Chapitre 17 - L'aile ouest
Chère Many,
Quoiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ?
J'ai presque cru que ta dernière lettre, c'était un poisson d'avril. Mais bon, comme on est en janvier, le poisson serait un peu trop surgelé pour être consommable.
C'est quoi cette école de goules qui fait disparaître des gens et qui envoie un serial killer à tes trousses ? Je veux bien que vous ayez besoin de chair humaine pour survivre, mais c'est un peu de la triche de s'acharner sur toi. J'aurais jamais cru que mon serre-tête porte-bonheur te serait aussi utile. Surtout, tu le gardes bien sur toi. Je veux te récupérer en un seul morceau cet été.
J'ai beaucoup réfléchi à ton serial killer. Celui de cette année, c'est encore un pantin envoyé par ton homme de l'ombre... comment tu l'appelles déjà... Francis ? Parce que vu ce que tu m'as raconté sur ses consignes loufoques l'année dernière, il est sûrement incapable de s'en prendre à toi directement. Alors il t'envoie des tas de serial killers manipulables. C'est peut-être même une goule comme toi ! Une goule de ton école !
A côté de toi, mon collège est vraiment pas palpitant. Enfin, au moins, je serai toujours en vie à la fin de l'année. Te fais pas de souci, je pleurerai avec beaucoup de conviction à tes funérailles. Tu sais que tu peux compter sur mes talents d'acteur.
Bisous baveux de goule zombie !
William
P.S. Je sais que t'es une goule super forte et que t'as plein de super-pouvoirs, mais fais gaffe à toi quand même.
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Aiken Robart et Lucy Weasley avaient été retrouvés peu de temps après la rentrée de janvier. Aucun des deux ne se souvenait des deux mois écoulés.
La même histoire se reproduisait sans fin.
Et bien évidemment, de nouveaux élèves avaient à nouveau disparu sans tarder. Meredith Lloyd, une Serdaigle de cinquième année, avait disparu en premier, rapidement suivie par Elyann Dink, le petit surdoué de Serdaigle avec une tête de tournesol. La double disparition continuait et Hugo était fier de ne pas s'être trompé.
Puis c'était Urry Penn qui avait disparu, ce pauvre Serdaigle de cinquième année qui se faisait racketter en début d'année, sans que les deux autres aient reparu. Toutes les rumeurs circulaient avec une intensité accrue. La triple disparition était sur toutes les lèvres.
Presque toutes, pour être honnête.
Je faisais partie des quatre élèves qui avaient l'esprit accaparé par tout autre chose.
Une chute du septième étage et deux tentatives d'empoisonnement, en l'occurrence.
Au sortir de la serre, je décidai de redoubler de vigilance et Zach décréta qu'il serait mon garde du corps personnel. Le rôle s'accompagnait de beaucoup d'esbroufe mais je lui fus quand même reconnaissante pour son soutien. Nous n'allions pas nous laisser abattre.
Pourtant, l'un d'entre nous restait inconsolable. Un petit personnage haut comme ma paume. Mario pleura pendant tout le trajet de retour de la serre en murmurant des petits « Ho... » bouleversés. Perdre sa partenaire de crime lui avait porté un coup violent au moral. En y réfléchissant, c'était peut-être sa petite amie. Alors je tentai de le réconforter comme je pouvais mais je n'avais pas beaucoup d'expérience en réconfort de personnages de jeu vidéo. Il restait emmitouflé au fond de ma poche et ne disait pas grand chose. Je décidai de le laisser tranquille un petit moment pour le laisser faire son deuil.
Au retour de la serre, mon premier réflexe fut d'apporter mon gant empoisonné à Mojito. Elle nous pria d'entrer dans son bureau de sa voix mielleuse lorsqu'elle nous entendit frapper.
Son regard en amande pétillait comme à son habitude et sa chevelure blonde canari était relevée dans son chignon approximatif confectionné avec ses propres mèches. Elle ne quittait jamais la jolie montre à gousset dorée qui pendait à son cou.
- Moui ?
Elle semblait ravie d'être visitée par son élève favorite. Plumeau déposa le gant délicatement sur le bureau de la prof.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Heu... c'est, hésita Plumeau.
- Quelqu'un a mis du poison sur les gants de Many, professeur, répondit Hugo.
Elle me dévisagea avec la bouche en cul-de-poule puis glissa la queue de sa louche dans le gant pour l'apporter sur son plan de travail. Ses doigts boudinés virevoltèrent avec agilité au milieu des fioles et ingrédients.
- Qu'est-ce qui vous a fait penser qu'il y avait du poison sur ce gant ?
- C'est difficile à expliquer... hésitai-je.
- C'est pas le cas ? coupa Hugo.
- Si, confirma la prof après avoir trafiqué quelque chose sur la laine de l'objet.
- Qu'est-ce que c'est ? interrogea Zach.
- Une préparation à base de cyanure, répondit Mojito en posant des yeux écarquillés sur nous. Je crois que je ferais mieux de convoquer ce stupide brigadier.
Une ombre était passée sur son visage.
Le brigadier du ministère ne mit que quelques secondes à arriver, et je le soupçonnai d'avoir emprunté quelque passage secret. Sa tête de vieux chimpanzé aux oreilles décollées ne me revenait toujours pas. Je lui en voulais toujours de m'avoir faite culpabiliser pour l'assassinat de Chourave. Il serait enfin forcé d'admettre que je disais la vérité à propos de Franck.
- Je me suis permise de vous appeler pour que vous vous décidiez enfin à ouvrir une enquête, Van Coevorden, annonça Mojito avec un ton glacial qui signifiait que le monstre était difficilement contenu. C'est la troisième tentative d'assassinat sur cette jeune élève depuis la rentrée.
Troisième ? Alors les profs aussi pensaient que ma chute du septième étage n'était pas un accident ? Je pris conscience que même si Mojito m'avait dit que ce n'était rien pour me rassurer, elle n'y croyait pas du tout et les profs avaient déjà probablement discuté de ça avec le brigadier. Et ils s'étaient de toute évidence heurtés à un mur.
Le brigadier nous jeta un regard en biais.
- Vous pouvez nous laisser, les enfants, dit-il.
- Non, le contredit la prof, vous pouvez rester.
- Je préfère en discuter en privé, insista le vieux sorcier.
- Ces élèves ne sont pas idiots, répliqua Mojito. Ils ont compris bien avant vous qu'il y avait un réel problème avec Baker.
- J'ai déjà eu mille fois cette conversation avec vous et votre mari. Je persiste à dire que vous prenez trop au sérieux de vulgaires incidents.
- Et moi, je persiste à dire que vous avez du mucus de veracrasse dans les yeux, gronda Mojito. Vous voyez ce gant de laine ? Il appartient à Baker et il est recouvert de cyanure. Peut-être que cette nouvelle preuve vous fera changer d'avis.
L'homme détailla le gant puis nous jeta un regard suspicieux.
- Et vous ne vous dites pas que ces petits malins en manque d'attention ont peut-être fait ce coup eux-mêmes pour vous jouer un tour ?
La moue polie de la prof devenait de plus en plus forcée. Ce visage me rappelait beaucoup trop les quelques instants précédant la fureur de Dark Mojito. Je me recroquevillai.
- C'est à la place du cerveau que vous avez du mucus de veracrasse, décidément, remarqua Mojito. Soyez compétent une fois dans votre vie, Van Coevorden.
- Vous êtes complètement hystérique, rétorqua-t-il.
La noirceur dans les yeux en amande de la prof me figea de terreur. Nous étions au bord du précipice. Je n'avais pas envie d'assister à ça.
- Vous pouvez retourner à votre salle commune, nous pria Mojito d'une voix doucereuse. Soyez certains que votre histoire n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde. Allez.
Elle n'avait pas quitté le brigadier du regard.
Nous quittâmes le bureau sans demander notre reste. Notre fuite hors des cachots se poursuivit jusqu'à ce que nous ayons mis assez de distance entre nous et la fureur de Mojito. Zach finit par s'effondrer sur un banc de pierre du deuxième étage et nous l'imitâmes.
- Je vais faire des cauchemars, gémit-il.
Aucun de nous n'avait la force de répondre. Je posai ma tête contre la pierre du mur et observai l'armure de décoration qui nous faisait face se gratter le plastron.
