Chapitre 19 - Réputation
Cher Many,
Je ne te savais pas si rebelle ! Tu as de la chance d'être à des kilomètres de Cambridge, parce que tu aurais vu la tête de ta mère après avoir reçu la lettre de ton école, elle aurait été capable de te mettre sur orbite. Prépare ton lopin de terre au cimetière du coin.
Moi, tu devines que je m'en fiche complètement. Que tu sois une goule junkie ou une mutante fugueuse tu resteras toujours Many mon soleil de ma vie qui guide mes pas et réchauffe mon petit cœur de génie (pas que tu sois particulièrement poilue ou quoi, hein!)... alors si jamais il te reste encore de tes bonbons psychédéliques de goule, tu pourras m'en rapporter ? En fait, c'est parce que je me suis fait un nouveau copain qui s'est donné pour but d'essayer tout objet consommable de ce style qui se fabrique sur la planète. Je suis sûr que ça lui ferait vachement plaisir et il m'intégrerait plus facilement dans sa bande de potes. C'est la bande des populaires du collège, tu imagines si moi j'en faisais partie ? J'aurais vite fait de devenir le tombeur le plus en vogue du collège, c'est certain ! Alors mets-en moi quelques uns de côté ! Au nom de notre amitié transcendant l'univers et les mammouths !
Bisous porte-bonheur !
William.
P.S. J'ai vu ta mère donner une lettre à Merlin le hibou, et ça n'avait pas l'air d'être une lettre d'amour. Je l'ai interceptée pour la lire au cas où ce serait une lettre pour te déshériter ou un truc du genre. Finalement non, alors je l'ai mise dans l'enveloppe pour que tu la lises quand même. Tu prends cher, mais ça ne va pas plus loin. Dommage, j'aurais presque été content que tu sois renvoyée pour qu'on puisse enfin être dans le même collège.
Chère Malany,
Je suis extrêmement déçue de ton comportement. Je pensais que j'étais assez proche de toi pour qu'il n'y ait pas de cachotteries entre nous. Alors penser que tu te drogues en cachette, ça me dépasse ! Quand je pense à toutes ces lettres que nous avons échangées à parler de la pluie et du beau temps ! Si tu m'en avais parlé, je t'aurais expliqué tous les risques que ça comporte pour que tu comprennes à quel point c'est idiot. J'ai parlé de vive voix avec la directrice de ton collège, et sache qu'elle a été très indulgente avec toi. J'approuve parfaitement ta participation obligatoire aux séances de désintoxication. Ton collège a été remarquable dans sa réactivité et j'ai désormais beaucoup de respect pour Mrs Swan et son établissement, malgré ce que je pensais de leur cruel manque de sécurité depuis ta fugue de l'an dernier. Papa est à côté de moi pendant que j'écris et il approuve parfaitement tout ça. Sache que nous aurons une longue discussion toi et moi à ton retour à la maison cet été.
Ne fais plus de bêtise,
Maman.
x
xxx
x
Les séances de désintox avaient lieu dans une salle de Ste Mangouste, et Plumeau et moi devions emprunter le réseau de cheminées de Poudlard pour y accéder, sous la surveillance d'un prof qui changeait à chaque fois. Elles se tenaient une fois par semaine, et c'était déjà beaucoup trop. Elles n'étaient pas vraiment pénibles, et pas réellement culpabilisantes, mais elles étaient certainement inutiles et j'avais l'impression de perdre mon temps. Plumeau et moi ne nous reconnaissions jamais dans les mises en situation ou les séances de témoignages. Tout ça pour de malheureux bonbons et un jeu d'Action ou Vérité. C'était frustrant. Plus frustrant encore était de savoir pertinemment que c'était notre mensonge de janvier pour couvrir notre escapade dans l'aile Ouest qui nous avait faites tomber dans ce malentendu inextricable.
Nous nous consolions en nous disant que ces séances ne semblaient pas beaucoup plus profitables aux réels consommateurs de rêveuse. Nous étions les plus jeunes, et les seules scolarisées. Les autres étaient des sorciers et sorcières adultes plus âgés et déjà accro jusqu'à l'os. Nous avions vite compris que l'addiction à la rêveuse était une vraie calamité et que s'en défaire relevait de l'exception. Tous les autres étaient des habitués et venaient aux séances depuis des années. Ils participaient comme un prisonnier ayant écopé une peine à perpétuité fait quelques efforts de bonne conduite pour le principe tout en sachant que ça ne le mène nulle part. Avec mollesse et indifférence.
Tout ce que ces séances nous avaient réellement appris, c'était où acheter de la rêveuse à petit prix et dans quels spots la revendre pour avoir un bon bénéfice. Les bavardages des autres pendant les pauses nous avaient dépeint le sujet sous toutes les coutures. Même en faisant semblant de ne pas écouter, nous avions fini par connaître par cœur la structure des réseaux de trafic de rêveuse en Grande-Bretagne et la meilleure façon d'en tirer un paquet de gallions.
Je riais sous cape en imaginant la réaction de Swan si elle savait dans quoi elle nous avait fait mettre les pieds. Heureusement pour elle, ni Plumeau ni moi n'avions l'ambition de devenir les dealers de l'école et elle pourrait continuer à dormir tranquille.
L'école s'était depuis longtemps remise des niaiseries de février et désormais, James Potter et Louis Wealsey avaient pris l'habitude de nous éviter. Je ne m'en plaignais pas. Ne plus entendre « Vivent-les-moldus » à tout bout de champ n'était pas désagréable. Deux mois s'étaient écoulés et je n'avais parlé du secret de Zach à personne. Je m'efforçais de l'oublier pour ne pas le trahir. Ce n'était pas exactement ce que j'envisageais quand j'avais décidé de gratter la surface de mes amis et je ne savais pas quoi faire de ce que j'avais deviné. J'avais donc planqué la poussière sous le tapis en attendant qu'il aborde le sujet de lui même. Mais il restait désespérément muet. Enfin, façon de parler.
- Quoi ? J'ai un truc sur le visage ?
Il s'était arrêté en plein enfilage de jambière. La tenue noire de Poufsouffle était déjà quasiment complète sur lui. Confus, il passa une main pour s'essuyer le défaut invisible qui semblait attirer mon regard et réajusta ses épais cheveux noirs en brosse. C'était inutile, sa peau noire était dépourvue de la moindre anomalie. Voyant que je le fixais toujours d'un regard vague, il éclata de rire et claqua des doigts.
- Ho, tu dors ? C'est pas le moment de faire la sieste, on a un match à gagner !
Je lui adressai un demi-sourire d'excuse et m'attelai à harnacher ma tenue. Les vivats du stade nous parvenaient depuis les vestiaires. Le mois d'avril avait apporté avec lui la pluie, les contrôles, et la finale de Quidditch. Nous disputions la troisième place contre Serdaigle en petite finale, et dans une semaine Serpentard affronterait Gryffondor pour la coupe de Quidditch. C'était une belle dégringolade depuis la finale épique de Elton et Hélène l'année dernière à Treehall.
- On peut leur mettre une victoire écrasante, déclara Marvin. Ils ont dû remplacer à la volée un de leurs poursuiveurs qui a disparu cette semaine. Owens était plutôt bon et je sais pas ce que vaut le nouveau. Mais à mon avis, c'est tout bénéf pour nous.
Il nous adressa un sourire confiant contagieux.
Meredith Lloyd, Urry Penn et Elyann Dink avaient tous les trois refait progressivement leur apparition ces dernières semaines. Aucun ne pouvait se souvenir des deux mois écoulés. Et de nouveaux élèves avaient recommencé à disparaître. Bryn Jones avait été la première à manquer. C'était une Serdaigle de cinquième année discrète et il avait fallu attendre deux jours avant que quelqu'un remarque son absence. En revanche, la disparition de Trevor Owen une semaine avant le match avait secoué sa Maison. C'était un cinquième année qui avait de l'expérience en Quidditch, puisqu'il jouait déjà comme poursuiveur dans l'équipe d'Hélève Cerblanc. Son absence avait semé la panique dans son équipe. Et la joie dans celle de Poufsouffle.
Je saisis mon balai et sortis sur le terrain boueux à la suite des autres. Il avait cessé de pleuvoir mais les trombes d'eau qui tombaient sur le parc depuis un mois avaient transformé le terrain en marais. Je plissai les yeux face au ciel gris et saluai la tribune de Poufsouffle. Je ne voyais ni Plumeau ni Hugo dans la foule, mais je les savais présents. Je les avais quittés déjà tous peinturlurés de jaune et noir.
