Chapitre 16 - Le livre égaré


Salut les filles !

Désolé de pas vous avoir écrit plus tôt, ici c'était un peu la déprime. Le mois dernier, le MACUSA a déniché un gros poisson dans les sphères secrètes no-maj et libéré tout un tas de nouvelles pupilles toutes aussi cinglées les unes que les autres. Sale Gosse et Newt Rojas font figure d'enfants modèles à côté, tu peux me croire ! Armstrong va avoir du boulot. Treehall va se transformer en véritable asile de fous si ça continue à ce rythme. Mais le pire, c'est que ça a réveillé pas mal de vieilles rancœurs et les no-maj ont pas trop la côte en ce moment, en Amérique du Nord. J'espère que la situation va finir par se tasser...

Et chez vous, c'est comment ? Mieux qu'ici, j'espère !

Envoyez-moi de vos nouvelles ! Ça me remontera le moral !

Joyeux Noël !

Hugs !

Johan.

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La fin du mois de décembre approchait et il faisait un froid mordant dehors. Au grand dam de Will et moi, il n'y avait pas de neige, alors nous nous consolions en nous pelotonnant dans des couvertures près de la cheminée que mon père avait allumée. Nos retrouvailles avaient été un pur bonheur et j'avais trouvé Will à peu près dans le même état que je l'avais quitté en septembre, avec quelques centimètres de plus qu'il avait grappillé en brûlant tout le gras de son double menton. Il m'avait arrosée d'histoires et de péripéties de son collège, montré des tas de photos de ses amis sur le téléphone qu'il avait reçu au début de l'année.

Je ne pouvais pas en faire autant, mais je lui relatai le moindre détail de tout ce qu'il m'était arrivé depuis septembre. Il s'exclama d'admiration quand je lui racontai mon recrutement dans l'équipe de Quidditch et je dus lui rappeler que c'était à défaut de mieux. Le mystère des doubles disparitions éveilla sa curiosité et il écarquilla de grands yeux bleus étonnés pendant tout mon récit.

- Il est vraiment dangereux, ton collège de goules, commenta-t-il. Si ça fait dix ans que ça dure, il était temps que les policiers se réveillent !

Je reconnus qu'il n'avait pas tout à fait tort.

- Mais rien ne dit que ceux qui disparaissent subissent quoi que ce soit de négatif, ajoutai-je. Ce phénomène est peut-être totalement inoffensif.

- Mouais... Je parierais pas là-dessus. En tout cas, je regrette pas de t'avoir offert ce serre-tête. T'en as plus besoin que moi et en plus il te va plutôt bien.

Je lui ébouriffai ses mèches blondes violemment pour me venger de cet affreux accessoire qu'il m'obligeait à porter. Il se mit à rire et riposta en essayant de me mettre son gros doigt dans la narine. La bataille se termina en enchevêtrement confus.

Il sortit sa tête et crachota des poils de couverture.

- Many, je viens de penser à un truc.

- Félicitations, ironisai-je.

- Attention aux moqueries sur mon brillant cerveau ou je garde ses illuminations pour moi !

- Excusez-moi, Sir Lampion, saluai-je. Éclairez-moi de votre sagesse.

- J'aime beaucoup, ça, sourit-il. Tu devrais t'adresser à moi comme ça tout le temps.

- Dans tes rêves, rétorquai-je. Accouche.

- Eh ben, tu m'as dit que ton chat t'avait défendu de te rendre dans l'aile Ouest, non ?

- C'est ça.

Féline m'avait interdit de parler de ses facultés à Will mais si elle croyait que j'allais obéir, c'était illusoire. Je partageais tout avec Will, depuis toujours. Et ce n'était pas près de changer.

- Tu crois pas que ça pourrait être parce que les goules de ton collège disparaissent à l'intérieur de cette aile Ouest ? Elle voulait peut-être te protéger de ce qui leur arrive.

Je me redressai d'un seul coup.

- J'y avais pas pensé, avouai-je.

- Tout le monde peut pas avoir le cerveau lumineux comme moi, me consola Will.

- Maintenant que tu l'as dit, ça me semble vraiment logique.

- Ben oui.

Cette idée ne cessa de me trotter dans la tête toute la fin des vacances. Will avait raison de souligner cette possibilité, et plus j'y pensais, plus elle semblait probable. Mais comment les élèves se retrouveraient-ils dans cette aile Ouest ? Personne n'y entrait jamais. Il fallait absolument aller y jeter un œil. Pas longtemps. Juste le temps de confirmer l'hypothèse. Après, nous rapporterions les preuves au brigadier du ministère et il se débrouillerait pour la suite. Je me promis d'en parler à Plumeau, Hugo et Zach dès mon retour à l'école.

La veille de la reprise des cours, le soir, Will surgit dans ma chambre alors que je finissais mon sac. La voix de ma mère annonça, un peu tard, que Will était venu me dire au revoir.

- Viens, fit-il. On va voir les étoiles.

- On est à Cambridge, répliquai-je. Tout ce qu'on verra comme étoiles ce sont les lampadaires. En plus, il fait super froid, on va se changer en sorbets.

- On s'en fout ! m'encouragea-t-il. Mets un manteau !

J'acceptai en râlant juste pour la forme. Je suivis son exemple et m'emmitouflai dans plusieurs pulls et une grosse doudoune, puis passai écharpe, bonnet et gants. Il m'entraîna jusque dans son jardin, à l'arrière de sa maison, trouva un espace dégagé, et s'allongea. Je l'imitai et me couchai dans l'herbe froide à ses côtés.

- Tu vois, me glissa-t-il, on est bien ici. Et puis il fallait bien qu'on passe notre dernière soirée ensemble d'une manière un peu spéciale, quand même.

- Spécial, ça, c'est sûr, grimaçai-je. J'ai le cul qui commence à congeler.

Il pouffa bruyamment.

- Pourtant, t'as de plus en plus de rembourrage dans ce coin-là.

- Tu veux vraiment qu'on discute de rembourrage, Sauvez-Willie ?

J'étais déjà assez effrayée par mon corps qui se transformait à vue d'œil pour que Will s'en mêle. Il avait bien de la chance d'être un garçon.

Il avait arrêté de rire et regardait le ciel avec un sourire satisfait. Je l'imitai et ne distinguai qu'un haut plafond sombre comme la nuit.

- Les étoiles sont magnifiques, ce soir, ironisai-je. Dommage qu'il y ait ce gros cumulonimbus devant.

- Fais preuve d'un peu d'imagination ! J'en suis déjà à trois étoiles filantes ! J'ai fait trois fois le même vœu.

- Ah oui ? Lequel ?

- Si je te le dis, il va pas se réaliser, rougit-il.

- Depuis quand t'es superstitieux ?

- Je suis pas superstitieux mais on sait jamais.

- C'est exactement ça, être superstitieux, me moquai-je.

- Non, corrigea-t-il, c'est être prévenant. Mon pote Mathis est superstitieux, lui. Avant chaque contrôle il range son sac d'une certaine manière et il place sa trousse et sa feuille sur sa table dans un ordre précis parce qu'il pense qu'il avait fait comme ça toutes les autres fois où il a eu une bonne note.

- Il est complètement obsessionnel compulsif, tu veux dire, rigolai-je. Et puis s'il fait son petit rituel à chaque fois, c'est pas étonnant qu'à chaque fois qu'il a une bonne note note, il l'ait fait juste avant, si tu vois où je veux en venir.

- Ouais, il est un peu particulier, accorda-t-il. Mais au moins, il rigole bien, à la récré. Les autres sont beaucoup trop sérieux.

- Ah bon ? Pourtant, à ce que tu m'écrivais, on aurait dit que t'étais tombé sur les amis les plus drôles de la Terre.

Il cala mieux sa tête dans ses bras et m'adressa un sourire contrit.

- Je fais mon cake, dans les lettres, mais je dois t'avouer qu'avec eux c'est pas la même chose qu'avec toi. Il se passe un truc spécial entre nous, tu vois ? T'as beau être une goule, je sais que je pourrai toujours compter sur toi...

- Moi aussi, Will, lui répondis-je. T'es mon seul et unique meilleur ami.

- … du moins je te fais confiance pour pas me manger, termina-t-il en se grattant le nez.

- Dommage, j'aurais bien croqué tes joues bien juteuses, plaisantai-je.

