana Lyra. Je te pardonnerai jamais.
- Arrête, Lyra, t'es pas drôle, répliqua Rowena. Kath, je dois bien avouer que j'ai été malade de jalousie envers chacun des enfants de l'orphelinat de papa tour à tour, quand j'ai compris qu'il vous aimait plus que ses propres filles. Mais toi, ou Alyss, jamais. La seule chose que j'aie jamais ressenti pour vous deux, c'est de l'amour fraternel.
- Ooooh, c'est trop mignon, gémit Alyss avec sincérité.
- Merci, Rowe, ajouta la voix chargée d'émotions de Kathleen.
- Vous vous rendez compte des niaiseries que vous me forcez à supporter ? commenta Lyra.
Personne ne fit attention à sa remarque et dans le noir se fit entendre de bruyants sons de bisous et de rires. Lyra émit une exclamation accompagnée d'un « cassez-vous, les biseux, je suis allergique à la bave ».
- Je suis sûr que Malany aussi veut participer, retentit la voix d'Alyss.
Je n'eus pas le temps de répliquer avant qu'un tas de salive s'écrase sur ma joue droite. Je râlai pour la forme et me joignis à la guerre du bisou.
- Je suis pas fatigué, surgit à nouveau la voix d'Alyss tandis qu'il s'éclairait le dessous du menton avec la lampe de poche qu'il venait de piquer. On raconte des histoires qui font peur ?
- T'en as encore en réserve ? s'étonna Rowena.
- Plein. Sinon, je peux aussi en inventer.
- Cool ! l'encourageai-je.
- On peut aussi dormir, proposa Lyra. On s'épargnera le mille et unième recyclage du même scénario.
- Vas-y, toi, t'as qu'à en inventer un au lieu de critiquer mon inspiration ! s'indigna Alyss.
Elle souffla.
- Si vous voulez... Alors... C'est une petite fille à qui sa tante offre une poupée magique qui parle et la nuit elle chante des chansons qui font peur et après elle la mange.
Elle laissa le silence continuer.
- C'est tout ?
- En plus c'est copié sur l'histoire de la dernière fois et aussi sur cette de l'été dernier, bouda Alyss.
- Tu vois que tu admets toi-même que tu t'es auto copié, remarqua Lyra.
- Mais non, c'est pas... C'est... s'embrouilla-t-il.
- Laisse tomber, de toute façon, Lyra a jamais été capable de jouer le jeu, lança Rowena.
Un froissement nous informa que cette dernière n'était pas de cet avis.
- Ne dis pas n'importe quoi, tu sais très bien que j'adore jouer.
- Tu parles. Tout ce que tu sais faire, c'est gagner.
- C'est pas ma faute si ce sont toujours les autres qui perdent, commenta Lyra.
- Ce que je veux dire, c'est qu'en général les gens jouent pour s'amuser. Juste le fait de participer rend le moment convivial.
- Je vois pas quel intérêt il y a si tu joues sans essayer de gagner.
- Tu vois ? C'est pareil qu'avec Olaf, continua Rowena.
- Quel rapport avec Olaf ? s'irrita Lyra.
- Le rapport que tu sors toujours du l'eau juste après lui.
- Encore ? Mais vous avez tous un problème, aujourd'hui ? C'est le but-du-jeu, articula-t-elle.
- Mais pourquoi juste après lui ? Pourquoi est-ce que tu restes pas plus ?
- Parce que quel intérêt ? Vous allez me rendre dingue !
J'entendis Rowena émettre un bruit de dédain.
- Je capitule, fit-elle.
- Je comprends ce que tu veux dire, Lyra, tentai-je pour ne pas la laisser débattre toute seule.
- Toi, miss lèche-bottes, fais dodo, me lança-t-elle.
- Allez, adoucit Alyss, réconciliation de frangines.
Je sentis une main palper dans le noir à la recherche de quelque chose. Je compris qu'il avait réuni les mains de Rowena et Lyra quand ces dernières poussèrent un grognement agacé.
- C'est vrai que tu pourrais rester beaucoup plus longtemps sous l'eau, Lyra ? demanda une petite voix innocente près de moi.
- Pas beaucoup plus longtemps, Kath, répondit-elle après un blanc. Plus longtemps.
- Je suis sûr que c'est à ton club de ninja que t'apprends ce genre de trucs, supposa Alyss.
- N'importe quoi, fit Lyra.
- C'est pas ça ?
Elle ne répondit pas. Mais tout le monde attendait l'explication. Je ne captais pas grand chose mais je faisais comme si. Elle finit par craquer et éclater de rire, ce qui aurait le potentiel de donner froid dans le dos à un iceberg. Son ricanement de sorcière avait un accent de fin du monde. Je m'étais déjà fait la remarque mais dans le noir l'impression était décuplée.
- Si, si, c'est ça, tu as raison, j'apprends l'apnée au club d'escrime.
- Elle se moque de moi, geignit Alyss.
- Tu t'attendais à quoi, comme réponse ?
- La vérité, répondit Alyss avec sincérité. Tu veux pas nous dire d'où tu sors tes super-pouvoirs ?