Je me sentais soulagée d'avoir le soutien de quelqu'un comme Mojito. C'était agréable de se sentir enfin crue. Mais je doutais qu'elle parvienne à faire changer d'avis ce brigadier obtus. Il avait décidé que je n'étais qu'un gravier ennuyeux au milieu de son enquête sur Chourave, et semblait borné sur ses opinions.
Mais le pire, dans tout ça, c'est qu'il avait raison quand il disait que j'avais fait de la rétention d'information l'an dernier. C'était ce qui me faisait le plus mal. Je n'arrêtais pas de me dire qu'en informant les aurors ou la police magique, Luke aurait pu être arrêté plus tôt et Chourave serait encore en vie. La vision de cauchemar de son corps sans vie resurgissait à chaque vois que j'évoquais le sujet. Et depuis que ce brigadier avait retourné le couteau dans la plaie, sa simple évocation faisait tout remonter.
Je regardais les élèves et les fantômes passer sans les voir réellement. Je me demandai tout à coup si un tableau de Chourave avait été ajouté dans le bureau de la directrice. Probablement. Peut-être pourrait-elle nous donner des indications sur les raisons de son assassinat. Il se pouvait même qu'elle connaisse l'identité de Franck. Je décidai que si ma route me conduisait à nouveau dans le bureau de Swan, il me faudrait à tout prix avoir deux mots avec le tableau de Chourave.
Si j'étais encore en vie d'ici là.
Quelqu'un déterminé à m'assassiner traînait toujours dans les parages. J'avais intérêt à le démasquer rapidement ou je ne donnais pas cher de ma peau.
- Il faut absolument qu'on trouve cet assassin envoyé par Franck au plus vite, déclara Hugo en écho à mes pensées.
- Sauf qu'on sait pas vraiment par où commencer à chercher, rappela Zach. C'est un véritable spectre. Il a laissé aucun indice derrière lui.
- Vous pensez pas qu'on devrait aller voir à la Bibliothèque se renseigner sur celui qui a volé le livre de la réserve sur les poisons ? proposa Plumeau.
- C'est pas bête, dis-je.
Elle m'adressa un sourire gêné.
- C'est vrai, appuya Hugo. C'est une bonne idée. Celui qui essaie de t'assassiner est certainement le voleur. C'est la seule piste qu'on ait.
- Je suis d'accord, renchéris-je. Si on trouve le voleur, on pourra l'arrêter et remonter jusqu'à Franck. Allons-y !
- Je pensais pas que la traque de Jean-Eudes serait assez ennuyeuse pour se poursuivre dans une Bibliothèque, fit remarquer Zach avec un bâillement.
Nous entrâmes dans l'immense Bibliothèque et longeâmes les rayonnages vers le bureau des emprunts. Cet endroit me faisait toujours le même effet. J'avais l'impression d'être un cafard indigne de la sagesse du lieu. Les tables étaient quasiment désertes, comme d'habitude. Les élèves assez assidus pour venir étudier ici étaient rares. Melinda la folle nous lança un regard qui tue par dessus son épaule quand nous la dépassâmes. Je repérai Lyra et Nemo dans un coin de table. Ce dernier nous fit un signe de main amical avant de se replonger dans son grimoire.
Mme Pince se glissa derrière le comptoir en nous voyant approcher et Hugo lui demanda le nom de la personne qui avait rapporté le livre de la réserve. Une moue dédaigneuse déforma son visage ridé par les ans.
- C'est Melinda, répondit-elle. Heureusement qu'elle l'a retrouvé. Vous êtes inconsciente, Miss Cayle. D'ailleurs je souhaiterais ne plus vous voir dans le coin.
Plumeau, abaissa la tête.
Melinda la folle ? Aucune chance que cette fille soit en quelconque lien avec Franck.
Celle-ci nous dévisagea d'un œil louche quand nous lui demandâmes où elle avait retrouvé le livre et elle nous cracha qu'elle l'avait trouvé dans les mains de Peeves qui s'en servait comme d'une arme pour assommer des première année effrayés. Sur quoi elle nous somma de disparaître de sa vue avant de lui faire perdre plus de temps.
Le détour par la Bibliothèque ne nous avait pas beaucoup avancé. Et si nous voulions des renseignements de la part de Peeves, c'était mort. L'esprit frappeur passait autant de temps à raconter des mensonges qu'à terroriser les élèves égarés. Sa parole n'aurait aucune valeur.
Notre seule piste était à peine effleurée qu'elle partait déjà en fumée. C'était déprimant.
Nous repartions vers la sortie quand une main retint ma manche.
- Attendez-moi dehors, chuchota Lyra. Il faut qu'on parle de Franck.
J'acquiesçai et une fois dans le couloir, je rapportai sa requête aux autres. Hugo fronça les sourcils comme à chaque fois que le nom de Lyra était mentionné.
- Et je suppose que c'est pas pour s'excuser auprès de Plumeau.
- Non, accordai-je. Il y a peu de chances.
- Alors je serai beaucoup plus serein n'importe où ailleurs, grimaça-t-il. Je retourne dans la salle commune. A tout à l'heure.
Aucun de nous ne chercha à le retenir. Je n'avais pas beaucoup plus envie de voir Lyra que Hugo, mais ma curiosité me poussait à l'attendre. Elle ne tarda pas à se montrer.
- Salut les blaireaux, fit-elle. Tiens, vous avez perdu votre pitbull de compagnie ?
- Il a préféré retourner dans notre salle commune, expliqua Plumeau avec diplomatie.
- Dis plutôt qu'il préfère fuir que me regarder en face et admettre qu'il avait tort à propos de Franck, traduisit Lyra. Pour quelqu'un qui passe son temps à me traiter de lâche, il est pas très courageux.
- C'est bon, c'est pas la peine de l'insulter dans son dos, le défendit Zach.
- C'était pas un reproche, corrigea-t-elle. Au contraire. Savoir fuir est une preuve d'intelligence. Je trouve juste dommage que Wealsey ait du mal à s'en apercevoir alors qu'il applique lui-même la formule inconsciemment.
- Je suis pas sûr d'avoir suivi tout le raisonnement, grimaça Zach en se grattant la joue.
- Forcément, soupira Lyra.
- Qu'est-ce que tu voulais ? l'interrogeai-je.
Elle sembla se rappeler que j'existais.
- Je voulais juste te prévenir que je pense que Franck essaie à nouveau de se débarrasser de toi, déclara-t-elle. J'ai appris que t'étais tombée du septième étage et que t'avais failli t'étouffer sur des ingrédients mal rangés. On t'a peut-être dit que c'était accidentel mais pour moi, c'est Franck.
Nous la regardâmes avec des yeux ronds.
- Ce qui veut dire que j'avais raison, dans le train, sourit-elle. La cible, c'était toi, et Chourave était juste là pour brouiller les pistes.
Zach, Plumeau et moi échangeâmes un regard.
- En fait, dit Plumeau d'un ton hésitant, on a compris ça tout à l'heure quand Franck a fait une troisième tentative.
Lyra haussa les sourcils.
- Quelqu'un a mis du poison sur les gants de Many, compléta Zach. Les profs sont au courant. Mojito est en train de s'expliquer avec le brigadier.
Bel euphémisme.
- Bon, fit Lyra. Tant mieux. Qu'ils se débrouillent.
Elle s'apprêta à retourner dans la Bibliothèque. Je n'en revenais pas. Elle venait de se débarrasser en un instant de la responsabilité du mystère de Franck.
- Tu nous aideras à le démasquer ? demandai-je sans espérer grand chose.
- La police magique est sur le coup, maintenant, non ? Vous avez plus vraiment besoin de moi.
C'était bien ce que je craignais.
Une question me démangeait. Je me décidai à la poser.
- Lyra ? Tu trouves pas Nemo bizarre ? demandai-je.
Elle s'arrêta et haussa les épaules.
- Pourquoi ?
- Rien, hésitai-je. C'est juste que parfois, il a un comportement étrange.
- Et alors ?
Je ne savais pas vraiment comment expliquer mon idée. D'abord, il m'arrosait de cognards et faisait semblant de ne pas s'en souvenir, et après, il pointait sa baguette sur ma tête en plein Poudlard Express. Jusqu'ici, ces gestes m'avaient parus bizarres, mais anodins. Sauf que depuis que quelqu'un tentait de m'assassiner, son comportement passait de bizarre à suspect.
- Le seul truc bizarre chez lui, c'est cette obsession avec l'aile Ouest, confia Lyra.
- Quoi ? m'étranglai-je.
- Tu parles bien de l'aile interdite ? s'assura Zach.