Il se composa une mine effrayée et posa ses mains sur ses joues. Puis il éclata de rire et imita une goule zombie. Je le repoussai quand il mordit dans mon écharpe en se secouant comme un enragé.

- C'est pas comestible, ça, pouffai-je.

En réponse, il lâcha mon écharpe et vint faire semblant de me manger pour venir claquer un bisou bruyant sur ma joue.

- Bah ! C'est dégueu, l'éloignai-je.

- C'était un bisou de goule, rit-il en reprenant un air normal.

- Tes bisous sont trop baveux, m'essuyai-je avec un pan de l'écharpe encore sèche.

Il gloussa et fit sortir une grosse bulle de bave.

- Mon meilleur ami est un crapaud, constatai-je.

Il ravala sa bulle et éclata de rire.

- Méfie-toi, les crapauds, ça se transforme vite en prince charmant.

- Avec toi, aucun risque, me moquai-je.

- Il faut juste un bisou ici, me montra-t-il sur sa joue dodue.

Je levai les yeux au ciel mais finis par obéir et y placer une bise.

- Maintenant, plus qu'à attendre, conclut-il. Deux ou trois ans de cuisson, et ce sera prêt !

Je pouffai et il me rejoignit dans la rigolade. La veillée aux étoiles sans étoiles fut quand même une réussite et il était déjà tard quand le père de Will vint nous dire de rentrer. Nous nous mîmes au chaud sans nous presser et Will me serra plus fort que jamais quand je quittai sa maison pour retourner chez moi. Je me promis de doubler le rythme des lettres à partir de ce jour. Si c'était humainement faisable. Je lui envoyais déjà presque une lettre par semaine.

Je m'endormis le cœur lourd, à l'idée de quitter Will encore une fois.

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Je parcourus le couloir du train en jetant des coups d'œil à l'intérieur des compartiments. J'entrai dans celui où j'aperçus Plumeau et Lyra. Elles étaient penchées sur un vieux livre décrépi. Plumeau sursauta à mon arrivée.

- Many ! s'exclama-t-elle.

Lyra m'adressa un vague signe de tête.

- T'es pas avec Kathleen, Alyss et ta sœur ? lui demandai-je.

- Non, répondit Lyra d'un ton détaché. Kath est avec ses potes du Quidditch, et Rowe et Alyss doivent être dans un coin du Poudlard Express en train de se bécoter. J'ai préféré m'isoler pour lire mais Plumeau s'est incrustée.

Celle-ci lui adressa un sourire d'excuse.

- Tu me dérangeais pas, dit Lyra. Au contraire.

- Qu'est-ce que c'est ? montrai-je le gros livre.

Elle m'ignora et ce fut Plumeau qui répondit.

- C'est un grimoire d'Histoire de la magie qui traite de l'évolution dans la fabrication de différents poisons au cours des siècles et dans les différentes civilisations, me rapporta-t-elle. Ça a l'air super intéressant. Mais c'est un livre de la réserve, donc c'est mort pour moi si je veux l'emprunter.

- Je te le prêterai avant de le rendre, si tu veux, proposa Lyra.

- Ah ! C'est vrai ? Merci !

- Si ça te fait plaisir, haussa-t-elle les épaules.

- Et comment ça se fait que tu aies un livre de la réserve dans tes bagages alors que t'es en troisième année seulement ? Je croyais que la réserve était accessible uniquement à partir de la sixième année, fis-je remarquer.

- T'en fais pas, miss balance, je vais le ramener, rétorqua Lyra. Avec le sort de confusion que j'ai jeté sur Mme Pince, personne se rendra compte de rien.

- Tu fais ça souvent, de lancer des sorts de confusion sur la bibliothécaire pour fouiner dans la réserve ? accusai-je. C'est pas très correct.

- De temps en temps, ça m'arrive, confirma-t-elle. Mais sache que si tu me dénonces, je nierai tout en bloc. Et je mens très bien.

- Tu me mets au défi ? provoquai-je.

J'avais dit ça pour blaguer et Lyra l'avait de suite repéré. Elle étira un sourire peu engageant.

- Tu me laisses pas le choix. Je vais devoir acheter ton silence. Une chocogrenouille, ça t'irait ?

Je fis mine de réfléchir.

- Hum... trois chocogrenouilles, pas moins.

- Une chocogrenouille et ma reconnaissance éternelle, négocia-t-elle. Marché conclu ?

Je serrai sa main tendue et Plumeau sembla enfin comprendre que nous n'étions pas sérieuses.

- J'ai vraiment cru que vous alliez vous faire passer des pots-de-vin, avoua-t-elle.

- Tu veux quoi, Plumeau ? lui demanda Lyra.

- Une chocogrenouille, ça m'irait bien aussi, accorda-t-elle.

- Deal, conclut Lyra. Je vais aussi prendre une baguette en réglisse pour Nemo pour quand il arrivera. De votre côté, le QI négatif et le psychopathe, ils voudront quoi ?

Je ne compris pas tout de suite de qui elle parlait.

- Zach aime bien les baguettes de réglisse, aussi, répondit Plumeau. Et Hugo, je sais pas trop, mais je pense qu'une chocogrenouille lui ferait plaisir. C'est gentil de nous payer tout ça, Lyra.

- Oh. Pas besoin de me remercier, c'est pas moi qui paye, corrigea cette dernière. Je connais quelqu'un qui sera ravi de nous offrir tout ça.

Elle dévoila une broche argentée assez simple sur son col et prononça une incantation complexe. Une broche Katz. Rosendale nous avait enfin expliqué l'effet Katz en cours. Une liaison magique entre deux objets, comme avec la marque des ténèbres des mangemorts.

- Tommy, fit Lyra. Apporte-moi quatre chocogrenouilles et deux baguettes de réglisse dès que le train démarre.

- C'est une blague ? Va te faire voir ! J'ai pas que ça a faire ! fit la voix sortant de la broche avant de couper la communication.

Elle haussa les sourcils.

- Bon. Entre la fois où ils ont frappé Nemo et ça, j'ai l'impression que mes minions prennent un peu trop de liberté, nota-t-elle. Je vais aller leur dire deux mots.

Elle se leva et quitta le compartiment en nous disant qu'elle allait vite revenir.

- Ses minions ? m'interrogeai-je à voix haute.

Plumeau fit signe qu'elle ne comprenait pas plus que moi.

La porte du compartiment s'ouvrit et laissa entrer Nemo.

- Salut, dit-il. J'ai vu Lyra sortir d'ici, alors je me suis permis de venir vous rejoindre.

Ses cernes de compétition et sa voix éteinte donnaient toujours l'impression qu'il dormait deux heures par nuit. Ses perles flashaient sur le décors, assorties à ses yeux bleus. Quoique. Maintenant que j'y faisais plus attention, ses yeux étaient plutôt violets.

- Tu sais ce que ça veut dire, cette histoire de minions, toi ? demandai-je alors qu'il s'installait sur la banquette d'en face.

Il me jeta un regard de totale incompréhension.

- Des minions ?

- Fais pas semblant de pas savoir, Lyra t'en parlait la dernière fois, répliquai-je.

- Ah oui ?

Il regarda autour de lui d'un air perdu, puis fouilla dans sa robe et en sortit sa baguette dont il posa la pointe sur mon nez.

- Qu'est-ce que tu...

Je fus coupée par la porte qui s'ouvrit brutalement.

- Salut les filles !... Et Nemo. Devinez quoi ? Il est vivant !

Zach avait fait irruption dans le compartiment en montrant fièrement un pot de fleur dont jaillissait une tige verte ornée de quelques feuilles.

- C'est ton Goldenseal ? Comment t'as fait pour le ressusciter ? s'éclaira Plumeau.

- Grâce à Ryan, annonça-t-il en câlinant son pot. Il a passé tout l'été à l'arroser et il s'en est bien occupé. Il a que huit ans, mais c'est déjà un amour de cousin.

Je n'avais pas prêté grande attention à l'échange. Nemo avait eu un air surpris en voyant Zach entrer, et avait rangé sa baguette comme s'il ne saisissait pas vraiment pourquoi il l'avait sorti. Ce garçon était décidément complètement à côté de ses baskets.

Lyra reparut au moment où le wagon s'ébranlait pour s'éloigner du quai. Elle salua Nemo et vint nous rejoindre. Zach sourit en lui faisant un signe de main mais se prit un vent.

