Chapitre 20 - Mêlée
« Il se réveille, non ?
- Mais non, il bouge dans son sommeil, arrête de t'inquiéter.
- Qu'est-ce qu'on fait s'ils se réveillent avant qu'Aiken et David soient revenus?
- Rien, on attend.
- Arrête de nous stresser, t'as qu'à réviser au lieu de les regarder.
- J'arrive pas à me concentrer, ça m'angoisse.
- Alors angoisse dans ta tête, au lieu de nous déranger.
- C'est bon, sois plus sympa, on est tous sur les nerfs.
- Je suis pas sur les nerfs, moi, c'est vous qui me stressez ».
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Des voix discutaient. Je gardai les yeux fermés le temps d'avoir les idées plus claires. Je réprimai un frisson de froid. Où est-ce que j'étais ? Je sentais les blocs de pierre glacée contre mon dos. Mes doigts tâtaient aussi des dalles de pierre nue au sol. Puis je touchai une main. J'entrouvris un œil et découvris Zach en train de dormir à côté de moi.
- T'es réveillée ?
Je me résolus à ouvrir les yeux. Celle qui m'avait parlé était une grande asperge aux longs cheveux d'un roux flamboyant, lisses et secs comme des fils de soie, la raie bien droite les partageant au milieu du front. Son visage long de poney était couvert de taches de rousseur. Elle m'adressa une moue hautaine et se replongea dans sa lecture d'un gros volume sur les plantes dangereuses et les moyens de s'en protéger.
Un garçon qui se rongeait les ongles en faisant semblant de lire un parchemin était assis près d'elle, et entre eux, une autre fille aux frisettes brunes mal coiffées tenait une plume grise avec laquelle elle semblait prétendre d'écrire.
Les trois inconnus mimaient une indifférence complète à notre égard mais nous jetaient continuellement des coups d'œil curieux. Plumeau s'agita et ouvrit un œil fatigué. Hugo dormait encore. Nous étions tous les quatre adossés au mur de pierre. Personne n'avait pris la peine de nous entraver. Mais je ne sentais pas ma baguette.
La pièce où nous étions était immense. Peut-être pas aussi grande que la Grande Salle. Les murs étaient faits de blocs de pierre comme dans le reste du château, mais les racines massives d'un arbre qui devait être énorme perçaient le plafond et fissuraient le sol en traversant la salle de part en part. D'autres racines, plus petites, fendaient la pierre le long des murs. Dans un des coins de la salle, près de nous, un terrier s'enfonçait dans l'obscurité vers le bas comme si une belette obèse avait creusé à cet endroit. Un paquet de racines et de plantes grimpantes en sortaient et serpentaient sur la pierre enfoncée du sol sur le seuil du mystérieux terrier.
La salle était un véritable débarras. Des tas de vieilleries s'entassaient là, disposées entre les racines. La moindre parcelle de sol était occupée par de vieilles armoires à glace, des placards cassés, des porte-manteaux usés, des caisses et des cartons éventrés, des tables et des chaises auxquelles il manquait un pied, des miroirs brisés, des instruments étranges recouverts de draps moisis, des commodes sans tiroirs, des étagères remplies de toiles d'araignées, le tout recouvert d'objets aussi divers que déglingués.
Je fis rapidement mes déductions. Les trois inconnus étaient probablement les faux disparus actuels, et nous étions sûrement dans la salle cachée derrière l'étagère de la réserve de Mojito. Quand à savoir pourquoi ils nous avaient amenés ici, je n'en avais strictement aucune idée.
- Molly ?
Hugo s'était redressé et se massait le crâne à travers ses boucles. Il inspecta la pièce avec la même application que celle dont je venais de faire preuve quelques instants avant.
- Où est-ce qu'on est ?
- Quelque part, répondit-elle froidement. Mêle toi de tes oignons.
- Ça va, soupira-t-il, pas la peine d'être désagréable.
Les deux autres avaient levé des yeux hésitants de leurs prétendues occupations. Zach cambra son dos et étira ses deux bras en l'air avant de lâcher un souffle de bien-être.
- Hein ? C'est pas mon lit, ça.
- On est dans les cachots, Zach, lui expliquai-je. Vous avez tous les trois perdu la mémoire mais on venait de comprendre la raison des doubles disparitions.
Je tentai de leur rapporter toute la conversation que nous avions eue avec Lyra juste avant. L'effort était long, et en retranscrire tous les détails, fastidieux. Plumeau acquiesça et Hugo nous fit sa tête de mauvais perdant pour la deuxième fois de la journée. Il me fallut réexpliquer une seconde fois pour que Zach perde son air perplexe. Les trois élèves qui étaient avec nous se regardèrent avec inquiétude pendant mon récit.
- Tu te fatigues pour rien à tout réexpliquer, m'adressa la rousse. Vous aurez tout oublié dans quelques heures. Aiken et David attendent juste que t'aies cuvé les feuilles d'épiçarbre que t'as avalé pour pouvoir vous lancer à nouveau un sort d'oubli. Ils vont pas tarder à revenir.
- Parce que vous croyez qu'on va attendre bien sagement ? rétorquai-je.
- C'est à peu près ça, oui, accorda Molly. Vous, ça vous coûte rien. Quelques heures de votre vie dont vous vous souviendrez pas, c'est pas cher payé. Pensez à nous, un peu. Qu'est-ce que vous voulez, exactement ? Nous humilier devant toute l'école ? Nous faire perdre des points ? C'est ça votre motivation ?
- Non, c'est pas ça, c'est...
- Bon, alors attendez tranquillement que Aiken et David reviennent, et laissez vous faire. Vous êtes des Poufsouffle, non ? Faites honneur à votre Maison et soyez généreux.
- Elle a raison, on devrait se laisser faire, accepta Plumeau.
- Juste par curiosité, Molly, lui répondit Hugo, t'as payé combien pour ça ?
- Commence pas à me juger, Hugo, t'aurais fait pareil à ma place.
- Non, ça m'étonnerait.
J'en doutais. Hugo était bien trop mauvais perdant pour ne rien tenter en désespoir de cause.
- C'est lequel qui empoche l'argent ? continua-t-il.
- Depuis quand ça te concerne ? répliqua-t-elle.
- C'est Aiken qui organise tout, répondit la fille frisée. Avec David.
- Pourquoi tu leur dis ça ? fit Molly.
- On s'en fout, non ? Ils auront tout oublié.
- Et vous avez pas de problème avec le fait de vous faire racketter par des mecs de votre propre classe ? provoqua Hugo.
- C'est ça, prends ton air supérieur tant que tu peux, lui cracha Molly. Tu verras quand tu seras devenu trop vieux pour disparaître et que ta sœur aura disparu deux fois, elle. On en reparlera à ce moment là, et on verra si tu te sens toujours aussi fier.
