Chapitre 18 - Une Saint Valentin de rêve
« Enquête spéciale sur les réseaux illégaux de fabrication artisanale de produits contenant de la rêveuse. Ces sucreries à l'aspect passe-partout fleurissent sur les étals des marchés noirs, leurs fabricants surfant sur la vague de popularité de la rêveuse auprès des jeunes sorciers de Grande Bretagne. L'engouement semble tel qu'on peut craindre une consommation prochaine par des moldus aventureux. Nous avons rencontré dans sa cave celui que l'on nomme la Demiguise, pour son étonnante capacité à toujours disparaître des yeux de la police magique. Il a convenu de nous donner des détails sur son commerce plus que lucratif dans le domaine de... Daria Springer pour La Gazette du Sorcier »
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Notre escapade dans l'aile Ouest ne nous avait permis qu'une chose : perdre le respect de Mojito, qui ne trouva plus rien à opposer au brigadier du ministère lorsqu'il affirmait que nous n'étions qu'une bande de farceurs mythomanes en quête d'attention. Lorsque Zach et Hugo lui expliquèrent qu'elle était le dindon de la farce, sa réaction fut loin de celle que j'avais redoutée. Zach nous rapporta qu'il aurait mille fois préféré affronter Dark Mojito que le visage infiniment déçu qu'elle leur avait présenté. Elle les avait quittés sans un mot et sans leur donner la moindre punition, ce qui en disait long sur sa confusion. Notre prof référente avait été lourdement blessée d'apprendre qu'elle avait mal placé sa confiance et, depuis, même Plumeau ne récoltait que des regards méprisants pendant les cours de Potions.
Nous avions perdu d'un seul coup tous nos alliés au sein du corps enseignant. La nouvelle était catastrophique. Je savais déjà que je ne pouvais pas compter sur la police magique. Le brigadier me l'avait bien fait rentrer dans le crâne. En revanche, le maigre espoir qu'avait fait éclore Mojito en sous-entendant qu'une partie des profs me soutenaient venait d'être réduit en miettes par ma bêtise. Maintenant, Franck avait tout le champ libre pour me transformer en porridge. Personne ne lèverait le petit doigt.
Sauf que Franck avait brusquement arrêté ses menaces.
Du jour au lendemain.
Je ne me l'expliquais pas. En l'espace d'une semaine, il avait redoublé d'ingéniosité pour mener à bien ses assassinats et je ne devais la vie qu'à une chance inouïe. Je pensais mes jours comptés. Et puis, plus rien. Franck s'était évanoui comme un nuage dans la brume.
Seule ombre au tableau : cet arrêt soudain des tentatives de meurtre avait conforté le brigadier et les profs dans l'idée que celles-ci n'étaient qu'une invention passagère de notre imagination. Je ne m'en plaignais pas. J'étais ravie d'être en vie.
L'arrivée de Février avait chassé la neige et le petit Mario oubliait son chagrin en patinant sur les flaques gelées. J'avais cessé de lui en vouloir pour son intervention malheureuse dans l'aile Ouest. Il avait bien compris la leçon qu'il ne fallait pas s'exprimer à tort et à travers et se montrait beaucoup plus attentif à ce qui se déroulait autour de lui avant de se montrer. J'avais fini par l'adopter. Fergusson n'en avait plus l'utilité, et de toute façon il avait élu domicile dans la poche de ma robe sans attendre la permission de quiconque.
L'approche de la St Valentin avait jeté une chape de mièvrerie sur le château. Pourtant, en dessous, à l'abri des regards, la ruse et les manigances tissaient leurs plans. Des valentins et valentines naïfs n'allaient pas tarder à goûter les premières pluies de lettres.
Même Zach trouva le moyen de me pousser à l'écart des autres juste avant le début du match de Quidditch contre Serpentard pour me demander nerveusement si je pouvais lui dire ce qu'une fille aimerait recevoir comme cadeau.
- Une fille serait très contente de recevoir un livre sur les potions, à mon avis, lui répondis-je avec un sourire espiègle et un clin d'œil.
Il eut un air songeur puis prit conscience que la précision de ma réponse signifiait que j'avais parfaitement compris de qui il parlait. Ses yeux s'agrandirent pour accompagner une exclamation muette et il posa ses mains gantées sur ses joues avant de s'affaisser d'un air peu viril.
- Ne lui dis rien s'il-te-plaît-je-t'en-supplie, couina-t-il.
Je promis en pouffant devant son expression désemparée et m'empressai de finir d'enfiler ma tenue de Quidditch. Nous sortîmes tous les deux sur le terrain sous les applaudissements de la tribune de Poufsouffle, d'où Plumeau et Hugo nous encourageaient de toute leur voix au milieu des acclamations. Je frottai Zach d'un air confiant et attendis que Marvin serre la main frêle de Scylla avant d'enfourcher mon balai. Je fis un signe enjoué à Kathleen, qui devint cramoisie et me rendit un sourire que le grand soleil d'après midi rendait rayonnant. C'était son élément. Elle nageait dans l'air comme un poisson dans l'eau. Mais son équipe ne nous aurait pas. Nous étions gonflés à bloc et les nouvelles tactiques de Norah et Marvin étaient géniales. L'arbitre siffla le début du match et je m'envolai avec mes camarades vers la victoire.
L'atterrissage sur le béton de la réalité fut brutal.
- WALKER A LE VIF D'OR ! Elle met fin au match et permet une victoire écrasante de Serpentard avec 380 à 70 ! hurla le commentateur. C'est du jamais vu !
Je me traînai comme une larve avec le reste de l'équipe de Poufsouffle dans les vestiaires. Marvin partit sans un mot, et même Norah Littlerock ne se sentit pas la force de faire des commentaires.
- Cette équipe est monstrueuse, dit-elle d'une voix éteinte.
Personne ne trouva rien à répliquer.
L'ensemble de l'équipe se dirigea mollement vers la salle commune de Poufsouffle. Les supporters étaient déjà tous partis. Des drapeaux couleur abeille avaient été piétinés sur le chemin givré qui conduisait au château. Nos pieds les repoussèrent tristement dans le silence le plus total. Il n'y avait rien à dire. Notre défaite était définitive. Notre décompte de points sur les matchs de l'année nous plaçait certainement en queue de classement. Nous disputerions la troisième place avec l'équipe arrivée troisième au mois d'avril mais la coupe de Quidditch était désormais aussi hors de portée qu'un cocotier à un manchot.
Les élèves dans la salle commune nous saluèrent à peine en passant et je pénétrai dans le dortoir pour me laisser lourdement retomber sur mon lit, faisant bondit Féline sous le lit de Plumeau. Cette dernière était assise dessus et je la vis du coin de l'œil ranger précipitamment une feuille sous ses couvertures en me voyant arriver.
- Qu'est-ce que tu faisais ? marmonnai-je d'une voix déprimée.
Elle ne put cacher le rouge qui teinta ses joues rebondies.
- Rien, rien. Je glandouillais.
Je grognai mon scepticisme. Elle jeta un coup d'œil hésitant à Norah qui rangeait encore ses affaires. Je patientai qu'elle ait fini et sorte du dortoir pour répondre.
- Quand tu glandouilles sur un sujet sans importance tu le fais dans la salle commune, lui fis-je remarquer. Tout à l'heure, tu faisais un truc secret.
Je ponctuai ma phrase d'un sourire mou.
- Tu baves sur tes draps, sourit Plumeau.
J'essuyai un filet de bave.
- Ce match me donne l'impression d'être passée à la moulinette, me justifiai-je. Mon cerveau est resté sur le terrain avec mon énergie et ma dignité...
- Vous avez fait ce que vous avez pu, tenta-t-elle de me consoler.
- Essaie pas de changer de sujet, la pointai-je du doigt en me redressant. Je vois clair dans ton petit jeu. Tu me fais des cachotteries.
- Quelles cachotteries ? dit-elle en rougissant de plus belle.
- C'est pas la première fois que je te vois gribouiller en cachette, haussai-je un sourcil. Vas-y, montre ! Qu'est-ce que tu dessines ?
Voir que j'avais percé son secret lui fit ouvrir de grands yeux bleus apeurés. Je ricanai d'avoir vu juste et plongeai sous sa couverture pour chiper l'objet. Elle se jeta dessus en même temps et je m'empêtrai avec elle dans les draps.
- Je l'ai ! criai-je triomphalement en brandissant une chemise en carton sur laquelle était coincée une épaisse feuille remplie de couleurs. Hoo... C'est joli...
Je ne m'attendais pas à découvrir une aussi belle œuvre d'art. C'était abstrait, mais les couleurs étaient loin d'être apposées au hasard. Il s'en dégageait une impression de joie printanière. Je n'arrivais plus à décrocher mes yeux des courbes harmonieuses.