- J'ai croisé le gang de Philippa, raconta-t-elle. Comme ils ont plus de punching-ball depuis que Kath traîne avec Charybde et Scylla, on dirait qu'Eli est devenu le défouloir des trois autres. C'est assez triste à voir.

- Tant pis pour lui, commentai-je.

Face-de-rat avait toujours été méchant avec Kathleen, il le méritait bien.

- C'est pas très gentil, se moqua Lyra. Les Poufsouffle, c'est plus ce que c'était.

- Tu peux parler, rétorqua la voix de Hugo.

Il venait d'entrer et de refermer la porte derrière lui. Le regard qu'il échangea avec Lyra était électrique.

- J'ai pas besoin de leçon de morale de ta part, Weasley.

- De toute façon, ce serait inutile, répliqua-t-il en venant s'asseoir le plus loin possible sur la banquette d'en face. Difficile de faire la morale à une personne sans aucun principe.

- C'est bon, Hugo, sois sympa, calma Plumeau.

Un sourire de requin apparut.

- J'ai un principe, déclara Lyra. Celui d'en avoir aucun. Ça m'a toujours réussi, jusqu'ici. Je vois pas de raison d'en changer.

Hugo ne s'attendait de toute évidence pas à un aveu aussi net. Il resta sans voix.

C'est cet instant que choisit un troisième année de Serpentard pour ouvrit la porte à la volée et jeter sur la banquette un tas de friandises en grommelant.

- De rien, cracha-t-il avec mépris avant de claquer la porte du compartiment en sortant.

- Voilà ta chocogrenouille, Baker, me lança Lyra.

Acheter mon silence n'était peut-être pas une blague, après tout. Personne n'osait y toucher.

- C'est pas un peu du racket, ce que tu fais ? lui envoyai-je.

- Non, répondit-elle comme si c'était la réponse la plus naturelle du monde. Bien sûr que non. C'est un échange. Je corrige leurs devoirs pour augmenter leur moyenne, et ils me rendent quelques petits services. D'ailleurs, je leur en demande très rarement et la plupart du temps, c'est moi qui fournis le plus gros travail.

- Vu la réponse de tout à l'heure, l'accord avait pas l'air très consenti, grimaçai-je.

- C'est plus consenti quand c'est à moi de bosser, je peux te le dire, rétorqua-t-elle.

- Tu pourrais aussi les aider sans rien demander en échange, marmonna Zach.

Elle le regarda comme s'il était stupide.

- Pourquoi est-ce que je ferais ça ?

- Ce serait plus honorable, fit Hugo en haussant les épaules. Mais j'imagine que la notion d'honneur est trop abstraite pour toi.

- Détendez-vous, apaisa Plumeau en déballant sa chocogrenouille. C'est pas grave.

- C'est pas ton honneur qui t'aidera quand tu seras dans le besoin, Weasley, continua Lyra.

- Non, avoua-t-il. Mais celui des autres, si.

Elle marqua un silence estomaqué avant de reprendre.

- Tu parles pas sérieusement ?

- Si, grogna Hugo.

Elle ne put masquer un éclat de moquerie dans son regard.

- Je vois pas ce que ça a de ridicule, se défendit Hugo.

- Si tu comptes sur l'honneur des autres pour te tirer d'affaire si tu es en danger, et que je suis la seule personne dans les parages, fit-elle, je suis désolée de te l'apprendre, mais tu es mort.

- J'ai compris ça depuis longtemps, marmonna-t-il. Ta lâcheté crève les yeux...

- Je préfère appeler ça un instinct de survie supérieur à la norme, sourit-elle.

Zach avait aussi entamé sa baguette de réglisse. Plumeau et lui observaient l'échange comme des spectateurs de free fight. Quant à Nemo, il s'était totalement désintéressé et regardait par la fenêtre.

- Mais je suis sûre que toi, qui es si honorable, tu donnerais ta vie sans hésiter, provoqua Lyra.

- Si c'est pour quelque chose de juste, j'ai pas peur de mourir, non, déclara Hugo sans ciller.

Lyra leva les yeux au plafond.

- Tout le monde a peur de mourir, répliqua-t-elle.

- Hugo a raison, l'épaulai-je. C'est faire preuve de courage.

- Et grâce à la force magique et invincible du courage, plaisanta Lyra, t'as failli décéder combien de fois, l'année dernière ? J'ai perdu le compte.

J'allais répliquer mais Plumeau me tendit une boîte de chocogrenouille.

- Tiens, me fit-elle. Ça sert à rien de se disputer.

Elle tendit deux autres boîtes aux deux duellistes.

- Merci, marmonna Hugo.

- T'as parfaitement raison, Plumeau, accorda Lyra. Weasley est beaucoup trop prise de tête pour mon bien. Il arriverait presque à me provoquer sur un sujet aussi inintéressant.

- Je suis pas prise de tête, grommela Hugo en déballant sa grenouille.

- Croâa, lui répondit cette dernière.

La retombée de tension me fit éclater de rire, et Zach me suivit.

- Vous faites vraiment la paire, tous les deux, nota-t-il. On devrait vous marier.

Deux regards noirs dans sa direction lui firent reporter son attention sur la baguette de réglisse qu'il suçotait. Il s'exclama ensuite en montrant la carte qui se trouvait dans l'emballage de ma chocogrenouille.

- Ulrich le foldingue ! Elle est super rare ! Tu me la donnes ? Ryan fait la collection.

- Tiens, la lui tendis-je.

- Moi j'ai Merlin, si tu la veux, proposa Plumeau.

- Cool, merci ! Et vous, vous avez qui ? demanda-t-il aux deux autres.

- Harry Potter, lut Lyra.

- Voldemort, répondit Hugo d'une voix déçue.

- Vous pouvez les garder, ces deux-là, il les a déjà en dix exemplaires, les repoussa Zach.

Hugo soupira de dépit et jeta la carte sur la banquette.

- J'ai apporté un super jeu de la maison, dit Zach avec entrain. je suis sûr que ça va vous plaire. C'est un jeu de bluff. Ça s'appelle les Fantômes Masqués. Vous voulez bien faire une partie ? Je suis super fort, je vais vous mettre la misère.

Tout le monde fut d'accord.

Lyra ne s'était pas moquée de nous lorsqu'elle avait affirmé être une excellente menteuse. Il était impossible de détecter les moments où elle bluffait. C'était la même chose pour Hugo. A l'inverse, Plumeau était une catastrophe. Elle devenait toute rouge et bégayait dès qu'elle mentait. L'ennui, c'est qu'elle devenait toute rouge et bégayait aussi lorsqu'elle disait la vérité mais qu'on lui lançait un regard un peu trop appuyé, ce qui rendait l'interprétation de son comportement illisible. Zach se débrouillait plutôt bien avec les cinq autres, mais bizarrement, dès que je le regardais dans les yeux, j'arrivais toujours à savoir d'intuition s'il disait la vérité ou pas. Je m'en sortais assez bien aussi, mais contre Lyra et Hugo, c'était peine perdue.

Finalement, Lyra gagna la partie et Hugo resta bougon pendant tout le reste du trajet.

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- Je trouve plus le livre !

Plumeau venait de me sauter dessus dans le dortoir de Poufsouffle. Nous étions juste passées par nos dortoirs pour prendre nos affaires de botanique et elle en avait profité pour vérifier que le vieux grimoire de la réserve que lui avait prêté Lyra était toujours là.

Mais il avait disparu.

- C'est pas possible, répondis-je. Il doit être quelque part.

Après un bon quart d'heure de recherches infructueuses, nous dûmes nous rendre à l'évidence. Le livre s'était bel et bien volatilisé.

- Il faut qu'on se dépêche, ou on va arriver en retard en botanique, pressai-je Plumeau.

Elle acquiesça mais me fit promettre que pour l'instant la perte du livre devait rester entre nous. Si le livre ne refaisait pas surface, nous irions en parler, mais pour l'instant, l'espoir subsistait qu'il soit juste égaré quelque part.

Nous rejoignîmes Zach et Hugo dans la salle commune. Ils nous firent remarquer notre retard et nous filâmes vers la serre.

Le professeur Lettriminel nous fit les gros yeux mais le cours n'avait pas encore commencé et nous pûmes nous installer sans faire perdre de point. Harry Ling avait déjà enfilé ses gants et nous salua, pendant qu'Apollo Matthews rebouclait une mèche noisette en admirant son reflet dans le miroir de poche qu'il tenait.