Hugo afficha une expression estomaquée et un sourire flotta sur ses lèvres. Il faisait semblant d'en rire mais j'étais certaine que sa cousine avait touché une corde sensible.
- Honnêtement, ça vaut le coup, avoua la fille aux frisettes. Les notes de Meredith ont doublé en Métamorphose depuis qu'elle a disparu. C'est elle qui m'a mise dans le coup.
Difficile de leur en vouloir avec ce genre de conséquence.
- Je savais bien qu'on aurait dû laisser couler, dit Plumeau en posant sa tête dans ses mains. Ils faisaient rien de bien méchant, finalement. On est venus se mêler de ce qui nous regardait pas et on les a forcés à nous mettre dans cette situation gênante.
- On va pas se laisser faire, de toute façon, la rassura Hugo en se levant. Ils ont même pas pris la peine de nous attacher.
Il s'avança et commença à se frayer un chemin entre les antiquités.
- Où tu vas ? lui cria Molly.
- Je m'en vais.
- Reste là, ordonna-t-elle en pointant sa baguette sur lui.
- Tu vas vraiment jeter un sort à ton propre cousin ?
- Tu vas vraiment nous dénoncer ?
- Oui, confirma-t-il.
Je m'étais levée à mon tour, Zach et Plumeau en suivant. Hugo cherchait des yeux quelque chose autour de lui.
- Si tu cherches ta baguette, c'est pas la peine de te fatiguer, fit Molly. C'est Aiken et David qui les ont gardées.
Une ombre d'incertitude passa sur le visage de Hugo. Il ne s'attendait vraisemblablement pas à ce que nos baguettes soient à l'autre bout du château.
J'avais repéré la sortie. Complètement à l'opposé de la salle, entre une armoire sans porte et un piano défoncé. Un boyau sombre dans un mur à un mètre au-dessus du sol, comme celui que j'avais aperçu dans mon délire sous rêveuse la nuit de la saint Valentin. Le boyau montait en pente douce dans une semi-obscurité mais j'étais certaine qu'il remontait jusqu'à la réserve de la salle de Potion.
Les deux autres cinquième année s'étaient eux aussi rapprochés et nous pointaient de leurs baguettes avec un manque de confiance évident. Nous tournâmes tous les quatre notre dos à la sortie pour nous concentrer sur la menace immédiate représentée par ces trois là.
- Jusqu'à présent, vous avez rien fait de grave, leur rappelai-je. Vous êtes des victimes, dans l'histoire. Aiken et David vous ont traîné là-dedans mais vous y êtes pour rien. Si le brigadier vous trouve maintenant, vous aurez peut-être droit à une petite remontrance de Swan, ou de votre nouveau référent de Maison, là, Di Renzo, mais personne ira vous punir.
Je les voyais déjà douter. C'était bon signe. Ils n'étaient pas menaçants. Juste un peu perdus. Il leur fallait juste un petit coup de pouce dans la bonne direction.
- Mais si vous aidez Aiken et David à nous séquestrer et à nous faire perdre la mémoire, là, vous vous impliquez et vous risquez gros.
Le garçon avait déjà baissé sa baguette et regardait ses pieds.
- Qu'est-ce que tu fais, Trevor ? lui dit Molly. Elle essaie de t'embrouiller.
- Non, elle a parfaitement raison. Moi, je me retire, répondit-il en levant les paumes. J'ai pas envie de gâcher mon avenir pour Aiken. C'est pas mon pote, en plus. Je l'aime pas.
L'autre fille baissa sa baguette aussi.
- Et quand votre famille apprendra ce que vous avez fait, leur rappela Molly, ce sera pas humiliant, ça, peut-être ?
La fille se reprit et leva à nouveau sa baguette. Le garçon croisa les bras et retourna s'asseoir pour montrer son désaccord.
- Qu'est-ce que vous foutez ?
La voix venait de très loin derrière nous.
- Aiken ! David ! Venez nous aider, fit la fille aux frisottis. Ils veulent partir.
- Qu'est-ce que vous attendez pour leur jeter un sort, alors ? Oubliettes !
Un instant de flou.
Je regardai autour.
J'étais dans une grande pièce, un peu comme la grande salle. Remplie d'objets oubliés. Des racines la traversaient de partout. Le plafond était un véritable gruyère.
Deux filles me faisaient face avec leur baguette levée. Des pas se rapprochaient derrière moi, avec des bruits clinquants d'objets volumineux qu'on déplaçait pour faire de la place.
Je me concentrai. Quelque chose d'essentiel m'échappait. J'avais oublié un truc important.
Et puis les souvenirs revinrent lentement. La discussion avec Lyra. Oubliettes. La cachette dans les cachots. David Emmerson et Aiken Robart. Les fausses disparitions.
Les feuilles d'épiçarbre.
Je souris. Leur effet n'était pas encore parti. Puis je grimaçai devant le visage confus de Zach, Plumeau et Hugo. Combien de fois j'allais devoir raconter cette conversation interminable avec Lyra ?
- Alors, elle a l'air d'avoir oublié ou pas, cette fois ?
David Emmerson et Aiken Robart entrèrent dans mon champ de vision et se placèrent face à moi. La fille frisée baissa sa baguette et leur laissa la place en soupirant de soulagement. Elle et Molly Weasley, trop contentes d'être relevées de leurs responsabilités, retournèrent s'asseoir avec leur camarade.
- Oublié quoi ? tentai-je.
- Tu m'as déjà vu ?
- Je crois pas, non, mentis-je. On est où ?
- Ouais, renchérit Zach, qu'est-ce qu'on fout là ? J'ai l'impression qu'un éruptif s'est assis sur ma tête...
- Vous êtes qui ? demanda Hugo d'un ton suspicieux où transparaissait un manque d'assurance certain. C'est quoi, cet endroit ?... Molly ? Qu'est-ce que tu fais ici ? Je croyais que t'avais disparu. Je comprends plus rien...
Leurs questions furent ignorées. Aiken Robart me dévisagea longuement et fit la moue. Son complice trapu avait posé ses mains sur les hanches et attendait son verdict.
- Je sais pas, avoua-t-il. J'ai l'impression qu'elle ment, mais je suis peut-être trop parano.
- On se connaît ? bluffai-je.
- Pas du tout, répondit-il.
- C'est qui, lui ? fit David Emmerson.
Le regard d'Aiken Robart se perdit derrière moi et ses sourcils se froncèrent. Il n'avait plus l'air si sûr de maîtriser la situation. Les bruits clinquants se faisaient à nouveau entendre derrière moi.
- Qu'est-ce qu'il fout là, miss couture ? marmonna-t-il.
- Tu veux quoi, la diva ? plaisanta David Emmerson. Si tu veux vendre tes robes, va voir ailleurs, on est pas intéressés.