- Il est pas fini, commenta timidement Plumeau.
- Ah ?
Je me forçai à sortir de mon hypnose pour ouvrir la pochette. Un trésor de teintes s'offrit à ma vue. De multiples œuvres s'empilaient et je m'extasiai tout en les feuilletant.
- C'est toi qui as fait tout ça, Plumeau ?
Elle haussa les épaules. Ses joues avaient repris une couleur plus claire.
- Oui. Depuis le début de l'année.
- Seulement depuis Septembre ? m'étonnai-je.
- C'est ça, confirma-t-elle. Le reste est chez moi.
Il y avait quelque chose de magique qui s'échappait des couleurs des dessins de Plumeau. Sur chaque feuille, les formes et courbes abstraites exprimaient distinctement un message clair. Pourtant, ça ne ressemblait à rien. Mais les émotions véhiculées par les traits étaient bien réelles.
- C'est vraiment trop beau, répétai-je.
- T'es gentille, mais ça c'est juste des croquis, sourit Plumeau. Les vrais tableaux sont plus grands et ils sont trop encombrants pour que je les prenne ici.
- C'est peut-être juste des croquis, mais moi ça me fait un drôle d'effet, avouai-je. Celui-là, par exemple, quand je le regarde, je ressens assez distinctement une colère sourde. Avec une pointe de peur, aussi. C'est bizarre, non ?
Je montrai une feuille barbouillée de tons sombres éclaboussés de rouge et orange. J'avais choisi de lui montrer celui-ci parce qu'il sortait du lot. La plupart des autres dessins s'exprimaient par des couleurs bleutées et vives, et les regarder m'emplissait d'un bonheur béat.
- Non, c'est pas bizarre, fit Plumeau, c'est de l'art magique. C'est comme ça qu'on fait les tableaux parlants. Mais moi je préfère largement l'abstrait. C'est plus pur et ça me libère.
Je la détaillai comme si je la voyais pour la première fois. Je passais tellement de temps avec elle que je croyais la connaître sur le bout des doigts. Son attitude heureuse et détachée laissait sous-entendre qu'elle n'avait rien à cacher. Mais je me trompais. Plumeau assumait beaucoup de choses, certes, mais elle ne partageait pas ses passions intimes à la légère. Et pour la première fois, j'avais pris la peine de gratter la surface pour révéler le cœur de mon amie.
- Tu me les montreras ? Tes prochains dessins ? souris-je.
- Si tu veux, fit-elle en haussant les épaules à nouveau.
Ce moment me trotta en tête toute la soirée. Je passais mon temps à me monter la tête sur des enquêtes minables et je prenais le chou de mes amis avec ça. Je me livrais sans retenue et tous les trois connaissaient par cœur toute ma vie, les coups que j'avais monté avec Will, les multiples défauts de ma mère et l'ennui profond que m'inspirait mon père. Pourtant, qu'est-ce que je savais d'eux ? Plumeau vivait avec ses parents. Enfin, il me semblait l'avoir entendue dire ça à un moment. Un père moldu et une mère sorcière. Mais elle n'en parlait jamais. Hugo ne parlait jamais de sa famille non plus. Mais je les croisais assez dans les couloirs pour commencer à les cerner et comprendre pourquoi il évitait le sujet. Quant à Zach, il passait le plus clair de son temps à plaisanter sur tout et n'importe quoi mais ne livrait pas beaucoup de lui-même.
Est-ce que je côtoyais vraiment des inconnus ?
Peut-être que Kathleen s'était éloignée de moi pour se rapprocher de Charybde et Scylla parce que je ne faisais que parler de choses superficielles. Elle m'avait invitée au cœur de sa famille, mais moi je m'étais contentée de penser tout le temps à Will. Et le reste du temps, je lui parlais de Quidditch. Non. Ça n'allait pas du tout. Si elle revenait vers moi un jour, il me fallait être une amie, et pas juste un bouclier sans âme. Je n'avais plus qu'à me mettre sérieusement à gratter la surface.
- Tu devrais mieux réfléchir avant de faire des bisous à n'importe qui, Malany. Choisir un détraqueur comme valentin était vraiment pas une bonne idée.
Je refermai ma bouche. Norah Littlerock me fixait avec un sourire moqueur.
- Hein ?
- T'avais correctement interprété son air bovin, fit-elle. Elle m'écoutait pas du tout.
- Je commence à avoir l'habitude, répondit Plumeau.
- Désolée...
J'étais décidément incapable d'appliquer mes propres résolutions.
- Norah nous proposait de nous joindre à elles pour faire un jeu, répéta Plumeau avec son habituel sourire qui pardonnait tout à n'importe qui. Ça te dit ?
J'acquiesçai. Nous étions dans notre dortoir et sur le point de nous coucher. Les lumières venaient juste de s'éteindre. Norah Littlerock s'éloigna de son pas de camionneuse arc-en-ciel pour s'asseoir sur un lit avec un groupe de filles qui s'éclairaient avec leurs baguettes en chuchotant.
- Oh, non, pourquoi vous avez invité Plumoche et Baker Street ?
Grace avait soudainement arrêté de glousser en nous voyant arriver et sa bouille charmeuse s'était transformée en moue peinée. La belle aux boucles noisettes de Poufsouffle n'avait apparemment jamais digéré les points que nous avions fait perdre à notre Maison l'année dernière pour notre tentative ratée de sauvetage. Si elle se mettait à répandre les vacheries d'Apollo Matthews, je n'allais pas laisser Plumeau se faire insulter gratuitement. Mais mon amie ne me laissa pas le temps de dire quoi que ce soit.
- Si tu veux me donner un surnom, je préfère Plumeau tout court, sourit-elle. C'est plus joli, je trouve.
Grace eut l'air étonné une fraction de seconde, comme si elle ne s'attendait pas à ce genre de réplique, puis gloussa discrètement.
- D'accord, ça me va, Plumeau, accorda-t-elle de bon cœur. C'est un peu du gâchis de donner un joli surnom à une moche, mais je veux bien faire un effort.
- Merci, Grace, la remercia Plumeau alors que je me redressais d'un bond.
- Pas merci, Garce, grognai-je avant de sentir la main apaisante de Plumeau sur mon épaule.
- Soyez sympa entre vous, les filles, intervint une des copines de Norah en voyant la tension monter. Vous êtes ridicules.
- Mais...
- Honnêtement, je me fiche complètement de comment on m'appelle, Many, me coupa Plumeau. Arrête de faire le chien de garde. C'est vraiment pas important.
Je sondai l'abysse de ses iris limpides sans trouver autre chose qu'une absolue sérénité. Encore une fois, j'avais revêtu contre le gré de mes amis le costume du bouclier froid et sans cervelle. Elle avait raison. J'étais juste bonne à me comporter comme un chien enragé. Je m'assis avec le reste du groupe sur un coin de matelas encore libre avec un regard d'excuse.
En dehors de Grace, toutes les autres filles étaient plus âgées de deux ou trois ans. Il y avait la copine de Marvin, avec son menton haut et ses cheveux courts. Je les connaissais toutes de vue mais Norah était la seule dont je pouvais donner le nom. L'une d'elles sortit un énorme paquet de bonbons à paillettes et des cupcakes multicolores décorés d'étoiles et nuages en tous genres. La vue des gâteaux me fit oublier ma rancœur d'un coup.
- Qui commence à poser une question ? chuchota une des filles les plus âgées en éclairant son visage.
Une autre se porta volontaire en piochant une poignée de bonbons. Une dispute éclata pour la forme avec une autre qui voulait aussi le rôle, et j'échangeai un regard d'incompréhension avec Plumeau.
- C'est quoi, le jeu ? demanda-t-elle à voix basse.
- Action ou Vérité, gloussa Grace. Soit tu réponds à une question, soit tu fais un gage !
Au vu de l'expression de Plumeau, les règles du jeu ne la ravissaient pas. J'avais déjà joué à ce jeu avec Will et ses frères et sœurs. L'expérience avait été stressante mais j'avais appris des tas de secrets sur les Jenkins. Des secrets banals, certes, mais quand même.
Le deux filles avaient fini leur querelle.
- Je commence, alors, fit l'une dans un souffle. Hummm... Iris, Action ou Vérité ?
- Oh, pourquoi moi ? Raaah ! Bon. Vérité.
Elle réfléchit en délivrant son cupcake de son papier.
- Qui embrasse le mieux entre Achille et Driss ?
- Quoi ?! J'aurais jamais dû te raconter ça !
- Hein ? T'as embrassé Driss et Achille ?
- Chhht, moins fort, les filles...
