Chapitre 14 - Double disparition


Chère Many,

J'espère que la rentrée se passe bien pour toi. Moi, je suis toujours ultra populaire et tous les cinquième m'adorent. Il faudrait que je te fasse rencontrer des amis. Enfin, pour ça il faudrait que j'évite de leur dire la vérité sur toi. Parce que si je leur dis qu'il vont rencontrer une goule, ils vont flipper. Quoique. T'es végétarienne ?

Fais des bisous à Kitty de ma part. Ne lui dis surtout pas que mon pote Mathis la trouve mignonne sur la photo que je lui ai montré ! Tu gâcherais mon plan. Dis-lui juste que j'aimerais bien encore faire un concours de miaulement avec elle l'été prochain. Tu l'inviteras, hein ?

Au fait, est-ce que tu vas rentrer pour Noël, cette fois ? Ne vas pas t'imaginer que tu me manques déjà mais je demande juste comme ça, au cas où.

Bisous !

William.

PS. N'oublie pas que ton serre-tête est un puissant porte bonheur ! Ne t'en sépare jamais !

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- C'est le démon des cachots ! L'année dernière, il a été privé à cause de notre déménagement à Treehall, alors cette année il se venge en martyrisant deux fois plus d'élèves !

- Mais non ! C'est le concierge ! Il a manqué de sang frais l'an dernier alors il doit se rattraper cette année pour se refaire une santé !

- Moi je dis que cette histoire d'épouvantail maudit est de plus en plus vraisemblable !

- Rigolez pas trop, parce que disparaître dans l'aile Ouest pendant deux mois, ça doit pas être facile ! Vous avez pas idée de toutes les créatures horribles qu'on peut y rencontrer, là-dedans !

- Vous comprenez rien ! C'est parce que cette année, il y a trop d'élèves doués, alors la malédiction en fait disparaître un peu plus que d'habitude, pas de quoi devenir hystérique !

La trêve de l'an dernier au sujet des théories farfelues avait pris fin avec la double disparition. L'imagination de certains défiait toute limite.

Une semaine après l'annonce de Swan, une nouvelle tête fit son apparition à la table des profs pendant le repas du soir. L'homme avait un physique rachitique et un teint gris maladif. Son faciès osseux et ses énormes oreilles décollées lui conféraient une certaine ressemblance avec un vieux chimpanzé.

- C'est qui lui ? fit Zach. Faut le nourrir. Vous avez vu sa tronche de zombie ?

- Votre attention s'il-vous-plaît, se leva Swan.

Les commérages se turent petit à petit.

- Nous accueillons à partir d'aujourd'hui Christiaan Van Coevorden, un tireur d'élite de la Brigade de Police Magique venu mettre un terme à ces disparitions inexpliquées. Je vous prie de bien l'accueillir et d'accepter de répondre à ses questions si besoin est.

Elle l'invita à se lever et celui-ci s'exécuta.

- Je ne perturberai pas la vie de l'école, dit-il. Je me ferai aussi discret que possible.

- C'est sûr qu'avec son profil de papier calque, on risque plus de l'oublier que de se sentir envahi, nota Zach.

- Soyez assurés que je mettrai la main sur l'auteur des disparitions et que je l'empêcherai de nuire. Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles.

- On pourrait presque dormir sur les siennes, d'oreilles, commenta Zach.

- Bon, ça suffit les remarques blessantes, là ? lança Plumeau. On dirait Apollo.

- Hein ? Me compare pas avec ce dealer de faykrill, ça me vexe profondément.

Elle lui sourit et il ne put maintenir son air rageur un instant de plus. Il gloussa de contentement et posa sa tête dans sa main.

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- Jojo-de-mon-cœur, qu'est-ce que tu fabriques ?

- C'est la faute de Steven, râla Joey. Il tacle le souaffle à Brutus alors que c'était moi qui étais dessus.

- Si tu me vois tacler un poursuiveur de l'équipe adverse, Jojo-biquet, ton job, c'est de dégager, rétorqua l'autre avec une douceur forcée.

- Mais c'était moi qui...

- Stop ! Tous à terre ! hurla Marvin.

J'arrêtai mon vol et descendis en douceur pour me poser sur la pelouse près du capitaine. Les autres joueurs firent de même. Le premier entraînement de Quidditch était plus mouvementé que ce à quoi je m'attendais. Marvin avait commencé par un exercice de tacle et nous avions tous pris le rôle de poursuiveur.

- Jojo-de-mon-cœur, si un de tes coéquipiers récupère le souaffle à l'équipe adverse, tu dois te démarquer pour lui permettre de te faire une passe. Qu'est-ce qui t'arrive ? Je sais que tu joues bien, sinon je me demanderais ce que je fais avec toi ici.

- Mais on avait dit que c'était à mon tour de tacler, geignit-il.

- Dans un match, il y a pas de tour, rappela Marvin. Lorsque l'occasion se présente pour voler le souaffle à l'équipe adverse, vous devez sauter dessus. Si c'est votre coéquipier qui a l'occasion, laissez-la lui. C'est un sport d'équipe !

- Allez, fit Littlerock en essuyant le visage de Joey, sèche tes larmes. On y retourne. Je te laisse tacler si tu me fais une belle passe après.

Joey s'illumina et Marvin nous renvoya à nos balais. Il monta sur le sien et se mit à la place du gardien.

Cinq minutes plus tard, Joey braillait à nouveau.

- Qu'est-ce qu'il se passe, encore ?

- Norah elle fait toujours la passe à Steven, jamais à moi !

- T'étais pas démarqué, Joey, se justifia Littlerock. Brutus aurait intercepté le souaffle.

- Bon, ça suffit, Jojo-de-mon-cœur, travailler en équipe c'est aussi savoir quand laisser briller ses camarades, lui adressa Marvin. Encore une interruption comme ça et tu vas sur les gradins. On reprend.

Je prenais goût au rôle de poursuiveur. Je me débrouillais mieux à la batte grâce aux souvenirs des compétitions de criquet du primaire, mais je devais avouer que la sensation d'envoyer le souaffle dans les anneaux était quand même plus cool.

- Bon, c'était très bien, conclut Marvin au bout de vingt minutes. On va faire un exercice en conditions réelles. Deux équipes avec chacune un batteur et deux poursuiveurs. Je ferai l'arbitre. Pas de gardien pour l'instant. Pour faire des équipes assez équilibrées, Norah, tu prends Brutus et Malany avec toi, contre Steevie-joli, Riri-d'amour et Jojo-de-mon-cœur. Allez-y.

J'allai chercher ma batte avec Zach et rejoignis mon équipe. Le souaffle était à Brutus, pour commencer. Il était censé jouer le rôle de gardien, mais il était aussi bon aux autres rôles. Son obésité ne paraissait pas le gêner le moins du monde dans ses mouvements.