- Ouais, nous dévisagea Lyra. Il passe son temps à aller fouiner par là-bas, mais dès que je lui demande ce qu'il y fabrique, il esquive la question. Quoi ? Qu'est-ce que vous avez ?
Nous étions resté figés tous les trois.
- Bon, poursuivit Lyra. J'ai comme l'impression que vous êtes restés bloqués. Je vais pas attendre que vous ayez fini de dégivrer, donc je retourne à l'intérieur. Ciao.
Plumeau balbutia des excuses et la salua quand elle repartit dans la Bibliothèque.
- Franck est dans l'aile Ouest ! chuchotai-je en saisissant Plumeau. Je me trompais ! Féline m'a dit de me tenir loin de l'aile Ouest à cause de Franck, pas des disparitions ! Je suis stupide !
C'était évident.
Le comportement de Nemo était hautement suspect. C'était peut-être lui l'assassin envoyé par Franck. Et dans ce cas, pourquoi aller dans l'aile Ouest ? Certainement pour prendre ses ordres auprès de Franck. Tout concordait.
J'expliquai ma théorie à Zach et Plumeau.
- C'est farfelu, réfléchit Zach.
- Ou alors, proposa Plumeau, c'est sans rapport avec Franck. Nemo a peut-être des traces de souvenirs de sa disparition, et ces traces le mènent dans l'aile Ouest. Ton idée comme quoi les élèves disparaissent dans l'aile Ouest tient la route, Many.
- C'est pas con, avoua Zach. En plus on le connaît pas d'avant, Nemo. Il a peut-être toujours été un peu spécial.
Les deux hypothèses me semblaient plausibles.
- Dans les deux cas, conclus-je, il nous faut aller dans l'aile Ouest. Soit on y trouve Franck et on pourra l'arrêter, soit on y découvre le mystère des disparitions et l'école nous remerciera jamais assez.
- Oh non, ça y est, elle recommence, fit Zach.
- Mais Zach ! C'est le seul moyen de comprendre !
- Tu sais même pas comment y entrer, de toute façon, rappela-t-il.
Je grimaçai. Il n'avait pas tort.
- Tu te trompes, intervint Plumeau. Many et moi, on s'était perdues dans un couloir du troisième étage un peu bizarre, pendant le bizutage de première année. Il y avait une porte. On avait failli y entrer.
Je me souvenais. Nous avions été trouvées avant de pouvoir ouvrir la porte complètement, mais le couloir en question longeait l'aile Ouest.
- Génial, Plumeau !
- Je suis pas sûr d'avoir envie de risquer ma peau juste pour comprendre un mystère, avoua Zach. Même pour un chouette mystère.
- Moi, je viens avec toi, me sourit Plumeau.
- Merci !
Je la serrai dans mes bras. Avoir une amie courageuse qui me suivait dans les pires plans était inestimable.
- Raaah, bon, ok, souffla Zach. Mais je te jure que si je me retrouve encore dans le lac, tu pourras toujours rêver pour que je t'aide à faire tes devoirs à l'avenir.
- Pour ça, il faudrait déjà que t'arrives à finir les tiens tout seul, me moquai-je.
- Pas besoin, j'ai mon Plumeau de poche, sourit-il dans sa direction.
Elle lui rendit un regard tendre et il soupira de bonheur.
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Nous décidâmes de nous rendre dans l'aile Ouest le lendemain après midi, pendant la sortie à Pré-au-lard. Le château serait relativement désert, et nous pourrions nous glisser dans l'aile Ouest sans nous faire repérer.
Hugo n'eut aucune hésitation et nous assura qu'il viendrait avec nous. Il était de mon avis et pensait que la piste de Franck se trouvait certainement là-bas. Pour ma part, je penchais de plus en plus pour l'hypothèse de Plumeau que Nemo avait probablement quelques souvenirs de sa disparition, et qu'on trouverait peut-être la réponse à l'énigme de la triple disparition dans l'aile Ouest.
J'avais trouvé Féline lovée sur mon lit, mais je ne lui avais rien dit. Si elle savait que je lui désobéissais, vu son sale caractère, elle risquait de se vexer et ne plus me donner de conseil à l'avenir.
Le matin de notre exploration, Zach eut la bonne idée de consulter dans le livre des paris la page consacrée à l'aile Ouest.
La page était l'une des toutes premières, et était quasiment aussi noircie que celle du démon des cachots. A la différence que cette page-ci était inintelligible. L'illustration était à moitié effacée et représentait une brume mouvante, comme si quelqu'un avait passé la main sur un dessin au fusain. Mais le plus étrange venait de la syntaxe incompréhensible du texte descriptif. Les mots s'enchaînaient sans réelle logique, comme si les mots clés avaient été annihilés. Tout ce qu'on pouvait ressortir de ce charabia, c'était une histoire de démon, ou divinité, selon les phrases, d'allure carnivore, ou bien cruel, de hurlements d'un autre monde, ou de spectres rémanents. Mais l'association de toutes ces idées était incohérente.
- J'y comprends rien du tout mais ça me donne pas du tout envie d'y mettre les pieds, commenta Zach. Je crois que j'ai changé d'avis. Je vais rester ici.
- Vous croyez que c'est en rapport avec la bataille de Poudlard qui a eu lieu dans cette aile Ouest ? demanda Plumeau. C'est peut-être juste un lieu hanté.
- Si c'est ça, fit Hugo, on risque pas de croiser grand chose de bien méchant.
- Si c'est pas bien méchant, rétorqua Zach, alors pourquoi elle est interdite, cette aile ?
- T'en fais pas, Zach, je te protégerai, lui assurai-je.
Il parut rassuré un moment, puis se ravisa.
- Hé ! C'est moi ton garde du corps, et pas l'inverse, rappela-t-il. Tu m'embrouilles le cerveau.
- Un garde du corps, c'est censé suivre son protégé partout, lui dis-je.
- Mais je te suis partout, insista-t-il avec un sourire fier. Comme ton ombre.
- Tu me rassures, répondis-je. J'ai vraiment cru un moment qu'on allait devoir explorer l'aile Ouest sans toi.
Il ouvrit la bouche pour répliquer mais je l'avais perdu et il se contenta de froncer les sourcils avec concentration.
- Est-ce que tu viens à l'instant de me manipuler pour que je vienne avec vous ?
Je lui renvoyai un sourire innocent.
- C'était plus sécurisant d'être ami avec Grace, commenta-t-il.
- Je te promets que cette fois, je me séparerai ni de toi, ni de ma baguette, déclarai-je.
- Ravi.
Je le pensais vraiment. Plus question de faire n'importe quoi, cette fois-ci.
Le repas de midi passa à une vitesse d'escargot alors que je n'attendais qu'une chose, que les élèves s'en aillent pour Pré-au-lard. Nous parvînmes à esquiver les trois Harry de première année qui voulaient nous vendre la nouvelle extension de leur Poudlard Battle Mortel pour deux mornilles en prétextant le besoin urgent d'aller à la Bibliothèque.
Nous guettâmes par une meurtrière du troisième étage le départ des diligences vers Pré-au-lard. Nous patientâmes que le cortège se soit bien éloigné pour bouger.
En avançant dans les couloirs désertiques qui longeaient l'aile Ouest, l'interdiction de se balader dans le coin prenait tout son sens. Les murs s'effritaient et des pierres manquaient. Le sol était couvert de poussière et de terre. Nous finîmes même par passer devant un mur où des plantes grimpantes jaillissaient des interstices entre les blocs rocheux.
Il fut évident que nous n'allions croiser personne. Ce coin du château était relativement peu fréquenté car il ne menait nulle part et rallongeait le chemin pour passer de la pointe Sud du château à la partie Nord. Et le concierge, lui, ne faisait de ronde que la nuit. Les rumeurs qui faisaient de lui un vampire étaient en partie alimentées par le fait qu'il ne sortait jamais de sa cabane avant la nuit tombée. De jours, nous étions tranquilles.
- Cet endroit me paraît familier, remarqua Plumeau. Je suis quasiment certaine que c'est le couloir qu'on cherche.
Maintenant qu'elle le faisait remarquer, je m'en souvenais. Et comme pour me le confirmer, nous dépassâmes la solide porte à moitié masquée par les plantes.
- Je suis plus si certain de vouloir venir, gémit Zach.
- Dis-toi qu'on trouvera peut-être de bonnes surprises, tentai-je de le rassurer.