- Quand ?
- Pourquoi tu m'as rien raconté, à moi ?
Les murmures fusaient dans tous les sens dans la cacophonie la plus inintelligible. C'était ce genre de questions ? Plumeau finissait son deuxième cupcake et je me décidai à l'imiter. J'en choisis un avec des petits nuages en sucre. Il avait un goût de menthe sucrée. Les questions chuchotées continuaient sur la même lancée.
- Becky, Action ou Vérité ?
- Ah zut. Vérité. Tu me poses pas de question malaisante, hein ?
- Voyons, voyons... Quel est le prof que tu trouves le plus sexy ?
La cible de la question se cacha sous ses mains, faisant pouffer toutes ses copines. Elle se redressa et se massa les cheveux.
- Pff... Vous êtes des fausses amies... Je trouve que Di Renzo est mignon, voilà, ça va, pas la peine d'en faire tout un plat !
- Quoi ? T'es sérieuse ? Son manteau est joli, d'accord, mais lui, il est tout lisse, c'est pas le choix le plus viril ! Il est pas très grand en plus !
- C'est clair ! Moi j'aurais répondu Hemingway direct !
- Pareil !
- Carrément ! Hemingway est bien conservé, je suis sûre que c'est le style à s'embellir avec l'âge ! Et il est bien musclé, il doit avoir de ces tablettes de chocolat, miam !
- Eh ben, Iris, tu nous avais caché que tu fantasmais à ce point sur Hemingway !
- Mais non, c'est juste...
- Trop tard, tu t'es trahie !
Les rires silencieux fusaient encore. Plumeau s'était caché le visage sous les draps. J'entrouvris pour voir sa tête. Ses joues étaient cramoisies.
- C'est quoi ces questions ? Je veux pas répondre à ça, moi !
- T'inquiète pas, moi non plus, lui avouai-je. Mais c'est le jeu. C'est rigolo. Enlève ça.
Elle obtempéra à reculons mais ses joues rosies finirent par ressortir à la vue de tous. Les autres n'avaient rien remarqué, trop occupées à se chambrer entre elles. Les questions continuaient à un rythme soutenu, et je convins du fait qu'elles ne faisaient pas beaucoup preuve d'imagination. C'était toujours qui voulait sortir avec qui, et qui avait embrassé qui, et qui voulait offrir quoi à qui à la Saint-Valentin, et qui avait fait ci ou ça. Je trompais l'ennui en suçotant nonchalamment des bonbons à paillettes. Les goûts variaient, mais ils pétillaient sur la langue. Je passai le paquet à Plumeau pour qu'elle s'en resserve.
- Plumeau ! Action ou Vérité ! demanda Grace dans un chuchotement.
Elle faillit s'étrangler avec le bonbon qu'elle venait de mettre dans sa bouche. Elle prit une teinte pivoine et marmonna des mots incompréhensibles. Les autres filles l'encouragèrent.
- Action, murmura-t-elle finalement.
- Ho ! Voilà une challengeuse ! commenta Norah Littlerock.
- Yes ! s'exclama Grace. On va bien s'amuser !
- T'as pas froid aux yeux, ajouta la copine de Marvin.
La grimace de Plumeau indiquait bien son inquiétude d'avoir pris la mauvaise décision. Grace prit le temps de réfléchir avant de parler.
- Je sais. Tu vas aller embrasser Zach Andersen. Sur la bouche !
- Quoi ?!
- Comment t'es au courant de ça, toi ? demandai-je.
- Personne trompe mon regard d'aigle, confia Grace. Et puis c'est marqué sur sa tête dès qu'il est à côté d'elle, franchement, c'était pas très compliqué à deviner.
Le teint de Plumeau avait à nouveau pris chaud. Cette commère de Grace portait bien sa réputation de tout savoir avant tout le monde. Elle n'aurait pu tomber plus juste.
- C'est lequel, d'Andersen ? demanda une fille.
- Celui qui a son âge, Becky, qu'est-ce que tu vas t'imaginer ?
- Je veux pas faire ça, chuchota Plumeau.
- T'avais qu'à choisir Vérité, aussi, répliqua Grace. Assume.
Je haussai les épaules quand Plumeau m'interrogea en silence.
- C'est le jeu.
- Bon, bon, d'accord, je ferai ça, accepta-t-elle. C'est à moi de poser la question, du coup ?
- Non, pas encore, la contredit Norah.
- Pourquoi ?
Le gloussement inaudible des filles lui répondit.
- Quoi... maintenant ?
- Oui, vas-y !
- Je t'accompagne pour vérifier que tu triches pas, ajouta Grace.
Plumeau chercha un soutien dans ma direction, et je lui assurai que je venais aussi. Elle mit un long moment à prendre son courage à deux mains et finit par se lever après avoir enfourné une poignée de bonbons pailletés dans ses joues en guise d'encouragement. Nous nous glissâmes toutes les trois dans la salle commune plongée dans le noir.
- Nox.
Nous nous faufilâmes à pas de velours dans le dortoir des garçons. J'avais l'impression d'être un hippopotame. Le bruit de nos pas feutrés faisait un boucan incroyable dans mon imagination. J'avais la certitude que tout le monde nous entendait. Mais le son des respirations régulières me convainquit du contraire, et nous nous glissâmes comme des ombres entre les lits. Je priai juste pour que Grace nous épargne son éternel gloussement tant que nous serions en territoire sensible.
Localiser le lit de Zach fut ardu mais je le trouvai quand même. Il dormait comme un bébé. Dans l'inconscience, on aurait presque pu le croire innocent et timide. Sa touffe de cheveux noirs était ébouriffée et son pyjama troué. Je repérai la minuscule tentacule qui s'enroulait et se déroulait derrière son oreille au rythme de son souffle. Je fis signe aux deux autres de me rejoindre.
Grace avait la main plaquée sur la bouche pour ne pas laisser échapper le moindre son et Plumeau avait le visage d'un condamné devant l'échafaud. Je me reculai et saisis le bras de Grace pour qu'elle en fasse autant. Ne pas nous avoir dans son champ de vision lui rendrait la tâche moins embarrassante. Plumeau me jeta un dernier regard inquiet, puis se pencha lentement et déposa ses lèvres sur celles de Zach avec la délicatesse d'un démineur.
Il grogna dans son sommeil et Plumeau se redressa dans un sursaut. Je pressentis le gloussement de Grace avant qu'il n'explose et ajoutai ma main à la sienne pour faire bouchon. J'entraînai ma bombe à retardement jusque dans la salle commune avant qu'elle ne nous fasse repérer. Plumeau reparut après une durée nettement plus longue que celle requise pour traverser le dortoir, mais je fis mine de ne pas l'avoir remarqué.
Des exclamations muettes et des hourras silencieux nous accueillirent au retour dans le cercle de filles.
- Franchement, fit Grace. Je pensais que tu allais te dégonfler.
- Ouais, bien joué !
- C'était comment ?
Plumeau ne répondit pas et se contenta de sourire maladroitement pour faire oublier ses joues en feu. Les filles passèrent vite à autre chose et ce fut au tour de Plumeau de parler.
- Norah... Heu... Action ou Vérité ?
- Vérité, répondit-elle. Je suis pas une malade comme toi.
Je vis Plumeau réfléchir et compris qu'elle ne savait pas quoi demander. Elle finit par répéter ce qu'une des copines de Norah lui glissa à l'oreille, et le jeu reprit dans le même genre de questions qui avait déjà été usé jusqu'à la moelle. Je passai un bras autour du cou de Plumeau et elle pouffa de décompression en se prenant les joues dans les mains. La chute de tension était appréciable. Puis ce fut mon tour.
- Toi... heu...
- Malany.
- Voilà. Action ou Vérité ?
- Vérité.
Je n'étais pas tentée par un nouvel exercice de discrétion dans le style de Plumeau. La fille réfléchissait et gloussait aux propositions que les autres lui murmuraient à l'oreille.
- Alors... Qui sera ton valentin ?
- Ha, c'est facile, il y en a pas, répondis-je en me réjouissant de la facilité avec laquelle je m'en sortais.
- Mais s'il y en avait un, ce serait qui ?
- Aucun, assurai-je en haussant les épaules.
C'était la vérité. Je n'avais jamais réfléchi à ce genre de question.
- Fais un effort. Entre tous les élèves de Poudlard, si tu devais en choisir un, ce serait lequel ? Peu importe si c'est juste un fantasme, on s'en fiche. On veut un nom !
Le groupe éclata encore de rire quand Norah lui intima de faire moins de bruit. Je me forçai à creuser la question. C'était idiot, ce n'était pas quelque chose qu'on pouvait trouver avec un effort. Je pouvais bien citer les garçons que je trouvais les plus mignons, mais ce n'était pas vraiment la question. Et à mesure que je me concentrais, un visage apparaissait dans mon esprit confus.