J'espérais de tout cœur qu'ils ne parleraient pas du dernier match de Quidditch.

Le match qui nous avait opposé à Gryffondor avait été une calamité. Brutus et Zach avaient eu beaucoup de peine à maintenir la main sur les cognards face aux frères Potter en face. Rose Weasley m'avait lancé un tel rugissement sauvage lorsque je l'avais taclée la première fois que j'en avais presque lâché le souaffle de surprise et elle en avait profité pour me le reprendre. Pour couronner le tout, la capitaine Delgado était une véritable anguille et la tacler était mission impossible. Joey s'était énervé tout seul mais comme prévu, sans conséquence, en dehors de lui faire manquer plusieurs arrêts faciles.

La seule chose qui nous avait délivré de cet enfer avait été Marvin, mettant fin au match en attrapant le vif d'or, et nous faisant gagner à un cheveu près. Le débriefing avait été plus sévère que jamais. Nous avions été une catastrophe sur le terrain et il nous avait souhaité de nous améliorer avant d'affronter Serpentard, les favoris.

Mais je devais reconnaître que les récits de Kathleen à propos de son équipe m'avaient coupé l'envie de les affronter.

Les cours avaient déjà repris depuis une semaine et nous avions pu constater la croissance rapide de nos pousses d'ail de Jarvey. Nous avions vite abandonné l'idée de compter sur un roulement à quatre pour aller s'en occuper, Apollo faisant semblant d'oublier d'y aller à chaque fois que c'était son tour. Nous tournions donc à trois et le système portait ses fruits.

Le cours du jour était purement théorique. Le professeur Lettriminel nous expliqua la variété des algues magiques et la complexité de leur récolte. J'en profitai pour parler à Plumeau de l'hypothèse de Will.

- C'est bizarre non ? terminai-je. Pourquoi est-ce qu'ils ont jamais rénové cette aile Ouest ?

- Tu penses vraiment que ça pourrait avoir un lien avec les disparitions ?

- J'en sais rien, mais avoue quand même que cette aile Ouest est entourée de mystère. Et puis, personne n'ose s'y aventurer. C'est le lieu idéal pour faire disparaître quelqu'un.

- Quel beau raisonnement, Baker Street, me sourit Apollo. Tu vas encore aller fouiner dans des endroits interdits ?

- Continue de t'admirer, toi, grommelai-je.

- Mais je t'admire toi, dit-il. J'ai tout entendu. Avec Docteur Plumoche, vous êtes en route pour élucider un nouveau mystère fantôme. Et, tout bien réfléchi, je pense que si vous arriviez à viser un malus de moins trois cent points, cette année, ce serait le top.

Harry renonça à lui envoyer une bourrade avec ses gants pleins de terre et pouffa.

- Quoi ? C'est vrai, Harry, ajouta Apollo. On est mal partis, cette année, alors si on peut ne pas arriver derniers, ce serait vraiment très altruiste de leur part.

Je renonçai à répliquer et me concentrai sur le cours. Est-ce que je partais encore dans un mystère fantôme comme l'an dernier ? Je ne voulais pas entraîner encore une fois les autres dans un périple risqué et essuyer un nouvel échec déprimant. Le souvenir de Chourave hantait encore bien trop souvent mes cauchemars pour que le doute ne vienne pas envahir mon esprit. Est-ce que mon imagination me jouait des tours ?

Non. Féline m'avait bien dit d'éviter cet endroit. S'il n'y avait qu'une aile effondrée sans rien d'autre, elle ne l'aurait jamais mentionnée.

Je décidai que le moment était venu de parler de Féline aux trois autres. Et hors de question de tenir Zach hors de la confidence comme elle me l'avait demandé. Il saurait tenir sa langue. Il me fallait juste trouver un lieu assez loin des oreilles des portraits de l'école et le trajet entre la serre et le château me semblait approprié. Le prochain cours était celui de SMIS, et le chemin était bien assez long jusqu'au septième étage.

Je rangeai mes affaires exceptionnellement lentement pour bien laisser les autres élèves partir devant. Zach me compara à un limaçon.

- Je vous l'avais jamais dit jusqu'à maintenant mais mon chat est un animal parlant, leur annonçai-je une fois dehors. Féline voulait pas que j'en parle mais comme je partage tout avec vous, je vois plus de raison de le cacher.

Zach s'arrêta net pour me dévisager.

- Ta bête sauvage tricolore pleine de dents ?

- Celle-là, oui, souris-je.

- Un chat, ça parle pas, rappela Zach.

- Sauf ce chat-là, insistai-je. Mais s'il-te-plaît ne le dis à personne. Elle est persuadée que je dois éviter de t'en parler parce que tu risques de cafter.

- Moi ? Cafter ? Pff !

- Elle a bien cerné ta langue de compétition, pouffa Plumeau.

Que Plumeau puisse douter de son silence transforma le visage de Zach en caricature de gosse pris en faute.

- On t'aime comme tu es, Zach, le rassura Plumeau.

Il s'illumina d'un regard ravi dans sa direction.

- Et elle te dit quoi, ironisa-t-il en se tournant vers moi, à part « nourris-moi » et « je te méprise comme le fait tout individu de mon espèce supérieure de pacha retors » ?

- Elle dit bien plus que ça, Zach, lui répondis-je. Elle a un pouvoir bizarre que j'arrive pas vraiment à cerner, mais elle sait d'intuition des choses qu'il est impossible qu'elle sache. Et elle m'a dit de me tenir loin de l'aile Ouest.

- Elle t'a dit de t'en tenir loin ?

- Pas exactement, dis-je. Elle m'a dit de pas y aller.

Plumeau me regarda d'un œil perplexe.

- C'est pour ça que tu m'as parlé de l'aile Ouest, tout à l'heure, comprit Plumeau. Mais même si cette aile cache quelque chose de pas net, rien nous dit qu'il s'agit des disparitions.

- Non, ce serait possible, réfléchit Hugo.

- Quelqu'un du ministère a bien dû venir fouiner ici au début des disparitions, reprit Plumeau. Ils ont forcément demandé à fouiller l'aile Ouest.

- Probablement, accorda Hugo. Sauf si quelque chose les en empêche.

- Comme quoi ? demandai-je.

- Aucune idée, avoua-t-il.

Nous entrâmes dans le château et empruntâmes les escaliers mouvants pour éviter Peeves qui se baladait dans les couloirs du quatrième.

Il restait encore un bon quart d'heure avant le cours de SMIS et je proposai qu'on attende sur notre coin de rambarde habituel plutôt que d'aller s'amasser devant la porte de la salle de classe. Les trois autres approuvèrent l'idée et je m'accoudai à la rambarde.

La vue depuis le sommet du septième étage était vraiment jolie. Ce coin de rambarde était un de nos coins privilégiés. J'aimais bien m'y reposer en admirant la vue. D'ici, on voyait toute la profondeur des sept étages qui plongeait entre les escaliers. Heureusement pour moi, je n'étais absolument pas sujette au vertige.

- Dans tous les cas, fit Zach, pour ce qu'on disait tout-à-l'heure, la seule chose de certaine, c'est qu'on a pas intérêt à aller mettre les pieds dans cette aile Ouest.

- Au contraire, le contredis-je. Il faut aller voir pour vérifier notre hypothèse.

- Mais je croyais que ton chat avait dit que...

- Justement, renchéris-je. C'est beaucoup trop louche.

- Tu voudrais pas juste en parler au brigadier de la police magique ? proposa Zach.

Je grimaçai.

- Cet abruti qui pense que j'ai inventé l'histoire de Franck et que c'est de ma faute si Luke a assassiné Chourave ? Jamais de la vie.

J'avais eu du mal à contenir ma fureur. Rien que le fait d'évoquer ma responsabilité dans le meurtre de Chourave me partageait entre l'envie de me rouler en boule et pleurer, et celle de tout casser de rage.

- C'est probablement en partie de ma faute, fit Hugo. Je suis vraiment désolé.

- Non, il aurait pensé ça de toute façon, répondis-je.

- Qu'est-ce que tu suggères de faire, alors ? demanda Zach.

- Aller dans l'aile Ouest, affirmai-je. Rapporter des preuves. Juste ça.

- C'est trop risqué, fit remarquer Hugo.