L'appellation fut comme un déclic et je me jetai par terre. Un rayon vert fusa juste au-dessus de moi et manqua le petit trapu de quelques centimètres. Il devint blanchâtre et poussa un cri d'effroi.
- T'es malade ?!
Un coup d'œil à peine me suffit pour me confirmer qu'il s'agissait bien de Nemo Sylvermith qui venait de sortir du boyau et marchait vers nous en enjambant les obstacles.
Hugo fut le plus rapide à réagir. Il bondit sur la baguette que David Emmerson tenait à peine d'une main tremblante et la lui arracha pour se tourner vers Nemo.
- Expelliarmus ! cria-t-il.
La baguette de Nemo s'envola vers lui et il la saisit au vol dans sa main libre avant de la lancer vers Plumeau. Elle sursauta et l'attrapa des deux mains maladroitement. Un sort lancé par Aiken Robart atteignit Hugo dans le dos et il s'écroula sur la pierre, inconscient.
Je hurlai de frustration.
- Pourquoi t'as fait ça ? criai-je. Tu vois pas que la situation a changé ? C'est sur Nemo qu'il faut lancer des sorts ! On va tous se faire tuer si tu continues à nous viser sans réfléchir ! Réveille-le !
Le garçon maigrichon eut un instant d'hésitation puis comprit que la situation lui échappait.
- Je connais pas le contre-sort, avoua-t-il. Débrouillez-vous.
Nemo avait escaladé une commode et sautait de meuble en meuble. Je pris la baguette de David Emmerson des mains de Hugo en espérant que nous étions compatibles. Je n'étais pas rassurée de savoir Hugo hors-jeu, mais au moins il ne risquait plus rien. Nemo n'en avait qu'après moi. Plumeau et Zach étaient restés figés, encore occupés à tenter de démêler cette situation à laquelle ils ne comprenaient rien du tout.
David Emmerson s'était roulé en boule et Aiken Robart courait se cacher le plus loin de Nemo qu'il pouvait. Plumeau regardait Hugo, allongé et inconscient, avec désespoir. Zach avait les yeux rivés sur l'avancée inexorable de Nemo et le regardait approcher d'un air horrifié.
- Repulso ! criai-je.
Nemo fut projeté contre l'entrée du boyau. Il atterrit dans un concert de casseroles. Je remerciai en silence Lewis et ses cours de Sortilèges à Treehall. Je l'avais ralenti mais il allait vite revenir à la charge. Il fallait le mettre K.O.
- Plumeau, tu peux le supéfixer ? demandai-je.
- Tu peux me dire ce qu'on fait là, d'abord ?
- Je t'expliquerai après avoir mis le fous dangereux qui veut ma mort hors course !
- Je connais le sort, mais j'ai jamais essayé pour de vrai, dit-elle.
- Ben c'est le moment, la pressai-je.
- Stupefix !
Un éclair rouge ridicule sortit de la baguette et éclata à quelques centimètres d'elle. Nemo se relevait déjà et escaladait une table.
- C'est peut-être la baguette, supposai-je avec espoir. Tiens, donne-moi celle de Nemo et prends celle de David Emmerson.
- Stupefix !
Un sort plus vigoureux en sortit mais fit un zig-zag et se perdit au plafond. Elle tenta plusieurs fois mais sans plus de succès. Bon. La question du sort de stupéfixion était réglée. Personne à part Hugo ne savait le lancer. Si seulement cet abruti de Aiken Robart ne l'avait pas assommé ! Nous allions devoir nous débrouiller sans lui.
Je repassai tous les sorts idiots que j'avais appris. Puis je remarquai Zach, jusqu'ici immobile et un air d'incompréhension totale sur le visage, se mettre à sourire progressivement.
- Mais oui, s'illumina-t-il doucement, j'ai compris ! Si je me souviens pas de comment j'ai atterri dans ce bordel absurde, c'est tout simplement parce que je suis en train de rêver ! Haha, quand je pense que j'étais en train de flipper pour rien !
Je le secouai énergiquement.
- Arrête de dire n'importe quoi et va te chercher une baguette pour nous aider ! lançai-je.
- Compte sur moi, assura-t-il avec un clin d'œil, je suis toujours hyper balèze dans mes rêves de baston.
Il fonça vers le tas de cinquième année pétrifiés de peur dans leur coin.
- Assurdiato, pointa Plumeau.
Le sort percuta Nemo et il arrêta sa course pour porter ses mains à ses oreilles.
- Confundo !
Le sort de Plumeau l'atteignit en pleine poitrine et il faillit tomber. Pendant un instant, il regarda autour de lui comme s'il découvrait l'endroit où il se trouvait. Il s'assit en tailleur sur l'armoire où il était perché et se prit la tête dans les mains.
- Je connais aucun sort pour l'arrêter complètement sans le blesser, s'inquiéta Plumeau. Je vais pas le faire exploser, quand même. Là, il va être confus un petit moment mais ça va pas durer. Il faut qu'on parte d'ici.
- Je veux bien, mais il est entre nous et la sortie. Et il faut qu'on récupère Zach et Hugo.
- Laisse tomber Zach et Hugo, répondit Plumeau. C'est toi qu'il veut. On risque rien, nous.
Zach revenait en trottinant gaiement, une baguette à la main.
- Il voulait pas me la prêter, alors j'ai dû hausser un peu le ton, mais il a vite compris qu'avec ses petits muscles rabougris d'intello il faisait pas le poids.
Il s'arrêta pour admirer le décors.
- Il est vachement réaliste, ce rêve, nota-t-il.
- Arrête ton délire ! C'est la réalité ! Tu connais un sort pour l'assommer, ou l'immobiliser, ou n'importe quoi pour l'arrêter ? demandai-je sans trop y croire.
- Elton a essayé de m'apprendre le maléfice d'entrave, dit-il. Dans la vraie vie, j'ai jamais réussi à le jeter correctement, mais dans mes rêves, je gère comme un dieu.
Je soupirai. Enfin, si ça l'aidait à avoir confiance en ses capacités, c'était toujours ça.
- On compte sur toi, avec Plumeau, l'encourageai-je. T'es notre dernier espoir.
Nemo était déjà debout et semblait avoir retrouvé ses esprits.
- Impedimenta !
Le sort éclata à un mètre de nous. Nemo recommença à enjamber le fatras, et tendit la main.
- Accio baguette ! cria-t-il.
La baguette que je tenais fut attirée mais je tins bon.
- Impedimenta ! Impedimenta !
Les sorts se perdirent en éclats ridicules sans aller plus loin que le premier.
- Repulso ! lançai-je.
Le sort atteignit Nemo et il fut projeté au fond de la salle, presque à l'embouchure du boyau par lequel il était arrivé.
- Impedimenta !
Le sort explosa encore une fois dans les airs.
- Incarcerem ! fit-il.
Le sort brilla un instant avant de s'évanouir dans l'air.