- Mauvais argument, commenta Hugo.
- Ouais, rappelle-toi des bonnes surprises qu'on a dénichées au fond de Treehall, souligna Zach.
- C'est l'occasion ou jamais !
- Je me méfie de tes occasions, me pointa Zach.
Je lui fis un regard de bébé phoque et il soupira.
- Si ma mère savait dans quoi vous m'embarquez...
La porte était telle que dans mes souvenirs, immense et recouverte de lierre. Voyant que les trois autres hésitaient à s'en approcher, je posai ma main sur le battant et tirai. Il ne bougea pas d'un poil. Elle était fermée à clef.
- Tu l'avais ouverte avec un sort, rappelai-je à Plumeau.
Elle posa sa baguette sur le bois.
- Alohomora.
Il y eut un lourd déclic et je tirai l'épaisse porte vers moi. Comme dans mes souvenirs, une deuxième porte en ferraille barrait le passage. Je la poussai sans succès. Le sort de Plumeau n'eut aucun effet.
- Elle est protégée contre le sortilège de Déverrouillage, fit-elle.
- Laisse-moi voir, intima Hugo, je crois que j'ai une idée.
Il examina les branches de lierre qui se glissaient dans l'interstice entre le métal et la pierre.
- Ivinimus, fit-il en traçant une ondulation du bout de sa baguette le long de la plante frêle.
Les branches graciles se mirent à s'allonger et de nouvelles tiges en sortirent. Il répéta le sort plusieurs fois, puis, lorsque la végétation fut devenue luxuriante, il agita violemment sa baguette contre les différentes tiges menues.
- Amplificatum ! Amplificatum ! Amplificatum !
Les branches de la plante grossirent à vue d'œil jusqu'à provoquer un grondement inquiétant lorsque la pierre malmenée par les énormes lianes commença à s'effriter. Zach se recula précipitamment avec un cri de surprise lorsqu'un gravier fut éjecté contre son front. Je m'éloignai. Je n'étais pas certaine que Hugo maîtrisait quoi que ce soit.
- On ferait peut-être mieux de partir, Hugo, lui dis-je. Tout va s'écrouler.
- Fais-moi confiance, fit-il.
- T'es sûr de toi ?
- Reducto, lança-t-il finalement au moment où l'éboulement semblait imminent.
Les branches du lierre monstrueux, épaisses comme des troncs, se ratatinèrent soudain en vulgaires brindilles, laissant place à un large interstice entre la porte et le mur fissuré.
Hugo se tourna vers nous avec un sourire en coin.
- Tu vois, c'était pas la peine de paniquer.
- T'es un génie ! s'exclama Zach.
- Pas si fort, le repris-je avec un regard réprobateur.
Il mit sa main devant sa bouche d'un air contrit.
- Qui veut passer en premier ? interrogea Hugo.
Il n'avait pas l'air certain de toujours vouloir entrer dans cette aile hantée. Je passai devant et me glissai dans le tunnel improvisé creusé par Hugo. Il y avait au moins un mètre d'épaisseur et je rampai jusqu'à déboucher sur le couloir de l'autre côté.
Il y faisait sombre. Je brandis ma baguette et lançai un Lumos. La lumière vint caresser les murs de pierre sur une dizaine de mètres devant moi.
Je posai les pieds à terre et restai ébahie devant le décors. Si de l'autre côté, je trouvais le couloir envahi par la végétation, ici, les plantes grimpantes étaient si omniprésentes qu'elles couvraient quasiment toutes les surfaces de roche. Je présentai ma tête par le trou et leur donnai le feu vert.
- Qu'est-ce que c'est que cet endroit de malade ? commenta Zach en atterrissant près de moi.
La porte blindée que nous avions empruntée fermait un cul-de-sac, et le couloir fuyait au-devant vers les ténèbres. Les lianes qui rampaient vers l'obscurité laissaient deviner de véritables troncs d'arbres qui se camouflaient dans les ombres. Le sol dallé était défoncé par endroits, là où les branches le traversaient et le soulevaient.
Mais il n'y avait pas trace de spectre, démon ou autre divinité cruelle, et le silence était complet. Hugo et Plumeau apparurent à nos côtés et contemplèrent l'endroit avec autant de fascination que moi.
- Lumos prominevia motus, murmura-t-elle.
L'éclat qui repoussait le néant du bout de sa baguette se mua en une boule de vie propre qui se projeta en avant. Elle fila dans le noir en éclaboussant les parois de son fluide lumineux. La lueur donna vie aux ombres du couloir et révéla que celui-ci se poursuivait beaucoup plus loin. Le plafond ne tenait que par les sangles du lierre. Les nuances de vert dansèrent un bref instant avant de s'éteindre. La lumière mourut tout au bout et l'obscurité se referma sur la roche en ruine.
- On dirait que c'est désert, observa Zach.
Malgré sa remarque qui se voulait rassurante, tous restaient immobiles.
Je franchis le premier pas et commençai à avancer dans l'aile. Les autres suivirent sans un mot, toujours partagés entre le respect et l'émerveillement devant ce lieu étrange. Nos quatre lueurs éclairaient plutôt bien l'endroit et je le trouvais plus intrigant qu'effrayant.
Nous dépassâmes plusieurs ouvertures et portes fracassées qui menaient vers des salles de cours dans un état épouvantable. Les tables et chaises étaient éparpillées et les meubles et instruments à moitié détruits.
Hugo proposa de monter un escalier en plutôt meilleur état que le reste. Il fallut éviter plusieurs marches bancales mais la progression se poursuivait sans problème. L'obscurité refluait à mesure que nous montions. La lumière du jour nous fit plisser les yeux quand l'escalier nous mena vers une vaste salle inondée de soleil.
- Nox.
La lumière provenait d'un des murs de la salle, ou plutôt par la quasi inexistence d'un des murs de la salle. Le ciel nuageux était visible par endroits et le froid était mordant.
- Ne vous approchez pas du bord, conseilla Hugo, le sol a l'air prêt à s'effondrer au moindre coup de vent.
Je n'allais pas le contredire. Les dalles de pierre penchaient dangereusement vers le vide.
Nous poursuivîmes notre exploration dans un enchaînement de salles semblables à la première. Les plantes étaient moins présentes dans cet endroit, et c'était peut-être pour cette raison que les murs s'effondraient. La bataille que ces salles avaient vécue transparaissait par les miroirs brisés et les tapisseries noircies par le feu. Je crus même par moments apercevoir des ossements, mais je préférai les ignorer et me concentrer sur ce que j'étais venue chercher.
- On marche déjà depuis plus d'une heure, fit Zach, on devrait faire demi-tour.
- Tu rigoles, Zach ? C'est immense, ici, répliquai-je. On a à peine exploré une infime partie de l'aile. Elle s'étend probablement sur sept étages et une partie des cachots.
- Mais on va quand même pas tout visiter aujourd'hui ?
- Le plus qu'on peut, répondis-je. Je te rappelle qu'on est pas venus ici pour faire du tourisme, à la base.
- Zach a raison, Many, renchérit Plumeau, on a toujours pas le moindre signe des disparus. On a dû se tromper.
- S'ils sont à l'autre bout ou dans un autre étage, on a aucun moyen de savoir avant de tomber dessus, rétorquai-je. On doit continuer.
Plumeau me donna raison et nous poursuivîmes dans un couloir qui ressemblait beaucoup au premier que nous avions emprunté, à la différence que dans celui-ci, il manquait tellement de blocs de pierre dans le mur extérieur qu'on y voyait comme en plein jour.
- On doit être au quatrième étage, au-dessus du lac, supposa Hugo.
- Génial, émit Zach. J'ai envie d'une petite baignade.
Le décors confirma les dires de Hugo, quand un virage à angle droit du couloir révéla un immense trou dans les pierres du mur. En m'approchant au bord, je distinguais parfaitement la surface agitée du lac en dessous. En face, l'immensité du lac laissait place au loin à l'enceinte de l'école, puis à de hautes montagnes enneigées qui se perdaient dans les nuages gris.
Je soufflai d'admiration devant le paysage.
- Tu l'as dit, approuva Zach.
- Regardez, montra Hugo. On voit le quai du Poudlard Express.
Il était difficilement visible derrière l'enceinte, mais je souris en le découvrant. Nous contemplâmes la vue, laissant le vent froid nous faire frissonner avec plaisir.