- Alleeez, suppliai-je.

- Ce sera sans moi, ajouta Zach. Je sais peut-être nager, mais pas voler, alors si cette aile s'effondre, on va tous aller s'aplatir en bas.

C'est à ce moment que la rambarde sur laquelle j'étais appuyée céda. Je fus tellement prise par surprise que je vis les yeux de mes amis s'écarquiller au ralenti. Je basculai en arrière, aspirée par le vide. Des bras se tendirent vers moi comme une anémone. Mes mains cherchèrent une prise au milieu, mais je ne fis que glisser contre eux.

Ils disparurent derrière le plancher de l'étage et je vis défiler les escaliers de plus en plus vite autour de moi. Je tombais. De beaucoup trop haut. Les étages continuaient leur ballet autour, rendus flous par la vitesse.

Un choc fit vibrer tout mon coté droit.

Ensuite, il y eut un deuxième choc, plus violent.

Je regardai dans un état à moitié sonné des élèves en uniforme s'attrouper autour de moi. J'avais mal partout. Je perdis connaissance plusieurs fois sur le chemin de l'infirmerie. J'entendis Bernadette pester contre les locaux qui tombaient en ruine.

J'ai de vagues souvenirs d'elle en train de réparer quelques os cassés sur ma personne avec des sorts inconnus. Puis la brume s'éloigna petit à petit et je retrouvai un esprit à peu près clair.

Je fis deux constats. J'étais dans un lit de l'infirmerie, et j'étais toute courbaturée. J'étais toute seule dans la pièce. Les autres lits étaient vides. La vieille guérisseuse qui tournicotait à droite à gauche remarqua que je m'étais redressée.

- Miss Baker, vous êtes vraiment une chanceuse.

Je n'étais pas tout à fait du même avis que Bernadette. Chanceuse n'aurait pas été le premier mot auquel j'aurais pensé.

- Ah oui ? fis-je d'un air blasé.

Elle eut un sursaut étonné.

- Qu'il y ait eu une rambarde instable juste là où vous vous trouviez, ceci est en effet assez fâcheux. Mais que Jana se soit trouvée dans les parages au moment où vous tombiez et qu'elle ait eu le réflexe de vous projeter contre un mur du quatrième étage ? Si ceci n'est pas de la chance, je ne sais pas ce que c'est.

Je ne voyais toujours pas très bien la chance dans tout ça.

- Non, non, non ! Qu'est-ce que ceci ? Restez dehors !

Bernadette venait d'accourir à l'entrée pour repousser Plumeau, Zach et Hugo qui tentaient de venir me voir. Je protestai que j'allais très bien, assez pour recevoir de la visite, et elle finit par céder. Tous les trois parlaient en même temps et je ne comprenais rien du tout.

- Calmez-vous, leur intimai-je. C'est la cacophonie.

- Tu vas bien ? s'enquit Plumeau.

- Ben oui, on dirait, me contemplai-je. Bernadette m'a bien rafistolée.

- Vous êtes autorisée à vous lever et à partir, fit cette dernière. Ceci n'est pas un lieu de bavardage et vous êtes en parfait état désormais. Ouste !

Elle nous mit dehors en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

- Ce manoir tombe en miettes, se plaignit Zach. C'est super dangereux ! Tu te rends compte de la chute que t'as faite ? T'aurais très bien pu t'écraser en bas !

- C'est vrai qu'un peu de rénovation, ça ferait pas de mal au château, commentai-je. Je suis sûre que j'ai récolté assez de bleus pour un déguisement de Na'vi.

- Ça va ? s'inquiéta Plumeau.

- Oui, oui, t'inquiète pas, la rassurai-je avec un sourire. Je suis plutôt solide.

- Je peux prendre ton sac, si c'est trop lourd.

- Mais oui, ça va aller, rigolai-je. Et je peux encore porter mes affaires.

- N'empêche, Mojito a de sacrés réflexes, admira Plumeau.

- Pourquoi ? interrogeai-je.

- Elle t'a fait éviter la chute mortelle, précisa Zach.

- Hein ?

- Dark Mojito en personne t'a sauvé la mise, annonça Zach.

- Sérieux ? Vous l'avez vue ?

- On t'a surtout vue dévier de ta chute en plein milieu, rectifia Hugo.

- Cette prof est impressionnante, marmonna Plumeau.

- Ouais, lui accordai-je. Mais je suis pas rassurée d'avoir une dette envers elle. C'est pas certain que j'assume à sa prochaine transformation en monstre.

- Quand on parle du loup... glissa Hugo.

- Tu voulais pas plutôt dire loup-garou ? chuchota Zach.

Nos pas nous avaient conduits dans le Hall d'entrée. Mojito était en train de discuter avec le prof de Runes. Ils s'interrompirent en nous voyant. Zach lui adressa son sourire le plus innocent et j'espérais qu'elle n'avait rien entendu de notre échange peu flatteur.

- Miss Cayle, appela Mojito. Vous allez me suivre dans le bureau de la directrice.

Plumeau devint toute rouge et balbutia dans une totale embrouille des mots terrifiés. Je ne comprenais pas non plus ce qu'elle venait faire là-dedans.

- Un livre de la réserve vient d'être rapporté par un élève, et il semble que vous avez contourné les règles de l'école pour vous le procurer, expliqua Mojito. C'est très décevant de votre part, Miss Cayle.

Plumeau en resta muette d'incompréhension avant de prendre conscience qu'elle avait arrêté de respirer et tout relâcher d'un coup. Mais comment avaient-ils su que ce livre était jusqu'à il y a peu en sa possession ? C'était Lyra qui l'avait chipé.

Elle nous adressa un dernier regard inquiet et suivit Mojito.

- C'est quoi, cette histoire de livre ? demanda Hugo.

Je lui racontai tout, depuis les magouilles de Lyra pour pouvoir emprunter dans la réserve à la perte de l'objet.

- C'est injuste si elle se fait punir à la place de Lyra, commenta Hugo. J'espère qu'elle leur racontera tout.

- Venant de Plumeau, j'y crois pas trop, tentai-je de le prévenir.

La suite me donna raison. Nous ne retrouvâmes Plumeau que le soir, dans la salle commune. Je lui fis un câlin en découvrant sa mine déconfite et ses yeux rougis. Elle avait eu droit à un savon en règle par Swan en personne, épaulée par Mojito et Mme Pince. Elle avait aussi gagné une retenue avec Pince et l'avertissement qu'elle risquait le renvoi si elle recommençait.

- Tu leur as dit, au moins, fit Hugo, que c'était Lyra qui avait emprunté ce livre à la base ?

Elle secoua la tête en signe de dénégation.

- T'es vraiment trop gentille, souffla-t-il d'une voix qui signifiait bien que ce n'était pas un compliment.

- En fait, Lyra avait déjà été convoquée, expliqua Plumeau, parce que c'était son nom qui était écrit sur le registre des emprunts.

- Je préfère ça, acquiesça Hugo. C'est plus juste.

- Mais elle leur a dit que c'était pas elle qui l'avait emprunté et que quelqu'un d'autre avait ensorcelé Mme Pince pour mettre son nom à la place, continua Plumeau. Comme ils voulaient un nom, elle leur a dit que c'était moi.

- Quoi ? s'exclama Hugo.

Tout son corps venait de se tendre en une fraction de seconde.

- C'est pas grave, Hugo, tenta de le calmer Plumeau. C'est ma faute.

- Non, non, non, non, l'arrêta-t-il. Elle t'a traîné dans la boue, et toi tu la défends ? Elle te donne en pâture pour sauver ses miches, alors que c'est elle qui enfreint les règles depuis des lustres ? Est-ce que vous allez vous rendre compte un jour que cette fille est une manipulatrice sans aucun scrupule ? Ça va pas se passer comme ça.

- Tu comprends pas, fit Plumeau en posant une main sur son bras. Sans moi, elle se serait jamais fait prendre. C'est ma faute parce que j'ai perdu le livre. C'est normal que ce soit moi qui prenne. De toute façon, j'ai tout avoué, alors c'est trop tard.

- Tu leur as menti pour la couvrir ?

- Oui.

Hugo s'était apaisé sous le regard azur et calme de Plumeau, mais continuait de contester avec de moins en moins de force.

- Pourquoi ? C'est plus de la gentillesse, c'est du délire.