L'équipe d'en face n'était pas reluisante. Le capitaine tirait une tête d'enterrement et on lisait la défaite sur le visage des autres. Nemo Sylvermith n'était pour une fois pas le plus monochrome de ses camarades. Ses yeux violets brillaient avec un éclat étonnant. Non, pas vraiment violets. Ses yeux avaient une teinte fuchsia. Même Mathilda Goldhand avait perdu son air hautain de fille à papa et tripotait les deux pompons blonds qui lui servaient de couettes avec nervosité. Son Foudroyeur semblait presque terne entre ses doigts.
Un chatouillis me fit glousser. La petite tête de Mario sortit de mon col.
- Qu'est-ce que tu fiches ici, toi ? chuchotai-je d'un ton mécontent.
- Ho ?
- Je t'avais dit de rester avec Plumeau ! C'est pas possible d'être aussi collant ! Tu vas me gêner si tu restes là !
- It's a-me Mario... geignit le petit personnage avec des yeux bouleversés par le ton violent de ma voix. Ho...
Je soupirai. J'étais incapable de refuser quoi que ce soit à ces yeux de merlan frit. Si je ne reprenais pas son éducation, il allait me rendre la vie impossible avec ses caprices d'enfant gâté. Enfin, pour le moment, je ne voyais pas de moyen de m'en débarrasser. C'était déjà bien trop tard, nous étions sur le terrain et Marvin serrait la main de l'autre capitaine avec un sourire de vainqueur. L'arbitre pouvait siffler le début du match à tout moment.
- Bon, d'accord, mais alors tu t'accroches à ma ceinture et interdiction de rentrer dans mes habits ! Si tu me fais perdre le match en me chatouillant à tout bout de champ, je te jure que je te jette dans la cheminée !
- Ha ! fit-il gaiement en levant son poing.
Je pris ça pour une promesse et l'attrapai par la salopette pour le poser sur ma hanche. Il passa ses petits doigts dans ma ceinture et lança un « Ho ! » tout fier. Je rabattis mon maillot par dessus pour le masquer à la vue des autres.
- Je te préviens, ça va secouer, murmurai-je. Tiens-toi bien.
Le coup de sifflet de l'arbitre me prit au dépourvu et je décollai après tous les autres. Je fis le vide dans ma tête et me repassai les stratégies de Norah. Le vent froid me rappela à quel point j'aimais ce sport et j'oubliai mon petit trouble-fête.
Il fut rapidement évident que leur nouveau poursuiveur n'était pas bon. Il envoyait le souaffle sur ses adversaires et il lui échappa même une fois des mains. Le capitaine de Serdaigle hurlait des ordres mais ils avaient de toute évidence manqué de temps pour huiler leur synergie et leur jeu faisait peine à voir. Nous marquâmes sans aucune difficulté les dix premiers buts du match sans essuyer aucune contre-attaque.
Mes réflexions furent brutalement interrompues par un cognard venant siffler à quelques millimètres de mon nez. J'étais restée seule en défense de ce côté du terrain et tous les autres joueurs étaient à l'autre bout en train de lancer une nouvelle offensive sur les anneaux de Serdaigle. C'était pour cette raison que je ne me méfiais pas. Les batteurs de l'équipe adverse n'avaient aucun intérêt à m'attaquer maintenant, alors que j'étais le joueur le moins menaçant de mon équipe.
Le cognard avait filé à l'autre bout et Brutus s'en était emparé pour aller protéger ses alliés de tacles malvenus. Je me retournai vers l'origine du cognard tout en sachant pertinemment avec qui j'allais me trouver nez à nez. Les iris fuchsia de Nemo Sylvermith ne me lâchaient pas pendant qu'il s'éloignait vers le centre de l'action.
Ah, non ! Ça ne va pas recommencer !
- C'est quoi ton problème, Sylvermith ? hurlai-je dans sa direction.
Je n'avais aucune envie de servir à nouveau de punching-ball. Et lui n'en tirerait aucun intérêt, c'était évident. Qu'est-ce qu'il me voulait, à la fin ? Incapable de prendre une décision, je le regardai se fondre parmi les autres joueurs sans faire un geste.
- Poufsouffle maaarque ! Et mène 120 à 0 ! Cavanagh remet le souaffle en jeu, passe de Muller à Dough, qui passe à...
Je taclai sans difficulté le souaffle et l'envoyai à Steven. Je restai en arrière en le regardant danser un ballet complexe avec Norah au milieu des poursuiveurs adverses déroutés. Mine de rien, nous nous étions énormément améliorés au fil de l'année. Je n'étais plus la même poursuiveuse que lors de notre premier match contre Serdaigle, et Brutus avait assez amadoué sa batte pour envoyer des tirs dévastateurs dans les rangs adverses. Serdaigle avait peut-être un handicap à cause de ce poursuiveur novice, mais la différence de points n'était pas seulement due à ce pauvre nouveau. Ils étaient dominés sur tous les plans. Joey n'avait même pas à entrer en jeu, le souaffle n'arrivait jamais jusqu'à lui. Je l'entendis râler dans mon dos à propos de l'injustice dont il était victime parce que personne ne le laissait jouer.
Je gloussai. Une petite main me tira le maillot.
- It's a-me Mario ! It's a-me Mario ! Mario ! MARIO ! MARIOOOO !
Je me retournai pour lui passer un savon et mon regard capta une fraction de seconde le détail qui avait fait paniquer Mario. Mes genoux s'entortillèrent autour de manche à balai et je me jetai en arrière juste à temps pour voir filer un éclair rouge vif là où je me trouvais un instant plus tôt. J'étais consciente que dans la position où j'étais, pendue les bras dans le vide par les jambes à mon balai, j'étais à la merci de l'attaque suivante. Je saisis le manche en bois des deux mains et le fit plonger en piqué, avant de redresser vers un lieu à l'opposé du terrain.
Nemo Sylvermith avait rangé sa baguette comme si de rien n'était et s'était à nouveau fondu dans la masse des joueurs. Je restai un moment immobile à reprendre mon souffle pendant que mon rythme cardiaque reprenait une vitesse normale. Si Mario ne m'avait pas alertée à temps, le sortilège de stupéfixion m'aurait assommée et la chute de cette hauteur aurait certainement été mortelle.
Il n'y avait aucun doute. Nemo venait de tenter de me tuer.
Franck ?
Nemo était peut-être bien un allié de Franck comme Luke. Je savais bien qu'il n'était pas net. Le coup des cognards, la baguette qu'il pointait sur moi dans le train, son attitude bizarre... Et maintenant, qu'est-ce que j'étais censée faire ? Quitter le match ? Personne ne comprendrait et je n'avais aucune envie de faire perdre mon équipe. Il me fallait juste éviter Nemo jusqu'à la fin du match. Voilà. Simple.
Je voletai confusément vers ma position stratégique.
- J'aurais jamais cru dire ça mais... merci, Mario, d'être le plus gros pot de colle de l'univers, chuchotai-je. Surveille Nemo pour moi, ok ?
- It's a-me ! Mario !
Je pris ça pour un « oui ».
- Poufsouffle marque encore ! C'est maintenant de 150 à 0 que l'équipe de Poufsouffle mène le match ! Quand vont-il s'arrêter à...
Je taclai un joueur imprudent et lançai le souaffle à Norah tout en surveillant mes arrières. J'avais l'impression de voir les yeux incandescents de Nemo surgir à la périphérie de mon champ de vision à chaque seconde. Le commentateur annonça un nouveau but.
Un poursuiveur aux couleurs bleu et bronze surgit devant moi et je fonçai pour lui voler le souaffle. J'étais sur le point d'envoyer un coup de talon fatal pour le tacler quand je sentis Mario tirer mon maillot. Je stoppai mon geste et fis volte-face. Nemo rangea précipitamment quelque chose dans sa jambière. Sa baguette. Il n'essaya pas de détourner le regard et soutint l'accusation sans flancher.
- Je t'ai vu, marmonnai-je, espèce de...
- Serdaigle marque ! C'est un but d'espoir que l'équipe vient de marquer, car c'est leur premier point du match !
- Qu'est-ce que vous glandez ? nous cria Marvin en passant. Jojo-de-mon-cœur, fais ton job, pour une fois !
- Mais ouais, mais comme je fais jamais rien, je m'endors, moi ! se défendit Joey. C'est la faute de Malany !
- Je m'en fous de savoir qui est fautif ! Remuez-vous, tous les deux !
Joey envoya le souaffle vers moi mais je vis la baguette de Nemo du coin de l'œil et fis un écart brusque pour m'écarter de sa trajectoire. Un poursuiveur adverse intercepta le souaffle et marqua un deuxième but que le commentateur se fit une joie d'annoncer.
- Qu'est-ce qu'il se passe, Malany ? me parvint la voix de Norah. C'est pas le moment d'avoir la tête ailleurs ! Concentre-toi !
Facile à dire.
Je devenais parano. Nemo était partout. Du moins j'en avais l'impression.