En levant les yeux au-dessus de nous, je frissonnai pour une autre raison. La Tour de Serdaigle à moitié effondrée nous surplombait. Elle penchait plus dangereusement vers le lac qu'une Tour de Pise. Telle la tête de Nick-quasi-sans-tête, elle n'était retenue que par un vulgaire pan de mur instable. Ce qui l'empêchait de tomber était la végétation qui agissait comme une multitude de cordages. Mais tout ça puait la magie. Vue de dessous, on distinguait clairement les blocs de pierre en train de se détacher du reste de la tour, menaçant de nous tomber sur le nez sous peu.
Je décidai de garder mon regard devant moi pour éviter ce sentiment de mort imminente.
Puis je notai que Plumeau n'était pas avec nous. Elle s'était assise sur un bloc de pierre un peu plus en arrière et me fit signe que tout allait bien.
- Je vois bien d'ici, t'en fais pas pour moi.
J'avais oublié son vertige handicapant. Zach retourna vers elle pour ne pas la laisser toute seule. Elle haussa les épaules en le voyant arriver.
- T'inquiète pas, insista-t-elle. J'ai l'habitude. De loin, comme ça, je me sens bien.
Elle n'avait pourtant pas l'air si détendue que ça.
- T'es sûre ?
- Oui, répéta-t-elle. C'est gentil de t'inquiéter, Zach, mais ça va.
- Je vais rester avec toi, quand même, dit-il en s'asseyant avec elle.
Je me retournai vers le paysage. Plumeau devait être aveugle pour ne pas remarquer l'effet qu'elle exerçait sur Zach. Mais je n'allais pas les brusquer. Nous pouvions bien faire une pause de cinq minutes avant de repartir explorer.
Des éclats de voix nous parvinrent soudain.
Hugo échangera un regard avec moi.
- Qu'est-ce que c'est ?
Les voix se firent à nouveau entendre. Elles se rapprochaient et il y avait plusieurs personnes discutant entre elles.
- Tu crois que c'est Franck ? demandai-je.
Je n'étais plus si sereine, tout à coup. Rencontrer Franck en face-à-face ne se passerait pas nécessairement aussi bien que je l'espérais.
- J'en sais rien, avoua Hugo. On ferait mieux de se planquer.
Le groupe à l'origine des voix était en train de se rapprocher et ils risquaient de passer le coin de mur sous peu. Il fallait se cacher au plus vite.
Zach nous chuchota de le suivre et il nous tira derrière les gros blocs de pierre d'une colonne écroulée qu'il avait repérée. Nous étions quasiment invisibles depuis le centre du couloir.
Je tendis l'oreille en laissant libre cours à ma curiosité. Qui pouvait bien se promener au beau milieu de l'aile Ouest ? Franck ? Les élèves disparus ? Ce coin était définitivement beaucoup trop louche pour n'être qu'une aile écroulée.
Les voix se firent de plus en plus proches, jusqu'à s'arrêter en plein milieu du couloir. Je pestai intérieurement. Ils s'étaient probablement arrêtés pour regarder par le trou dans le mur. S'ils décidaient de s'éterniser ici, nous étions coincés.
- Finnbe et Rehbe auraient dû revenir depuis longtemps.
- Ils sont sûrement morts criblés de flèches, eux aussi.
- Alors nous devons continuer. Deux autres vont partir pour la Forêt dès demain.
- Attends ! Réfléchis avant d'envoyer d'autres jeunes à la mort. C'est la troisième expédition qui ne revient pas cette année. Nous sommes de moins en moins nombreux et il y a de moins en moins de naissances.
- Justement. A qui la faute ? Ces maudits centaures qui nous empêchent d'entrer sur leur territoire. Comment tu veux relancer les naissances si je n'envoie pas les jeunes enlever des nymphes ? Le démon des profondeurs ne va pas s'arrêter de piocher parmi mes frères pour se nourrir, lui.
Ça ne pouvait pas être Franck. Des naissances ? Ils parlaient comme s'il y avait un peuple entier vivant dans l'aile Ouest. C'était impossible. Comment un peuple entier pouvait vivre ici sans que personne ne soit au courant ?
Je tentai de regarder par un interstice entre les blocs. Impossible de voir à quoi ressemblaient les individus qui discutaient sans se dévoiler, mais leurs voix avaient quelque chose de... pas humain. Qui étaient ces habitants de l'aile Ouest ? Est-ce qu'ils étaient responsables des disparitions ? Je ne pouvais pas croire que les profs, ou au moins la directrice, ne soient pas au courant de leur présence.
- Le démon des profondeurs sort rarement de sa tanière et il est loin d'avoir tué autant des nôtres que les centaures.
- Un vieux croûton comme toi ne peut pas comprendre la soif qui dévore les jeunes. Ils se battront pour faire partie de l'expédition de demain.
- Laisse-moi faire mon deuil d'abord, je t'en prie. J'ai besoin de temps...
- It's a-me ! Mario !
Je sursautai et sentis mon sang se figer dans mes veines. Mes trois compagnons écarquillèrent les yeux d'effroi. J'attrapai Mario qui s'était juché en larmes sur le bloc de pierre le plus proche et le fourrai dans ma poche.
- Vous avez entendu ?
C'était une catastrophe. S'ils s'approchaient, nous n'avions aucune porte de sortie. Zach nous regardait d'un air terrifié avec l'espoir que nos cerveaux trouvent une solution. Mais Hugo et Plumeau affichaient à peu près la même tête. Nous n'avions pas le temps de réfléchir.
- Le bruit venait de la colonne effondrée, là.
- Je vais voir.
C'était fini. Nous étions découverts. Hugo s'était redressé et avait pointé sa baguette sur eux. Je l'imitai, accompagnée des deux autres.
Celui qui s'était approché recula de surprise. Ils n'étaient pas humains. Les créatures qui nous faisaient face avaient le visage velu d'un daim, de grands yeux noirs trop écartés et de larges oreilles pointues. Mais les détails qui frappaient le plus étaient les ébauches de cornes sur leur grand front et les pattes de chèvre qui remplaçaient leurs jambes.
Des satyres.
Je me souvenais très bien de l'avertissement que le nouveau prof de Soins aux créatures magiques avait donné à la classe de Marvin. Nous avions intérêt à filer d'ici en vitesse.
En moins de quelques secondes, nous étions déjà encerclés. Nous étions tous les quatre dos à dos. Ils étaient plus d'une trentaine. Aucun de nous n'osait lancer le premier sort, sachant très bien qu'au vu de leur surnombre, celui-ci signerait notre arrêt de mort.
Je ne voyais vraiment pas comment nous en sortir.
- Des jeunes humains de Poudlard, commenta mielleusement celui qui semblait leur chef en dévoilant une rangée de dents pointues peu engageantes. Voilà des années que je n'ai plus croisé d'humain dans cette aile. Que faites-vous dans cet endroit interdit ? Vous êtes perdus ?
- Oui, c'est exactement ça, tenta Plumeau en rougissant tellement que c'était impossible de la croire.
- Désolés de vous avoir surpris, continua Hugo d'une voix plus assurée. Si vous nous montrez le chemin vers l'école, on vous laissera tranquilles et vous nous reverrez plus jamais traîner par ici.
- Pitié, ne nous mangez pas ! ajouta Zach en maîtrisant à grand peine le tremblement de sa baguette.
Les satyres éclatèrent de rire et je pus constater que la présence de dents aiguisées était une caractéristique commune à tous.
- Pour une fois que la chance nous sourit, reprit le chef, je ne la laisserai pas filer.
L'absence quasi-totale de blanc dans son œil de biche ne permettait pas de savoir avec précision l'endroit où il posait son regard, mais j'étais quasiment certaine qu'il dévisageait Plumeau. Elle était devenue blafarde, et à l'expression de Zach, les dents de son interlocuteur étaient loin de le mettre en confiance.
- Si vous refusez de nous laisser partir, on lancera autant de sorts qu'on peut parmi vous et vous pouvez être certains de perdre plusieurs de vos frères, menaça Hugo.
Le visage du satyre se ferma.
Hugo avait bien écouté leur conversation et compris que la perte d'un des leurs semblait leur être difficile, à cause du faible nombre d'individus restant dans leur communauté. C'était le meilleur moyen de faire pression. Mais le satyre ne se démonta pas.
- Très bien, dit-il. Vous voulez partir, et moi je ne veux pas perdre un seul de mes frères. Notre situation est délicate. Je propose donc de couper la poire en deux.