- C'est ma faute, je te dis, insista Plumeau. C'est pas grave. Je ferai cette retenue, et ce sera vite passé. Je veux pas que vous vous disputiez à cause de moi.

- Ils se disputent déjà très bien sans ton aide, tu sais, lui fis-je remarquer.

- La prochaine fois qu'ils se croisent, ils vont s'arracher les yeux, grimaça Zach.

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Zach n'avait pas été très loin de la vérité.

Quand Hugo l'avait provoquée en la traitant de magouilleuse égoïste et lâche, Lyra avait répliqué avec un aplomb monstrueux que ce n'était quand même pas de sa faute à elle si le livre avait été perdu.

Plumeau avait répondu calmement qu'elle comprenait parfaitement, et Hugo était entré dans une rage froide comme la banquise en insultant Lyra de tous les noms qu'il trouvait appropriés en la circonstance. Cette dernière s'était contentée de hausser les sourcils devant cette démonstration soudaine de colère avant de le qualifier de bouledogue enragé.

Zach avait préféré embarquer Hugo ailleurs avant que la situation ne dégénère. Nous ne l'avions plus croisée depuis, et c'était peut-être mieux pour l'état mental de Hugo.

Je jetai un œil à la potion de Kathleen. Elle n'était pas aussi jolie que celle de Plumeau, mais au moins, elle n'était pas vert fluo.

Ma potion ne ressemblait vraiment à rien. Si la potion de Plumeau évoquait de l'herbe fraîche, la mienne donnait l'impression que quelqu'un de vraiment très malade avait vomi dans mon chaudron.

Je fis une nouvelle vois la check-list des ingrédients que j'avais incorporés. Poudre de granit, fleur d'oranger, émincé de scolopendre, écorce de saule, thé, café, myrtilles et purée d'avocat pour donner un goût et une couleur potable. Il n'y avait pas d'erreur. J'avais suivi les instructions à la lettre. J'avais mélangé comme il fallait, dans le sens des aiguilles d'une montre puis dans l'autre, trois fois, en laissant reposer entre les deux.

Alors pourquoi ma mixture puait-elle le cadavre ?

J'avalai une des myrtilles qui restaient sur mon plan de travail pour masquer l'odeur, puis constatai avec horreur que Mojito avait commencé sa ronde entre les tables pour évaluer le résultat final de chacun.

- Plumeau, j'ai besoin d'un conseil. Est-ce que je me suicide de suite ou bien est-ce que je dois attendre que Mojito vienne rectifier son erreur d'hier ?

- Bah, l'aspect, c'est pas ça qui est important, tenta-t-elle de me rassurer maladroitement d'un air gêné. Le principal, c'est que ce soit une potion énergisante comme on nous l'a demandé.

Je ne voulais pas qu'elle se sente mal à l'aise par rapport à mon niveau au ras des pâquerettes en potions. Plumeau faisait toujours des efforts pour se fondre dans la masse, mais en potions, elle brillait malgré elle. Je lui envoyai mon plus beau sourire débile pour qu'elle se sente mieux.

- Tu crois que je devrais goûter pour voir ?

- Euh... bof, gloussa-t-elle. Si le goût ressemble à l'odeur, j'éviterais de m'y essayer.

- C'est bon, je me bouche le nez et ça passera.

Je portai discrètement la louche jusqu'à ma langue, mais renonçai à y tremper le bout.

Si ma potion était ratée, comme ce que son aspect suggérait, mieux valait qu'elle reste dans le chaudron. Le nez tout près de la louche, cependant, je fus surprise par l'odeur. Elle ne sentait plus du tout mauvais lorsqu'on s'approchait suffisamment.

Ma potion avait un fumet d'avocat, avec un zeste de quelque chose d'autre qui relevait les odeurs. C'était super agréable. On y distinguait l'arôme de fleur d'oranger. Les senteurs s'évanouissaient au fur et à mesure, mais il n'y avait pas de quoi faire la grimace.

Kathleen me regardait d'un air éberlué. Je tendis la louche à Plumeau. Elle avait le nez retroussé et les yeux écarquillés dans l'attente de ce que j'allais dire.

- Non merci, déclina-t-elle. Alors, c'est dégueu ?

J'éclatai de rire devant sa tête effrayée.

- J'y ai pas touché, hein. Je suis pas encore complètement folle. J'ai juste senti. Et justement. Tu vas pas me croire, mais ça sent bon.

- Sérieux ?

Je lui fis sentir le bout de la louche et elle dut reconnaître que j'avais raison. Kathleen eut un sursaut surpris en testant l'odeur.

- C'est bizarre, fit-elle, ça sent super bon. Elle est peut-être pas si ratée. Peut-être que, pour une fois, c'est toi qui as réussi ta potion mieux que Plumeau.

Je pouffai.

- Tu rêves, non ?

Plumeau me regardait d'un air inquiet.

- Méfie-toi des effluves, quand même, nous arrêta-t-elle. Tu te sens comment?

- J'ai la pêche, pris-je conscience. Et un peu chaud... Tu crois que c'est la potion qui me fait ça ? Elle est peut-être efficace, finalement.

- J'espère que t'en as pas trop sniffé, grimaça Plumeau. Tu sais, les émanations des potions peuvent être tout aussi puissantes que lorsqu'on les avale. Tu devrais t'éloigner un peu du chaudron.

- Mais non, regarde, je me sens hyper bien, la rassurai-je. Au top de la forme !

- Je crois que Plumeau a raison, fit Kathleen avec un petit rire de souris. Les effluves te sont un peu montées à la tête. T'as l'air pompette.

- Ah bon ? Tu crois ?

Je me sentais bien. Mojito était en train de déchaîner ses foudres sur Zach, comme d'habitude. Sa potion était devenue rose pétard et dégageait des volutes de fumée. Ma potion était peut-être moche, mais elle était de la bonne couleur et avait les effets attendus.

Je fourrai une autre myrtille dans ma bouche. Il en restait encore.

- Vous en voulez ? en proposai-je à Plumeau et Kathleen.

- Non, merci, je suis moyennement fan, répondit Plumeau.

- Moi non plus, s'excusa Kathleen.

- Dommage, fis-je en en gobant quelques unes. C'est super bon les myrtilles. Vous savez pas ce que vous ratez.

C'était pour me donner le courage d'affronter Dark Mojito malgré mon désastre. Je sentais déjà le trac faire battre mon cœur plus vite.

Mojito se composa une expression mi-figue, mi-raisin en examinant la potion de Kathleen. En se penchant, la belle montre à gousset dorée qui pendait à une chaînette autour de son cou se balançait au-dessus du chaudron. Ses yeux en amande malicieux semblaient toujours percer le secret de choses inaccessibles au commun des mortels. Le résultat n'avait pas l'air de lui déplaire, et elle finit par faire une moue amicale pour encourager la petite souris de Serpentard.

- C'est pas loin de ce que j'attendais, commenta-t-elle. Vous avez peut-être simplement manqué le rythme de mélange. Mais ne vous en faites pas, ça méritera une très bonne note, Miss Walker. C'est très bien. Vous faites beaucoup de progrès, cette année.

Le visage de la prof s'illumina devant le travail de Plumeau et elle émit un petit ronronnement de plaisir. Quand elle ne présentait pas son expression assassine, Mojito avait le visage rebondi de la mère poule parfaite.

- C'est presque parfait, félicita-t-elle. Petite astuce : si tu avais choisi une écorce plus tendre, les effets en seraient décuplés et allongés. Comme celle-là, ajouta-t-elle en montrant un des restes sur la table de Zach.

- Ah, oui, je vois, sourit Plumeau. Merci pour le conseil.

- Mais c'est quand même excellent, Miss Cayle. Félicitations.

Ensuite, elle posa son regard sur mon chaudron et son sourire ne fut plus qu'un souvenir.

- Qu'est-ce que c'est que cette horreur ?

Ma gorge se serra et mon rythme cardiaque accéléra. Je m'efforçai de rester impassible.

Puis son regard survola les restes sur ma table et elle devint blême.

- Qu'est-ce que...

Mon cœur battait beaucoup trop vite.

Mojito me saisit par le col et me menaça de sa louche.

- Qu'est-ce que tu viens de prendre ? Tu en as bu ? hurla-t-elle. Espèce de crâne de faykrill, je te demande si tu en as bu ? Crache ça !