- Tom... Enfin, je crois. Mais c'est vraiment parce que vous m'avez obligée, hein...
- Qui ?
- Tom ? Tom Kindeye ? s'étonna Plumeau avec de grands yeux ébahis.
- Hein ?! Eh ben, tu choisis pas les plus moches, toi ! s'amusa Grace. Tu devrais te méfier du râteau. C'est vite arrivé.
Je ne savais pas vraiment pourquoi j'avais dit son nom. J'avais pensé à Will, et le visage de Tom Kindeye s'y était superposé. Et maintenant, je me retrouvais à rougir comme une débile. Et toutes allaient croire que j'étais sincère.
- Je vois pas qui c'est.
- Mais si, c'est le petit blond mignon, là, décrivit Grace. Il rigole tout le temps.
- Je vois toujours pas.
- Tu parles du petit blond de Serdaigle ? Celui avec les cheveux sur les yeux ?
- Quoi ? Non ! Lui, c'est Dink, corrigea Grace. Plutôt provoquer en duel la fille maudite que de trouver mignon le gros Dink ! Pour qui tu m'as prise ?
- Bon, ben je vois pas, alors...
Les explications de Grace restèrent floues pour les filles plus âgées. Tant mieux. Que ma déclaration foireuse reste dans l'oubli.
- Diana, dis-je en désignant la copine de Marvin. Action ou Vérité.
- Vérité ! s'exclama-t-elle avec le sourire confiant de qui n'a pas peur de révéler ses moindres secrets.
- Pourquoi est-ce que tout le monde appelle Lyra la fille maudite ? Qu'est-ce qu'elle a fait ?
Son sourire s'effaça. Elle paraissait déçue de la question.
- C'est pas drôle, comme question, râla une autre.
- En plus ça me tente pas vraiment de parler de la fille maudite, ajouta Diana. Je tiens à mes yeux. Change de question.
- Elle a raison, c'est trop dangereux pour elle, ta question. Pose-lui autre chose.
- Je vois pas en quoi c'est dangereux de parler de Lyra, fronçai-je les sourcils.
- Lyra ? C'est son nom ? Enfin, peu importe, je dirai pas un mot de plus sur cette fille. Tu te rends pas compte du risque que tu prends. Et moi avec.
- Moi je veux bien te répondre, fit une fille plus jeune que les autres. Elle est en troisième année, comme moi, donc je connais bien l'histoire.
- T'es pas obligée, Alma, dit Iris.
- Je vais juste raconter des faits, je risque rien.
- Comme tu veux.
Le silence s'installait. La dénommée Alma semblait hésiter.
- Alors ? renchéris-je pour l'aider à franchir le pas.
- Quand j'étais en première année, pendant le tournoi de duel, tous ses adversaires sont subitement devenus aveugles à cause de sa malédiction, dit-elle d'une voix inquiète. C'est ce qui arrive à ceux qui se mettent sur sa route.
La lueur lugubre des baguettes renvoyait les visages effrayés des autres filles. J'avais la désagréable sensation de voir leurs contours se déformer par bribes. La luminosité me faisait halluciner.
- Depuis ce jour, tous ceux qui disent du mal de cette fille dans son dos se mettent à se figer progressivement. Et si tu persévères, tu te changes en pierre.
Sa voix tremblait. Je pris conscience que depuis qu'elle avait commencé à parler, elle fixait ses doigts, les ouvrant et fermant continuellement, comme pour s'assurer qu'elle ne commençait pas à se transformer.
- D'où elle sort, cette malédiction ? m'enquis-je avec une pointe d'inconfort.
Malgré moi, son histoire me donnait froid dans le dos.
- Personne en sait rien. Mais j'ai mon idée, confia Alma. Je pense qu'elle a pactisé avec un démon pendant notre première année pour se venger des brutes qui la prenaient pour leur victime de service.
- Victime ? tiquai-je.
Le mot collait assez mal avec l'image que je me faisais de Lyra Fox.
- C'est ce que j'ai dit, oui. Les gars de sa classe étaient pas des tendres, crois-moi. Elle faisait pitié. Mais depuis la malédiction, ceux qui la brutalisaient sont devenus ses larbins. Je les comprends. J'aurais une peur bleue de refuser d'obéir à un ordre de sa part. T'imagines ?
- J'imagine, murmurai-je.
Le souvenir du Serpentard de troisième année qui était allé nous acheter des chocogrenouilles dans le Poudlard Express était encore clair dans mon esprit. Elle nous avait dit qu'il s'agissait d'un accord et qu'elle faisait leurs devoirs, mais c'était un énorme mensonge. Lyra mentait de toute façon aussi facilement qu'elle respirait.
- C'est bon, t'es satisfaite ? Maintenant j'arrête d'en parler, ça me fout la trouille.
Je hochai la tête pensivement. Alors toute cette histoire de minions et de malédiction venait d'une bête vengeance ?
- On est d'accord que vu ce que je viens de risquer, c'est à moi de poser une question, s'imposa Alma.
Toutes les autres étaient d'accord. Elle enchaîna et demanda à sa voisine qui était le garçon le plus beau de l'école, ce qui ouvrit un débat houleux qui se conclut sur Iris déversant ses plus grands superlatifs à propos de Louis Weasley. Les questions se perdirent dans le brouillard de mes pensées. Est-ce qu'on pouvait vraiment pactiser avec un démon ? Et quel démon ? Le démon des cachots ? Est-ce que Lyra avait un rapport avec les disparitions ? Il y avait bien une page sur la fille maudite dans le livre des paris mais...
Non. Je me perdais. Les disparitions avaient commencé plus dix ans avant l'arrivée de Lyra à Poudlard. Elle était encore bébé au début du phénomène.
Mais nous avions entendu mentionner un démon à un autre endroit. Où ça ? Je me frottai le front. C'était flou. Où avais-je entendu parler d'un démon ?
Et puis le souvenir remonta. Les satyres de l'aile Ouest avaient bien parlé d'un démon des profondeurs qui dévorait les leurs. Est-ce qu'il s'agissait du démon des cachots ?
Depuis notre retour de l'aile Ouest, nous n'avions quasiment plus mentionné les disparitions. Le mystère de la double disparition s'était éclipsé derrière l'avalanche de devoirs que nous avions eu fin janvier. Et nous avions dû nous rendre à l'évidence. Nous n'avions aucune piste, et la police magique était déjà à l'œuvre pour le percer à jour. Même si le vieux brigadier sceptique ne m'inspirait pas confiance pour résoudre quelque mystère que ce soit.
Mais en cet instant, les idées affluaient dans ma tête. Je jubilais. Des pistes multiples apparaissaient et je n'avais qu'une envie, toutes les explorer. Je me sentais l'esprit d'un surhomme capable de résoudre le moindre puzzle.
- Plumeau ! Action ou Vérité !
Je fus tirée de mon agréable rêverie.
- Pourquoi encore moi ?
- Parce que t'as du cran, sourit la fille en face d'elle. Alors ? Action ou Vérité ?
Plumeau fit une grimace.
- Action...
La fille qui l'avait interrogée jubilait. Elle semblait attendre cette réponse. Les illusions d'optique reprirent quand elle approcha sa baguette de son menton. Je plissai les yeux pour ne pas être éblouie.
- J'espère que t'es prête, parce que ça va être le gage du siècle.
- Oh non, pas trop dur, s'il-te-plaît, gémit Plumeau.
- Grace m'a dit que t'étais la chouchoute de Mojito parce que tu pouvais préparer n'importe quelle potion. C'est vrai ?
Plumeau écarquilla les yeux. Je ne voyais pas non plus où elle voulait en venir.
- Heu... Je me débrouille, fit-elle.
- Parfait. Tu saurais préparer un philtre d'amour ?
Je poussai une exclamation à l'unisson avec Plumeau.
- Qu'est-ce que tu manigances, Iris ? demanda Norah.
- Je veux qu'elle me fasse un philtre d'amour, répondit celle-ci. C'était clair, non ?
- Pour qui ? la taquina sa voisine.
- Aha. C'est mon secret.
- Un indice ?
- C'est le plus beau mec de l'école, gloussa Iris.
- Louis Weasley ?
- Comment t'as deviné ?
- Tu viens de nous faire une éloge fanatique à l'instant.
- Ah oui, c'est vrai.
- T'as la mémoire courte...
- Pas besoin de mémoire pour choper le plus beau gosse de l'école, sourit Iris avec malice. Juste un peu de magie.
- C'est pas très légal.
- Et alors ? Ça fera de mal à personne.