La pluie qui se mit à tomber avec violence doucha tous mes espoirs de surveiller les moindres mouvements de Nemo. Je ne voyais presque plus rien à travers le voile de l'averse. Je songeai qu'il était peut-être temps d'arrêter le match. Personne ne m'en voudrait. Si ?
Je cherchai mon ennemi dans le flou de l'eau. Il se camouflait à merveille.
Je manquai plusieurs tacles dans mon hyper-vigilance et Steven proposa de me remplacer en défense. J'acquiesçai et remontai le terrain en attaque avec Norah. Le tonnerre gronda.
- Reprends-toi, me dit-elle. On va leur faire le coup du serpent, ça te va ?
- D'accord, répondis-je.
Je me plaçai et regardai Joey faire une passe à Steven, qui fit une passe à Norah. Je soufflai les trombes d'eau qui dégoulinaient devant mon visage. La stratégie de Norah reprit forme et occupa mon esprit. Nemo fut chassé un instant de mes pensées. Brutus nous survolait et distribuait des cognards à ceux qui essayaient de nous voler le souaffle. Zach zigzaguait en dessous et lui renvoyait le cognard dès que celui-ci retombait. Le souaffle en main, je m'éloignai du reste des joueurs pour mener à bien le coup du serpent. Je ne compris que trop tard à quel point m'éloigner des autres était une erreur.
Nemo venait de sortir de mon angle mort et je vis à peine la pointe de sa baguette lorsqu'elle s'enfonça entre mes côtes. J'entendis vaguement murmurer un « stupefix » avant que le monde bascule dans des tons rouges, s'évanouissant bientôt dans les ténèbres.
x
xxx
x
De grosses gouttes frappant mon visages me tirèrent de l'inconscience. Le bruyant chuchotement de la pluie sur le sol près de mes oreilles assourdissait les voix qui tentaient de me parler. J'ouvris les yeux mais une goutte énorme atterrissant dans mon œil me fit plisser les paupières. Je grimaçai.
Je posai une main dans la texture boueuse du sol et me redressai. Mon autre main essuya la terre humide qui s'était collée sur mes joues. Mes cheveux en étaient imbibés aussi. Zach se tenait agenouillé près de moi et tentait de communiquer. Je me secouai.
Marvin m'aida à me remettre sur pied et me désigna le vestiaire du doigt. Il parlait dans le vacarme et le tonnerre choisit justement cet instant pour vrombir. Je posai un pied devant l'autre dans cet enfer pluvieux.
Puis le bruit de la pluie ne fut plus qu'un murmure au-dehors et je me laissai tomber sur un banc du vestiaire. Toute l'équipe était là.
- Je suis vivante ? demandai-je.
- T'as vraiment eu un bol monstrueux, répondit Norah. Zach t'a vue tomber de ton balai et t'a rattrapée. Sans ça, tu te serais écrasée en bas. Et avec la pluie, les profs auraient rien vu.
- Décidément, marmonnai-je. Peut-être que je suis vraiment chanceuse, après tout...
- Tu peux remercier Mario, fit Zach. Je t'aurais pas vue tomber s'il avait pas attiré mon attention en beuglant comme un fou.
- It's a-me, Mario, sourit le petit bonhomme debout sur le banc.
Je lui rendis un sourire de remerciement. Si j'avais su que je devrais la vie à ce morceau de jeu vidéo fugueur...
- Et le match ? m'enquis-je.
- Fini, ricana Marvin. On a gagné !
- Mais pourtant...
Quand j'avais été assommée, le vif d'or n'était pas encore sorti.
- En fait, personne ne s'était rendu compte de votre absence, avoua Norah. Avec la pluie, on voyait rien du tout. On a continué le match avec deux poursuiveurs et un seul batteur, et Marvin a attrapé le vif d'or sous le nez de Mathilda.
Celui-ci ne put s'empêcher de gonfler son torse d'orgueil. Norah lui envoya une tape dans le pectoral pour lui faire remarquer son attitude et tous les deux partirent dans une discussion enflammée sur le match.
- J'ai dû attendre que Norah te réveille avec un sort, s'excusa Zach. Moi, je t'ai posée à terre, mais j'arrivais pas à te sortir de l'inconscience. On aurait dit que t'étais dans le coma. J'ai eu super peur...
Je l'interrompis en l'enlaçant avec force. J'étais peut-être chanceuse, mais aujourd'hui ce n'était pas la chance qui m'avait rattrapée sous cette averse.
- Tu m'as sauvé la vie, Zach, murmurai-je. Merci...
Il gloussa.
- Je sais par expérience que tu hésiterais pas non plus à sauter à mon secours, dit-il.
- C'est différent, répondis-je pour l'empêcher de rabaisser son acte.
- C'est vrai, accorda-t-il. C'est différent. Je risquais pas ma vie en sautant te rattraper, moi.
Je rigolai avec lui. Je me sentais bien avec Zach. Dire qu'il m'irritait au plus haut point en début de l'année dernière. Nous avions fait un long parcours depuis.
- Aïe, gémit-il en se faufilant hors de mon étreinte. Serre pas si fort, je crois que je me suis fait mal au dos en te rattrapant. T'es pas légère, tu sais...
- Aussi légère que tes blagues, rétorquai-je.
- Elles sont très légères, mes blagues, s'offusqua-t-il. Comme des petits nuages de chantilly.
- T'es au courant que la chantilly, c'est du gras aéré, pas vrai ?
- Hein ?
Je soupirai en rigolant à moitié.
- Laisse tomber.
Il grimaça un demi-sourire en se massant le bas du dos. La réalité se rappela brutalement à moi comme un seau d'eau.
- Il est où, Nemo ?
- Qui ? Le batteur avec de la chantilly dans le crâne ?
- De la chantilly ?
- Ben oui, c'est toi qui as dit que c'était du gras aéré...
- Tu sais où il est ?
- Ben, il a dû rentrer se changer avec son équipe, je suppose, mais...
- C'est lui qui m'a assommée, Zach.
- Quoi ?
- Je suis sûre qu'il est envoyé par Franck, ajoutai-je. Je parie que c'était lui, le coup des gants, des myrtilles et de la rambarde en janvier.
- Tu délires ?
- Tu me crois pas ?
Sa défiance me décevait.
- Si, si, s'empressa-t-il de dire, mais avoue que ça sort de nulle part.
- Je suis pas folle, il a tenté plusieurs fois de me lancer un stupéfix, je l'ai vu, je te dis.
- Ok, ok, calme-toi. On est pas tous seuls.
- Je m'en fous que les autres entendent, haussai-je la voix. Je viens te de dire qu'un autre élève vient de tenter de m'assassiner ! C'est grave, non ?
- Oui, oui...
Je cherchai frénétiquement mon sac des yeux. Sans le trouver.
- Où est mon sac ?
- J'en sais rien, mais détends-toi un peu, t'as pas l'air hyper saine d'esprit vue de l'extérieur, et les autres vont...
- Je m'en fous des autres ! Où est mon sac ? Il faut qu'on aille tout raconter à Mojito !
Je m'aperçus que les conversations avaient cessé et que tous me regardaient. Comme si j'avais complètement perdu la boule. Zach avait entièrement raison, avec mes cheveux et mon visage pleins de boue, j'avais l'air se sortir de l'asile.
- Heu... T'es sûre que tout va bien, Malany ? demanda Steven. T'as pris un truc ?
- Raah ! Mais arrêtez de tous croire que je prends des trucs !
La panique me gagnait inexorablement et les larmes me montaient aux yeux.
- J'ai pas envie de mourir, moi, fis-je en posant mes mains sur mon serre-tête rose.
- Viens, m'entraîna Zach. On y va directement.
Nous sortîmes du vestiaire et remontâmes le chemin rendu marécageux par tous les pieds qui l'avaient foulé. Je vis mon sac posé sur le côté du chemin et poussai un cri de joie.
- Bon, me calma Zach, tu vois, il y avait pas de raison de t'inquiéter à propos du sac. On va trouver Mojito ?
Je ramassai mon sac et le suivis. Je répandis de la boue partout sur les dalles de pierre du Hall et des escaliers des cachots. La salle de cours de Potions était vide, en dehors de Mojito qui venait juste de revenir du stade et posait sa cape détrempée sur un dossier de chaise.
- Professeur ! m'exclamai-je. J'ai besoin de votre protection ! Je sais qui est celui qui cherchait à m'assassiner en janvier ! Il a recommencé aujourd'hui ! C'est Nemo Sylvermith ! C'est un élève de Ser...
- STOP ! gronda Mojito.
Je m'étais tue. Rien de tel qu'un ordre de Mojito accompagné d'un regard assassin pour vous faire perdre l'envie de désobéir. Zach s'était fait tout petit à côté.
- Baker, ça suffit vos histoires hallucinantes ! Qu'est-ce que vous avez pris, cette fois ?