Surprise par sa soudaine violence, je fondis en larmes et secouai la tête. J'avais la nausée.

Elle me traîna jusqu'à l'estrade d'une poigne de fer en déversant un flot d'insultes. Toutes les têtes me regardaient avec étonnement me prendre la honte de ma vie.

- Ne bouge pas de là, ordonna-t-elle en me laissant tomber sur l'estrade au pied du bureau.

J'eus un vertige et vomis tout mon repas à ses pieds.

- C'est bien, m'encouragea-t-elle en sortant un tas d'ingrédients de son armoire, purge-moi toute cette cochonnerie.

La nausée s'était accentuée. J'étais en sueurs. La pièce me semblait tout d'un coup beaucoup trop éclairée et je clignai des yeux.

- Qu'est-ce qui m'arrive ? J'ai...

- Tais-toi et vomis, coupa Mojito.

Elle s'agitait au-dessus de son chaudron comme une pieuvre aux milles tentacules. Je me tournai sur le côté péniblement. Mon cœur battait trop vite. J'essuyai mon visage avec ma manche. Je rendis le reste du repas. Ma gorge était en feu.

Mojito me tendit un verre plein d'un liquide louche. Je crus voir des vers flotter à la surface et j'eus un nouveau haut-le-cœur.

- Dépêche-toi de boire ça, gronda Mojito en continuant de s'affairer. Hé ! Vous, les moucherons, retournez à vos places immédiatement !

Elle avait rugi de sa voix la plus effrayante. Je notai que des élèves s'étaient rapprochés au moment où ils se précipitaient vers leurs propres tables pour ne pas attirer les foudres de la prof.

- Bois !

- C'est dégueu, gémis-je.

- Tu veux vivre ?

Je bus d'une traite ce qui commençait à ressembler à de la chair en putréfaction dans mon verre. Le goût était monstrueux. Le tout ressortit en jet sur le sol à peine avalé. J'en avais assez de vomir. Je voulais qu'on me laisse tranquille. Mais la nausée s'était accentuée et je continuai avec honte à me vider l'estomac devant toute la classe. J'avais soif.

- Donne-moi ton bras, fit Mojito d'un ton autoritaire.

Je le lui tendis mollement et réalisai avec horreur que je tremblais malgré moi. Une aiguille s'enfonça dans ma peau et je ne pus réprimer un petit cri de surprise. Un liquide glacé se répandit en moi comme un venin. Je tentai de m'écarter. Un coup de louche me fit me tenir tranquille. Le serpent qui m'avait mordu s'échappa en vitesse. En fait, j'étais allongée sur un nid de vipères.

Je rampai toute affolée en arrière en criant.

Je fis l'erreur de lever les yeux. La salle de classe avait laissé place à un brasier géant. Des flammes venaient me lécher les épaules. L'intérieur de ma tête était en ébullition. Je suais à grosses gouttes, à présent. Avec un peu de chance, pensai-je, je pourrais stopper le feu avec.

On me frappait. Les coups pleuvaient et je gémissais en tentant de repousser le fautif. Mais il n'y avait qu'un monstre énorme qui me secouait sans que je puisse l'atteindre. Il frappa mon torse et une douleur vive me traversa. Je ne réussis qu'à grimacer, cette fois.

Quelque chose avait envahi mon cœur. Il palpitait comme s'il voulait sortir de ma poitrine. Vu la chaleur qui s'en dégageait, j'abritais très probablement un bébé phœnix pressé de venir au monde. J'espérais qu'il attendrait que je sois morte pour sortir en transperçant mon cœur. Parce que j'allais mourir, non ? On ne survit pas au milieu d'une pareille fournaise.

Je perdis connaissance avec soulagement.

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Le réveil ne fut pas une partie de plaisir. Il me fallut un moment pour réussir à appeler quelqu'un et à ouvrir les yeux. Ce fut Bernadette qui m'accueillit.

- Eh bien, on revient de loin, miss ?

Je grognai.

- A ce stade, ce n'est plus de la chance. Vous avez bel et bien un ange gardien.

Un ange gardien ?

- Ne bougez pas, je vais faire appeler vos camarades. Je parie qu'ils s'inquiètent pour vous.

Après ce qui me sembla ne durer qu'une seconde, Zach se jeta sur moi en hurlant.

- Aïe, tu me fais mal, espèce de débile.

- Elle est vivante, interpréta-t-il en essuyant une larme.

- Ça a l'air de t'étonner, raillai-je. Je vous avais dit que j'étais une fille solide.

- T'avais moins l'air solide, ce matin, répliqua Hugo. Qu'est-ce qui t'a pris de sniffer cette potion, sérieusement ?

- Ce matin ? m'étonnai-je. On est quand, maintenant ?

- On est ce soir, répondit-il.

- J'ai dormi toute la journée ?

- T'as pas fait que dormir, fit Hugo. Mojito t'a sauvé la vie.

- Ouais, lança Zach. C'est une vrai héroïne, maintenant. Vu comment elle a roucoulé en acceptant tous les présents, je pense que le statut lui plaît assez. Peut-être assez pour arrêter de se transformer en Magyar à chaque fois qu'elle voit une de mes potions, qui sait ?

- Comment ça ?

- Ben, tu sais, Many, mes potions sont souvent assez moches...

- Non. Je veux dire : qu'est-ce qu'il m'est arrivé, exactement ?

Ils échangèrent un regard.

- Tu te souviens pas ?

- Si, répondis-je. Un peu. On rigolait tranquillement avec Plumeau et Kathleen à sentir ma potion et après Mojito est devenu folle. Elle m'a donné à boire un truc immonde qui m'a faite gerber. Après je sais plus.

- T'as retapissé la classe, sourit Zach. Gerbi-woman. C'est clair. Mais après tu t'es mise à voir des trucs invisibles et à crier. C'était flippant. La prof t'a injecté un truc. Et puis elle t'a emmenée en vitesse dans une sorte de placard dissimulé qui doit sûrement être relié à l'infirmerie, en chargeant Plumeau de la discipline de la classe en son absence. On l'a un peu aidée, heureusement.

Il fit un clin d'œil à Plumeau qui détourna le regard.

- Je m'en sortais très bien, mentit celle-ci en s'empourprant.

Bernadette entra avec Mojito sur ses talons. Elle demanda aux trois autres de sortir. Après cinq bonnes minutes de protestations et supplications, je me retrouvai seule avec mon ange gardien. Enfin démon gardien, peut-être. Je fis la moue. Si Mojito était mon ange gardien, je ne me serais pas mangée des notes de potions aussi moisies pendant toute ma scolarité.

- Comment tu te sens ? dit-elle avec une moue compatissante.

- Je...

- Qu'est-ce que c'est que cette histoire de belladone ? me coupa-t-elle d'un ton glacial en se plaçant à deux doigts de mon visage. Où tu les as prises ?

- Quoi ?

- Les baies qu'il y avait sur ta table. D'où est-ce qu'elles venaient ?

- Les myrtilles ? Je les ai prises dans le panier de l'armoire, comme tout le monde.

- Ne me mens pas, ordonna-t-elle d'un ton qui me rappela douloureusement que petite j'avais peur de Jafar. Tu as fouillé dans ma réserve.

- Non, m'affolai-je. J'ai rien fait. Je comprends rien du tout. Quelle réserve ?

Elle s'adoucit et m'offrit un sourire tendre. Elle se recula un peu.

- Petite. Quelqu'un te veut-il du mal ?

- Pourquoi ?

Sa question me prenait au dépourvu.

- Est-ce que tu t'es disputée avec quelqu'un ?

- Je me dispute avec plein de gens tout le temps. Qu'est-ce que ça change ?

- Ça change que si ce n'est pas toi qui as pris ma belladone, ce qui me semble effectivement hautement improbable étant donné que tu aurais pu en mourir, quelqu'un a échangé tes myrtilles avec.

- Qu'est-ce que c'est, une belladone ?

- Un poison mortel, continua-t-elle de son ton enjoué. J'en utilise souvent à petites doses pour la préparation de potions complexes.

- On a voulu m'assassiner ?

J'avais presque envie d'en rire. C'était tellement idiot. Jusqu'ici, parler de Franck s'était apparenté à un jeu. Et puis pour être tout à fait honnête, je n'y croyais pas trop. Je pensais que Luke avait brouillé les pistes, comme ce que pensait Hugo. Mais si quelqu'un commençait à m'empoisonner...