- Comptez pas sur moi pour faire la bonne poire, souffla Zach.
- Laisse-le finir, Zach, chuchotai-je.
- Vous deux, continua le satyre en pointant Zach et Hugo du doigt, vous pouvez partir. Et vous nous laissez ces deux humains-ci.
Il acheva en montrant Plumeau et moi.
- Hein ? s'exclama Zach. Mais ça va pas la tête ? On va pas abandonner Many et Plumeau ici !
D'un autre côté, c'était une chance inespérée. Hugo et lui pourraient aller chercher de l'aide et revenir nous chercher.
- Allez-y, commençai-je, laissez...
- Non ! trancha Hugo.
- Mais c'est...
- Non !
- On a pas le choix, Hugo, poursuivit Plumeau à ma place. Vous...
- Non ! répéta-t-il.
Elle soupira. Il n'y avait pas plus têtu que Hugo. C'était sans espoir.
- On a besoin de se concerter un moment, réclama Plumeau au satyre qui la fixait toujours.
- Faites, faites, sourit-il. Vous comprendrez vite que c'est une fleur que je vous fais.
Nous hésitâmes.
- Personne ne va vous attaquer, ajouta-t-il. Je connais trop bien le pouvoir destructeur de ces baguettes. J'attends.
Je baissai ma baguette et me retournai pour faire face aux trois autres, qui firent de même.
- Je vous laisserai pas ici, chuchota Hugo.
- Moi non plus, appuya Zach. C'est mort.
- Réfléchissez deux secondes, leur souffla Plumeau. C'est notre seule chance. Ils sont beaucoup trop nombreux. Même à nous quatre, on en touchera quelques uns mais ils nous prendront nos baguettes avant qu'on puisse s'enfuir. Vous devez aller chercher de l'aide. Allez chercher les profs qui sont restés au château.
Hugo ferma fort les yeux comme pour se convaincre que c'était la seule chose à faire.
- Continuez de parler, murmura-t-il.
Nous lui renvoyâmes des regards étonnés, puis reprîmes la discussion. Hugo murmura une formule et le lacet d'une de ses baskets vint s'enrouler dans sa paume. Il saisit le bras de Plumeau et y noua le lacet assez haut pour qu'il soit caché par sa robe.
- Ta baguette, ordonna-t-il.
Elle la lui donna et il la coinça discrètement sous le lacet, avant de la recouvrir avec sa manche. Elle lui renvoya son regard pour lui faire comprendre qu'elle avait saisi. Les satyres la croiraient désarmée, mais il lui resterait un atout dans la manche au cas où la situation tournait mal.
Il prononça à mi-voix un sortilège de duplication sur sa baguette et un bout de bois semblable apparut à côté. Il s'apprêtait à faire la même astuce sur moi mais le satyre s'impatientait.
- J'ai attendu assez longtemps, dit-il.
Hugo abandonna son manège et me lança un regard appuyé. Mais j'avais déjà compris que si nous avions des ennuis, Plumeau devrait veiller sur moi.
- On a bien réfléchi, annonça-t-il tout haut, et on accepte votre proposition.
- Ah ! Vous voyez ? sourit le satyre.
Il paraissait soulagé de la réponse de Hugo. Il devait espérer ne pas avoir à se frotter à des sorciers, même de notre niveau ridicule.
- Mais à la condition que nous emportions les baguettes de nos amies, poursuivit Hugo en montrant les deux bouts de bois dans sa main, ma baguette et la réplique de celle de Plumeau.
- Eh bien, j'imagine que c'est sans importance, répondit la créature. Prenez-les. Tant que mes prisonnières sont désarmées... Vous deux, approchez-vous lentement et tendez vos mains.
Il s'adressait à Plumeau et moi. Nous échangeâmes un regard inquiet et nous avançâmes.
Des mains poilues se posèrent fermement sur nos bras quand nous entrâmes parmi eux. Des satyres à l'air goguenard lièrent nos poignets avec une ficelle solide. Je n'étais plus si certaine du stratagème de Hugo. Avec les mains attachées, je ne voyais pas bien comment Plumeau pourrait saisir sa baguette coincée contre son avant-bras.
- Vous pouvez partir, fit le chef à Zach et Hugo.
Tous les deux nous envoyèrent un dernier regard impuissant et s'éloignèrent en courant dans le couloir. Ils furent vite hors de vue.
Leur soudaine absence fit monter mon stress en flèche. Plumeau ne paraissait pas plus rassurée, surtout qu'elle semblait beaucoup plus attirer les regards affamés que moi.
- Bienvenue, petites humaines, nous invita le chef. Nous allons faire un petit détour en haut pour vous bénir, et ensuite je vous présenterai au reste de la famille.
Le groupe s'ébranla et nous vîmes disparaître le trou effondré que nous avions contemplé. Je suivais, ou plutôt me laissais porter par les poignes qui m'entraînaient, en observant chaque détail du décors pouvant me permettre de retrouver notre chemin en cas de fuite.
- Je réserve l'humaine dodue en premier.
- Je l'avais dit avant toi !
- Tu veux te battre ?
Plumeau se recroquevillait à mesure des commentaires. Je posai mon épaule contre la sienne pour la réconforter, mais elle semblait fixer le vide comme plongée dans une réflexion intense. Je n'étais pas contre une ou deux idées d'évasion.
Le lierre était omniprésent. Le sol était irrégulier et parfois des dalles manquaient, laissant entrevoir l'étage du dessous. Les satyres empruntaient tous le même trajet, et je supposai que les années à errer dans cette aile Ouest leur avaient appris où ne pas poser le pied. Enfin, le sabot...
Puis le couloir laissa place au vide.
Il s'arrêtait au milieu de nulle part et depuis le bord, on pouvait voir la falaise abrupte qui s'écrasait dans le lac tout en bas. Les rochers qui parsemaient le bord dissuadaient le saut. Le couloir continuait quelques dizaines de mètres plus loin, et des passerelles faites de vulgaires planches de bois reliaient les deux tronçons.
Je vis Plumeau fermer les yeux en découvrant ce qui l'attendait au-delà du bord. Elle souffla profondément et plissa les yeux.
Ce n'était pas bon. Elle ne pourrait jamais traverser ça. Je voyais déjà son souffle accélérer et des larmes perler sous ses paupières.
- Plumeau, lui saisis-je la main. Regarde-moi.
Elle ouvrit péniblement les yeux et plongea ses yeux embués dans les miens.
- Je peux pas, gémit-elle.
- On va s'en sortir, lui assurai-je. On va traverser ça toutes les deux et on ira raconter toutes nos aventures à Zach et Hugo, ok ?
Nous étions toutes les deux au bord du précipice. Plumeau avait réussi à avancer lentement jusqu'au bord mais désormais elle agrippait ma robe de ses poings crispés.
- Je peux pas faire ça, secoua-t-elle la tête.
Elle semblait au bord de l'attaque de panique. Je devais à tout prix la calmer ou les satyres risquaient de se montrer moins délicats.
- C'est comme l'année dernière sur les Hautes Banches. Tu te souviens ?
Le vide et la chute mortelle qui s'étendaient à quelques centimètres de mes pieds avaient fait remonter ce souvenir. Ce jour-là, nous n'étions pas tombées. J'espérais que Plumeau reprendrait espoir.
- Je me souviens, s'apaisa-t-elle. Tu m'as sauvé la vie.
- Et Luke a sauvé la mienne, me rappelai-je tout d'un coup. Alors qu'il aurait dû en toute logique me laisser m'écraser en bas, il a ignoré Franck et nous a sorti de là. Je trouve toujours ça aussi incompréhensible.
Je soupirai. Est-ce que c'était vraiment le moment de penser à ça ?
- Oui, c'est vrai, fit Plumeau d'une voix quasiment inaudible.
Mes paroles ne l'aidaient pas beaucoup.
- Je sais ce qu'on va faire. Tu vas monter sur mon dos, proposai-je.
Elle ne répondit pas et resta figée.
- Monte sur mon dos et ferme les yeux. Imagine qu'on fait une course de cheval sur l'herbe, ou quelque chose comme ça, tentai-je.
Plumeau hésita un moment pour acquiesça et lâche sa prise sur ma robe avant d'escalader mon dos. Elle serra tellement bien sa prise de ses pains et ses pieds que j'avais l'impression d'avoir une camisole de force.
- Qu'est-ce que vous faites ? demanda un satyre.