- J'y arrive pas, s'excusa-t-il. Vous êtes sûres que c'est un rêve ?
- Bon, c'est pas grave, de toute façon, il est désarmé, remarquai-je. On le contourne en l'éloignant avec des sorts de répulsion. On sait tous faire, normalement. Et ensuite on fuit par le boyau pour aller chercher de l'aide.
Plumeau acquiesça. Zach se gratta la tête en murmurant un « Bizarre... ». Nous nous lançâmes dans la course vers Nemo en luttant contre la peur. Les étagères nous masquaient à sa vue par intermittence. Je compris trop tard que nous rapprocher de lui avait été une grave erreur.
Il leva la main vers moi dans une fenêtre entre une chaise en bois et un tas de vieux manteaux.
- Accio baguette !
Dans ma course, ma prise sur la baguette s'était relâchée et elle s'envola pour revenir dans la paume de son propriétaire légitime. Je le vis avec terreur la pointer sur moi.
- Avada Kedavra !
Le sort me manqua d'un cheveu mais je crus que mon cœur allait s'arrêter. Je m'abritai derrière une armoire à fleurs. Plumeau sortit la tête pour lancer un autre sort.
- Repulso !
- Protego !
Son sort se perdit dans un éclat bleuté devant lui. Les iris de Nemo luisaient d'un rose presque fluo. J'étais tétanisée de ne plus avoir de baguette pour me défendre. A mon grand étonnement, il se détourna de nous et lança un sort dans une autre direction.
- Ronciae Maximum.
Des branches couvertes d'épines jaillirent du sol devant l'entrée du boyau et le bouchèrent dans un enchevêtrement inextricable de ronces.
Plumeau lança un nouveau sort de répulsion qui s'écrasa encore contre le bouclier bleuté. J'entendais Zach continuer de tenter ses sorts d'entrave sans succès.
- Pourquoi ça marche pas ? s'inquiéta-t-il.
Vu son expression de panique montante, il commençait probablement à sortir enfin de son délire onirique.
- Confundo !
Le sort de Plumeau atteignit Nemo et il chassa des mouches invisibles devant ses yeux en essayant de ne pas tomber de la table bancale sur laquelle il se tenait. Il se redressa et sembla complètement perdu. Il posa une main sur son front et regarda vers nous.
- Plumeau ? Baker et Andersen ? Qu'est-ce que... ?
- Wingardium leviosa !
Nemo décolla et se mit à flotter dans les airs.
- Je l'ai eu ! hurla Zach. Je fais quoi maintenant ?!
Les effets du sort de confusion commençaient à s'estomper, et Nemo se remit à jeter des éclairs verts dans tous les sens.
- Aaah ! s'affola Zach. J'en fais quoi ?! J'en fais quoi ?!
Un nouveau sort de répulsion de Plumeau l'envoya à quelques mètres en arrière dans un fatras de draps sales. Nous en profitâmes pour courir jusqu'aux ronces.
- Comment on fait ? fit Zach.
- Diffindo, lança Plumeau.
Une lame invisible trancha dans les ronces. Mais il faudrait lancer ce sort des dizaines de fois pour avoir la place de passer. Elle recommença son sort et persévéra. Zach me secoua brusquement l'épaule.
- Il se relève ! Il se relève ! Impedimenta ! Incarcerem !
- Avada Kedavra.
- Protego !
Plumeau venait de se jeter entre le sort et moi en déployant le plus beau sort du bouclier qu'elle ait jamais fait. Un grésillement de vert et bleu fourmilla au contact du bouclier, puis l'éclair vert passa au travers.
Elle eut un instant de surprise quand le sort qu'elle pensait avoir arrêté l'atteignit en pleine poitrine, puis elle s'effondra.
- NOON !
Zach avait crié en même temps que moi. Je la secouais et elle suivait comme un pantin sans vie. Un nouvel éclair vert passant à un demi-centimètre de moi me fit faire un bond en arrière. Zach continuait à envoyer ses sorts inefficaces en hurlant. Je ramassai la baguette qui avait glissé de la main de Plumeau.
- Repulso !
Il était trop occupé à lancer ses sorts de mort à la chaîne pour bloquer mon sort. Il fut encore projeté dans le monticule de draps. J'attrapai la main de Zach qui s'était accroché à Plumeau et le tirai de toutes mes forces.
- Laisse-la ! Cours !
Il poussa un cri quand je l'arrachai à sa prise et se mit à courir avec moi. Avancer dans ce désordre était un enfer, mais au moins il nous offrait des moyens de nous abriter des sorts de Nemo. Je m'efforçais à ne pas penser à ce qui venait de se passer.
- Garde la tête vide, Many, me murmurai-je. Vide. Vide.
Fuir. Je devais juste fuir.
J'entendais les pleurs de Zach juste derrière moi. Garder la tête vide. Vide.
Un nouvel éclair vert s'écrasa contre un miroir que nous venions de dépasser et le fit éclater en une pluie d'émeraudes.
Courir. Fuir. Fuir.
Nous dépassâmes un centième placard poussiéreux et débouchâmes devant les cinquième année effrayés. Aiken Robart pointa sa baguette sur nous mais Zach et moi le supplièrent en chœur de ne rien faire. De toute façon, il n'eut le temps de rien car un éclair vert éclata contre une armoire à glace derrière nous. Les éclats brillèrent une fraction de seconde avant de s'écraser.
Les cinquième année hurlèrent.
- C'est un cauchemar, c'est un cauchemar, répétait Zach. Pourquoi je me réveille pas ?
- Zach ! On va fuir par le terrier que j'ai vu tout à l'heure. C'est la seule autre sortie.
Je le voyais d'ici. En longeant le mur, nous n'étions pas loin.
- Ne descendez surtout pas en bas, nous avertit David Emmerson. C'est l'antre du démon des cachots. Vous allez vous faire dévorer.
- C'est une légende, le démon des cachots, répliquai-je. Il existe pas.
Comme pour me donner tort, un grondement secoua les vieilleries en équilibre et je me demandai sincèrement ce que je préférais entre finir dévorée par un démon ou tuée par un assassin dont je ne comprenais pas la motivation.
Un sort éclata en étincelles vertes contre le mur. Je décidai que je préférais tenter ma chance avec le démon. Il serait peut-être rassasié ?
- Repulso !
Le son d'un poids atterrissant dans des objets fragiles m'informa que j'avais fait mouche.
- J'ai pas le choix, lui montrai-je.
- Bonne chance, alors, gémit la fille aux cheveux frisés.
J'entraînai un Zach amorphe et nous repartîmes le long du mur. Arrivés à l'entrée du tunnel, à l'abri derrière une massive penderie, je consultai le visage de mon camarade et un coup d'œil me suffit à voir qu'il n'avait plus aucune volonté. Ses yeux mouillés et rougis étaient à moitié fermés et il avait depuis longtemps arrêté ses efforts pour lancer des sorts d'entrave.
