Enguerrand & Jean de Marigny
Les Rois maudits (roman, et peut-être la vraie vie, j'en sais rien)
Grand frère-petit frère
Édit : Ils n'ont strictement rien à faire là. Ils ne correspondent pas à ce que j'aime dans la fraternité, sauf que ce cher Enguerrand a eu une unique réflexion qui m'a fait voir toute la fraternité qu'il existe dans les fratries malgré tout. Donc ils sont là. Au pire, ils serviront d'exception à ma règle.
Ils avaient été enfants, à une époque. Comme tous les frères du monde, ils s'étaient bagarrés, dénoncés à leurs parents, disputés, chipé des affaires. Mais ils avaient échangé des choses, aussi, des choses plus gentilles et plus complices, des farces, des secrets, des bêtises. C'était pour ça, que même des années plus tard, quand ils avaient définitivement cessé d'être un peu complices, ils demeuraient frères. C'était pour ça que, à chaque fois qu'Enguerrand, ministre du roi, voyait Jean, archevêque de Sans, se donner des airs étudiés, il avait envie de lever les yeux au ciel. Que se croyait-il obligé de se donner un air affecté devant lui ? Enguerrand avait eu tout le loisir de le voir baver sa soupe et se moucher dans ses doigts lorsqu'ils étaient enfants.
Entre cette intimité obligée par les années de vie commune, et l'association qui avait continué de régner entre eux, et les gouffres que le cours de l'existence, des tempéraments et des valeurs avaient jeté entre eux, Enguerrand ne savait pas toujours quoi penser de son frère. Il le savait lâche, calculateur et intéressé, mais le regard d'enfant qu'il posait encore parfois sur lui avait du mal à se résoudre qu'il pouvait être ainsi, le petit frère qui, même en dénonçant ses frasques à leurs parents, venaient toujours lui montrer avec enthousiasme les grenouilles qu'il attrapait dans la rivière. C'était comme si Jean devait forcément toujours être un peu gentil, un peu farceur et un peu innocent, parce qu'il avait été ainsi durant longtemps, à une époque où il était celui qui le connaissait le mieux.
Et Jean, de son côté, qui avait parfois aussi son regard d'enfant sur lui, ne manquait pas de lire à l'occasion dans leurs échanges la complicité qu'ils avaient eue autrefois. Quand ils s'indignaient ensemble, quand ils travaillaient de pair... Mais il avait bien conscience, aussi, que c'était parce que leurs intérêts étaient communs. Et, plus que ses yeux d'enfant, plus que les souvenirs qu'il superposait au visage d'Enguerrand, il voyait un frère qui lui donnait des ordres et pour qui il avait bien peu d'amitié. Et c'est bien pour ça qu'il le trahit sans hésitation quand il y trouva son intérêt.
Ce n'était pas pour rien qu'ils avaient continué à se donner le nom de frère. Pas uniquement par hypocrisie, ou rappel de leurs objectifs communs. C'était parce qu'ils étaient frères. Surtout pour le meilleur, beaucoup moins pour le pire, du côté de Jean, et jusqu'à ce que cette vie s'achève et mette fin à leur lien.