Cette fois, ce qui coulait de mes yeux, c'était des larmes de rage et pas de panique.
- Je peux dire ce que je veux, personne me croit jamais, répondis-je. Je vais finir par me faire tuer par votre faute à tous.
- Donnez-moi ce sac, ordonna la prof en tendant la main.
Je lui posai rageusement mon sac dans les mains. Si elle voulait fouiller, qu'elle fouille. Au moins, lorsqu'elle verrait qu'il n'y avait rien de compromettant à l'intérieur, elle serait forcée d'admettre que je disais la vérité.
Ses yeux en amande s'agrandirent brusquement et son visage s'obscurcit comme un ciel d'orage sur le point de faire éclater les premiers éclairs. Elle sortit une poignée de bonbons semblables en tout point à ceux qu'on nous avait offert le soir du Action ou Vérité.
- Vous vous fichez de moi, Baker ?
- Non ! Je vous jure ! Quelqu'un les a mis là ! C'est pas moi !
J'avais pris mon visage entre mes mains sans savoir somment m'en sortir. Qu'est-ce que ces bonbons faisaient dans mon sac ? Nemo les y avait mis ? C'était sûr et certain. Il avait dû piquer mon sac à la fin du match, les y glisser dedans et abandonner mon sac au bord du chemin ensuite. C'était un cauchemar.
- Je vous jure que c'est Nemo qui a mis ça dans mon sac !
- Et vous accusez un camarade ?
- Pourquoi vous voulez pas me croire ? J'aurais jamais dû vous faire confiance, j'aurais dû aller en parler à Hemingway ! Je suis sûre que lui, au moins, il m'aurait crue !
Après tout, Hemingway savait que notre soit disant première prise de rêveuse était un mensonge. C'était même lui qui nous l'avait plus ou moins suggéré. Il me croirait.
Je tournai les talons pour quitter le salle. Zach me suivit en courbant la tête.
- Arrêtez-vous tout de suite, jeta Mojito. Si l'un de vous franchit le seuil de cette porte sans mon autorisation, c'est le renvoi immédiat.
Je m'arrêtai. L'injustice me rendait folle. Mais je n'avais aucune envie d'être renvoyée. Zach était aussi tétanisé que moi.
D'un autre côté, si j'étais renvoyée, Will serait content et on irait enfin dans le même collège. C'était peut-être la meilleure solution, finalement.
Non. C'était la rage qui embrouillait mon raisonnement.
Je soufflai et attendis patiemment que Mojito vienne me cueillir pour faire de moi des confettis.
x
xxx
x
Je parcourais les couloirs de Ste Mangouste en traînant les pieds. La séance de désintoxication du jeudi midi, qui s'était ajoutée à celle du samedi matin à laquelle j'assistais avec Plumeau, venait de se terminer, et je me demandais comment j'allais bien pouvoir supporter cette double ration hebdomadaire d'ennui profond jusqu'à la fin de ma scolarité. Au moins, à la séance du samedi, je pouvais faire des commentaires à Plumeau pour passer le temps. Aujourd'hui, j'avais dû endurer seule la séance sans le moindre espoir d'un quelconque intérêt. Et pour ne rien laisser au hasard, Swan avait bien insisté pour que la séance soit le jeudi midi, en plein pendant les ateliers de duel de Hemingway.
En plus, toute cette histoire allait finir par s'ébruiter et tout le monde allait me prendre pour une junkie à la rêveuse. Les rumeurs qui soutenaient que tous les Poufsouffle étaient des drogués allaient regagner en popularité, et mes camarades de Maison ne risquaient pas de me pardonner d'avoir alimenté le feu des potins avec un énorme bidon d'essence.
La cheminée que je devais emprunter était déjà allumée. Hemingway m'attendait juste devant. Comme pour notre séance du samedi, tout élève qui sortait du château devait être accompagné d'un professeur. Aujourd'hui, c'était le prof de Défense contre les forces du mal qui s'y collait. Il m'adressa un sourire et me tendit un sachet de poudre de cheminette pour que j'y glisse ma main. Quelque chose retint mon geste. Pour une fois que j'étais seule avec Hemingway, je devais tenter de redorer ma crédibilité.
- Professeur, vous, vous savez que j'ai jamais pris de rêveuse volontairement. Vous savez que je dis la vérité. Vous pourriez expliquer aux autres que...
- Tu veux parler de ce mystérieux assassin ?
Je hochai la tête.
- J'ai peur de retourner à Poudlard, confiai-je. Nemo peut venir me tuer quand il veut. Vous, vous me croyez, pas vrai ?
Il passa une main dans ses cheveux noirs touffus pour les ébouriffer sur ses tempes dégarnies. Il n'avait pas l'air certain. Alors, je m'étais trompée en pensant à Hemingway comme un allié ? Je ne pouvais donc me fier à personne...
- Est-ce que ça te rassure si je te dis que je t'ai toujours crue et que je gardais un œil sur toi pour te protéger ? Enfin, de toute façon, mon aide a pas été très utile sur le terrain de Quidditch l'autre jour. Avec toute cette pluie, j'ai rien remarqué...
- C'est vrai ?
Je n'en croyais pas mes oreilles.
- Mais ne compte pas sur moi pour valider ta version devant le reste du corps professoral, s'empressa-t-il d'ajouter. Au stade où c'est, ma parole ne changera rien et je perdrais toute crédibilité.
Je haussai les épaules. C'était trop beau pour être vrai. J'allais devoir continuer à me taper les séances d'ennui. Mais au moins je ne me sentais plus complètement seule. Si Nemo tentait à nouveau quelque chose, c'est Hemingway que j'irais chercher, cette fois.
J'atterris dans la cheminée de Poudlard à ses côtés dans une gerbe de flammes. Je me dépêchai de rejoindre mes amis en cours de Métamorphose.
La face ridée quasiment momifiée de O'Noguel vint nous féliciter, Plumeau et moi, en fin de cours. C'était un rituel auquel elle ne manquait jamais, depuis notre premier cours de première année, quelque soit le degré de réussite de nos métamorphoses. Nous étions ses chouchoutes et elle roucoulait de plaisir en complimentant nos efforts. Pourtant, Métamorphose était le cours où Plumeau montrait le plus de difficultés, et quant à moi, j'avais vite abandonné la technique qui m'avait valu les louanges de la prof au premier cours. Parler avec l'objet à transformer s'était avéré plus qu'aléatoire, et j'avais rapidement compris qu'il me fallait apprendre les incantations, comme tout le monde. J'avais quand même plus de facilités que Plumeau, mais d'autres élèves brillaient bien plus que moi. Hugo était extrêmement doué, mais la vieille sorcière rabougrie ne lui jetait même pas un coup d'œil. En revanche, elle s'épanchait sur les résultats inconstants de Rowena Fox, qui était pourtant loin d'égaler les prouesses de Hugo.
- C'est fou comme vous êtes douée, grinçait O'Noguel devant la transformation incomplète de l'élève. Je suis sûre que c'est parce que vous êtes fatiguée, aujourd'hui. Je suis persuadée que vous allez y arriver la prochaine fois. Rien d'étonnant, miss Fox, à ce que vous ayez été choisie pour disparaître dès votre arrivée à l'école. Ce démon a du flair, c'est certain.
Rowena lui renvoya un sourire forcé et reprit ses efforts. Assis à côté d'elle, Dink avait parfaitement réussi l'exercice.
- Il a eu du flair pour vous aussi, monsieur Dink, et je suis certaine que vous irez loin.
Ce qui était amusant, c'est qu'avant sa disparition, Dink ne récoltait de la prof que mépris et indifférence. Mais depuis, elle l'arrosait de louanges au moindre geste.
- Cette prof est vraiment complètement sénile, râla Hugo. Dink pourrait lui présenter un tas de gravats qu'elle le féliciterait autant.
- Sois pas vexé, tempéra Zach. Regarde moi. Je m'y suis habitué, à ce que les profs m'ignorent complètement. Accepte-le et tu seras de suite beaucoup plus serein.
- Je peux pas accepter autant de favoritisme, rétorqua Hugo. J'y peux rien, ça me révolte.
La sonnerie mit fin à sa révolution intérieure et nous ramassâmes nos affaires. Le cours suivant était celui d'Histoire de la magie, et je dormis tout le temps que dura le discours monotone de Binns.
Le cours de Défense contre les forces du mal qui suivit nous redonna de l'énergie. Hemingway nous fit un cours théorique compliqué sur la manière d'amadouer une goule, en lui faisant manger des feuilles d'épiçarbre, dont la principale propriété était de raviver la mémoire de la goule en l'attendrissant grâce à ses souvenirs de sa vie antérieure. Un bouquet de feuilles d'épiçarbre passa entre les tables pour nous apprendre à les reconnaître. Il annonça que son cours serait jumelé avec le prochain cours de Botanique où nous verrions en détail où et comment s'en procurer. Je chipai une feuille en douce et croquai dedans.