- C'est quand même pas très sympa.
Le débat continua entre elles. Plumeau regardait ses pieds. A voir sa réaction, elle était parfaitement capable de créer un philtre d'amour.
- De toute façon, c'est mon tour de lui demander un gage, donc je peux demander ce que je veux, alors arrêtez de me faire la morale, se braqua Iris.
- D'accord, dit Plumeau.
- Je t'accompagne, ajoutai-je.
Plumeau parut soulagée de mon intervention. Iris la regarda en étirant un immense sourire de vainqueur. Les autres filles ne cachèrent pas leur désapprobation. Mais Plumeau était déjà en train de se lever pour aller fouiller dans ses affaires. Iris chantonnait silencieusement un air triomphant.
- Crache là-dedans, lui demanda Plumeau en revenant un flacon minuscule à la main.
Une grimace dégoûtée interrompit le chant victorieux. Mais Iris se résolut à faire glisser un filet de bave à l'intérieur. Le verre émettait des reflets éblouissants et je détournai les yeux.
- Faites gaffe au concierge, nous mis en garde Norah.
- Ouais, acquiesça Diana. Il doit être en train de faire sa ronde dans le château. Méfiez-vous de lui. C'est un vampire. S'il mettait la main sur vous, il serait capable de vous transformer en réservoir à boisson pour les deux prochains mois.
- Je crois pas que les vampires existent, commenta Plumeau.
- Crois ce que tu veux, mais surtout planquez-vous si vous l'apercevez, conseilla Norah.
Je la rassurai en lui promettant de suivre ses indications. Plumeau passa une fiole vide un peu plus grosse dans sa poche et me suivit hors du dortoir. J'entendis les filles nous souhaiter bonne chance derrière nous.
La salle commune était plongée dans le noir. Nous avions éteint nos baguettes pour ne pas réveiller un éventuel esprit cafardeur. Les courbes des poufs et des meubles ronds semblaient tourner sur elles-mêmes. L'obscurité créait d'étranges illusions.
Le cellier était tout aussi obscur. Nous redoublâmes de vigilance pour ne pas heurter un tonneau mal placé ou nous cogner l'orteil dans les innombrables cageots qui tapissaient le sol. Nous rejoignîmes le couloir et dépassâmes le tableau représentant une nature morte fruitée qui donnait accès aux cuisines.
Je sentais les battements de mon cœur qui s'emballaient frénétiquement à chaque bifurcation. C'était comme si je venais de terminer de courir un cent mètres. J'essuyai d'un revers de manche la sueur qui commençait à perler sur ma tempe. L'avertissement de Norah m'avait plongée dans un état de vigilance accrue. Je m'attendais à voir surgir le concierge toutes dents dehors à tout instant et mes sens s'en trouvaient décuplés. Mon ouïe en alerte me faisait sursauter au moindre bruit. En traversant le Hall du rez-de-chaussée pour atteindre les escaliers qui menaient aux cachots, je crus apercevoir du coin de l'œil une substance transparente s'éclater dans les cheveux de Plumeau. Lorsque je me tournai, il n'y avait plus rien et elle me regardait de ses grands yeux noirs surpris.
Un bruit de pas dans les escaliers du Hall fit bégayer mon rythme cardiaque et je tirai la manche de Plumeau en me jetant derrière une armure. Ma respiration faisait autant de bruit qu'un aspirateur en route dans mon oreille et je plaquai mes deux mains sur mon visage. La silhouette maladroite à l'épaisseur d'un bâton de sucette du concierge passa devant nous en sirotant à la paille le contenu rouge d'une petite bouteille en plastique. Il fredonnait un air inconnu qui figea mon sang dans mes veines. Il s'éloigna dans la direction opposée aux cachots et je respirai à nouveau.
L'armure derrière laquelle nous étions cachées faillit me provoquer un deuxième arrêt cardiaque en se tournant sur notre passage quand nous sortîmes de derrière elle.
- Aaah, gémis-je la main sur la poitrine. Putain, Plumeau, tu pouvais pas choisir Vérité, comme tout le monde ?
Elle haussa les épaules avec un sourire d'excuse.
Nous descendîmes à pas de loup dans les escaliers de pierre des cachots. Nous nous résolûmes à créer à nouveau un lumos au bout de nos baguettes, car le noir était si épais en bas qu'on risquait de dévaler les marches sur les fesses au moindre faux pas.
Je réprimai un gémissement ébloui lorsque la lumière crue jaillit. Un milliard de paillettes tranchantes s'étaient jetées dans mes yeux. Je baissai progressivement ma main que j'avais dressée en paravent protecteur et découvris que Plumeau avait eu la même réaction. Nous admirâmes de nos yeux plissés le kaléidoscope lumineux qui prenait source à la pointe de nos baguettes et dansait sur les parois glaciales de la pierre.
L'instant d'étonnement passé, nous continuâmes notre descente sans un bruit. Les ombres fuyaient sur notre passage comme des créatures nocturnes dérangées dans leur sommeil. Les couloirs froids paraissaient par moment s'enrouler sur eux mêmes, mais l'impression s'évanouissait quand je clignais des yeux.
La porte de la salle de cours de Potions nous joua des tours. Elle semblait s'éloigner à mesure que nous nous en approchions, et quand il parut évident que nous ne l'atteindrions jamais, elle se trouva derrière nous et nous constatâmes que nous étions entrées. Je restai quelques instants à la contempler pour tenter de comprendre ce qui venait de se produire, pendant que Plumeau préparait déjà son chaudron et ses ingrédients.
Je la rejoignis en silence. Elle avait posé sa baguette sur le plan de travail pour éclairer le matériel.
- Mets-moi de la lumière au-dessus du chaudron, s'il-te-plaît, murmura-t-elle.
Je m'exécutai et l'observai manipuler les éléments dans un ballet précis. La lumière était de plus en plus éblouissante et j'avais le sentiment de tenir une boule disco. Je discernai nettement un des mille-pattes s'échapper de la table. Les bras de Plumeau se mouvaient comme des tentacules au milieu des éclats irisés qui coulaient de ma baguette. En ce qui me parut un instant, elle avait disparu. Puis, avant que je puisse faire un geste, elle se trouvait à nouveau à sa place, les bras chargés de plantes étranges et d'un livre poussiéreux. Je clignai des yeux et me secouai. J'eus brusquement envie de rire devant l'absurdité de ce que nous étions en train de faire. Mais c'était amusant. Je laissai mes pensées vagabonder pendant qu'elle préparait ses ingrédients avec concentration et minutie.
- Plumeau, demandai-je brusquement, t'étais vraiment honnête quand tu disais que tu t'en fichais de comment les autres t'appellent ?
Elle soupira.
- A ton avis ?
- Je sais pas, répondis-je. C'est à toi de me dire.
- Non, je m'en fiche pas, lâcha-t-elle. C'est méchant et ça me fait pas du bien d'entendre ça à longueur de journée. Ni de voir Apollo faire ses imitations débiles.
Elle m'avait surprise. Moi qui pensais qu'elle ne le remarquait pas. En réalité, elle faisait juste semblant de ne rien voir.
- Alors pourquoi tu dis que tu t'en fiches ?
- Qu'est-ce que tu veux que je fasse d'autre ? Ils m'appelleront comme ils veulent quoi que je fasse, alors je préfère les ignorer que me faire du mal avec ça.
Je faillis lui proposer de les remettre à leur place, mais me rappelai juste à temps que j'avais décidé d'arrêter de faire le bouclier sans âme contre le gré de mes amis.
- Comme tu veux, finis-je par dire. Mais surtout ne vas pas croire qu'ils ont raison et sache que si un jour tu as besoin que le chien de garde aboie un coup, il te suffit de lui faire un signe.
Elle sourit.
- Merci.
Elle ajouta de la poudre qu'elle venait d'écraser et une poignée de pattes d'insecte qui paraissaient encore bouger. Elle allait plus lentement et je sentais qu'elle voulait me dire quelque chose. D'ordinaire, je n'aurais pas posé de question, mais je me sentais bizarrement euphorique et j'étais résolue à gratter la surface.
- Quoi ? Tu penses à un truc, dis-je.
Elle me regarda avec du rose dans les joues.
- Qu'est-ce que vous vouliez dire, avec Grace ? Pourquoi elle voulait que j'embrasse Zach ?
Ce n'était que ça ? Je souris malgré moi.
- Tu devines pas ?
- Vu vos têtes de tout à l'heure, je me doute un peu de quoi il s'agit, hésita-t-elle. Mais j'ai peur de me tromper.
- T'es loin de te tromper, lui assurai-je. Je suis sûre à 99,999%.
