Henriette & Bertille de Pusay

Un corsaire nommé Henriette (roman jeunesse)

Grande sœur-petite sœur


"Voir votre sœur n'est pas une très bonne idée, Bertille. Certes, elle a eu la décence de nous offrir le fruit de son... de son activitéau service du Roi pour que nous vous puissions doter, mais... Seigneur, vous qui êtes si sage et pieuse, vous devez partager mon effroi face à un tel comportement ! En homme, Bertille ! Votre sœur Henriette s'est travestie en homme !"

La jeune fille de onze ans garda résolument les yeux baissés sur sa robe de brocard bleu rehaussée de rubans, dans l'attitude humble et docile qu'on lui avait apprise. Oh, comme il lui coûtait de rester de marbre, pourtant ! Henriette avait bravé les tempêtes et les naufrages pour rendre honneur et fortune à leur père, et elle leur avait offert la totalité de son butin pour lui permettre à elle, Bertille, de se trouver un parti à sa convenance !

"Votre sœur a offensé Dieu en refusant le sexe qu'Il lui avait octroyé ! continua leur mère. C'est un pêché ! Vous rendez-vous compte ? Henriette a...

-Henriette ! l'interrompit soudain Bertille dans une exclamation si peu conforme à la docilité qu'elle était tenue d'afficher. Enfin vous voilà ! J'ai cru périr en vous attendant !"

Sans plus se soucier de leur mère, la jeune fille se mit à courir vers sa sœur qui se tenait dans l'embrasure de la porte. Elle ne se préoccupa ni des bottes d'homme, ni du chapeau à plumes de son aînée et se jeta dans ses bras.

"Bertille ! s'étouffa la mère, choquée par un tel comportement de la part de sa fille préférée."

Mais les deux sœurs ne se préoccupaient déjà plus d'elle. Elles s'étaient pris les mains et la plus jeune abreuvait son aînée de questions :

"On nous a dit que vous avez vu le Roi, à Versailles ! Comment était-ce ? Vous a-t-Il parlé ? Vous a-t-Il fait un compliment ? Oh !, à votre place, je crois que j'aurais défailli !

-Votre enthousiasme me fait plaisir, Bertille, mais si vous voulez des réponses, laissez-moi au moins ouvrir la bouche ! répondit Henriette en riant."

Ayant élevé sa fille cadette dans la plus stricte absence de rapport avec son aînée, et en ne tarissant pas de mauvaises paroles à son égard, Madame de Pusay ne pouvait comprendre ce débordement d'amitié et de tendresse auquel elle assistait. C'est que ses filles ne l'avaient pas attendue pour être sœurs. Aussi opposées qu'elles pouvaient l'être, elles étaient devenues amies.