- Je la porte pour traverser, répondis-je. Tu vois pas ?
Il nous dévisagea et balaya le problème d'un geste de main.
Je posai mes pieds l'un après l'autre sur la planche en priant pour que le bois soit assez solide pour nous porter toutes les deux. Les rochers en contrebas étaient tout petits. Je reportai mon attention vers l'avant avant de commencer à me sentir attirée vers le bas. Finalement, même moi, dans une situation aussi bancale, je me faisais avoir par ce fichu vertige.
Je finis par poser mon pied sur les dalles et soupirai de soulagement. Je rejoignis le groupe de satyres agglutinés contre le mur du couloir en attendant que tous aient fini de traverser. Je déposai Plumeau. Elle ouvrit prudemment les yeux et constata que nous étions passées saines et sauves de l'autre côté.
- Merci, murmura-t-elle. Tu m'as encore sauvée la vie.
- La vie ? chuchotai-je. Tu crois pas que t'exagères un peu ? Un d'entre eux t'aurait portée, non ?
- Peut-être, oui, m'accorda-t-elle. Mais quand même. T'étais pas obligée de m'aider.
- Ben on est amies, non ? C'est à ça que ça sert, souris-je. On se protège l'une l'autre. Surtout dans ce genre de situation foireuse...
Elle recommença à pleurer tout doucement.
- L'une l'autre... renifla-elle. Toi, tu m'aides. Tu te soucies de moi, tu me sauves la vie, tu me protèges. Alors que moi, tout ce que je sais faire...
- Arrête, la coupai-je. Fais-moi plaisir et arrête de te dénigrer tout le temps. C'est pas vrai, ce que tu dis. Tu m'aides tout le temps. En cours et en dehors. Et tu m'as suivie dans tous mes plans suicide depuis qu'on s'est rencontrées. Je connais pas grand monde qui aurait été capable de ça. Je pourrais pas rêver meilleure amie que toi.
Son visage donnait l'impression qu'elle tombait des nues.
- Tu le penses vraiment ?
- Évidemment, ris-je.
Comment pouvait-elle être aussi détachée au quotidien et pourtant accorder autant d'importance à ce que son entourage pensait d'elle ?
Elle me gratifia d'un sourire reconnaissant.
- Je crois que moi aussi je pourrais pas rêver de meilleure amie que toi, fit-elle.
Malgré notre situation désastreuse, je ne pus me retenir de pouffer devant la tournure niaise que prenait la conversation.
- Chouette, souris-je. Ravie de partager avec toi ce dernier moment avant de finir dévorée par des satyres.
- On est toujours dans la mouise, hein ? répondit-elle.
- Complètement, confirmai-je.
- T'avais réussi à me faire oublier que j'étais morte de trouille. Qu'est-ce qu'on va faire ?
- Rien, me décourageai-je. On attend et on suit. Quelqu'un va bien finir par venir.
- J'espère qu'ils seront plus rapides que les profs que j'étais allée chercher pour vous tirer du Sous-sol inondé, grimaça-t-elle.
- On repart, les petites humaines, me poussa un satyre.
Le couloir que nous avions rejoint était beaucoup plus délabré que la première partie. Nous cheminions le long d'un mur car l'autre était inexistant. Une fissure gigantesque courait au centre du couloir et tout ce qui était de l'autre côté de cette fissure s'effondrait. Les blocs rocheux ne tenaient que par la végétation luxuriante qui s'infiltrait partout.
Nous croisâmes un tableau solitaire qui pendait d'un pan de mur encore debout. La peinture illustrait le portrait d'un homme à collerette montrant un schéma de Fée à des Elfes. Il devait être conscient de la précarité de sa situation car il tenta de nous interpeller au passage, nous suppliant de le mettre en sécurité. Un satyre saisit une lame qu'il portait en collier et trancha le lierre qui retenait le mur. Le pan en déséquilibre termina de s'effondrer, emportant le malheureux tableau dans sa chute.
- Tu ne pourras pas tomber plus bas, commenta-t-il avec un rire qui n'avait rien d'humain.
Ses congénères continuaient de se disputer l'exclusivité sur Plumeau, alors que je ne semblais pas intéresser grand monde. Il n'y avait peut-être pas assez à manger sur mes os.
Le chemin que nous suivions s'écarta finalement de la falaise pour s'enfoncer à nouveau dans les profondeurs du château. Ils allumèrent des lampes à huile. Nous montâmes une volée de marches puis des escaliers en spirale. Les étages se succédaient et je me demandai quand nous cesserions de monter. J'avais l'esprit embrumé. Comme un flou. J'étais de plus en plus perdue. Je n'étais plus certaine de pouvoir retrouver le chemin du retour. Nous dépassâmes dans des passages obscurs plusieurs autres groupes de satyres curieux et ravis de voir nos têtes. J'avais l'impression d'être un énorme bifteck sur lequel une horde de carnivores étaient en train de baver.
Les couloirs débouchèrent sur de vastes salles encore à peu près intactes, hormis les déchirures et brûlures sur les tapisseries. Je pris comme repère une statue en mauvais état qui représentait une sorcière bossue au nez crochu et avec un œil crevé. Pour le retour, il me faudrait repasser devant cette sorcière borgne.
Ces salles étaient pleines de satyres. La fuite me semblait de plus en plus illusoire. Je tentai de desserrer les liens à mes poignets mais ne parvins qu'à les resserrer. Qu'est-ce qu'ils attendaient pour venir nous secourir ? Nous approchions de toute évidence de leur nid. Le moment où nous allions finir en brochette se rapprochait dangereusement.
La salle dans laquelle nous entrâmes finalement était immense, et un tapis aux motifs multicolores ornait le sol circulaire. Les bibliothèques adossées aux murs étaient à moitié vides et l'autre moitié était si calcinée qu'il aurait été vain de tenter d'y lire quoi que ce soit.
- Devinez ce qu'on vous amène ? cria le chef. Deux petites humaines qui s'étaient perdues !
Les satyres qui vaquaient à leurs occupations juste avant se retournèrent pour nous regarder passer d'un œil fasciné.
Celui qui était derrière nous bouscula Plumeau jusqu'à un bout de mur et une tape dans le dos m'y précipita à sa suite. Fini les bonnes manières, apparemment. Mais j'étais contente qu'ils ne nous aient pas séparées.
- Mes frères, il nous faut décider qui seront les privilégiés qui pourront y goûter en premier. Rassemblement !
- Many, j'ai vraiment super peur, me confia Plumeau.
- T'inquiète pas, fis-je sans me sentir vraiment confiante, tant qu'on reste ensemble, tout va bien. Et je crois que j'ai peut-être trouvé notre plan de sortie.
- Ah bon ?
- Ouais, chuchotai-je. Dans la salle d'à côté, il y a une statue de sorcière borgne. Je crois que c'est un passage qui mène à Pré-au-lard. J'en suis pas certaine, mais c'est le seul moyen de nous échapper que je vois. La porte par laquelle on est venus est beaucoup trop loin, et il y a cet abîme à retraverser. Ils nous rattraperaient aussitôt.
- Comment on va s'y prendre ? Ils nous dévisagent tous. Si on tente un truc, on ira pas loin.
- Je vais créer une diversion, répondis-je. Mario, t'es toujours là ?
Sa petite tête sortit timidement de mon col comme pour s'excuser de son comportement.
- Toi, tu vas devoir nous aider pour te racheter, lui dis-je avec des yeux mécontents.
Il hocha la tête vigoureusement pour montrer qu'il était prêt.
- Est-ce que tu peux couper mes liens ? chuchotai-je.
Mario sourit et montra une belle et solide dentition.
- Alors mets-toi-y, ordonnai-je.
Plumeau ne pouvait pas atteindre sa propre baguette, mais moi oui. Avec les mains liées, j'allais galérer à jeter des sorts, mais si mes liens étaient coupés, je serais capable de mettre le bazar pour nous laisser le temps d'atteindre la statue. J'étais parfaitement conscience que ce plan était voué à l'échec par le nombre écrasant de satyres. Mais je ne pouvais pas rester assise là à attendre de me faire dévorer sans rien tenter.
Le petit plombier se mit au travail et commença à grignoter la ficelle. Mais il avait à peine entamé la corde que l'assemblée de satyres se dispersa dans un grand brouhaha.
- Vous m'avez demandé si vous pouviez commencer par l'humaine dodue, et j'accepte votre demande. Servez-vous, mes frères !
Plumeau devint livide.