- Reste là, Zach, lui suggérai-je. Il te fera rien. Je vais y aller toute seule.
- Mais je suis ton garde du corps, renifla-t-il.
- Je sais mais t'es pas obligé. T'en as déjà fait beaucoup plus que tout garde du corps.
- Je viens quand même avec toi, fit-il faiblement.
En un sens, j'étais rassurée par sa présence. J'étais contente qu'il ne m'ait pas abandonnée. Un nouveau grondement fit trembler le sol. Il sortait clairement des profondeurs du trou. Je n'étais plus si sûre de vouloir m'y enfoncer.
La penderie derrière nous me donna une idée. J'ouvris une des portes et me glissai dedans en attirant Zach avec moi. Je refermai et patientai.
Il n'y avait plus de bruit venant du dehors. Je me demandais si c'était parce que les robes dans la penderie étouffaient les sons.
- Tu sais, Many, la dernière fois où on s'est retrouvés dans un placard tous les deux, ça s'est pas super bien terminé, remarqua Zach.
La remarque cumulée au stress de la situation faillit me faire pouffer mais je me retins et lui fis signe de rester silencieux.
- Tu crois pas qu'il va nous trouver ? fit Zach à voix basse.
- Il est pas téléguidé par un truc sur moi ou je sais pas quoi d'autre, chuchotai-je. Il peut pas deviner qu'on est là. Il va croire qu'on est allés dans l'antre du démon des cachots. Et s'il demande aux autres, ils lui diront que je suis descendue. Et puis même s'il nous trouve... Cette fois, j'ai une baguette, et je t'ai pas perdu en chemin. Je trouve que c'est plutôt bon signe. Je suis sûre que tout va bien se passer.
- Ouais, t'as raison, murmura Zach avec un sourire. J'ai pas non plus pris de bain forcé, cette fois. Je trouve qu'on s'améliore.
Son sourire se transforma en grimace. Je savais parfaitement quel souvenir récent venait de refaire irruption dans son esprit. Vide. Garde ton esprit vide, Many. Vide.
Il n'y avait vraiment plus aucun bruit. C'était bizarre. Nous attendîmes très longtemps. Des voix nous parvinrent. Sûrement Nemo qui demandait notre position aux cinquième année. Des pas de rapprochèrent, accompagnés de tintement lorsque des objets étaient poussés. Je retins ma respiration quand il devint évident qu'il était juste derrière la paroi. Un frottement se fit entendre. Puis une glissade. Il était descendu dans le trou. Je recommençai à respirer.
Nous patientâmes encore un long moment par sécurité, puis entrouvrîmes délicatement la porte pour sortir. Tout était silencieux.
- Bien joué pour l'idée de la cachette, chuchota Zach. On va chercher de l'aide, maintenant.
Son visage s'était à nouveau décomposé.
Nous avançâmes prudemment vers le groupe d'élèves. Ils étaient serrés les uns contre les autres, mais ils semblaient rassurés.
Et pour cause, Nemo Sylvermith se trouvait étendu là, inconscient, solidement saucissonné par des liens magiques.
J'étais confuse. Qui était celui qu'on avait entendu descendre dans le trou ?
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Qui...
- Hemingway est arrivé et l'a assommé, raconta Molly. On lui a dit que vous étiez descendu dans l'antre du démon et il est parti vous chercher.
Hemingway ?
L'instant de soulagement fut de courte durée, vite remplacé par la prise de conscience du danger dans lequel il s'était plongé pour nous.
- Mais c'était une ruse, gémis-je. On est pas descendus.
- On voit ça, commenta Molly.
- Il va se faire dévorer !
- On a essayé de le retenir, mais bon, c'est un prof, donc c'était peine perdue, s'excusa David Emmerson.
Je réfléchissais à toute vitesse, les mains sur les tempes comme si presser mon crâne allait faire sortir du jus de bonne idée.
- Il va finir par remonter quand il s'apercevra que vous êtes pas là-bas, dit Molly.
S'il se faisait dévorer, ce serait ma faute. Il m'avait dit qu'il me protégerait et maintenant je l'avais précipité dans un endroit mortel pour une ruse débile. Le seul prof a m'avoir accordé sa confiance et à avoir cru à ma version.
- Il faut qu'on aille le chercher, conclus-je.
- Quoi ? T'es folle ? fit Zach.
- Reste ici, si tu préfères, répondis-je.
- Tu vas y aller toute seule ? marmonna-t-il.
- Juste le temps de trouver Hemingway et de revenir, lui assurai-je. Ce sera rapide.
Il hésita.
- Et si tu le trouves pas ?
- Je remonterai, promis-je.
- Il a pas une broche, Hemingway ?
- Probablement, mais désolée, je connais pas la formule d'identification des profs, répondit Molly d'un ton ironique.
- Bon, j'y vais, alors, répétai-je.
- Je viens avec toi, assura Zach.
Le manque de confiance en lui transparaissait de son attitude malgré lui. Mais il me suivit quand même jusqu'au terrier. Il faisait noir au fond, et des tas de branches en sortaient.
- Lumos, murmurai-je.
Le trou descendait en un tunnel dont la fin était trop loin pour être visible. Je passai devant et rampai la tête la première. Quelques mètres plus loin, je sentis mon sens de la verticalité basculer et je tombai dans le vide.
J'atterris brutalement sur un tas de branches sèches et quelques secondes plus tard le poids de Zach m'aplatit comme une crêpe.
- Aïe... gémit-il.
- Tu m'écrases, râlai-je.
Il se dépêtra et se leva, et je l'imitai.
Le noir était total au-delà de la faible lueur de nos baguettes. Le couloir dans lequel nous avions débouché était percé de toutes parts par des racines pendant du plafond. Un rat s'enfuit quand je l'éclairai avec ma lumière. L'air était humide et des flaques se trouvaient parfois dans le creux des dalles en pierre, alimentées par le ploc des gouttières.
- Toutes ces racines... commenta Zach. On est sous l'aile Ouest, non ?
C'était probable. Je mis mes mains en porte-voix.
- Professeur !
Zach se joignit à mon appel.
- Professeur Hemingway ! Revenez ! On est là ! Professeur !
Un profond grondement nous arrêta. Zach avait l'air terrifié. Je n'en menais pas large non plus. Mais je pris mon courage à deux mains et avançai dans le couloir que Hemingway avait sûrement emprunté juste avant nous.
Nous traversâmes une grotte. Les dalles en pierre continuaient au milieu de la roche accidentée en un passage artificiel pour permettre de circuler entre les deux tronçons de couloir. Le lieu était immense et rempli d'étendues d'eau sombre entre stalagmites. Je crus apercevoir une forme imposante nager au fond d'un des bassins sans être capable de l'identifier.
