Bailey & Lennon "Lennie" Walker
Le ciel est partout (roman jeunesse)
Grande sœur-petite sœur (demi-sœurs)
Lennie avait toujours eu pleinement conscience de vivre dans un petit monde extraordinaire, une bulle incroyable quelque part en Californie. Mais il fallait voir où elle vivait : dans cette petite ville, assez hippie pour qu'elle y reçoive le prénom de Lennon, où les jardins embaumaient les fleurs, où les pruniers vous jetaient leurs fruits au visage les jours de grand vent, où de la musique débordait sans cesse des fenêtres du lycée ou des berges de la rivière. Et il fallait voir avec quelle famille elle vivait là !; entre Manou, ses dames vertes et ses purifications hebdomadaires en enlevant tous les meubles de ma maison. Oncle Big, qui croyait dur comme fer que ses pyramides pourraient ressusciter les insectes qu'il plaçait dessous, et qui invitait les filles à pique-niquer dans les arbres. Paige Walker, la mère de Lennie, une globetrotteuse aventureuse, sans cesse par monts et par vaux sans rien laisser derrière elle. Et Bailey, la sœur de Lennie, la fille la plus dingue, humaine, lumineuse, incroyable, que Lennie avait jamais rencontrée.
Et puis, le monde avait commencé à se fissurer et à perdre ses couleurs : Bailey était morte, pendant qu'elle répétait le rôle de Juliette pour la pièce de théâtre de leur lycée.
Lennie aussi s'était fissurée. Mais, comme elle était sans cesse entourée, elle s'était efforcée de garder tous les morceaux collés ensemble. Ce n'était pas si difficile, quand on vivait dans un petit monde aussi extraordinaire, entourée de gens extraordinaires. Quand on parlait, cuisinait, jouait de la clarinette, rencontrait un garçon aussi séduisant et plein d'humour que Joe Fontaine, c'était plus facile de chasser les nuages qui voilaient le ciel. Ou alors, ils se faisaient plus discrets, et cachaient à peine les rayons dorés du soleil qui réchauffait le coeur et la peau.
Même si Lennie était toujours fissurée, et que, paradoxalement, il arrivait qu'elle se sente encore plus brisée qu'avant quand elle se trouvait avec Joe. "Toi, tu as tous tes frères !", lui avait-elle lancé un jour après un moment de douleur insupportable. "Moi, je ne suis plus la petite sœur de personne".
Mais, malgré tout, Joe était une vraie distraction, fût-elle sincèrement amoureuse de lui. Quand il rompit avec elle pour une stupide erreur qu'elle avait commise, cet état de fait la percuta de plein fouet. Elle était toujours aussi fissurée, malgré ce bonheur. Pire, elle était brisée. Seule, elle en avait conscience, maintenant. Dans ce petit monde extraordinaire, il n'y avait qu'elle. Elle. Sans Bailey. Pour toujours.
Lennie se mit à hurler.