Je considérais ce que m'avait dit Zach avant le match de Quidditch quasiment comme un aveu. Même pas quasiment, en fait.
- Zach ?
- Ben oui, pouffai-je.
- T'es sûre ? rougit-elle.
- Hé, ça se voit à mille kilomètres, qu'il est fou amoureux, insistai-je. Sérieusement, je me demandais comment t'avais pas encore remarqué.
Elle haussa les épaules et baissa les yeux sur sa mixture. Ses joues ne retrouvaient pas leur couleur. Je la laissai dans ses réflexions pour contempler la façon dont les ombres de la pièce commençaient à prendre vie de manière inquiétante. Je plissai les yeux et l'impression disparut. Mais cette fois c'était trop franc pour n'être qu'une illusion de la lumière.
La préparation était longue. J'en avais des fourmis dans les doigts à force de tenir la lumière en l'air. Plumeau remuait la potion pour la cinquième fois avec une vitesse de tortue. Je réclamai une pause et posai ma baguette sur la table pour remuer mes doigts endoloris. Je fis des petits bonds d'un pied sur l'autre et Plumeau éclata de rire.
- Quoi ? me vexai-je.
- On dirait que tes jambes sont en chewing-gum, rigola-t-elle.
- C'est ma souplesse naturelle qui donne cet effet, pouffai-je en sautillant de plus belle.
- Arrête de faire le clown, tu vas me faire rater le rythme de mélange ! Si je ralentis, le philtre est à jeter à la poubelle.
- Bah, t'es déjà à vitesse minimale, remarquai-je, je vois pas comment tu pourrais aller plus lentement...
Mais au moment où les mots sortaient de ma bouche, je constatai que ce que j'avais pris pour de la lenteur n'était qu'une illusion de ralenti. Décidément, mon cerveau ne tournait pas rond, cette nuit. Les yeux plongés dans le tourbillon que créait la cuillère de Plumeau dans le mélange, je me vis de l'extérieur me faire complètement hypnotiser par le mouvement régulier du manche en bois dans les remous en spirale.
- T'as une drôle de tête, me dit Plumeau.
- Hein ? marmonnai-je dans ma semi-transe.
- On dirait que tu t'es mis du fond de teint en diamant, nota-t-elle. La lumière est vraiment bizarre, tu trouves pas ?
Je détaillai son visage et y perçus ce qu'elle tentait d'expliquer. Le kaléidoscope irisé qui éclaboussait les joues rondes de Plumeau la faisait briller de mille feux. Sa tête était un véritable gyrophare.
- Pin Pon, Pin Pooon, me moquai-je en pouffant.
Je fis tournoyer ma baguette pour donner l'illusion.
- Arrête, gloussa Plumeau, qu'est-ce que tu fous ? J'y vois rien, moi !
- Ah, ça va, ça va, je t'aide, regarde.
Je plongeai ma lumière dans la potion et remuai avec elle. Elle s'exclama et me jeta hors de son trésor en rigolant à moitié.
- Ho, ça brille, constata-t-elle.
La préparation s'était parée du même kaléidoscope que la lumière. Plumeau cessa de remuer, fascinée, et annonça qu'il ne restait que la touche finale, la touche de maître, la touche du professionnel, la touche de...
- Vas-y, accouche, t'as besoin de quoi ? l'interrompis-je.
Pour toute réponse, elle sortit le flacon avec le crachat d'Iris et le déboucha au dessus du chaudron éclatant. Le mollard glissa dans un ralenti bizarre et Plumeau s'empressa de remuer le tout pour l'incorporer au reste.
- C'est dégueu, commentai-je.
J'avais parlé du crachat, mais l'état de ma baguette pouvait bénéficier du même qualificatif. La pointe que j'avais trempée dans le chaudron était pleine d'un liquide fluo qui me coulait sur les doigts. Je la secouai énergiquement mais la substance restait collée.
- Aguamenti, ordonnai-je.
Un puissant jet d'eau scintillante me frappa le visage et je tombai à la renverse. Je pris le temps de retrouver mes esprits. D'habitude, je jetais ce sort avec l'adresse d'un hippopotame et je ne faisais sortir que trois gouttes d'eau. Je ne savais pas où j'avais trouvé les ressources pour faire apparaître cette cascade, mais j'en étais ravie.
- Aguamenti, pointai-je vers le plafond.
Un torrent jaillit vers le haut en un millier de pierres précieuses.
- Qu'est-ce que tu fabriques ?
Plumeau était toujours en train de remuer avec concentration, mais de grosses gouttes de sueur venaient s'écraser dans le mélange. Ses yeux étaient deux billes d'un noir absolu.
- Je sais pas mais je commence à flipper, avouai-je sans pouvoir m'empêcher de rigoler.
Je voyais la magie.
Elle flottait dans l'air en petites particules qui se déposaient sur les cheveux de Plumeau.
- Alohmora, tentai-je.
Toutes les portes de la salle s'ouvrirent d'un seul coup. Je jubilais.
- T'as vu comme je me suis améliorée d'un coup ? Je suis devenue surpuissante ! Regarde ! Wigardium Leviosa !
- Impressionnant, murmura-t-elle.
Son visage était devenu verdâtre et la sueur qui coulait de son front était une rivière qui courait dans le lit de ses ailes de nez pour de déverser dans l'océan du philtre.
Les bras de Plumeau étaient démesurément longs. Mais en même temps, elle se tenait tellement loin du chaudron qu'elle ne pouvait pas faire autrement que de se les étirer. Sa tête était vraiment énorme. Il y avait deux Plumeau. Elles se mimaient comme un reflet et son original.
Je baissai mes yeux sur mes mains. J'avais trop de doigts. Beaucoup trop. Je les comptai pour être sûre de ne pas devenir folle et en comptai cinq pour chaque main.
Beaucoup trop. Je les secouai pour les faire partir.
- Qu'est-ce que tu fous à battre des ailes comme ça juste à côté du chaudron, râla Plumeau. Tu vas me l'aérer de trop.
- Des ailes ?
Des volatiles en tout genre prirent leur envol en me bousculant au passage. Qu'est-ce que ces trucs fichaient dans les cachots ? Et puis je m'aperçus que je volais aussi. Je battais des coudes et les plumes qui s'y trouvaient me maintenaient au-dessus du sol. Plumeau était toute petite en bas.
Enfin les Plumeau. Il y en avait au moins dix. Elles prélevèrent toutes un échantillon de potion dans une fiole qu'elles planquèrent dans leur poche. Le chaudron s'approcha de moi à une vitesse folle et j'eus brusquement mal à la tête.
Je dépêtrai mes membres du chaudron renversé sur lequel j'avais atterri et me remis debout dans un équilibre précaire.
Plumeau m'observait avec des yeux ronds.
- Many, murmura-t-elle.
- Quoi ?
- Je crois que je deviens folle, dit-elle.
- Pourquoi ?
- Il y a un troupeau d'éruptifs à carreaux qui est en train de défiler derrière toi.
- Ah bon ?
- Je crois qu'il y avait un truc pas net dans ces muffins à la menthe.
- Dommage, j'en ai pris au moins trois, m'esclaffai-je.
La situation me paraissait de plus en plus cocasse. Les silhouettes des Plumeau s'avançaient et reculaient comme si un photographe saoul essayait de faire le point dessus. Le chaudron renversé avait l'aspect d'une marmotte au pelage gris. La salle toute entière faisait des siennes. Les murs renvoyaient des couleurs changeantes comme dans une boite de nuit, et une ribambelle de Plumeau dansaient la macarena en fond.
- Le plus drôle, c'est que je crois que les muffins m'ont rendue invincible, expliquai-je. T'as vu les sorts que j'ai lancés ?
- Non, j'ai pas vu, montre !
- Collaporta !
Toutes les portes de la salle se refermèrent en claquant et un cliquetis nous informa de leur verrouillage. Les Plumeau me regardèrent d'un air impressionné. Certaines d'entre elles avaient la tête en bas.
- Alohomora ! répétai-je pour montrer mon exploit à Plumeau.
Toutes les portes s'ouvrirent à nouveau et Plumeau applaudit devant ma démonstration. Des torrents d'eau claire entrèrent par toutes les ouvertures nouvelles pour se déverser à nos pieds.
- Je savais pas qu'il y avait autant de portes dans cette salle, remarqua Plumeau.
- Regarde ! m'écriai-je.
Dans la réserve, une étagère entière s'était enfoncée dans le sol et dévoilait un tunnel secret. Le boyau de roche était d'une obscurité absolue et des chauve-souris en sortirent brusquement.
- Appelle-moi l'ouvreuse de mystères, me félicitai-je.