- Many, Many, qu'est-ce que je fais ? demanda-t-elle en panique.
- Continue, Mario !
- S'il-vous-plaît, me dévorez pas ! s'écria Plumeau en direction du groupe de satyres qui s'approchait.
Ils éclatèrent de rire.
- Personne ne va te dévorer, petite humaine. Nous ne mangeons que du poisson.
Il fallait qu'il ronge les liens plus vite. Je songeai à attraper sa baguette de suite, mais au moment où l'idée se formait, une main velue se referma sur la cheville de Plumeau et l'attira au milieu de la vingtaine de jeunes satyres sortis vainqueurs de l'assemblée. Elle poussa un cri de surprise en disparaissant dans la foule.
- Plumeau !
Un bras me repoussa à terre quand je tentai de la suivre. Je faisais fonctionner mes neurones à toute vitesse sans rien trouver pour nous sortir de là. C'était fichu. Mario n'était pas assez rapide. Je me levai une seconde fois avec l'intention de foncer dans la foule retrouver Plumeau.
Mais un cri venant de l'entrée de la salle attira mon attention.
- Finnbe est de retour !
- Il est revenu !
- Il a deux nymphes avec lui !
- On les a déjà faites bénir en haut ! Elles sont prêtes à être servies !
- Finnbe !
Les satyres se précipitèrent sur le nouveau venu qui portait un lourd sac de toile sur l'épaule. Le groupe qui entourait Plumeau s'en désintéressa soudainement pour se diriger vers l'entrée. Elle réapparut recroquevillée au sol, les cheveux détachés et ébouriffés. Un des satyres portait sa robe d'uniforme.
C'était le moment.
Je bondis vers Plumeau et la relevai de force. J'avais les mains toujours liées, mais tant pis. L'occasion était trop belle pour la laisser filer. Nous nous faufilâmes entre les sabots. Plus personne ne se souciait de nous. Nous fonçâmes à travers les salles et je repérai ma sorcière borgne.
J'attrapai la baguette de Plumeau en espérant qu'elle n'exploserait pas à mon visage. La baguette au creux de ma main, je tapotai le nez crochu de la statue.
- Dissendium.
Sa bosse s'ouvrit et je laissai Plumeau s'engouffrer dans le passage avant de la suivre. La statue se referma sur le noir total.
Nous progressâmes lentement dans un silence entrecoupé des sanglots de Plumeau. Nous marchâmes dans un flou étrange. On ne distinguait rien. Les multiples émotions qui nous brûlaient de l'intérieur se calmèrent sous la bruine apaisante du silence.
Plumeau couina quand sa tête heurta une trappe. Un carré de lumière faiblarde nous illumina et nous débouchâmes dans une cave. Si mes souvenirs étaient bons, c'était la cave de Honeydukes, le magasin de confiseries de Pré-au-lard.
Enfin.
Des marches en bois nous conduisirent dans le magasin bondé. Il était rempli de clients surpris de voir débarquer deux filles de treize ans à moitié débraillées et les mains liées. Parmi eux, je reconnus plusieurs élèves de Poudlard plus âgés.
- D'où vous sortez ?
- Tout va bien ?
- Qu'est-ce qui vous est arrivé ?
C'était fini. Nous étions enfin sorties de cet enfer. Le relâchement de pression ouvrit les vannes de toutes les émotions et la peur contenue depuis le début de notre excursion dans l'aile Ouest et Plumeau se remit à renifler. Quant à moi, j'avais la tête qui tournait et j'hésitais entre le rire nerveux et les larmes.
- Diffindo.
La ficelle tomba au sol. Un gentil monsieur proposa de nous accompagner aux Trois Balais pour nous remettre de nos émotions autour d'une bonne bieraubeurre. Nous le suivîmes sans discuter, la tête encore trop pleine des derniers événements pour protester.
Je m'assis sur un banc du pub vidée de mon énergie. J'avais juste envie de roupiller pendant trois jours d'affilée pour compenser. Plumeau s'installa près de moi. Elle s'était calmée mais continuait de renifler de temps en temps. Le monsieur s'assit en face de nous et je reconnus enfin ses petits yeux humides.
- Professeur Hemingway ! Qu'est-ce que vous faites là ?
- Moi ? s'étonna-t-il avec un petit rire. J'accompagne la sortie à Pré-au-lard...
Les éléments se remettaient en place dans ma tête.
- Ah... Oui.
- C'est plutôt à vous de me raconter ce que vous faites là, continua-t-il. J'ai du mal à croire que vous vous soyez mises dans cet état juste en essayant de vous faufiler à la sortie Pré-au-lard.
Il nous envoya un sourire réconfortant et je remerciai le destin de nous avoir mis sur la route de Hemingway plutôt que de Mojito ou Swan.
- Je suis désolée, professeur, c'est de ma faute, avouai-je. Je pensais que l'aile Ouest avait un rapport avec les disparitions et j'ai entraîné Plumeau avec moi pour aller fouiner dedans.
- Dans l'aile Ouest ? fit Hemingway en écarquillant les yeux, ou du moins en les ouvrant légèrement plus que d'habitude.
- Et on est tombées sur une horde de satyres qui ont voulu nous dévorer, reniflai-je. Mais on a réussi à s'échapper.
Le prof nous contemplait avec des yeux ronds. De toute évidence, il était tellement estomaqué par notre histoire qu'il ne pensait même pas à nous retirer des points.
- Finalement, on a eu du bol de faire un séjour au milieu de cette bande de satyres qui vénèrent un dieu impitoyable en haut et craignent un démon affamé en bas sans finir en pâtée pour chèvres, répondis-je avec un soupir.
Je plongeai mon nez dans la pinte. Plumeau en fit de même. Le goût n'était pas si mauvais. La tête se mit à me tourner un peu. J'avais comme une impression de brouillard flou. C'était la première fois que je buvais de l'alcool. L'effet était tout drôle. Je dévisageai le fond de ma pinte et constatai qu'elle était déjà vide. Je me sentais déjà beaucoup mieux. Hemingway nous détaillait toujours de ses petits yeux tristes.
- Vous avez pris de la rêveuse ?
- Hein ? Non ! m'exclamai-je.
- Les hallucinations peuvent être assez réalistes, se justifia-t-il avec un sourire. Et personne ne vous renverra pour avoir pris un peu de rêveuse.
Je restai bouche bée. Qu'est-ce qu'il essayait de faire ? Nous sauver la mise ? Est-ce qu'il sous-entendait que si on apprenait que Plumeau et moi étions allées faire un tour dans l'aile Ouest, nous serions renvoyées ?
- C'est bon, Many, tu peux lui dire, qu'on a un peu pris de rêveuse, me dit Plumeau.
Ses yeux étaient encore rougis et elle trouvait le moyen de nous tirer d'affaire.
- T'as raison, acquiesçai-je. Je suis désolée de vous avoir menti, professeur.
- C'est pas grave, fit-il. Vous rentrerez au château avec les autres élèves. Je retire vingt point chacune à Poufsouffle pour consommation non autorisée de rêveuse et sortie à Pré-au-lard avant l'âge requis. J'espère que ça ne se reproduira plus. Est-ce que vous voulez utiliser ma broche pour prévenir vos camarades que vous êtes à Pré-au-lard ?
Je retins une exclamation. Zach et Hugo !
- Oui, professeur ! S'il-vous-plaît !
Ce fut Plumeau qui s'en servit. Je n'avais toujours pas bien saisi la formule qui activait ce machin.
- Zach ! Many et moi, on est à Pré-au-lard.
- Plumeau ! crièrent deux voix paniquées. Tout va bien ?
- Oui, on est avec Hemingway et on lui a avoué qu'on avait pris de la rêveuse avant de venir se glisser à la sortie Pré-au-lard. Il nous a juste enlevé vingt points chacune mais tout va bien.
Il y eut un long silence à l'autre bout.
- D'accord, fit la voix de Hugo. J'imagine que Mojito va être ravie d'apprendre que sa recherche depuis trente minutes est le fruit d'une hallucination de rêveuse. Zach va donc aller lui annoncer de ce pas que lui et moi on lui a juste fait un gros canular.
- Quoi ? fit la voix étouffée de Zach en fond.
- J'ai été heureux de vous connaître. Adieu, annonça solennellement Hugo en coupant la communication.
J'échangeai un regard coupable avec Plumeau. Nous nous en sortions bien, mais je n'enviais pas leur sort.