Steven était un vrai suppositoire. Mes cognards n'arrivaient même pas à lui faire changer de trajectoire. En revanche, je réussis à gêner plusieurs fois Joey. J'étais plutôt fière de moi. Mais nous perdîmes quand même et les frères Andersen nous narguaient en se posant sur l'herbe.

- Bon, c'était pas mal, nous encouragea Marvin. L'équipe Littlerock, est-ce que vous pouvez me dire pourquoi vous avez perdu ?

- Parce que Zach est mille fois meilleur batteur que moi, répondis-je avec un sourire d'excuse.

- Pas faux, admis Marvin.

Zach avait monopolisé le cognard et harcelé Littlerock pour l'empêcher de s'approcher des buts. Je commençais à comprendre l'importance du rôle des batteurs. En s'y mettant sans relâche, ils pouvaient être une telle gêne pour les poursuiveurs que marquer devenait mission impossible.

- Tu t'en es pas mal sortie, me reprit Littlerock. Tu vas voir, Zach va t'apprendre ses astuces et tu vas déchirer. Non, je pense que c'est surtout que Brutus se reposait trop sur moi.

- Exactement, pointa Marvin. Brutus, tu faisais toujours immédiatement la passe à Norah même lorsqu'elle était pas démarquée et vous avez souvent perdu le souaffle à cause de ça. T'as le droit de garder le souaffle plus longtemps. Même, t'as le devoir de le faire lorsque tes partenaires sont pas accessibles. Aies plus confiance en toi.

- Ah. Ouais. T'as raison, admit Brutus. Je suis pas super à l'aise comme poursuiveur.

- Ensuite, équipe Andersen, se tourna Marvin. Quel a été votre principal défaut ? Qui est d'ailleurs un défaut si grand que je me demande bien comment vous avez gagné.

- Jojo-biquet se la jouait perso, répondit Steven.

- Quoi ?

- Fais pas cette tête, Jojo-de-mon-cœur, tu le sais très bien, valida Marvin. Je vais te faire la remarque inverse que celle que j'ai faite à Brutus. Tu gardes le souaffle pour toi même lorsque ton coéquipier est bien placé pour saisir une occasion.

Joey grogna.

- On fait la revanche, annonça Marvin. Je vous regarde bien. Vous avez intérêt à corriger tout ce qu'on vient de dire.

Cette fois, notre équipe gagna et je parvins même à faire dévier Steven au point de lui faire manquer sa cible.

- Alors, toutes mes félicitations à l'équipe Littlerock qui a bien su digérer les remarques et s'améliorer. Malany, bravo. Brutus, excellent. Norah, bah, comme d'hab, c'est parfait.

Je claquai ma main dans celle de mes coéquipiers.

- Par contre, équipe Andersen, c'était la catastrophe. Riri-d'amour, t'étais très bien, mais tu pouvais pas sauver l'équipe à toi tout seul. Steevie-joli et Jojo-de-mon-cœur, qu'est-ce que vous m'avez fait ?

- Steven me faisait jamais la passe, se plaignit Joey.

- Toi non plus, rétorqua celui-ci.

- Voilà, conclut Marvin. Je crois que vous avez bien mis le doigt sur le problème.

- C'est Steven le problème, cracha Joey.

- Et le fait que tu dises ça est bien la preuve que même avec le nez sur le problème, tu captes rien du tout, fit Marvin en perdant patience. Non seulement tu te la jouais perso encore une fois alors que je venais de te dire d'arrêter, mais en plus tu l'as tellement fait que Steevie-joli s'est vexé et a arrêté de te donner le souaffle. Résultat, vous avez perdu.

- Bah ouais, lâcha Steven.

- Jouer comme un pied, c'est une chose, mais si tu transformes toute mon équipe en tas de veracrasses au match contre Serdaigle, ça va pas le faire. Donc on va procéder à quelques changements. Norah, tu peux venir deux secondes ?

- Bien sûr, fit-elle.

Ils s'éloignèrent un moment pour discuter.

- T'es une bonne batteuse, Many, me félicita Zach. Franchement, tu m'as mis plusieurs fois en difficulté, à la revanche. On va faire un super duo, contre Serdaigle.

- C'est vrai ? m'enchantai-je.

- Carrément ! On va bosser notre synergie et être au top !

Marvin revint et annonça les changements.

- Malany et Jojo-de-mon-cœur, vous êtes bons dans les deux postes, donc ça pose pas de problème de changer. Et ça permettra que Jojo-de-mon-cœur puisse se la jouer perso sans pour autant gêner le reste de l'équipe. Vous allez échanger vos rôles.

Toutes les plaintes du monde ne le firent pas changer d'avis. Nous retournâmes nous changer aux vestiaires. C'était frustrant. Je commençais à peine à me sentir bien en batteuse et d'un coup je me retrouvais poursuiveuse. Je mordis mes gants et les retirai avec contrariété.

- Baaah ! Mais enlève pas tes gants avec tes dents ! me frappa Zach en tirant la langue. C'est dégueu. Tu sais pas où ça a traîné, ces trucs-là.

- Oui, papa, me moquai-je en finissant d'arracher mes gants sans tenir compte de sa remarque.

- Je vais t'appeler Many-cracra, menaça-t-il.

- Fais-toi plaisir, défiai-je. Je répondrai en t'appelant Zach-à-puces.

- Hein ? Mais c'est méchant ! Après, les autres vont me prendre pour un pouilleux.

- Mais si tu m'appelles Many, je répondrai en t'appelant Zach, lui fis-je avec un clin d'œil.

- Toi, t'es vraiment une manipulatrice, tu le sais ?

De retour dans la salle commune, je laissai Zach s'isoler dans le dortoir des garçons pour se trouver des habits propres et me dirigeai vers le dortoir des filles. Je trouvai Plumeau avec Féline sur les genoux. Ce chat avait décidément plus d'affection pour mon amie que pour moi.

Elle sursauta en attrapant Féline quand elle me vit débarquer.

- Alors ?

- C'était trop bien, mais je suis plus batteuse.

- Ah bon ? Pourquoi ?

- Je serai poursuiveuse. Joey était trop chiant alors Marvin a dû changer.

- Ah, souffla-t-elle. Tu m'as fait peur. Pendant un instant, j'ai cru que tu me disais que tu t'étais faite virer. J'allais me poser dans la salle commune, tu viens ?

Je lui promis de la rejoindre après m'être changée.

En la retrouvant un peu plus tard, je passai devant un Fergusson étalé dans un fauteuil, complètement déprimé.

- C'est bien la première fois que je le vois sans qu'il soit en train de trafiquer sa DS, déclara Plumeau d'une voix inquiète.

- Comment ça avance, ton jeu ? lui demandai-je après m'être approchée. C'est mieux avec celui que je t'ai passé ?

- M'en parle pas, gémit-il. Peach s'est barrée aussi. Maintenant j'ai Bowser qui tourne en rond tout seul en se faisant chier sévère dans la console et qui me saoule avec ses questions existentielles. Comment tu veux que je développe le jeu dans ces conditions ?