- Je vais pas là-dedans, moi, fit Plumeau. T'as vu tous les mille-pattes qui grouillent à l'intérieur ?
- Tu rigoles ? Il y a aucun mille-patte ! C'est ton cerveau qui hallucine, crois-moi !
- Ah bon, sembla-t-elle rassurée.
- On y va ?
Un grondement terrifiant retentit du fond du boyau et un vent violent nous décoiffa. Une grande partie des Plumeau s'envolèrent.
- T'as entendu ? demandai-je.
- Non, répondit Plumeau. Quoi ?
- J'ai rêvé ?
- On dirait, oui, confirma-t-elle. Qu'est-ce que t'as entendu ?
- Je crois que c'était le démon des cachots.
Comme pour me répondre, le boyau rougeoya et un hurlement sourd retentit à nouveau, accompagné de bruits correspondant au déplacement d'une bête de plusieurs tonnes.
- Quoi ? demanda Plumeau devant ma mine défaite.
- Rien, rien, c'est le muffin qui me fait délirer, encore une f...
Une main velue venait de se poser sur le rebord du boyau, et un monstre fait de noirceur et d'ombre incandescente se dégagea pour poser un pied énorme dans la salle de réserve. Il tenait dans ses serres un bras humain qu'il était en train de croquer.
- Et ça, tu vois ? m'enquis-je en prenant sur moi pour garder mon calme.
- Voir quoi ?
- Bon, bon, tu me rassures, j'ai aucune raison de flipper, c'est juste dans ma tête, juste une hallucination comme une autre, il n'y a rien, rien du tout...
- Pas la peine d'avoir peur, me dit Plumeau, c'est juste une foule de lilliputiens en kilt qui sortent de là. Ils ont l'air plutôt amicaux, ils nous apportent un bras.
- Qu'est-ce que vous foutez là ? fit le monstre avec une voix tout à fait normale.
La brume du monstre s'était dissipée et c'était le bras qui parlait. Je ne pus réprimer un petit rire nerveux. Plumeau en fit de même, même si je n'avais pas bien saisi ce qu'elle voyait, elle.
Les lignes de la pièce n'étaient plus droites du tout, et tout semblait onduler dans la plus grande anarchie. J'avais un poil le mal de mer.
- Reviens, Urry, résonna une voix de fille depuis le fond du boyau.
- Deux secondes, fit une bouche qui venait d'apparaître sur le coude du bras animé. On a un problème.
La brume du monstre se rassemblait à nouveau autour d'un fluide translucide. Mais l'aspect cocasse de la vision d'un bras parlant ôtait tout l'aspect effrayant du monstre.
- Oh, gloussai-je. Revoilà le démon des cachots.
- Mais non, c'est un crabe qui parle ! T'es tellement obnubilée par les mystères que même tes hallucinations respectent le thème, s'amusa Plumeau.
Elle partit en fou rire et je la suivis. Un mouvement du sol me fit tomber, emportant Plumeau sur le sol avec moi.
- Laisse tomber, Meredith, dit le bras en rampant vers le fond du boyau sombre. Elles sont imbibées de rêveuse jusqu'au bout des doigts. Ferme.
La nuée d'ombre qui accompagnait le bras s'engouffra dans le trou à sa suite et l'étagère remonta dans une danse orientale sophistiquée.
- Enlève tes nageoires de mon nez, Many, tu me chatouilles !
- Je peux pas, ça tangue trop !
Deux Plumeau se relevèrent et me tirèrent sur mes pieds. C'était plus facile à plusieurs.
Une fois debout, le tangage se révéla moins pénible et je compris qu'il me suffisait de rendre à mon corps sa nature de fluide pour épouser les ondulations du décors. Cette prise de conscience ouvrit un coffre dans mon esprit et il me sembla que je venais de comprendre le sens de l'univers. Je tentai de l'expliquer au troupeau de Plumeau pendant que nous revenions dans la salle de cours mais elles étaient absorbées ailleurs.
- Il faut retourner au dortoir, maintenant, se rappela-t-elle brusquement.
Je gloussai à cette bonne blague. On avait tout le temps. Maintenant que l'univers n'avait plus de secrets pour moi, le temps n'était plus un problème. Je le lui traduisis en mots mais je peinais à y mettre le sens que je voulais. Les Plumeau m'attrapèrent et m'entraînèrent dans les couloirs des cachots dans une glissade enivrante. Nous montions les escaliers comme une montée de grand-huit, et j'attendais le looping avec impatience.
Mais à la place du looping, nous débouchâmes sur le Hall du rez-de-chaussée et la vision de cauchemar qui s'y trouvait nous tira un cri d'effroi.
Une silhouette qui tirait sa matière des ombres et que le kaléidoscope de nos lumières n'éclairait pas, dont les yeux rouges luisaient dans le noir et dont les crocs pointus brillaient face à nous. Elle passa une langue d'un mètre de long sur ses lèvres blafardes retroussées.
Nos hurlements ricochèrent en écho sur la pierre du Hall.
- Deux élèves qui traînent dans les couloirs à cette heure-ci ? C'est pas bien, les enfants. Donnez-moi vos noms.
La créature était trop grande, trop maigre, trop pâle.
- C'est le vampire, chuchotai-je à Plumeau. Cours !
Elle ne se fit pas prier et me talonna lorsque je partis en courant dans les escaliers vers les étages. Le cri de la créature me fit frissonner.
- Revenez !
Les marches basculèrent et se retrouvèrent tout d'un coup au plafond. La frange de Plumeau tombait vers le haut. La gravité que je sentais sur moi me tirait aussi du mauvais côté. Quelque chose me retenait par le pied et je ne pouvais plus avancer.
Le vampire grimpa les marches du plafond jusqu'à nous. C'était son pouvoir de chauve-souris qui lui permettait de s'accrocher à l'envers comme ça, je supposai.
Il approcha son visage beaucoup trop près et je distinguai ses dents pointues. Il avait un long nez pâle et des cheveux noirs très longs et lisses. Ses dents étaient rougeâtres, comme ses ongles. Il allait m'aspirer tout mon sang.
J'appelai à l'aide mais rien ne vint.
Finalement, il éloigna sa tête sans sucer mon sang. Peut-être voulait-il le garder pour plus tard. Plumeau s'était endormie. Ou évanouie. Ses bras pendaient vers le haut. Le vampire lui ouvrit les paupières et secoua la tête.
- Bernadette va pas être contente de recevoir des élèves à désintoxiquer en pleine nuit.
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La gueule de bois fut un enfer. Le monde était devenu gris et c'était comme si je n'allais plus jamais être heureuse de toute ma vie. Bernadette passa la matinée à pester contre ceci et cela, les élèves inconscients et les dangers de la rêveuse.
Le seul point positif était que j'occupais le lit voisin de Plumeau.
- J'ai l'impression que mon cerveau fonctionne au ralenti, confia-t-elle.
- Pareil, grognai-je.
- C'est la dernière fois que j'accepte des muffins que j'ai pas faits moi-même.
- Pareil.
- Joyeuse Saint Valentin !
Je recherchai l'origine de la voix. C'était Iris.
- Toi, méfie-toi, menaçai-je, parce que c'est de ta faute si on se retrouve avec cette gueule enfarinée et probablement des ennuis jusqu'au cou quand Mojito va venir nous achever.
- Je venais chercher ce que tu me dois, dit-elle à Plumeau en tendant la main.
Celle-ci soupira et sortit la fiole de sa poche.
- Fais gaffe, la prévint-elle, je commençais déjà à délirer quand je l'ai fabriquée, donc je garantis pas la qualité.
- Pas grave, sourit Iris, c'est pas moi qui vais la boire de toute façon.
- Fais comme tu veux, mais si j'étais toi je la jetterais, conseilla Plumeau. T'auras l'air maline si tu offrais une mixture qui fait pousser les poils de nez, ou carrément un poison.
- Mais non, j'ai confiance, fit Iris en se relevant. Salut !
Elle avait quitté l'infirmerie en un battement de cils.
- Si j'étais toi je la lui aurais jetée à la figure, grommelai-je.
- J'en avais pas la force, murmura Plumeau.
- T'as raison, accordai-je en fermant les yeux.
Je dus m'endormir car il me sembla qu'une seule seconde s'était écoulée quand Dark Mojito installa son imposant postérieur sur une chaise entre nos lits en jetant des éclairs par les yeux.
- Miss Cayle, Miss Baker...
- Je vous jure qu'on nous a fait manger de la rêveuse contre notre gré, commençai-je. On n'y est pour rien.
- Mais bien sûr. Et vous n'êtes pour rien non plus dans le bazar indescriptible qu'il y avait dans ma salle de classe ce matin, pour les ingrédients manquants dans la réserve, pour avoir été retrouvées errant dans le château en pleine nuit ?