- Non, pas forcément, me cassa-t-elle dans mes fantasmes. J'aimerais juste savoir quel est le nigaud qui est venu fouiller dans ma réserve pour ensuite aller laisser traîner quelque chose d'aussi dangereux dans l'armoire de cours. J'aimerais autant que ce ne soit pas un professeur, ou il regretterait son geste le restant de ses misérables jours.

Je priai de ne jamais me trouver sur le chemin de cette femme en colère.

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L'hiver nous faisait geler les sourcils et rougir le bout du nez, mais tous les quatre, nous persistions à vouloir aller nous occuper de nos pousses d'ail de Jarvey tous ensemble. Nous croisions parfois d'autres élèves de la classe venant s'occuper des leurs. Le chemin jusqu'à la serre était long et nous avions tout le temps de ressentir le vent glacial.

Je réprimai un gloussement lorsqu'un chatouillis dans le cou me surprit. La petite main de Peach s'était agrippée à une des mes mèches pleines de givre. Sa tête dépassait de mon écharpe pour contempler le paysage. Mario en faisait de même de l'autre côté.

J'avais renoncé à les ramener à Fergusson. Le jeu DS n'avait plus d'intérêt à ses yeux, et de toute façon, les deux guignols miniatures retournaient sans cesse dans mes basques. C'était une lutte perdue d'avance. J'avais donc fini par accepter leur présence et ils avaient appris à se faire plus discrets. Ils ne sortaient que rarement de la salle commune de Poufsouffle et c'était la toute première fois qu'ils mettaient le nez hors du château. Leurs petits visages émerveillés parvenaient à me faire oublier le degré de pénibilité qu'ils avaient atteint par le passé.

Peach essayait vainement de tendre le bras pour attraper des flocons. Elle eut un couinement déçu quand nous parvînmes enfin à l'abri de la serre.

Les deux Lily et Jess interrompirent leurs commérages en nous voyant entrer dans la serre avant de glousser sous cape. Elle se dépêchèrent de ranger leur matériel et nous laissèrent seuls.

Hugo avait essayé de garder une contenance mais il semblait s'effacer dès que sa cousine était dans la même pièce. C'était au tour de Zach et de Plumeau de s'occuper des plantes, et je me réjouissais de pouvoir garder mon manteau et mes gants. La serre coupait le vent mais il faisait encore bien trop froid.

Tous les deux avaient enfilé leurs gants en peau de dragon et examinaient leurs pousses. Elles étaient bien hautes, déjà.

Je me fis la réflexion que j'avais bien failli ne jamais voir le fruit de nos efforts. J'étais quand même passé à un cheveu de la mort deux fois ces derniers jours. J'avais du mal à en prendre conscience. J'allais très bien, et mes souvenirs des événements étaient assez confus. Mais je me demandais si je n'avais pas intérêt à aller voir le brigadier de la police magique.

- Et si quelqu'un voulait vraiment m'assassiner, qu'est-ce que je devrais faire ? m'inquiétai-je.

- Tu nous as dit que Mojito pensait que c'était juste un fouineur idiot, fit remarquer Plumeau en ramenant du fumier de dragon.

- Elle a dit ça pour que j'aille pas paniquer, répondis-je. Mais je suis pas débile. Elle m'a posé plein de questions louches. Vous avez déjà oublié Franck ?

- Je sais pas trop, avoua Hugo. Mojito a peut-être raison et c'est juste un accident.

- Et pour la rambarde du septième étage ? Avouez que c'est quand même bizarre cette rambarde qui cède sans raison juste la veille, fis-je remarquer.

- Tu penses que c'est aussi un coup de Franck ? s'étonna Hugo.

- C'est vrai que c'était assez surprenant cette histoire de rambarde, réfléchit Zach.

- Vous êtes parano, fit Hugo.

De toute façon, Hugo n'avait jamais réellement cru à l'histoire de Luke. Et il était suffisamment têtu pour ne pas commencer maintenant.

- On va enfin choper Jean-Eudes la main dans le sac ! s'exclama Zach en renversant à moitié l'eau qu'il apportait pour sa plante. Et comme ça Many sera trop occupée pour continuer à nous bassiner à vouloir aller faire un suicide collectif dans l'aile Ouest.

- Jean-Eudes ? releva Hugo. Vous voulez pas tous utiliser le même prénom ?

- Non, je préfère Jean-Eudes, fit Zach.

- Ho là, doucement, se réveilla Plumeau. On est en train de se faire tout un film alors que c'est peut-être juste un accident.

- Et j'ai pas laissé tomber l'histoire de l'aile Ouest, ajoutai-je en dévisageant Zach.

- Réfléchissez deux secondes, poursuivit Plumeau. Comment Franck aurait pu faire le coup ?

- Pour la rambarde du septième, n'importe qui en nous observant a pu repérer qu'on squatte toujours cet endroit et le saboter. Et pour les myrtilles empoisonnées, Many est allée aux toilettes à un moment donné, se représenta Zach.

- Oui, mais j'étais toujours là, fit remarquer Plumeau. Kathleen aussi.

- Vous avez surveillé la table tout du long ? Vous avez pas quitté la table ?

Elle hésita, comme si elle répugnait à ce que le garçon puisse avoir raison.

- Si, on est allées chercher des ingrédients, avec Kathleen.

- Ha ! Voilà.

- Mais…

- J'ai raison.

Elle souffla. Difficile d'avoir le dernier mot avec Zach.

Je remarquai que Peach contemplait encore la neige tomber avec fascination. Je décidai de lui faire plaisir et sortis mon bras à l'extérieur pour lui en attraper un peu.

- Tu sais, Plumeau, continua Zach, le livre sur les poisons que t'as perdu... Et si quelqu'un te l'avait volé ?

- C'est vrai que je comprends pas très bien comment il a pu disparaître comme ça, accorda Plumeau. Mais...

- Tu crois pas que le voleur pourrait être Franck ?

- Mais dans ce cas ça voudrait dire que Franck est quelqu'un de l'école, dit-elle. C'est assez improbable, non ?

- Tu trouves pas que ça fait beaucoup de coïncidences ? appuya Zach. Bon, je m'emballe peut-être un peu... On a qu'à imaginer que c'est quelqu'un envoyé par Franck, comme Luke.

- Oui, réfléchit-t-elle. Effectivement...

Je ramenai mon gant et constatai avec joie que le bout de mon doigt était couronné de quelques flocons. Peach s'écria de ses couinements ravis et sauta dans ma main pour les examiner de plus près. Contre toute attente, elle approcha sa bouche pour en gober un et redressa la tête brusquement avec une expression de poule surprise.

- Aïe ! protestai-je en sentant la morsure de ses petites dents à travers la laine de mon gant.

- Mimimi, répondit-elle en se léchant les babines d'un air étonné par le froid.

Elle recommença sur plusieurs flocons et j'abandonnai l'idée de râler. Puis elle couina de dégoût après avoir mordillé une partie différente de la laine qui recouvrait mon doigt. Elle tira la langue et fit des grimaces.

Puis elle chancela et dégringola sur le sol, inanimée.

-Qu'est-ce qui lui arrive ? s'inquiéta Hugo.

Il y eut comme un bug dans sa consistance. Elle sembla clignoter bizarrement quelques secondes puis disparut entièrement.

- Ho ? fit Mario.

Il me regarda avec étonnement et sauta sur le sol, là où s'était tenue sa partenaire de crime quelques instants auparavant. Sa tête chercha une cachette où pourrait s'être réfugiée son amie, mais il se rendit rapidement à l'évidence.

Peach venait de cesser d'exister.

Le petit Mario se mit à pleurer toutes les larmes de son corps en grattant mollement dans les traînées de neige boueuse que nous avions faites entrer avec nous.

- It's a-me, Maaaario !

Hugo s'était figé en comprenant la même chose que moi.

Je regardai mon gant qui portait toujours les traces de dents minuscules de Peach. De plus près, c'était évident que le bout des doigts du gant avait légèrement changé de couleur. Quelqu'un avait mis du poison sur mes gants. Quelqu'un qui m'avait assez observée pour savoir que je retirais mes gants en les tirant avec les dents.

Il n'y avait plus de doute à avoir.

Je tendis mon bras vers Hugo pour qu'il puisse bien voir mon gant.

- Toujours persuadé que Franck est une invention de Luke ?