Je grimaçai pour compatir.

- Mais tu vas y arriver, non ?

- Je vais encore essayer, mais j'avoue que je suis à deux doigts de baisser les bras, avoua-t-il.

- Je croyais que tu devais me réserver un prototype ?

Ma remarque eut pour mérite de le faire sourire.

- T'as raison, dit-il. M'écoute pas. Là, je suis un peu fatigué, mais t'inquiète pas. C'est juste un petit coup de mou. Dès que je regagne du poil de la bête, je te finis ça en deux secondes.

- Ah ! Bon état d'esprit, l'encourageai-je.

Un garçon plus âgé me bouscula dans sa précipitation. Il portait un lourd volume ancien et un troupeau d'élèves le suivait.

- Hé ! Fais attention !

- On a récupéré le livre des paris, me lança-t-il avec un sourire d'excitation. Les Gryffondor l'avaient gardé pour eux depuis l'année dernière, mais j'ai enfin réussi à le reprendre !

- Le quoi ?

Il posa le livre géant sur un meuble ventru disposé contre un mur de la salle commune. Les autres élèves s'amassèrent autour de lui en parlant tous en même temps. J'interrogeai Plumeau du regard et elle écarta les bras en signe d'incompréhension.

- Je te propose qu'on attende un peu avant d'aller voir ce que c'est, fit-elle. C'est un peu la cohue.

Zach nous rejoignit peu de temps après dans le fauteuil moelleux. Il avait recoiffé sa houppette au-dessus de son front.

- Qu'est-ce qu'ils font, tous agglutinés, comme ça ? demanda-t-il. Quelqu'un distribue des chocogrenouilles gratos ?

- Non, ils sont tous allés voir un gros bouquin, répondis-je.

- T'es sérieuse ? Tout ça pour un livre ? s'étonna-t-il. Ils ont tous perdu la boule ou quoi ?

- J'en sais rien du tout, avouai-je en souriant devant sa mine atterrée.

- Je parie que c'est Hugo qui les a contaminés, murmura-t-il.

- Moi ?

La longue silhouette de Hugo s'était arrêtée au-dessus de nous et nous regardait de haut depuis ses yeux de couleur bizarre entre le bleu et le noisette, dans l'ombre des ses boucles.

- Tu m'as percé à jour, Zach, lança-t-il avec un regard sombre. Je lave le cerveau de tous les Poufsouffle pour les faire étudier et enfin obtenir la coupe des quatre Maisons.

Il tentait de dissimuler tant bien que mal un sourire en coin.

- T'es pas crédible quand tu souris comme ça, le pointa Zach.

- Ah oui ?

Il laissa tomber son masque en frottant l'arrête de son long nez maculé de tâches de rousseur.

- Désolé, dit-il. L'ironie, c'est vraiment pas mon point fort.

- Mais à part ça, t'étais pas mal, concéda Zach. Mention spéciale pour le regard noir. Très bon cru. Tu veux bien m'apprendre ? Moi ça donne toujours un truc qui me fait l'air abruti.

- C'est pas la faute du regard noir, Zach, lui fis-je remarquer. Sur ta tête habituelle, ça donne aussi cette impression.

Il me fit son regard le plus noir de son répertoire.

- Ouh là, oui, accordai-je. Arrête ça, on dirait que t'es constipé.

- Je confirme, pouffa Plumeau.

Zach s'étala sur le dossier et plaça les mains derrière sa tête.

- Bah, de toute façon, à quoi ça pourrait bien me servir ? Dans la vie, mieux vaut savoir rigoler que d'envoyer des regards qui tuent.

- Vous voulez pas aller voir là-bas ? Il y a moins de monde, remarquai-je.

- Laisse tomber, Many, c'est juste un livre, ça va forcément être ennuyeux, grimaça Zach.

- Ils ont dit que c'était un livre de paris, rappela Plumeau.

- Quoi ? bondit Zach. C'est le livre des paris ? Mais pourquoi vous l'avez pas dit plus tôt ?

Il se précipita dans la direction du vieux livre et Plumeau leva les yeux au plafond. Nous le rejoignîmes. Tous les élèves avaient fini par se disperser. Sur la table était posé un bouquin ouvert très volumineux.

- Je vais parier une mornille sur le démon des cachots, annonça Zach en fouillant dans sa poche.

Il tourna les pages et écrivit le montant de sa mise à la suite d'une longue liste. Puis il glissa la pièce dans la reliure du livre.

- A moi le pactole, sourit-il.

- Tu nous expliques ? lui toquai-je sur le crâne.

- C'est le livre qui contient tous les paris faits sur les disparitions depuis quinze ans, répondit-il. Lorsque quelqu'un découvrira où disparaissent les élèves, tout l'argent accumulé dans ce volume ira à ceux qui ont parié sur le bon phénomène. Et avec le brigadier du ministère qui est arrivé cette année, c'est certain que ça sera vite découvert !

Je feuilletai rapidement. La page du démon des cachots était celle avec le plus d'argent misé dessus. L'illustration était tellement raturée et modifiée qu'elle tenait plus de la créature de Frankenstein que du démon. Les membres de la bête bougeaient mollement.

Les autres avaient plus ou moins de succès, et certaines étaient tellement farfelues qu'il y avait seulement le titre et une explication courte sans aucun pari derrière. Dans les dernières pages il y avait encore allusion à une fille maudite avec quelques mises à la suite d'une photo à moitié arrachée qui ne montrait plus rien. On retrouvait l'histoire du concierge vampire avec un bon butin associé. Les pages les plus populaires étaient remplies de commentaires ajoutés et de ratures pour préciser ou corriger des éléments de la description. Les hypothèses se suivaient par centaines. Puis le volume se terminait sur une unique page vierge.

- Qui est-ce qui écrit les hypothèses ? demanda Plumeau.

- Nous, répondit Hugo. Tu peux écrire quelque chose, si tu veux.

- Non, non, je demandais juste comme ça.

- Moi je vais écrire un truc, souris-je.

Je pris la plume enfilée dans la couverture et trouvai la page vierge pour écrire « Sortilège détraqué ». Hugo eut un sourire pendant que j'écrivais ma description en dessous.

- Ah, oui, je me souviens. Tu m'avais proposé cette idée lorsque je t'avais parlé des disparitions l'an dernier.

- Un sortilège détraqué dans un couloir qui envoie les élèves deux mois dans le futur, lut Zach par-dessus mon épaule. Ah oui, pas idiot. Mais pourquoi un seul élève en même temps et pourquoi uniquement les élèves les plus doués ?

- Aucune idée, avouai-je.

Je déposai pour finir une mornille dans la reliure. Je jetai ensuite un œil dans la fente et constatai que ma pièce avait disparu. Je découvris aussi avec stupéfaction qu'une nouvelle page vierge venait d'apparaître à la suite de celle que je venais de noircir.