- Tu peux vraiment pas t'empêcher de mettre dans ta bouche tout ce qui te passe sous la main, se moqua Plumeau. T'as pas retenu la leçon des myrtilles ?
- Ces feuilles viennent de Hemingway, répondis-je. J'ai confiance en lui. Et puis, comme ça, je booste ma mémoire pour le contrôle de SMIS de demain. Maline ! Ouah ! Je sens déjà ma mémoire qui se décuple !
Plumeau secoua la tête en pouffant et passa les branches à nos voisins.
- T'aurais dû en profiter, lui dis-je. C'est pas tous les jours qu'on a droit à du dopage gratuit.
Mon respect pour Hemingway grandissait. Il rendait un sujet que j'aurais cru ennuyeux à mourir en histoire extraordinaire. Ce prof était vraiment un magicien et savait tourner n'importe quoi en récit épique.
Je me demandais s'il tiendrait sa promesse. Le regard qu'il me lança quand je sortis de la salle finit de m'en convaincre. Avec un prof de Défense contre les forces de mal comme protecteur, je ne risquais rien. Nemo Sylvermith pouvait bien tenter ce qu'il voulait, il irait se heurter à un mur.
En tournant au coin du couloir, j'entrai brutalement en collision avec quelqu'un. Je m'apprêtai à lui conseiller de regarder devant lui mais les mots restèrent bloqués au bord de mes lèvres.
A deux centimètres des miens, brillaient deux yeux violets dans lesquels des éclats rouges flamboyants donnaient un aspect fuchsia à leur couleur impossible. Une frange noir corbeau voletait juste au-dessus. Avec l'impression que le temps s'était arrêté, j'entrevis l'imminence de ma mort avec une acuité insoupçonnée. Je me reculai précipitamment de Nemo Sylvermith et déjà Hugo se glissait entre nous deux.
- Si tu tentes quoi que ce soit contre Many, je te jure que j'hésiterai pas à t'attaquer, le prévint-il.
Nemo devint encore plus blême que d'habitude et sembla sur le point de se décomposer. Le voir faire semblant de ne pas comprendre me fit encore plus froid dans le dos. Lyra s'était avancée et lui avait pris la main pour le rassurer.
- Calme-toi, Weasley, demanda-t-elle. Tu peux faire ton pitbull contre moi tant que tu veux, je m'en fous, mais laisse Nemo tranquille.
La voir prendre sa défense fit remonter toute ma frustration d'incomprise.
- Arrête de le défendre, Lyra, m'exclamai-je, c'est un meurtrier ! Comment tu te débrouilles pour toujours sortir avec le méchant de l'histoire, sérieusement ? Tu fais exprès ou quoi ?
- C'est vrai qu'on retrouve un certain schéma, analysa Zach. Peut-être que son absence de morale attire les vilains ?
Hugo ne cessait de répéter que Lyra était une mauvaise fréquentation, et je n'avais pas assez prêté l'oreille à ses avertissements. Est-ce que Lyra était du côté de Franck aussi ?
- Je sors pas avec Nemo, se défendit-elle calmement. Et on accuse pas les gens comme ça, sans preuve, miss collabo.
- J'ai pas besoin de preuve, je l'ai vu, rétorquai-je agacée, ça fait déjà quatre fois qu'il tente de m'assassiner.
- T'es en train d'accuser Nemo d'être envoyé par Franck ?
Elle avait haussé un sourcil et son ton était ouvertement ironique.
- Il va nous le dire lui-même, s'amusa-t-elle. Nemo, est-ce que tu as prévu de tuer Baker ?
Il hocha la tête d'un air de confusion totale.
- Je comprends rien du tout, marmonna-t-il. Je crois que je vais retourner à la salle commune. Je me sens pas très bien.
- Je me sentirais pas bien non plus avec ces quatre là sur le dos, compatit Lyra. On se retrouve demain midi ?
Nemo acquiesça et s'éloigna à grands pas en courbant l'échine sous nos regards accusateurs.
- Vous êtes vraiment des grosses brutes, commenta Lyra quand Nemo eut disparu derrière un mur de pierre. C'est la personne la plus inoffensive que je connaisse.
- Et pourtant, je te jure que je te dis la vérité, insistai-je d'une voix plus calme depuis que la cause de ma panique était partie. C'est lui qui m'a assommée pendant le match contre Serdaigle. Il me poursuivait depuis un moment en me jetant des sorts de stupéfixion.
Lyra fronça les sourcils et je compris que je l'avais faite douter.
- T'es sûre de toi ?
- Plus que certaine.
Elle chercha des réponses dans le regard de Plumeau et celle-ci lui adressa un sourire d'acquiescement.
- C'est impossible, murmura Lyra. N'importe qui d'autre, j'aurais pu y croire. Mais Nemo ? C'est Mère Thérésa avec des perles dans les cheveux. T'as dû confondre.
Je hochai la tête en signe de dénégation.
- Difficile de le confondre avec quelqu'un d'autre, m'aida Plumeau.
- Hé ! Hugo ! appela une voix dans le couloir.
L'interpellé chercha des yeux l'origine de l'appel. Un garçon de quatrième année aux cheveux noirs coupés courts et sans aucun volume s'approcha de lui. Une fine monture en plastique transparent cerclait deux verres sur son nez. Le garçon était à l'image de ses lunettes. Un matériau de base ordinaire, un profil fin et une présence transparente.
- Albus ? s'étonna Hugo. Il y a un problème ?
Je faillis sursauter à l'évocation du nom. La présence d'Albus Potter à quelques centimètres de moi me fit un instant oublier Nemo et toutes les magouilles de Franck. Il avait bien les yeux d'un même mélange incertain entre bleu et noisette que Hugo, mais si les iris de Hugo donnaient un vert maronnasse quelconque, dans le cas d'Albus le résultat était d'un vert infiniment mélancolique. Et à ce moment, ils étaient voilés d'une pointe d'inquiétude.
- T'as pas vu Rose ? Elle a disparu avant-hier, et ça fait deux jours que je la cherche.
- Tu crois pas qu'elle a juste disparu ? suggéra Hugo.
- Non, c'est pas possible, fit Albus en secouant la tête. Elle a déjà disparu une fois pendant notre première année. Personne ne disparaît jamais une deuxième fois.
Hugo fit une grimace.
- C'était jamais arrivé non plus que plusieurs élèves disparaissent en même temps, fit remarquer Lyra qui n'avait rien perdu de l'échange.
Albus sembla remarquer la présence d'autres personnes et nous fit un demi-sourire incertain.
- Tu penses qu'elle a vraiment disparu encore une fois ?
- J'en sais rien, avoua Lyra. Peut-être.
Il soupira.
- C'est ce qu'on attrape à force d'avoir un trop gros cerveau, plaisanta Zach.
- C'est pas certain, ça. Molly a disparu hier, aussi, ajouta Albus.
- Ah bon ? fit Hugo en ouvrant de grands yeux. Molly ?
- Ouais. Bizarre, hein ?
- Pourquoi ? demandai-je.
Lucy, la petite sœur de Molly Weasley, avait bien disparu en début d'année, elle. Si toutes les deux étaient des cousines de Hugo, et les filles de Percy, il y avait des chances pour que ce soient des grosses têtes aussi. Hugo se frotta le nez.
- C'est une bosseuse, Molly, mais de là à la ranger dans la catégorie des doués, je sais pas.
- Vous êtes pas super sympas avec votre cousine, pointai-je.
- Elle est en quelle année, votre cousine ? intervint Lyra d'une voix peu intéressée. Non, laissez-moi deviner. Elle est en cinquième année, et elle est à Serdaigle, c'est ça ?
- Je sais pas comment t'as deviné, mais oui, c'est ça, confirma Albus.
- Nickel, murmura-t-elle pour elle-même.
Albus s'excusa avant de nous laisser pour retourner à sa salle commune. J'étudiai Lyra avec attention. Elle avait les yeux perdus dans le vague comme si elle pensait à quelque chose.
- T'as l'air de savoir quelque chose dont on est pas au courant, lui dit Plumeau en écho à mes pensées. Qu'est-ce que c'est ?
- Hein ? Ah... Pas grand chose... C'est parce que je sais pourquoi plusieurs élèves disparaissent en même temps, cette année, répondit-elle sur le même ton indifférent que d'habitude.
Nous nous sommes exclamés tous en même temps en la pressant de nous faire part de ses conclusions. Enfin, sauf Hugo, qui gardait un air renfrogné comme s'il était déçu de ne pas arriver à deviner ce qu'elle avait derrière la tête.
- Arrêtez de tous parler en même temps, vous me donnez mal au crâne, se plaignit Lyra.