Cette eau était-elle reliée aux profondeurs du lac ?
Nous atteignîmes le couloir d'en face et continuâmes notre progression. Nous avancions dans l'inconnu et le trajet commençait à me sembler long. Jusqu'où s'était enfoncé Hemingway ? Au milieu du couloir, Zach poussa un cri en bondissant en arrière. Il me montra en tremblant une trace au sol. Je m'approchai pour l'éclairer.
- Hemingway s'est fait manger, gémit Zach.
La traînée était rouge sang. J'espérais que Zach se trompait. La peur commençait à me faire douter de ce que j'étais en train de faire.
- Non, tentai-je de me rassurer. Hemingway est prof de Défense contre les forces du mal. Il est super fort, et il se laisserait pas manger aussi facilement.
Mes paroles sonnaient faux.
- Professeur ! Professeur Hemingway ! hurlai-je. On est là ! Professeur ! Revenez !
Zach s'était collé contre moi et me suivait comme un coquillage sur son rocher. Je le sentais trembler et ce n'était pas que le froid.
Il se joignit à mes appels.
Une nouvelle grotte s'ouvrit et nous trouvâmes l'origine de la traînée rouge. Un sabot grignoté avait été abandonné sur une dalle près de l'eau. La vision aurait dû me dégoûter mais je ressentis une vague de soulagement en me disant que Hemingway était encore entier.
- Si j'étais un satyre, commenta Zach, j'aurais accepté avec plaisir de me passer de sortie piscine.
Des pas de course résonnèrent soudain dans le couloir d'en face, suivis d'un grondement menaçant, et Zach se serra contre moi de plus belle. Cette fois, je lui rendis la pareille. Ma dernière once de courage venait de me quitter.
- Courez ! hurla une voix venant du couloir.
Je ne me fis pas prier. J'attrapai la main de Zach qui hurlait à m'en faire péter les tympans, fis demi-tour et pris mes jambes à mon cou. Un nouveau grondement nous atteignit, beaucoup plus proche que les autres. Je ne me retournai pas et continuai de courir.
Le couloir interminable de l'aller défila et nous fumes rapidement à bout de souffle. Mais la peur nous donnait une énergie insoupçonnée et nous poursuivîmes malgré la douleur.
Je fis l'erreur de jeter un œil en arrière pendant la traversée de la première grotte. Hemingway courait juste derrière nous et le couloir d'où nous venions était envahi par une obscurité de cauchemar qui était tout sauf naturelle. Le démon était invisible, mais son aura monstrueuse le précédait.
Le couloir percé de la sortie du terrier apparut et nous nous arrêtâmes sur le tas de branches qui avait amorti notre arrivée. Hemingway nous cria de nous accrocher à lui et il pointa sa baguette vers le terrier. Nous obéîmes sans discuter.
- Ascendio !
Une poussée nous projeta vers le haut et j'eus le temps de voir en bas claquer un fil d'ombre à l'endroit où nous tenions un peu plus tôt.
Mes pieds retrouvèrent la pierre rassurante de la salle des vieilleries et je serrai Zach de toutes mes forces.
- On est vivants ! s'exclama-t-il avec un rire nerveux.
Hemingway s'était adossé au mur et reprenait son souffle péniblement. Ses joues étaient mouillées de larmes qui avaient débordé de ses petits yeux fragiles pendant la course. Les mèches noires qu'il portait habituellement touffues vers l'avant étaient plaquées par la transpiration. Il remonta ses mains contre son visage et souffla de soulagement.
Il nous fit signe de le suivre et tituba jusqu'au groupe de cinquième année. Je peinais aussi à retrouver mon souffle. Je n'avais jamais fait de sprint aussi intense de toute ma vie, et j'avais beau être sportive, je n'aurais pas pu tenir beaucoup plus longtemps à ce rythme. Zach non plus, je présumais. Je ne savais pas combien d'avance Hemingway avait eu sur nous, mais il devait être en sacré forme pour avoir été capable de ce genre de performance.
Nous nous laissâmes tomber tous les trois d'épuisement et fumes incapables de dire un mot pendant un long moment. Les autres nous regardaient avec des yeux dévorés par la curiosité.
Nemo s'était réveillé et ses iris rose fluo étaient grand ouverts. Il ne faisait pas mine de se débattre. Au contraire, il semblait ailleurs et ses doigts étaient occupés à émietter la poussière du sol. Je faisais confiance aux liens créés par Hemingway pour le maintenir solidement attaché.
- Vous avez vu le démon ? demanda David Emmerson.
Je secouai la tête. Nous ne l'avions peut-être pas vu, mais nous l'avions bien ressenti.
- On s'en fout du démon, le réprimanda Aiken Robart. Est-ce qu'on peut savoir pourquoi la diva a essayé de tous nous tuer tout à l'heure ?
Hemingway prit le temps de retrouver sa respiration avant de répondre.
- Vous pensez vraiment qu'il est dans son état normal ? Regardez ses yeux.
L'éclat rougeoyant de ses yeux violets était effectivement bizarre. Ses yeux n'étaient pas du tout de cette couleur au début de l'année.
- Il est possédé... sous l'emprise d'un legillimancien, poursuivit Hemingway entre deux inspirations.
J'observai le regard absent de Nemo. Comment j'avais pu ne pas m'en apercevoir ?
- Vous allez nous renvoyer ? demanda Molly.
Hemingway les regarda tour à tour. C'était la seule chose qui les inquiétait vraiment. Nemo, le démon, tout ça avait été une péripétie qui ne les concernait pas, et maintenant les vraies questions remontaient à la surface.
- Pourquoi ?
Molly hésita.
- Pour avoir fait croire à notre disparition. Maintenant que notre secret est dévoilé.
- Votre secret est dévoilé depuis longtemps, en ce qui me concerne, leur apprit Hemingway.
Aiken Robart haussa les sourcils de surprise.
- Comment... ?
- J'ai vite compris, répondit le prof. C'était pas difficile. Mais vous avez causé de tort à personne, et je vois les raisons qui vous ont poussé à monter cette astuce, même si je n'approuve pas votre sentiment. J'ai jamais voulu vous dénoncer. Et... je crois pas que mes collègues soupçonnent quoi que ce soit.
Un élan de respect venait d'illuminer les visages des cinquième année.
- Mais après tout ce bazar, montra-t-il, entre le fait que d'autres élèves soient au courant, et la nécessité d'expliquer comment je suis tombé sur un élève possédé, je vais être obligé de tout rapporter.
Les visages s'assombrirent. Aiken Robart avait lentement pointé sa baguette.
- Oubliettes !
La main du prof avait bougé avec une vivacité incroyable. Le sort de l'élève grésilla dans un éclat bleuté et sa baguette s'envola pour atterrir dans la poigne de Hemingway. Il ne put résister à l'envie d'éclater de rire devant la tentative désespérée du garçon.