- T'aurais dû parier sur le démon des cachots, reprit Zach. Tu prenais moins de risques...

Un feulement attira mon attention en arrière. Féline était en train de courser comme une folle une silhouette minuscule en robe rose à moitié déchirée poussant de petits cris suraigus. Je laissai ma place à un groupe de quatrième année pressés d'aller mettre leur argent sur l'épouvantail démoniaque et attrapai l'animal féroce d'une main et la petite silhouette de l'autre.

- Laisse Peach tranquille, Féline, ordonnai-je en la relâchant au sol.

Elle s'éloigna en crachant et grognant.

- Tout va bien ?

Le petit personnage du jeu de Fergusson hocha la tête avec les yeux humides. Elle couina dans son langage pour me remercier.

- Ho !

Une autre silhouette grimpa sur ma robe et se jeta dans les bras de Peach. Le petit Mario avait les yeux remplis de larmes et poussait des exclamations de bouleversement.

- Hé, ben, vous avez l'air de tenir l'un à l'autre, souris-je.

- It's a-me, Mario ! fit-il en posant une main sur mon doigt.

Un signe de remerciement, je supposai.

- On va retourner voir Fergusson, ok ?

Son visage s'illumina quand je lui rapportai les deux trouble-fêtes. Il les attrapa et me remercia chaudement.

- Hé ! C'est toi, Malany Baker ? m'intercepta un quatrième année. Le brigadier du Ministère veut te voir dans son bureau dès que possible.

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- Je vous ai fait venir pour éclaircir quelques zones d'ombres concernant l'affaire Choubak.

- L'affaire Choubak ?

C'était quoi ce nom pourri ?

- C'est pour Chourave-Baker.

- Tant que vous faites pas chou-blanc, répondis-je en pouffant à moitié.

Il me regarda d'un air glacial. Ses orbites saillantes n'étaient pas engageantes.

- Avez-vous rencontré l'assassin ?

C'était une blague ?

- Oui, mais je l'ai déjà dit, ça, remarquai-je.

- Je ne me fie pas aux informations des aurors. Avez-vous parlé avec lui ?

- Oui, ajoutai-je en perdant le sourire.

- Qu'a-t-il dit ?

- Qu'il était engagé par quelqu'un. Qu'il devait aussi s'arranger pour que je meure aussi. C'était ça que vous vouliez que je vous dise, non ?

- Et pourquoi vous a-t-il dit ça, à vous ?

- Qu'est-ce que j'en sais, moi ? Et vous êtes pas censé bosser sur les disparitions, vous ?

- Je travaille sur plusieurs dossiers en parallèle. C'est Glenn qui a récupéré l'affaire depuis que ces fainéants d'aurors ont décrété que c'était pas leur problème, mais il est bien trop surchargé pour s'en occuper seul. Alors je me permets de faire avancer les choses de mon côté. D'ailleurs, je reste persuadé que vous n'êtes concernée en rien et que non contente d'être en partie responsable de cette catastrophe par votre rétention d'information au cours de l'année, vous avez inventé toute la partie vous impliquant dans cet assassinat.

Sa remarque me fit l'effet d'une pique en pleine poitrine.

- C'est Hugo qui vous a dit ça ?

Il avait eu beau regretter, il avait fait une belle boulette. Et je culpabilisais déjà assez pour ne pas avoir à subir des remarques blessantes de la part d'un inspecteur.

- C'est ce que je pense. Mais peu importe. Le reste de la brigade est du même avis. Alors, est-ce que l'assassin a donné les raisons de l'assassinat de Pomona Chourave ?

J'avais du mal à garder mon calme et l'évocation de Chourave faisait resurgir des images de cauchemar. J'ignorai ma gorge serrée pour répondre.

- Non.

- Du tout ?

- On lui a demandé, mais il a pas voulu répondre.

- Pouvez vous me décrire le portrait de cette personne ?

Il saisit une plume et s'efforça de retranscrire tout ce que je disais, et m'assaillit de questions sur les moindres détails au sujet de Luke.

- Vous dites qu'il avait pendant toute l'année l'apparence d'un adolescent de douze ans, mais en paraissait plus de vingt lorsque vous l'avez rencontré à la fin de l'année dernière ?

- C'est ça.

- Et c'était la même apparence, en dehors du changement d'âge ?

- Oui, je pense.

- C'est assez inhabituel.

Lorsqu'il eut terminé de me cuisiner, il me remercia et me montra la porte. Je n'allais quand même pas partir sans me défendre ?

- J'ai rien inventé, dis-je.

- Bien sûr.

- Je dis pas que c'est vrai. Luke a probablement inventé cette histoire me concernant. Mais j'ai pas menti sur ce qu'il a dit.

- Très bien. Fermez la porte derrière vous.

- Je suis pas une menteuse et je cherche pas à faire mon intéressante, maugréai-je en partant.

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Mojito s'était donné comme objectif de nous faire fabriquer des potions de ratatinement de furoncle, de confection assez simple pour des deuxième années selon elle. Je n'étais pas de cet avis. J'avais beau copier ouvertement sur Plumeau dont la main de pro faisait des merveilles, la mienne ressemblait à de la pâte-à-prout.

- Ta potion a une drôle de consistance, nota Kathleen.

- La tienne est encore pire, rétorquai-je.

Le cours était en commun avec Serpentard et les tables de trois permettaient qu'on se mette ensemble. Hugo et Zach s'étaient installés avec Fergusson.

- Pourtant, j'ai bien écrasé les queues de rat pour sortir le jus comme t'as dit, gémit-elle.

- Quels queues ?

- Ben, ces queues, là, montra Kathleen.

- Ah, c'était pas celles-là, s'inquiéta Plumeau. T'as mis les queues de musaraignes. T'as pas vu qu'elles étaient toutes petites ?

- C'était pas ça ?

Plumeau grimaça pour toute réponse.

- Oooh, quelle magnifique couleur, s'émerveilla Mojito en arrivant à sa hauteur. C'est un très joli bleu roi. Il me rappelle la préparation que j'ai jetée au visage de mon prétendant le jour de ma première demande en mariage. Huhu. Que de bons souvenirs.

Je sentis des sueurs froides remonter mon dos. J'échangeai un regard inquiet avec Plumeau. La prof avait posé sa louche en bois contre sa joue potelée et gloussait à l'évocation de ce souvenir plaisant de l'un de ses éclairs de démon. Les mèches blondes qui s'échappaient de son chignon dansaient contre la chaîne dorée de la montre à gousset qu'elle portait autour de son cou en guise d'ornement.

- Tout ça ne me rajeunit pas. Vous avez des doigts de fée, Miss Cayle. Une potion des plus réussies...

Ses yeux en amande pétillaient de joie et ses lèvres pulpeuses formaient une moue satisfaite. Puis son regard tomba sur Kathleen et moi.

- … alors que vous !