Elle accepta de nous expliquer le fond de sa pensée à condition qu'elle puisse s'asseoir. Nous trouvâmes un banc de pierre libre dans un couloir et nous installâmes. Hugo resta debout et sembla hésiter entre la curiosité de vouloir entendre son explication, qui lui intimait de rester, et son aversion physique envers Lyra, qui lui criait de partir très loin.
- Assieds-toi avec nous, Weasley. C'est mieux si tu apprends que tu t'es trompé de ma propre voix plutôt que Plumeau soit obligée de tout te raconter plus tard.
- Je vais surtout rester pour mettre à l'épreuve la théorie débile que tu vas encore nous sortir pour nous persuader qu'il y a jamais eu de double disparition.
- Elle a jamais dit que les doubles disparitions avaient jamais eu lieu, Hugo, tentai-je de l'apaiser. Viens t'asseoir.
Il sembla plus disposé à écouter, mais préféra rester debout et toiser son adversaire de haut.
- Bien tenté, Baker, mais t'as tout faux, sourit Lyra. Je vous le répète encore une fois, il y a jamais eu plus d'une disparition à la fois.
Hugo secoua la tête en laissant échapper un petit rire désespéré.
- Je vous l'avais dit.
- Je comprends pas, avoua Plumeau. Il y a bien plusieurs élèves qui ont disparu en même temps. Tu veux dire que les autres élèves ont disparu pour une autre raison ?
- Je savais que je pouvais compter sur toi, Plumeau, approuva Lyra. C'est exactement ça. Il y a d'un côté les vraies disparitions, celles qui durent depuis quinze ans et qui restent un mystère complet, même pour moi. Et il y a eu cette année des fausses disparitions, pour une toute autre raison, pas mystérieuse du tout, celle-là.
- Et comment est-ce que tu expliques la différence ? demandai-je.
- C'est n'importe quoi, commenta Hugo.
- En fait, poursuivit Lyra, il y avait un truc qui me gênait depuis le début de l'année, mais j'arrivais pas à l'expliquer. C'était absurde que le nombre de disparus augmente tout d'un coup, comme ça, sans raison. Je pense toujours que si c'était possible, ce serait arrivé déjà il y a des années. Mais il y a quelques mois, j'ai enfin mis le doigt sur ce qui me posait problème et j'ai compris ce qui arrivait aux disparus en trop.
- Il y a quelques mois ? m'exclamai-je. Fallait nous en parler plus tôt ! Prévenir les profs ! Le brigadier du ministère !
- Pour quoi faire ?
- Continue, Lyra, l'invita Plumeau en me bâillonnant pour m'empêcher de râler.
- Ce qui me gênait, en fait, c'était l'âge des disparus. J'avais pas le souvenir que pendant ma première ou ma deuxième année, les élèves disparus étaient si vieux. Et en fouillant, j'ai trouvé ce que je cherchais. La liste de tous les disparus depuis le début des disparitions, et l'année dans laquelle ils étaient quand ils ont disparu. Et j'avais raison. Aucun élève avait jamais disparu après la quatrième année. La majorité sont des première ou deuxième année.
Je n'avais toujours pas compris en quoi c'était si essentiel, mais je me tus en lisant sur le visage illuminé de Plumeau et l'expression défaite de Hugo que le raisonnement était déjà terminé dans leur esprit. Heureusement pour moi, Zach était tout aussi perdu et posa la question que je n'osais pas exprimer.
- T'inquiète pas, Andersen, tu vas comprendre, fit Lyra. T'as une plume et du parchemin ?
Il fouilla dans son sac et lui tendit ce qu'elle demandait. Lyra écrivit sur le parchemin les noms de tous les élèves disparus depuis septembre, avec leur année de scolarité écrite à côté. Elle avait écrit dans un même paquet les noms des élèves qui avaient disparu en même temps.
- Voilà, montra-t-elle à Zach. Tiens, prends les.
- Mais...
- Maintenant, entoure les noms des élèves en quatrième année ou inférieure, lui demanda-t-elle avec pédagogie.
Zach gratta sa tentacule et se mit au travail.
Dans la première vague de disparus, il entoura Nemo Sylvermith, en troisième année. L'autre, David Emmerson, était en cinquième année.
Dans la deuxième vague, il entoura Lucy Weasley, en première année. Il laissa intouché le nom d'Aiken Robart qui était lui aussi en cinquième année.
Dans la troisième vague, la plume vint entourer Elyann Dink, en deuxième année. Les deux autres noms, Meredith Lloyd et Urry Penn, appartenaient à des cinquième année.
Dans la quatrième vague, enfin, il entoura Rose Weasley, en quatrième année. Tous les autres étaient des cinquième année. Bryn Jones, Trevor Owens, et Molly Weasley.
- Tu vois ? Un seul à chaque fois, lui montra Lyra.
- Mais... et les autres ? interrogea Zach. Où est-ce qu'ils sont passés ?
Mon attention se porta à tous les noms qu'il n'avait pas entourés. Tous des cinquième année. Et tous des Serdaigle. Et Urry Penn... Est-ce que c'était celui qui s'était fait extorquer vingt gallions en début d'année ? Et aussi... Le démon que j'avais halluciné dans les cachots derrière l'étagère s'appelait bien Urry. Je n'avais peut-être pas tout halluciné. Je commençais à comprendre.
- Ah, ça, j'en sais rien, où est-ce qu'ils sont, fit-elle.
- Mais tu viens de dire que tu savais, répliqua-t-il. Tu m'embrouilles.
- Je sais qui ils sont et pourquoi ils disparaissent, pas où ils se sont cachés pendant les deux mois de leur absence.
- Qui c'est, alors ? insista Zach.
- Juste quelques élèves qui ont eu envie de faire mousser leur réputation, supposa-t-elle en haussant les épaules.
- Ils ont fait exprès de disparaître ? s'exclama Zach. Pourquoi ?
- Pour paraître pour plus intelligents et récolter de meilleures notes, marmonna Hugo. Ils sont ridicules.
- Je peux les comprendre, déclara Lyra. Parfois, mieux vaut une solide réputation que des actes que tout le monde oublie.
Plumeau avait froncé les sourcils à sa dernière remarque, mais ne fit pas de commentaire.
- T'aurais dû le rapporter aux profs, lui reprocha Hugo. Ou au moins, au brigadier du ministère qui enquête sur du vide depuis le début de l'année alors qu'il serait plus utile ailleurs.
- Je suis pas une balance, Wealsey, se justifia Lyra. Ils mettent personne en danger, que je sache. Je voyais pas pourquoi j'allais gâcher leur combine. Leur truc, ça marche. Mais maintenant que tu sais tout, t'es libre d'aller en parler à qui tu veux, je vais pas t'en empêcher.
- Ils mettent peut-être personne en danger, mais ils rackettent leurs camarades pour avoir le droit de participer, rappelai-je.
Lyra haussa les épaules.
- C'est un service comme un autre, dit-elle, je vois pas de problème à ce que ce soit un service payant.
Je soupirai.
- Qu'est-ce qu'on fait, alors ? demanda Zach.
- Rien, répondit Plumeau.
- On va tout raconter au brigadier, fit Hugo exactement au même moment.
- J'allais vous proposer d'aller retrouver nous même les faux disparus et leur dire d'arrêter, dis-je. Je crois que je sais où ils se cachent. On les a vus le soir de la saint Valentin, avec Plumeau. Ils étaient dans les cachots, derrière une étagère de la salle de réserve. Si tout rentre dans l'ordre, le brigadier comprendra que c'est terminé et il s'en ira.
- Mettez-vous d'accord, se plaignit Zach.
Lyra laissa échapper un petit ricanement de vieille sorcière.
- Débrouillez-vous, c'est plus mon problème, lança-t-elle en se levant pour partir.
- Tu viens pas ? Si on va juste les trouver pour leur parler, c'est pas dangereux du tout, la rassurai-je. Tu risques rien.
- Je risque de croiser le concierge sur le chemin, qui me donnera une retenue, ou un retrait de points. Je risque de croiser un prof et me faire renvoyer, ou au pire tomber nez à nez avec ce démon des cachots dont tout le monde parle tout le temps.
- Tu crois que le démon des cachots existe ?
- Non, mais c'était pour ajouter un peu de poids à ce que je disais.
- Eh ben c'est raté, lâchai-je. C'était quand même léger si c'est juste pour pas faire perdre quelque points à Serpentard.
- Contrairement à toi, Baker, je réfléchis avant d'agir, et j'évite de pénaliser d'autres que moi sans une bonne raison.
- Tu me feras pas croire que tu te soucies d'autres personnes que toi-même, rétorquai-je. Et puis j'ai déjà bien réfléchi.
- Sûrement, fit-elle en partant.