- Tu pensais vraiment être capable de me toucher avec un sort d'oubli, Aiken ? Moi ?
Sa cible baissa les yeux de honte. Hemingway parut regretter le ton qu'il venait d'employer.
- Ne perds pas ton temps à te lamenter de ne pas avoir disparu, conseilla-t-il d'une voix plus douce. Sois heureux d'y avoir échappé, au contraire.
- Dites-le à O'Noguel, sanglota la fille frisée. Qu'elle arrête de nous ignorer.
Hemingway leur jeta un regard attendri. Tous avaient la tête baissée et même Aiken Robart avait les yeux embués.
- On a fait ça parce que vous nous aviez abandonnés, reprocha-t-il.
Il n'avait pas précisé qui, mais c'était évident qu'il accusait tous les profs de ne plus leur prêter attention.
- Je vous ai pas abandonnés, dit calmement Hemingway. Pour mes collègues, je sais pas. Mais gardez à l'esprit que votre valeur ne dépend pas d'une bête disparition. C'est vous qui décidez de ce dont vous êtes capables. Et vous avez prouvé cette année que vous aviez assez de ressources pour tordre le cou au destin. Tous mes collègues n'approuveront pas ce que vous avez fait, mais sachez que vous avez gagné mon respect.
Aiken Robart haussa les épaules et détourna la tête.
Hemingway n'était décidément pas un amoureux du règlement. Deux fois déjà que je le voyais outrepasser les règles de l'école pour éviter une punition à un élève. Je commençais à comprendre ce que ce monsieur gentil faisait à la tête de la Maison Serpentard. Il parlait comme Lyra, par moments.
- Tout ce foin autour des disparus est malsain, approuva le prof. J'en parlerai à mes collègues pour qu'ils y mettent un peu du leur.
- Vous dites ça mais vous savez que c'est des paroles en l'air, fit Molly. Rien ne va changer.
- Je crois que si, opposa Hemingway. Votre histoire va en secouer plus d'un. Maintenant, allez retrouver votre salle commune. Si vous croisez un professeur ou le concierge, dites-leur que je vous ai autorisés à vous déplacer dans les couloirs et que vous allez vers votre dortoir. Ils n'auront qu'à me contacter sur ma broche s'ils veulent vérifier.
- Et eux ? demanda Molly en nous montrant du menton.
- J'ai encore deux mots à leur dire, mais ils regagneront leur dortoir aussi.
Je rendis sa baguette à David Emmerson et Zach la sienne à l'autre garçon.
- Accio baguette.
La baguette qui était en train de changer de mains nous échappa et fut saisie par la paume ouverte de Nemo qui ne paraissait plus du tout absent.
- Avada Kedavra.
Hemingway fut plus rapide, et un sort de désarmement le toucha avant la fin de la formule. Le prof se leva précipitamment et écrasa la baguette sous son pied. Il déroula lentement une longue incantation complexe sur Nemo et les perles bleues se mirent à vibrer. Le prof arracha les perles et les jeta à terre.
- Finite incantatem, pointa-t-il.
Les perles redevinrent inertes. Nemo reprit son expression confuse et absente.
- N'y touchez surtout pas, ordonna-t-il. Vous, retournez à vos dortoirs.
La curiosité les retenait mais Aiken Robart finit par nous redonner nos quatre baguettes. Un pincement au cœur me saisit en prenant celle de Plumeau. Ils s'éloignèrent vers le boyau de remontée d'un pas de condamné. Ils ne pouvaient pas être plus lents. Le vide que j'avais forcé mon esprit à accepter était en train de céder et se remplir d'un océan de tristesse.
Hemingway remarqua mes yeux embués et le désespoir avec lequel je fixais la baguette blanche en bois de cerisier de mon amie.
- Elle est vivante, dit-il.
Zach et moi nous redressâmes d'un même mouvement.
- Mais elle a été touchée... balbutia Zach. L'éclair vert...
- Elle a été touchée par un sort de mort ? s'étonna Hemingway.
J'essuyai mes yeux et Zach acquiesça.
- Elle a lancé un charme du bouclier mais le sort l'a traversé, dit-il.
- Vous devriez mieux écouter à l'atelier de duel, répliqua le prof. Un charme du bouclier est excellent pour arrêter des sorts faibles, mais c'est une erreur de penser qu'il arrêtera un sortilège aussi puissant qu'un sortilège impardonnable.
- Pourtant, je suis sûre d'avoir vu une partie du sort se perdre à la surface du bouclier, bredouillai-je.
- Je suppose que c'est logique, réfléchit le prof. Même un excellent legillimancien ne peut pas obliger un sorcier inexpérimenté à jeter des sorts de ce niveau. Le sort devait être beaucoup trop faible et le bouclier a terminé d'en arrêter la majorité. Elle a seulement été assommée.
Je n'avais jamais été aussi heureuse de toute ma vie. Et les larmes de Zach s'étaient changées en pleurs de joie et de soulagement.
Hemingway me regardait intensément comme pour dénouer le fil des événements qui avaient conduit à ce massacre.
- Comment vous avez su qu'on était là ? demandai-je.
- Je suivais Nemo sur tes conseils.
Tout s'imbriquait.
- Est-ce que je peux avoir quelques explications ? demanda le prof.
Je fis le choix de ne rien omettre. Franck, les assassins qu'il m'envoyait, Luke, Nemo, les trois tentatives du mois de janvier, notre prise de rêveuse contre notre gré et les conséquences, les deux matches de Quidditch contre Serdaigle où Nemo m'avait attaqué, les déductions de Lyra sur les fausses disparitions et notre accrochage avec les deux garçons de Serdaigle, notre réveil ici, l'arrivée fracassante de Nemo et notre cachette dans le placard.
Peut-être que je tenais enfin la personne qui prendrait toute cette histoire de Franck au sérieux. Il m'aiderait à convaincre les autres profs et le brigadier du ministère.
Il hocha la tête mais ne parut pas surpris. Après tout, je lui avais déjà rapporté une partie de l'histoire, et il devait certainement savoir pour Luke.
- Quelqu'un t'en veut à mort, conclut-il. Une idée de qui ça peut-être ?
- J'en sais rien, avouai-je. J'y comprends rien.
- Je peux pas continuer à te protéger seul, déclara-t-il. Je demanderai au ministère qu'il t'assigne un garde du corps.
Je grimaçai.
- C'est obligé ?
- C'est une situation qui me dépasse, répondit-il. J'en parlerai à la Brigade de police magique et ils prendront les mesures qui leur sembleront nécessaires.
- Où on est ? demanda une voix timide.
Nemo nous fixait avec confusion. Il avait écouté sans dire un mot et semblait reprendre réellement conscience. Il se redressa péniblement et remarqua les liens magiques qui bloquaient ses moindres mouvements.