Le visage de Dark Mojito vint obscurcir mon espoir ténu d'avoir au moins la moyenne. Son chignon jaune canari ne parvenait pas à éclairer la noirceur de ses yeux. Je priai pour qu'elle ne me lance pas ma mixture pâte-à-prout au visage.

- Je vous donne une seconde chance, concéda-t-elle en effaçant le contenu de nos chaudrons d'un coup de baguette. Remerciez votre voisine de m'avoir mise de bonne humeur.

Elle s'éloigna en chantonnant vers la table suivante.

- On a combien de temps pour tout refaire ?

- Une demi-heure, regarda Plumeau. Vous allez y arriver. Je vais vous aider.

Avec son aide, nos préparations se parèrent de teintes bleutées avenantes et je soupirai de soulagement. Lorsque sonna la fin des cours, Mojito refit un passage par notre table et poussa de petits sons ravis. Elle nous demanda à tous de réviser pour la fois suivante la préparation de la potion tue-loup.

Kathleen nous accompagna déjeuner. C'était une nouveauté. Son carré roux ondulé informe restait aussi approximatif et sa silhouette de souris n'avait pas grandi d'un poil ni pris un millimètre d'épaisseur. Mais son sourire serein traduisait combien son quotidien, lui, s'était bien amélioré.

- J'ai cru comprendre que Lyra voulait vous demander un service, nous informa-t-elle. Méfiez-vous, elle est dure en affaires.

- Un service ?

- Elle vous dira ça elle-même, sourit-elle.

- Eh ben, ça te change de plus avoir à te farcir Face-de-rat et le gang de Philippa, lui fis-je remarquer. T'as mille fois meilleure mine que l'an dernier. On te retrouve transformée.

- T'imagines pas à quel point ça fait du bien, avoua-t-elle.

- Grâce à tes amis du Quidditch ? demanda Plumeau.

- Grâce à Laura surtout, confirma-t-elle. Je me sens tellement libérée !

- Tu m'étonnes !

J'étais contente de partager le repas avec elle. Depuis le début de l'année, elle traînait sans arrêt avec Charybde et Scylla et j'avais la désagréable impression de la perdre de vue. C'était comme si elle me glissait entre les doigts. Mais peut-être que j'étais juste jalouse de la voir s'épanouir avec d'autres amis alors que sa timidité était resté un handicap lorsqu'elle me fréquentait l'an dernier.

- Au fait ! T'es entrée dans l'équipe de Poufsouffle ? me félicita-t-elle.

- Ouais ! T'as vu ? Je gère pas autant que toi, mais je me débrouille.

- Tu vas faire quel poste ?

- Ben, je sais pas trop, peut-être poursuiveur.

- On se croisera pas trop, alors.

- On va être trop forts, tu verras, annonçai-je en lui tirant la langue.

- C'est une blague ? Nous, on est imbattables. Tu sais comment s'appelle notre nouveau gardien ?

Je fis signe que non.

- Norman Schield, lâcha-t-elle avec un rire de souris. Laura dit qu'il va être notre bouclier contre l'adversité.

- Ah ouais, il était né pour le poste, m'amusai-je. Le nôtre s'appelle Brutus Bouma. Je sais pas si ça va beaucoup l'inspirer.

- Vous faites bande à part ? demanda Zach en s'installant à côté de nous accompagné de Hugo. On dirait que les cours de Potions, ça rapproche.

Une ombre de l'ancien air contrit et timide de Kathleen refit surface le temps d'un battement de cil, puis elle sourit et salua Zach de la main.

- Walker-la-terreur, fit-il avec une voix admirative. Enchanté.

C'est vrai que Kathleen ne traînait jamais avec nous lorsque Zach était dans les parages, à la fin de l'année précédente. Est-ce qu'il l'impressionnait autant ?

- Enchantée, Andersen, répondit-elle d'une voix hésitante.

- Tu peux m'appeler Zach-la-terreur, si tu veux, proposa-t-il avec un clin d'œil.

Elle eut un nouveau petit rire de souris. Je serais ravie que ces deux-là s'entendent.

- Et nous on se connaît déjà, salua Hugo.

Elle acquiesça en silence. J'avais oublié que Kathleen avait participé aux parties de Quidditch spécial Weasley après la disqualification des Serpentard.

- Maintenant, passons aux choses sérieuses, lança Zach. Pourquoi vous avez pas été réduites en pièces par Mojito ? Elle a fait de moi du hachis parmentier. C'était pas beau à voir.

- C'est notre botte secrète, confiai-je en souriant en chœur avec Plumeau et Kathleen.

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- Ah ! Vous voilà ! Je vous cherchais. J'ai trouvé comment vous allez régler votre dette.

Nous étions tranquillement assis tous les quatre sur un banc de pierre dans un couloir du château quand Lyra Fox s'était arrêtée à notre hauteur en nous dévisageant de haut avec un rictus malin.

- Quelle dette ? ripostai-je.

- Salut, Lyra, fit Plumeau.

- Salut, Plumeau, répondit-elle.

- Est-ce que tu essaierais pas de nous entuber ? la pointa Zach.

- De quoi tu parles, Lyra ? demanda Plumeau.

- Je vous ai rendu service, l'an dernier, en vous aidant à chercher l'assassin de Chourave. Maintenant, c'est votre tour. Vous allez me rendre un service.

- Quoi ? s'exclama Zach.

- C'est un peu abusé, non ? C'était pas dans le contrat, me plaignis-je.

- En les aidant... ? Fais moi rire, marmonna Hugo.

- T'as quelque chose à dire, Weasley ?

- Ouais, répondit-t-il. Fais pas comme si ton aide leur avait été d'une quelconque utilité.

- Luke m'avait embrouillé avec... commença-t-elle.

- Oui, on sait, on sait, probablement un essaim de Joncheruines domestiqués, désamorça-t-il.

Lyra le dévisagea comme un étranger et se tourna vers Plumeau.

- Bon, étant donné que le seul objectif de Weasley est de me rabaisser pour se prouver sa supériorité intellectuelle, je vais m'adresser aux personnes censées pour exposer le problème. J'ai pensé à vous parce que vu que vous avez passé toute l'année dernière à vous inventer des suspects et des pistes sur du vide, je me suis dit que ça vous plairait de me rendre service pour résoudre un mystère bien réel, cette fois.

Les derniers mots avaient su capter mon attention.

- Quel mystère ?

- Ah non, ça suffit les mystères, intervint Zach.

- Tu veux parler de la double disparition ? demanda Plumeau.

Hugo s'était renfermé et ignorait la conversation.

- J'y crois pas, à la double disparition, avoua Lyra.

- Ah bon ?

- La question est pas d'y croire ou pas, opposa Hugo. Deux personnes ont disparu, donc c'est une double disparition.

- Je pense qu'une des deux est fausse, l'ignora-t-elle.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? s'étonna Plumeau.

- Je suis allée voir les profs qui sont là depuis longtemps pour me renseigner. Ils m'ont tous confirmé qu'il y avait toujours eu une seule disparition à la fois. Depuis quinze ans.