Je maugréai intérieurement. Je n'aimais pas l'idée de pénaliser Poufsouffle pour une bande de Serdaigle en manque d'attention.
- Lyra ? la rappela Plumeau.
L'interpellée se retourna et attendit. Mais Plumeau ne semblait pas décidée à parler. Elle était pensive et tortillait une mèche noire qui s'était échappée de son plumeau.
- Qu'est-ce que tu veux, Plumeau ?
- Heu... En fait, ça a rien à voir avec ce qu'on disait. C'est juste une question que je me pose depuis un moment, et comme t'y as fait allusion tout à l'heure... Mais t'es pas obligée de répondre.
- Ben vas-y, accouche, se rapprocha Lyra. Je te dirai si j'ai envie de répondre ou pas une fois que t'auras posé ta question.
- Pourquoi tu laisses tout le monde te traiter de fille maudite ?
Elle eut un recul surpris.
- Pourquoi ce serait une mauvaise chose ?
La question qu'avait posée Plumeau me tracassait aussi depuis que l'image de Lyra avait été associée à cette rumeur de fille maudite. Mais j'étais loin de me douter que Lyra aimait ça.
- Ben... hésita Plumeau. Parce que ça te donne une mauvaise réputation, et que ça fait fuir les autres.
Elle prit conscience après avoir fini sa phrase que c'était la réputation rêvée pour quelqu'un comme Lyra. Cette dernière le lui confirma avec un sourire malin.
- Alors ça te convient vraiment ? demanda Plumeau.
- Pour être honnête avec toi, je m'en fiche un peu, avoua-t-elle. Mais ça a l'avantage d'éloigner les enquiquineurs.
Son sourire s'était perdu dans une grimace involontaire.
- Tu te ferais plus facilement des amis sans cette histoire de malédiction, lui dis-je.
Son regard vers moi signifiait clairement que ce n'était pas la priorité dans sa vie.
- C'est toi qui as lancé cette rumeur ? demandai-je.
- Une rumeur, ça prend que si c'est raconté dans le dos des gens, Many, me glissa Zach. Faire partir une rumeur sur soi-même sans complice extérieur, c'est impossible.
- T'es pas si bête, finalement, Andersen. Une commère refoulée, peut-être ?
- Il arrive pas à refouler grand chose, malheureusement, rétorquai-je.
- Sauf après les entraînements de Quidditch, précisa-t-il en pointant sous son bras.
- C'est vrai que t'as rendu aveugles tes adversaires de duel et figé d'autres élèves ? continua d'interroger Plumeau.
- Qu'est-ce que t'en penses, toi ? répondit Lyra avec un sourire mystérieux.
Plumeau réfléchit quelques instants avant de répondre. Pour ma part, c'était évident que Lyra avait jeté un sort à ces pauvres victimes. Malédiction ou pas. Cette fille était non seulement égoïste, mais dangereuse.
- Je pense pas que ce soit toi.
Je regardai Plumeau avec effarement.
- Ah bon ? fit semblant de s'étonner Lyra.
- Non. Tu fais jamais de truc inutile. Je sais pas pourquoi, mais ces élèves t'ont accusée et tu t'es abstenue de contester parce que ça t'arrange bien.
- Bien raisonné, inspecteur Plumeau, la félicita Lyra. Effectivement, j'y suis pour rien.
- Mais si c'est pas toi, fit Plumeau avec un air perplexe, qui a rendu ces élèves aveugles pendant le tournoi de duel ?
- Ils ont jamais été aveugles, dit Lyra comme s'il s'agissait d'une évidence.
Je ne pus retenir une exclamation en chœur avec Plumeau et Zach. Elle se remettait à nier ses méfaits ? Quand cette fille allait-elle cesser de mentir ?
- C'est juste qu'ils ont eu tellement honte d'avoir perdu contre une fille de première année que lorsqu'il y en a eu un qui a fait semblant d'être aveugle pour discréditer sa défaite, tous les suivants ont eu la bonne idée de faire pareil. Mais bon, je peux comprendre, ils pouvaient pas savoir que je m'entraîne au duel magique en cours d'escrime depuis des années. De toute façon, je voulais pas y participer, à la base, à cet atelier de duel. Si un débile de ma classe avait pas inscrit mon nom pendant que j'avais le dos tourné, je serais restée sagement à la Bibliothèque.
C'était inattendu. Mais je pouvais parfaitement imaginer Lyra dans cette situation. Cette histoire de fille maudite n'était donc finalement qu'une rumeur de plus sans fondement.
- T'aurais pu faire semblant de perdre, supposa Zach. T'aurais été tranquille, comme ça.
- Une fois inscrite, je voyais pas l'intérêt de participer au tournoi sans essayer de gagner.
Bien évidemment, songeai-je.
- Et tous ces faux aveugles ont lancé la rumeur de la fille maudite sur toi, termina Plumeau.
- Pas vraiment, la détrompa Lyra. Ils ont juste dit que je les avais maudits pendant le duel et que ça les avait rendus aveugles. Mais la rumeur a réellement pris une autre ampleur quand ce groupe de junkies de sixième année s'est mis à se figer.
- Et cette fois, c'était toi, accusai-je.
- Tout faux, miss collabo, rétorqua-t-elle avec un regard en biais dans ma direction. Ces abrutis se sont mis à fabriquer de la rêveuse artisanale dans leur dortoir. Mais leur cochonnerie était tout sauf réussie et ça leur a grillé le cerveau. Ils étaient aussi bloqués que des vieux croulants et ils sont restés un long moment à Ste Mangouste.
- Quel rapport avec toi ?
- Aucun, sourit-elle. Mais au lieu d'assumer leur connerie à leur retour à l'école, ils ont préféré surfer sur la vague de la fille maudite et tout me rejeter sur le dos.
Plumeau ne put s'empêcher de pouffer.
- Quand je pense que la fille qui nous a raconté ça avait l'air terrorisée.
- J'espère que t'as pas cassé ses fantasmes, glissa Lyra.
- Non, non, j'ai hoché la tête en faisant ma tête effrayée, la rassura Plumeau.
- Parfait !
x
xxx
x
- C'est bon, tu les as trouvés ?
Hugo hocha la tête et continua de fouiller des yeux la carte du maraudeur.
- Ils auraient dû être dans leur salle commune à cette heure-ci.
Après avoir longuement débattu, nous étions arrivé à un compromis. Nous n'allions pas dénoncer les Serdaigle aux profs ni au brigadier, en revanche il était important que ce dernier mette fin à son enquête inutile alors qu'à l'entendre, la Brigade de police magique était débordée. Lorsque j'avais répété mon idée qui consistait à descendre se faufiler dans les cachots pour avertir les faux disparus, les trois autres m'étaient tombés dessus en même temps.
- Hors de question, s'était exclamé Zach. Avec toi, se faufiler quelque part, ça finit toujours en jus de faykrill.
- Comment tu veux les faire arrêter leurs magouilles si on va pas directement les trouver ? avais-je rétorqué.
- Pourquoi on irait pas juste laisser un mot à leurs copains de Serdaigle pour quand ils reviendront ? avait supplié Zach. Comme ça on évite de mettre en rogne le démon des cachots au passage.
- Il y a jamais eu de démon des cachots, avais-je répliqué. T'es une vraie poule mouillée, en fait.
- Je suis pas une poule mouillée, s'était défendu Zach avec peu de conviction. C'est juste que je vois pas trop l'intérêt de risquer un truc fou alors qu'il y a beaucoup plus simple.
- Il a raison, Many, avait déclaré Plumeau. Pourquoi est-ce qu'on irait pas trouver un des anciens faux disparus ? Ils doivent être dans la salle commune de Serdaigle.
La simplicité de ce qu'elle proposait m'avait rendue toute confuse. Elle avait complètement raison. C'était encore mon envie de sensations fortes qui avait parlé et j'en oubliais les solutions les plus accessibles.
- Je vais entrer seule, avait-elle continué. Pas la peine d'y aller en troupeau. Je passerai plus inaperçue parmi les Serdaigle que si vous êtes autour.
Nous avions attendu Plumeau patiemment dans la Grande Salle. Elle devait trouver un des disparus du début de l'année et leur dire de venir nous rejoindre pour discuter. Finalement, elle était revenue bredouille. Nous avions consacré le temps du dîner dans la Grande Salle à épier la table de Serdaigle pour tenter de deviner lesquels étaient les anciens disparus. Mais c'était peine perdue. Nous ne connaissions pas leurs visages. Hugo avait alors proposé d'aller emprunter la carte du maraudeur de son cousin. James la lui avait prêtée moyennant la promesse de prendre toutes ses corvées de dégnomage de l'été à venir. Hugo était revenu avec la carte en main et le visage déconfit. Depuis que le repas s'était terminé, nous cherchions en vain nos suspects sur la carte.
Jusqu'à-ce que le regard de Zach s'illumine.