La référence ramena encore le fil de mes pensées vers Will. Après nos retrouvailles de cet été, notre séparation allait être insupportable.
- Oubliez vos histoires de super-pouvoir. Je me suis entraînée, c'est tout, répondit Lyra.
- Pourquoi faire ? fit Alyss avec curiosité.
- Tu fais jamais d'effort sans but, ajouta Rowena.
Le soupir de Lyra parvint jusqu'à mes oreilles. Celui-ci n'était ni exaspéré, ni ennuyé. C'était plus un soupir de résignation.
- Vous en parlez à personne ?
- Personne ! Promis, jura Alyss.
- Rowena ? Papa et maman m'ont jamais officiellement interdit de t'en parler mais je pense que c'était implicite.
- Promis, je garde ça pour moi, accepta sa sœur.
- Kath, ça vaut pour toi aussi. Et Baker, tu peux aller raconter ça à tes trois petits blaireaux, je m'en tape. Ils auront oublié dans deux jours.
Je ne savais pas si je devais m'offusquer ou être contente d'être dans la confidence. Je choisis de me taire.
- Rowe, tu te souviens de cette vieille sorcière un peu allumée qui était venue pour une adoption ? Papa avait dû hausser la voix pour lui expliquer qu'elle était bien trop barge pour être éligible. Tu vois quand ? C'était l'été où Slyha était partie en voyage linguistique.
- Ah, oui, je crois que je me souviens.
- Moi aussi, ajouta Kathleen. C'est celle qui lisait dans les tasses de thé.
- Ouais, ben justement... Tout le monde avait de jolis animaux mignons et des destins arc-en-ciel, alors que moi je me suis retrouvée avec un requin et un destin catastrophique. Enfin c'est ce que j'ai interprété à la tête de la vielle folle. Maman l'a mise à la porte avant qu'elle ait pu dire quoi que ce soit.
- Oui, c'est vrai, elles étaient restées dehors un moment, compléta Rowena. J'ai toujours cru que tu avais eu un joli truc comme nous.
- Non. Maman m'a prise à part le soir même pour me parler d'une vieille prophétie que sa famille se transmettait de mère en fille, qui s'était jamais réalisée. La vielle dame venait de la lui redire mot pour mot dehors.
- Je vois pas trop le rapport avec les concours d'apnée, fit Alyss.
- Laisse-la finir, le bouscula Rowena, pour une fois que Lyra nous fait des confidences !
- Motus et bouche cousue, fit-il. Elle racontait quoi cette prophétie, Lyra ? Un truc lugubre ?
- Non, pas vraiment lugubre. Plutôt du style incompréhensible. Je la connais encore par cœur. J'ai jamais pu l'oublier, même si c'est du grand charabia pour la majeure partie : Le jour où le rouge et les quatre seront unis ; En un enfant de cent ans vénérable ; S'épanouira la noirceur véritable ; Se répandant sans ennemi ; Seule la Renarde son énergie saura dérober ; Pour que toute vie nuisible soit éteinte ; Et que la vie restante de liberté soit teinte ; Le savoir du sang moldu sera autant la clef que l'adversité ; La plongée dans les eaux profondes la laissant inerte ; Mais en le faisant sien liberté lui sera offerte ; Son souhait le plus cher enfin exhaussé. Après ça, je me suis dit naïvement que si je devais aller explorer les fonds marins, autant apprendre à retenir ma respiration. J'avais huit ans, hein, donc pas de commentaire. Et puis avec le temps j'ai fini par comprendre que cette prophétie était un ramassis de stupidités sans queue ni tête et que j'avais d'autres choses de plus intéressantes à apprendre. Enfin, si ça peut m'éviter de finir noyée un jour, c'est toujours ça d'acquis.
- Ha ! s'exclama Alyss. J'ai vu clair dans ton jeu ! Depuis le début, tu nous fais ton histoire qui fait peur, non ? J'avoue, elle fait flipper grave !
- Mais... hésita Lyra sans voix, mais que quelqu'un le lobotomise !
- Alyss, chuchota Rowena, c'est une vraie histoire.
- Un enfant de cent ans, ça veut rien dire, remarqua Kathleen.
- C'est peut-être une métaphore, proposai-je. Un vieillard très âgé redevient un peu comme un enfant.
- Rouge et quatre c'est quatre Gryffondor, poursuivit Alyss comme si sa précédente remarque n'avait jamais existé.
- Je vois pas pourquoi il faudrait forcément que ça ait un rapport avec Poudlard, répliquai-je. La première phrase peut faire référence à absolument n'importe quoi.
- Mais surtout je vois pas en quoi plonger dans les eaux profondes peut permettre de trouver un moldu, continua-t-il.
- C'est peut-être un cadavre, fis-je.
- Cool !
- Transplanez-moi dans une famille avec plus de deux neurones collectifs, par pitié, soupira Lyra.
Le seul effet fut de déclencher un rire contagieux qui eut grand mal à s'éteindre. Mais c'est ce qui finit par se produire quand une grosse voix nous ordonna de nous taire et de dormir. Je finis par me laisser aller dans le sommeil et rêvai que Will recevait une lettre d'excuse pour avoir oublié de lui envoyer sa lettre d'admission à Poudlard.
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