- Mais ça a pu changer, dis-je.

- Si, depuis quinze ans, il y a toujours eu un seul élève à la fois, la raison la plus probable est qu'il ne peut y avoir qu'une seule disparition à la fois.

- C'est vrai que c'est bizarre que ça change d'un coup, accorda Plumeau. Mais ça veut dire que tu penses que Sylvermith ou Emmerson...

- Nemo fait partie d'une famille très ancienne de sorciers de sang pur extrêmement riche, expliqua Lyra. Le truc, c'est que des rumeurs circulent que leur fortune vient des biens extorqués aux nés-modus par le ministère à l'époque de Voldemort. Rien n'est prouvé, mais ça leur fait une sale réputation.

- Quelqu'un pourrait profiter des disparitions pour enlever Sylvermith et demander une rançon à ses parents ? en déduisit Plumeau.

- C'est à ça que je pensais, acquiesça Lyra. Personne va s'inquiéter pendant les deux prochains mois, ce qui laisse tout le champ libre pour faire chanter ses parents sans éveiller aucun soupçon.

- Tout ça, c'est des suppositions dans le vent, les arrêta Hugo. Il faut des arguments un peu plus solides que ça pour me convaincre.

- Désolée, Lyra, mais il a raison, fit Plumeau.

- C'est pour ça que vous allez m'être utile. Nemo gardait toujours sur lui un carnet dans lequel il prenait des notes en cachette. Je l'ai surpris plusieurs fois et il s'empressait de tout ranger. Il a jamais voulu dire ce que c'était.

- Bah, c'est pas un crime d'avoir un journal intime, rougit Zach.

- Non, mais s'il a écrit des trucs intéressants sur sa famille dessus, ou sur des ennemis de sa famille, justement, répondit Plumeau, ça pourrait nous orienter.

- N'importe quoi, commenta Hugo. Si vous voulez être sûrs, il suffit surtout de demander à ses parents.

- C'est ce que je vais essayer de faire pendant que vous vous occupez du carnet, Weasley. Mais papa s'entend assez mal avec eux, donc j'ai pas beaucoup d'espoir qu'ils déballent tout à quelqu'un dont le nom est Fox.

- Et on va le trouver où, ce carnet ? demandai-je.

- Là, c'est le moment où tu réfléchis, Baker, sourit Lyra. Même toi, tu devrais pouvoir trouver.

- Dans ses affaires dans le dortoir de Serdaigle, j'imagine, devinai-je en m'empourprant.

- Quel don de déduction, me renvoya Lyra en dévoilant ses dents de squale.

- Mais une fois qu'on l'aura, ce carnet, qu'est-ce qu'on est censé en faire ? se réveilla Zach.

Le sourire de requin se suspendit de perplexité.

- C'est fou... c'est la première fois que je rencontre quelqu'un avec le QI d'un fruit de mer.

- Oh, pas que le QI, sois rassurée, répondis-je. Tu serais surprise.

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Les cours de Sortilège étaient en commun avec les Serdaigle mais même leur soif insatiable de savoir ne parvenait pas à maintenir leur attention. Je surpris Dink, le petit blondinet grassouillet qui avait raflé la place de major de promo, en train de lire un gros bouquin sous la table qui n'avait rien à voir avec ce que racontait Lore.

- Il faudrait choisir un moment où le dortoir de Serdaigle sera vide, rappelai-je.

- Pendant le repas du soir ? suggéra Plumeau.

- Ce serait parfait, acquiesçai-je. Tous les Serdaigle seront dans la Grande Salle.

Zach balança sa chaise vers nous.

- Attendez ! On va pas sauter le dîner juste pour un carnet ?

- Je maintiens que c'est complètement stupide, glissa Hugo en se retournant sur son dossier.

- Et tu veux faire ça quand ? rétorquai-je à Zach.

- J'en sais rien, moi ! Un moment inutile. Pendant un cours de Lore, par exemple.

- Non, opposai-je. Ceux qui auront un trou dans l'emploi du temps à ce moment-là seront dans la salle commune. Tous ne connaissent pas nos têtes, mais ce serait con de se faire griller comme ça. On a pas le temps de se fabriquer du polynectar ou je sais pas quoi d'autre.

- Chhhht ! Il y a des gens qui essaient de dormir, ici, chuchota un Serdaigle à la table de derrière nous.

- Désolée, murmura Plumeau.

- Sinon, je peux rester au banquet pour vous couvrir, tenta Zach. Comme ça, si on demande où vous êtes, je pourrai mythonner.

- T'es vraiment un estomac sur pattes, se moqua Plumeau. Mais c'est pas idiot, ce que tu dis.

Il se rengorgea et frétilla de satisfaction.

- Ok, résumai-je à Plumeau, donc pendant que Zach se goinfre en nous couvrant, toi et moi, on file dans la tour de Serdaigle. Le truc, c'est qu'il reste à passer les énigmes de la porte.

- Quelles énigmes ? s'interrogea-t-elle.

- Molly m'en a parlé aussi, confirma Hugo. Ils ont pas de mot de passe, mais un loquet qui pose des énigmes. Mais vous en faites pas, j'y répondrai.

- Je croyais que ce qu'on faisait était complètement stupide, lui renvoyai-je au visage.

Il soupira.

- Je maintiens, fit-il. Mais je vais pas vous laisser galérer toutes les deux dans votre coin.

Je hochai la tête avec Plumeau. Avec le cerveau de Hugo, aucun problème pour les énigmes. Restait à savoir ensuite comment trouver les affaires de Nemo Sylvermith au milieu de toutes les autres. Bah. On aviserait sur place.

- … et agitez votre baguette de haut en bas, légèrement de biais, comme ça, couinait Lore. Enfin, presque vertical, quand même... Faites, moins de bruit, s'il-vous-plaît... Qu'est-ce que je disais ? Ah, oui. Il faut être assez mou, mais quand même un peu ferme...

- Vous êtes mignons, mais vous savez toujours pas comment y accéder, à la Tour de Serdaigle, pointa Zach. L'aile Ouest est à moitié effondrée.

Je devais reconnaître qu'il avait raison. L'aile Ouest était condamnée. L'ancien passage devait l'être aussi. Mais les Serdaigle devaient bien passer par quelque part. Je proposai de les suivre en sortant du cours.

Lore ne parvint qu'à chouiner des consignes incompréhensibles pour les devoirs pendant que les élèves, enfin délivrés par la sonnerie, faisaient un boucan pas possible avec leurs affaires.

Nous suivîmes Dink dans les escaliers mouvants. Il monta dans l'aile Nord jusqu'au septième étage et traversa les hurlements terrifiants du vent dans le couloir aux courants d'air.