- Hé ! J'ai trouvé David Emmerson et Aiken Robart. Ils sont dans la Bibliothèque. Vous aviez pas la bonne technique. Pour chercher des Serdaigle, il faut regarder en premier dans les endroits ennuyeux.
- J'ai pas cherché vers la Bibliothèque parce qu'elle est fermée, normalement, à cette heure-ci, fit Hugo en fronçant les sourcils.
- Ils sont juste à l'entrée, corrigea Plumeau. On y va ?
- Vous êtes certains de vouloir aller parler à ces deux-là ? répéta Hugo pour la centième fois. Si vous leur dites que vous êtes au courant, vous représentez un danger pour eux. Et ça m'étonnerait qu'ils acceptent d'arrêter leur affaire et vous laissent repartir sans rien tenter. On ferait mieux de tout rapporter au brigadier et le laisser y aller.
- Pff ! Qu'est-ce que tu veux qu'ils tentent ? s'esclaffa Zach. C'est juste une paire de geeks boutonneux qui ont voulu bien se faire voir de papa et maman en ayant de meilleures notes !
- Je sais pas, mais je le sens pas, avoua Hugo.
- T'es trop suspicieux, glissai-je. Relax. On va juste leur parler.
- Sinon, on peut juste rester en dehors de ça, proposa Plumeau. Peut-être que Lyra avait raison. On a tort de s'en mêler.
- Arrêtez, tous les deux, on était tombés d'accord tout à l'heure, rappelai-je. On va pas changer d'avis toutes les cinq minutes.
- Ok, soupira Hugo. Je maintiens que c'est une erreur, mais si vous avez décidé de pas aller voir le brigadier quoi que je dise, tant pis, je vous suis.
Je poussai un cri de victoire.
- T'es sûre que tu veux y aller, Many ? hésita Plumeau.
- Mais oui !
Elle grimaça pour montrer sa réticence, mais je me mis à sautiller sur place en la prenant par les épaules pour lui transmettre ma motivation et elle finit par laisser échapper un rire de parent attendri. Zach nous entraîna en avant en proclamant la chasse aux intellos ouverte.
La carte était d'une précision étonnante. Les deux Serdaigle discutaient, adossés à un mur de pierre à l'entrée de la Bibliothèque. Il y avait un grand maigrichon et un petit trapu. Mais même le plus petit des deux me dépassait d'une tête.
- David Emmerson ? appelai-je d'une voix peu assurée.
Le petit trapu se retourna vers nous et nous détailla d'un œil étonné.
- Quoi ?
- Et toi t'es Aiken Robart, c'est ça ?
Le grand me dévisagea et je notai qu'il avait la même façon que Lyra de fixer les gens à la façon d'un rapace.
- On se connaît ?
- On est venus vous avertir qu'on a compris toutes vos magouilles avec les fausses disparitions, expliquai-je. Il faudrait que vous arrêtiez, parce que la Brigade de police magique a déjà assez de travail sur les bras sans avoir à enquêter sur du vide.
- Rassurez-vous, s'empressa d'ajouter Plumeau, on vous a pas dénoncés, et on a pas l'intention de le faire.
- Le brigadier arrêtera de lui-même son enquête si tout rentre dans l'ordre, continuai-je. Vous avez juste à rappeler les trois qui sont cachés en ce moment, et on en parle plus.
L'intensité du regard du grand s'était accrue et j'avais maintenant l'impression qu'il lançait des lasers avec ses pupilles. Le petit semblait paniqué.
- Je vois pas de quoi vous parlez, dit Aiken Robart.
- Nous dénoncez pas s'il-vous-plaît, supplia David Emmerson.
Le premier lança un regard noir au second qui courba la tête. Puis il poussa un soupir frustré en passant ses doigts sur son front.
- Si on fait ce que vous demandez, dit-il, on en parle plus ?
- C'est ça.
- Bon, accorda-t-il, je crois qu'on a pas trop le choix, hein, David ? Si on obéit, vous oublierez tout ?
Je promis. Le visage de David Emmerson sembla s'illuminer comme sous la compréhension de quelque chose. Tout les deux sortirent leur baguette au même moment. Beaucoup trop vite pour qu'un seul d'entre nous ait le temps de faire de même.
- Oubliettes ! lancèrent-ils dans une même voix.
Je les entendis dans un flou étrange répéter la même formule une seconde fois. Mes souvenirs étaient complètement brouillés et j'avais la sensation d'avoir reçu un coup sur la tête.
Les deux garçons qui nous faisaient face nous observaient. Je ne pensais pas les avoir déjà vus. Nous étions devant la Bibliothèque mais elle était fermée. Bizarre. Nous aurions dû être déjà dans notre salle commune, à cette heure.
- Vous vouliez nous demander quelque chose ? demanda le plus grand des deux.
Je regardai mes camarades en quête d'une idée de ce que nous faisions ici. Mais ils étaient aussi perdus que moi.
- Non, je crois pas, fit Plumeau. J'ai oublié ce qu'on disait juste avant...
- Ouais, renchérit Zach, je me sens un peu sonné. Vous êtes qui, vous ?
- Vous venez d'arriver et vous vouliez nous parler d'un truc, insista le grand. Vous vous souvenez sûrement de ce que vous vouliez nous dire, non ?
Mon esprit se remettait peu à peu. Je remis mes idées en place et me rappelai notre conversation avec Lyra. Nous étions venus chercher David Emmerson et Aiken Robart pour leur faire cesser leurs embrouilles. J'allais ouvrir la bouche pour leur parler avant de me rappeler d'un seul coup les secondes qui venaient de l'écouler. Ils nous avaient lancé un sort d'oubli pour nous forcer au silence !
Je restai prudente et consultai mes camarades du regard. Ce que je découvris dans leur expression confirma mon inquiétude.
Zach se gratta la tête avec perplexité et Plumeau hocha la tête.
- Je vois pas, avoua Hugo d'un air confus. On a dû se tromper. On va s'en aller.
J'étais la seule à me souvenir. Qu'est-ce qui s'était passé ?
- Zach, chuchotai-je une fois que nous nous étions éloignés de quelques mètres. Me dis pas que t'as oublié qu'on était partis à la chasse aux intellos ?
- Mais de quoi tu parles ?
- Vous vous souvenez vraiment de rien ?
- Se souvenir de quoi ? interrogea Plumeau.
Hugo haussa les sourcils d'un air interrogateur.
- Les deux cinquième année derrière nous, c'est David Emmerson et Aiken Robart, leur rappelai-je. Ils font partie du groupe d'élèves qui ont orchestré leur propre fausse disparition pour améliorer leur réputation. On en a parlé tout à l'heure ! On était venus les convaincre d'arrêter leurs magouilles et ils nous ont jeté un sort d'oubli ! Je sais pas pourquoi, mais ça a pas marché sur moi !
- Quoi ? s'exclama Zach. On peut pas oublier tout ça d'un seul coup, non ? Tu nous fais marcher, avoue !
- Je suis super sérieuse !
- En tout cas, si c'est vrai, t'as un crâne en acier, Many, commenta Zach.
- Ce serait pas grâce aux feuilles que t'as piqué en cours de Hemingway cet après-midi ? supposa Plumeau. Celles d'épiçarbre ?
- Ah oui ! Tu vois que parfois, mettre tout ce que je trouve dans ma bouche a du bon, plaisantai-je en réponse.
- On fait quoi, alors ? demanda Zach.
- On va trouver le brigadier pour tout lui raconter, dis-je.
- Bonne idée, accorda Hugo.
- C'était ton idée à la base, confiai-je, même si tu t'en souviens pas. On aurait dû t'écouter.
- J'ai souvent une bonne intuition, répondit-il avec un sourire en coin satisfait.
- Hé, nous coupa Zach, les deux gars de tout à l'heure nous suivent. Vous croyez qu'ils nous ont entendu ?
Hugo jura et fit brutalement volte-face avec sa baguette en main mais un éclair rouge l'envoya à terre. J'avais eu le temps de sortir la mienne et réussis un sort du bouclier au moment où un nouvel éclair écarlate fonçait vers ma tête. Plumeau était inconsciente à mes pieds. Elle avait dû se prendre un sort avant d'avoir eu le temps de réagir. Zach était en panique et n'arrivait à rien produite du bout de sa baguette. Il avait réussi à éviter un tir mais ce n'était qu'une question de temps avant qu'il soit touché.
- Expelliarmus ! hurlai-je en fonçant sur nos deux attaquants.
La baguette du grand s'envola dix mètres derrière moi. Mon sortilège de désarmement n'était pas encore au point. Trop distraite par Zach qui envoyait des sorts incomplets partout, je ratai mon deuxième sort du bouclier et un flash rouge m'aveugla avant de se fondre en une obscurité bienveillante.