- J'ai fait quelque chose de mal ?
- Rien, lui assura le prof.
Nemo regardait ses perles.
- Je peux les récupérer ?
- Désolé, mais quelqu'un de mal intentionné les a ensorcelées. Je vais devoir les confier au bureau de gestion des malédictions du ministère.
- J'y tiens beaucoup.
Il baissa les yeux.
- Je pourrai les récupérer après ?
- Peut-être.
- Pourquoi je suis attaché ?
- Par précaution, répondit Hemingway.
- T'as essayé de me tuer, lui expliquai-je.
Le prof me fit les gros yeux.
- T'y es pour rien, d'accord ? répéta-t-il à Nemo. Tu as été possédé par un mage noir.
Le garçon aux cheveux corbeau me dévisagea d'un air désolé. J'étais contente d'apprendre que Nemo était innocent. Mais j'étais inquiète de savoir qu'un legillimancien pouvait envoyer n'importe qui à mes trousses.
- Je me doutais bien qu'il y avait un problème, confia-t-il. J'avais tout le temps mal à la tête depuis que j'ai disparu. Et des trous de mémoire. Mais je pensais que ça passerait tout seul. J'aurais dû aller voir Bernadette. Désolé.
- C'est pas ta faute, lui assurai-je. Je t'en veux pas du tout.
- Depuis que tu as disparu ? s'étonna Hemingway.
Nemo acquiesça.
- Tu crois que Franck est lié aux disparitions ? demanda Zach dans ma direction.
Hemingway réfléchissait. J'étais du même avis que Zach. Est-ce que Franck était derrière les disparitions ? Il avait peut-être vu que je cherchais à résoudre le mystère des disparitions et cherchait à me couper la route. Mais non, c'était débile, Luke avait déjà parlé de Franck avant que je commence à m'intéresser aux disparitions. Et puis qui aurait peur d'une ado de douze ans ? Ce n'était pas sérieux. Non. Franck avait peut-être un lien avec les disparitions, mais ce n'était pas la raison pour laquelle il voulait m'éliminer.
- Ton Franck a dû profiter que Nemo soit affaibli par sa récente disparition pour le posséder, supposa Hemingway. Ce qui est rassurant, c'est qu'il ne pourra pas refaire la même astuce deux fois. Les élèves qui portent des bijoux sans jamais les quitter, j'en connais pas beaucoup, et il lui faut en plus approcher l'élève de retour de sa disparition au moment exact où il réapparaît. C'est peu probable qu'il ait cette chance une seconde fois. Il a dû tomber par hasard sur Nemo et a saisi l'occasion qui se présentait. C'est rassurant pour l'avenir mais il y a autre chose qui l'est moins. C'est quelqu'un qui a pu s'introduire dans le château pour ensorceler les perles à ce moment là.
- Lyra va m'engueuler, soupira Nemo.
Les états d'âme de Lyra étaient le cadet de mes soucis. Penser que Franck pouvait se balader librement dans Poudlard me faisait frissonner.
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Hemingway nous accompagna jusqu'à l'infirmerie pour réveiller Bernadette. Zach insista pour porter Plumeau lui-même malgré la proposition du prof de la faire léviter comme Hugo. Peut-être la tenir et l'entendre respirer l'aidait-il à se remettre de l'émotion intense éprouvée un peu plus tôt. La guérisseuse nous invita à déposer nos deux camarades dans des lits et repartir nous coucher. Obéir à la première partie ne posa pas de problème, mais toute la difficulté résidait dans la deuxième partie de la phrase.
- On peut rester dormir ici ? demanda Zach. C'est peut-être plus grave que ce que vous pensez ? Je préfère rester pour surveiller.
- Vous êtes guérisseur, maintenant, Andersen ? Ceci n'est pas un hôtel mais une infirmerie.
- Moi aussi, j'aimerais rester, implorai-je. S'il-vous-plaît !
- Mais je suis blessé, moi, insista Zach. J'ai besoin d'une infirmerie !
Il montra une minuscule égratignure sur son genou. Bernadette soupira.
- Bon, bon, vous pouvez rester. Mais ceci est une situation exceptionnelle, et ne se reproduira plus. Venez avec moi, que je désinfecte ça.
Nemo jeta un regard interrogateur au prof. Il avait marché tout seul mais des liens magiques maintenaient toujours ses bras contre lui.
- Et moi ? Je vais où ?
- C'est probable que tu ne sois plus un danger depuis que je t'ai retiré tes perles, mais je ne veux courir aucun risque. Tu viens avec moi. Je garde un œil sur toi cette nuit, et je t'accompagnerai au ministère demain pour te faire examiner.
Le garçon hocha la tête docilement.
Hemingway nous salua timidement et disparut en entraînant Nemo hors de l'infirmerie. J'observai Hugo et Plumeau. Des yeux d'un vert approximatif s'entrouvrirent et se plissèrent sous l'effort. Une main avec des grands doigts fins passa dans les boucles brunes. Hugo se redressa comme courbaturé et grimaçant.
- T'as dû te faire des bleus en tombant comme une masse, souris-je.
Il se massa le crâne et me lança son habituel regard timide en biais dans sa confusion.
- Où est Zach ?
- Il se fait remettre à neuf par Bernadette. Un vrai blessé de guerre.
Hugo fronça les sourcils.
- C'était ironique, précisai-je pour prévenir toute inquiétude inutile.
- Et Plumeau ? Elle aussi, elle a été assommée ? J'ai du mal à me rappeler... C'est flou dans ma tête...
Je jetai un œil vers notre amie plongée dans un profond sommeil. Elle avait un petit air de Blanche Neige, à roupiller comme ça, avec son teint laiteux et ses cheveux d'un noir de jais qui s'étalaient en boucles soyeuses sur l'oreiller depuis que son élastique était parti. Je me demandai ce qui avait bien pu lui passer par la tête pour faire ce qu'elle avait fait.
- Elle s'est interposée quand Nemo m'a lancé un sort de mort et a pris le sort à ma place, expliquai-je à Hugo. Le sort était mal exécuté, donc elle a juste été assommée.
Il ouvrit de grands yeux ébahis au milieu de l'océan de taches de rousseur de son visage.
- Elle s'est sacrifiée pour te sauver la vie ?
- Je serais pas morte sur le coup, mais j'imagine que Nemo aurait eu tout le loisir de finir le job. Donc oui, probablement.
Hugo observa l'endormie avec curiosité.
- C'est bizarre, fit-il. Ça lui ressemble pas vraiment.
- Je sais, accordai-je.
Elle dormait paisiblement, comme étrangère à tout le bazar qui venait d'avoir lieu. Il y avait quelque chose d'apaisant dans l'infirmerie de Bernadette. Une douce impression de sécurité.