Il s'engagea dans un passage derrière la salle du cours de SMIS. La passerelle s'élançait dans le vide entre les deux tours. Les murs et le sol en verre révélaient une vue vertigineuse. La vision de la base de la Tour de Serdaigle à moitié effondrée me coupa l'envie d'avancer. Mais mes jambes continuèrent toutes seules à me porter en avant. Hugo et Zach continuaient à mes côtés mais Plumeau avait disparu. Elle était restée bloquée à l'entrée de la passerelle.

- Plumeau ? Tout va bien ?

- J'ai un peu le vertige, gémit-elle avec les yeux fermés.

Dink s'était retourné en nous entendant et nous avait rejoint.

- Est-ce que ça va ?

- Bof, murmura-t-elle.

- Question bête, s'excusa Dink. Désolé.

Il fit une moue d'excuse. Je me demandais comment il parvenait à y voir quelque chose. Sa frange épaisse lui couvrait entièrement les deux yeux. Ses cheveux blonds mi-longs rebiquaient au-dessus de ses oreilles et donnaient un aspect de tournesol à son visage rond.

- Si je peux me permettre de te donner une astuce, fit-il à Plumeau, je regarde dehors et j'imagine que je suis au rez-de-chaussée et que je suis en train de marcher sur de jolis tableaux peints de manière très réaliste.

Elle ouvrit les yeux et souffla.

- Ça va un peu mieux, remercia-t-elle.

- Moi aussi, je souffre de vertige, avoua Dink. J'étais comme toi. C'est un septième année qui m'avait donné la technique. Ça me sauve bien la vie. Vous êtes pas de Serdaigle, non ? Je crois pas vous avoir déjà croisé dans la salle commune.

Un instant d'hésitation nous fit tarder à répondre. Et puis, je me fis la réflexion que c'était une question innocente.

- Non, on est de Poufsouffle.

- Ah, ok, s'étonna-t-il. Vous vous êtes perdus ?

- Eh ben, on... hésitai-je.

- C'est pas tes affaires, coupa Hugo. T'es de la police ?

- Heu... Non, non, balbutia-t-il en touchant les pétales jaunes de sa tignasse.

- On redescend, de toute façon, poursuivit Hugo en s'éloignant.

Nous le suivîmes et Plumeau s'excusa auprès de Dink en partant.

- T'abuses, Hugo, fis-je remarquer. Il voulait juste aider.

Pour toute réponse, il haussa les épaules.

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A la fin du cours de Métamorphoses, Zach suivit le flot d'élèves pendant que Hugo, Plumeau et moi allions nous planquer dans les cachots. L'armoire de la salle obscure qui nous masquait à la vue était assez massive pour nous dissimuler tous les trois. Nous attendîmes patiemment que l'heure du dîner soit bien entamée avant de sortir.

Mais nous avions à peine fait un mètre que des pas se rapprochèrent dans le couloir adjacent, accompagnés de murmures à peine audibles.

- Merde, chuchota Hugo. Reculez !

Il nous poussa en catastrophe à nouveau dans l'ombre de l'armoire.

Deux silhouettes passèrent devant nous sans prêter attention à la forme sombre dans le recoin. Il n'y avait pas assez de luminosité pour distinguer quoi que ce soit, mais les voix étaient celles d'élèves.

- … dix Gallions ? Ce pigeon d'Urry t'a filé dix Gallions ?

- Ouais. Mais je vais lui en demander plus.

- Hein ? Tu rigoles ? C'est déjà énorme !

- Pas du tout. Les parents d'Urry sont pleins aux as, il peut bien...

Les deux élèves avaient quitté la pièce vers un autre couloir. Hugo en profita pour sortir de l'ombre et nous lui emboîtâmes le pas dans le couloir, puis dans les escaliers vers le Hall.

- Faut croire qu'on est pas les seuls à faire des trucs en douce dans cette école, notai-je.

- Mais il y a qu'avec toi qu'on fait des trucs aussi dingues, rigola Plumeau.

- Dépêchez-vous de traverser le Hall au lieu de papoter, nous pressa Hugo. Si quelqu'un débarque, on est mal.

Nous grimpâmes les escaliers mouvants jusque dans la Tour Nord et arrivâmes à la passerelle. Plumeau devint aussi translucide que les murs de celle-ci.

- Je crois que je vais vous attendre ici, murmura-t-elle.

- T'es sûre que ça va aller ? m'inquiétai-je.

Elle acquiesça et se laissa glisser contre le mur de pierre avec le pouce levé vers nous.

- Je crois qu'un de nous deux devrait rester avec elle, grimaçai-je.

- T'as raison, accorda Hugo.

Il me jeta un regard et ses oreilles prirent une teinte rosée.

- Heu... De nous deux, ajouta-il, il vaut mieux que ce soit moi qui aille répondre à l'énigme. Sans vouloir te vexer.

- J'en suis parfaitement consciente, souris-je. Vas-y.

Il traversa la passerelle et disparut dans la Tour Ouest.

- C'est gentil d'être restée mais ça va aller, tu sais, marmonna Plumeau. Je vais déjà mieux.

- Toi et les hauteurs, vous vous entendez pas, on dirait.

- Pas trop, non... J'ai fait une chute du toit, quand j'étais petite, confia-t-elle. J'ai un peu plus de mal avec la grimpette, depuis.

- Ah ouais, quand même, m'étonnai-je. T'étais un peu casse-cou, non ?

Elle grimaça et haussa les épaules.

Au bout de trente minutes à attendre sans aucune nouvelle, il devint évident que Hugo avait rencontré un obstacle.

- Je vais aller voir ce qu'il se passe, dis-je.

- Attends, m'arrêta Plumeau. Je viens avec toi.

- T'es sûre ?

- Bof, laissa-t-elle échapper entre ses dents. Mais je vais pas rester en arrière comme un boulet. Donne-moi ta main, je vais fermer les yeux. J'ai qu'à imaginer que je me balade en forêt. Je vais y arriver.

- Comme tu veux, m'exécutai-je.

Je la guidai sur la passerelle. Elle n'ouvrit les yeux que lorsque son pied se posa sur la première marche de la Tour Ouest.

- Grimpe, me poussa-t-elle. Sinon je vais regarder en arrière et ce sera mort pour moi.

Nous étions essoufflées en arrivant devant la grande porte avec le heurtoir en forme d'aigle. Hugo était assis sur la dernière marche, la tête enfouie dans ses grandes mains.

- Hugo ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

Il releva à peine les yeux d'entre ses doigts filiformes.

- C'est impossible, marmonna-t-il.

- Comment ça ?

- L'énigme. Elle a aucun sens. On a plus qu'à faire demi-tour.

Je m'assis à côté de lui. Plumeau m'imita.

- C'est si dur que ça ? Tu veux pas qu'on essaye ?

- Laisse tomber, fit-il. C'est sans queue ni tête. Même moi, j'y comprends rien, à son charabia. On trouvera un autre moyen.

- Vas-y, dis, insistai-je.

Il soupira.

- Le temps amène-t-il la mort ?

- Seulement si t'as pas ton parapluie, gloussai-je.