J'avalai ma salive. On était mortes.
- Désolée, marmonna Plumeau.
- Vous avouez, Miss Cayle ?
La déception se lisait sur sa moue contrariée.
- Désolée, répéta-t-elle.
Plumeau avait sa tête de chien battu à qui on pouvait tout pardonner. Le regard en amande de Mojito s'attendrit.
- Consommer régulièrement de la rêveuse à votre âge, c'est très inquiétant. Je vais devoir en informer vos parents.
- Mais c'était pas volontaire, insistai-je. On nous en a fait prendre sans nous prévenir ! Et en plus c'était la première fois ! … Ah...
Notre mensonge pour couvrir notre sortie dans l'aile Ouest se rappelait à moi. C'était la poisse. Si j'avais su...
- Ne vous moquez pas de moi, Baker, dit-elle froidement. Essayez au moins de garder une cohérence dans vos mensonges. Je ne marche plus dans vos petits combines. Enfin, au moins, maintenant, je comprends mieux toute cette histoire inventée de tentatives de meurtres au mois de janvier. Vous étiez sous rêveuse, c'est ça ?
Plumeau m'envoya un regard qui me signifiait de la boucler pour arrêter de nous enfoncer. Je grimaçai. Je voyais mal comment nous en sortir.
- Vous suivrez à partir de maintenant le programme de désintoxication de Ste Mangouste tous les samedi matin jusqu'à la fin de l'année. Pas de retenue ni de points en moins pour une histoire aussi sérieuse qu'une addiction chez les mineurs. Si vous êtes à nouveau prises en train d'en consommer, vous risquez le renvoi immédiat. C'est clair ?
La sentence m'acheva.
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Nous pensions retrouver Zach et Hugo dans la salle commune de Poufsouffle, mais ils étaient introuvables. Sûrement dans le parc à se promener et faire les andouilles, avait suggéré Plumeau. Il n'y avait rien sur nos lits. Pas de lettre, pas de chocolats, pas de cadeau d'un amant mystérieux. Plumeau ne sembla pas étonnée, mais moi j'étais perdue. Où était le livre de potions que Zach devait lui offrir ? Il avait peut-être changé d'avis.
La salle commune grouillait de groupes de garçons et de filles qui discutaient à voix basse en se faisant lire leurs lettres. Tenter de deviner les expéditeurs était le grand sport de la journée. Nous quittâmes cette ambiance et sortîmes dans le parc.
L'air était sec et un soleil froid illuminait le château. Nous n'eûmes pas l'occasion de chercher nos amis bien longtemps, car notre chemin croisa celui de James Potter, Louis Weasley, et les quelques noisettes qui gloussaient dans leur sillage.
- Vivent-les-moldus, salua James Potter avec politesse.
- Hé, James, le retint son cousin.
Louis Weasley s'était arrêté et nous fixait d'un air perdu. L'expression de beau gosse conscient de lui-même qu'il abordait habituellement était totalement absente en cet instant.
- Quoi ? T'as une drôle de tête, Louis, tu m'inquiètes un peu, ça va ?
- T'avais déjà remarqué que la copine de Vivent-les-moldus était magnifique ?
James Potter pouffa avec un regard en biais vers Plumeau.
- Je rigole pas, James, insista-t-il. Je sais pas comment je l'avais jamais remarquée avant. Pourtant ça crève les yeux. J'en ai mal à la poitrine tellement c'est puissant.
- Allez, arrête de blaguer, Louis, tu m'auras pas, fit James en lui balançant une tape sur l'épaule.
Plumeau était en train de devenir pivoine.
- Je crois que j'ai trop transpiré au-dessus du chaudron, chuchota-t-elle avec une grimace inquiète. Qu'est-ce que je suis censée faire, maintenant ?
- Profiter ? lui répondis-je avec un grand sourire.
Louis s'était approché d'elle et s'était mis à genoux. Il caressait ses mains avec le souffle court comme si le simple fait de la toucher était au-dessus de ses forces.
- Hé, Louis, qu'est-ce que tu fous ? Elle est trop longue, ta blague, c'est plus drôle.
- Je pourrai plus jamais détacher mon regard de tes yeux, susurra Louis. Ce bleu... Ils sont tellement beaux. Et ces cheveux soyeux...
Plumeau m'envoya un regard d'appel à l'aide, mais James intervint avant que je puisse faire quoi que ce soit.
- Qu'est-ce que t'as pris, Louis ? T'es défoncé, ou quoi ? Viens !
Il le tira par le coude pour le relever mais celui-ci tenait Plumeau fermement. Elle tenta de s'en défaire mais il s'agrippait comme un morpion.
- Hum, ça sent le philtre d'amour, tout ça.
Rowena Fox venait d'apparaître près de moi, Alyss à son bras.
- Plumeau a flashé sur Louis Weasley ? demanda-t-elle.
- Pas vraiment, répondis-je. C'est une longue histoire.
Louis se débattait maintenant avec James et Plumeau dans un bazar sans nom. Plumeau se dégagea et s'assit dans l'herbe. James tenait son cousin par la taille avec l'aide des noisettes jalouses venues aider.
- Je t'aime ! Dis-moi au moins ton nom !
- J'ai pas de nom, cria Plumeau. Laisse-moi tranquille !
- Lèsmoitrankil ! Je t'aime ! Je répéterai ton nom sans fin jusqu'à ma mort ! Lèsmoitrankil ! Lèsmoitrankil !
Rowena et Alyss gloussèrent en chœur et je les imitai.
- La Saint Valentin rend vraiment les gens dingos, commenta-t-il.
- Un philtre d'amour, je trouve que ça manque un peu d'originalité, ajouta Rowena.
- Je crois que ce qui était recherché c'était plus l'efficacité que l'originalité, leur fis-je remarquer.
- Moi je crois qu'on peut très bien marier originalité et efficacité, fit Alyss.
- Et moi je crois surtout que tu vas jeter tous ces cadeaux que tu as reçus avant ce soir, jeta Rowena en resserrant sa prise.
- Sois pas jalouse, t'aimes bien ça, les chocolats, non ?
- T'as encore reçu des chocolats, cette année ? m'étonnai-je.
Avec Rowena accrochée au bras à longueur de journée, j'aurais cru que les prétendantes auraient compris qu'Alyss était déjà pris.
- Pas que des chocolats, précisa-t-il. Des tas de lettres, aussi.
- C'était affligeant de banalité, me rapporta Rowena. Toujours les mêmes phrases. C'était comme si elles avaient toutes pompé au même endroit leur inspiration.
- Attends, sois pas si dure avec elles, modéra Alyss. Au milieu de tout ça, il y avait quand même un des cadeaux qui était assez original.
- Ouais, accorda Rowena. Un livre, c'est toujours mieux qu'une lettre ou des chocolats.
- Ah, Many, j'ai failli oublier, s'exclama Alyss. On m'a donné ça pour toi.
Il me tendit une enveloppe.
- Heu... T'es sûr ?
- Certain, m'assura-t-il. C'est remis en mains propres. Je suis juste un pauvre hibou.
Je sortis la lettre pendant que Plumeau revenait parmi nous toute essoufflée. Il y avait juste deux lignes. Au plaisir de te revoir, Malany. Quand je pense à toi, je me sens désarmé.
C'était bizarre. Tom ? Tout à parier que Grace avait déjà balancé ma déclaration forcée de la veille à Apollo et compagnie.
- C'est sportif, l'amour, plaisanta Alyss en observant les cousins se débattre.
James avait réussi à entraîner Louis à l'intérieur du château. Finalement, le philtre d'amour de Plumeau avait très bien fonctionné. Même sous rêveuse, ses réflexes de maître des potions étaient restés intacts.
- Plus jamais je fais de potion nocturne, promit Plumeau.
- Je pourrai prendre le relais, si tu veux, proposa Alyss. Maintenant qu'on m'a offert un livre sur les potions, je sens que je vais tout déchirer.
- On t'a offert un livre sur les potions ? demandai-je.
- Ouais, confirma-t-il. C'était empaqueté au milieu des lettres et des chocolats, ce matin. Avec juste un petit mot, Pour Alyss, de tout mon cœur. J'avoue que j'ai pas trop compris pourquoi c'était là, mais pourquoi pas ?
Je dévisageai Plumeau, puis Alyss.
Quelle quiche.
Sûre à 99,999%, hein ?
Zach nous accueillit avec chaleur quand nous les retrouvâmes finalement.
- J'ai fait un rêve super bizarre cette nuit, confia-t-il en accompagnant sa phrase par une expression effrayée. Je me faisais dévorer par un muffin à la menthe géant.