- Tu arrives à faire pire que moi, constata-t-il avec un sourire en coin.

- Le temps amène la vie, réfléchit Plumeau. Il insuffle le souffle du changement dans ce qui serait immuable et inerte.

- C'est un peu tiré par les cheveux, commenta Hugo.

- C'est un point de vue intéressant, grinça le heurtoir en déverrouillant la porte.

- Hein ? s'étrangla Hugo.

Je lui tapotai l'épaule en me levant.

- Faut croire que Plumeau est meilleure que toi en philo.

Celle-ci haussa les épaules et me suivit dans la salle commune de Serdaigle. Hugo fermait la marche en marmonnant.

Plumeau ne put retenir un souffle d'émerveillement devant la vue qu'offraient les fenêtres immenses autour de la salle circulaire. Le crépuscule peignait les nuages de couleurs éblouissantes et teintait les montagnes d'une aura surnaturelle.

- T'as plus le vertige, toi ? remarquai-je.

Elle secoua la tête et resta plongée dans le paysage.

- Oubliez pas ce pourquoi on est venus, rappela Hugo en grimpant les escaliers vers les dortoirs des garçons.

Je le suivis et l'aidai à farfouiller dans les affaires.

- Sylvermith Nemo, lut Hugo au bout de dix minutes de fouille. C'est son sac. Eh ben... C'est quoi ce bric-à-brac ? C'est rempli de tissus découpés et de... Aïe !

Il porta son doigt à la bouche avec une grimace.

- Quelle idée d'aller planter des aiguilles dans ses affaires. Ah ! Je crois que j'ai trouvé.

Je le rejoignis quand il extirpa un vieux carnet du sac à dos.

- T'es sûr que c'est celui-là ?

- C'est le seul carnet dans ce bazar. Mais si tu veux vérifier, je te laisse fouiller dans ce tas d'épingles, m'invita-t-il.

- Jette un œil dedans, suggérai-je.

- Many ! Hugo ! Venez ! hurla la voix chuchotée de Plumeau à l'entrée des dortoirs. Quelqu'un vient !

Hugo jura et rangea le carnet dans sa robe. Nous dévalâmes les escaliers en vitesse pour rejoindre la salle commune. On entendait à travers le battant de la porte le heurtoir dérouler une autre trouvaille opaque aux nouveaux venus. Plumeau nous attira derrière le dossier d'un canapé massif. Juste à temps.

- Bon, dit une première voix. Je voulais te dire que les prix ont augmenté.

- Quoi ?

- Il va nous falloir dix Gallions de plus.

- Vous êtes malades ? J'ai pas dix Gallions de plus, moi !

- Te fous pas de moi, Urry. Je sais que tu les as.

- Allez, je te file cinq Gallions, et on en reste là, ok ?

- Dix.

- Putain mais c'est de l'arnaque !

- Comme tu veux, Urry. Dans ce cas, on laisse tomber. Je suis sûr que d'autres personnes seraient ravies de prendre ta place.

- Attends ! Attends... Je peux te donner huit Gallions...

- Désolé, ça va pas le f...

- Bon ! Ok ! T'as gagné ! Prends tout ce que j'ai ! Il me reste neuf Gallions et deux Noises.

- Je préfère ça. Tu peux garder les deux Noises.

- T'es vraiment qu'un...

- Chut !

Le heurtoir avait recommencé son charabia au-dehors.

- Merde ! Planque-toi !

- Où ça ?

- Dans le dortoir ! Dépêche!

Des pas de course dans l'escalier nous informèrent que la salle commune était à nouveau vide. Deux têtes miniatures pointèrent de la poche de ma robe.

- Ho !

- Mimimi !

- Chut, ordonnai-je à Mario et Peach. Qu'est-ce que vous fichez dans ma poche, vous deux ?

Mario mit ses deux mains sur sa bouche pour signifier qu'il restait silencieux et Peach eut un gloussement inaudible. Ma main les enfonça profondément dans la poche. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'ils se tiendraient tranquille. Quelle idée j'avais eu d'empêcher Féline de manger Peach ? Si ces deux lilliputiens en pleine phase rebelle se mettaient à me coller, ils allaient vite me rendre aussi cinglée que Fergusson.

La porte de la salle commune s'ouvrit sur Rowena Fox qui posa son sac et s'écroula sur le canapé qui nous dissimulait.

- Qu'est-ce qu'on fait ? chuchotai-je.

Hugo me fit les gros yeux pour que je me taise. Mais c'était trop tard. La tête de Rowena apparut par dessus le dossier.

- Qu'est-ce que vous faites ici, vous ?

Hugo semblait si honteux de la raison de sa présence dans la Tour de Serdaigle qu'il se ferma comme une huître, et Plumeau rougit tellement que je décidai de prendre sur moi et raconter tout à Rowena.

- Donc, reprit-elle. Si je comprends bien, ma sœur est tellement une handicapée des relations humaines qu'elle préfère ordonner à trois Poufsouffle de s'introduire dans la Tour de Serdaigle plutôt que simplement venir me demander poliment à moi, qui suis une Serdaigle, si je veux bien aller lui chercher ce carnet ?

Je grimaçai.

Rowena Fox laissa tomber sa paume sur son visage pour montrer son avis sur les manigances tarabiscotées de sa sœur. Dit comme ça, nous passions vraiment pour une bande d'abrutis. Pourquoi est-ce que nous n'avions pas pensé à Rowena ? C'était tellement plus simple.

- Bon, reprit-elle. Et il dit quoi, ce carnet ?

J'en avais oublié le carnet.

Plumeau attrapa le coin qui dépassait de la robe de Hugo et l'ouvrit.

- Oh.

Elle avait l'air déçue.

- Qu'est-ce que ça dit ? demandai-je en me penchant.

Elle mit le carnet à plat sur ses genoux pour que tout le monde puisse voir.

Ce n'était pas un journal intime.

Des croquis remplissaient presque toutes les pages. Les dessins représentaient des silhouettes habillées de robes variées. Des flèches et des commentaires noircissaient les espaces vides.

Je soupirai. La piste du carnet était un cul-de-sac. Pas la moindre trace de propos inquiets là-dedans. Si Nemo Sylvermith était menacé, soit il n'était pas au courant, soit il gardait ses doutes pour lui.

- Tiens, c'est Lyra.

Les traits de crayon avaient été souvent gommés et refaits. La flèche sur ses yeux commentant « visage antipathique, nécessite tenue couleur douce et coupe simple » fit pouffer Rowena. Les autres dessins étaient moins travaillés que celui de Lyra mais je faillis exploser de rire en découvrant « aucun éclat d'intelligence mais beaucoup de vivacité, peau et cheveux très noirs, nécessite couleurs vives et possibilité de robe épaisse » dans la marge du croquis de Zach.

Puis Plumeau éclata de rire en me montrant la page qui m'était destinée avec écrit « serre-tête rose très moche, bon challenge pour l'assortir ».