II
Un tas de possibilités très prometteuses
« Just because we check the guns at the door
Doesn't mean our brains will change from hand grenades
You'll never know the psychopath sitting next to you
You'll never know the murderer sitting next to you »
-Heathens, by Twenty One Pilots
Une fois qu'ils posèrent le pied au sol face à Auradon Prep, Mal regarda autour d'elle en ravalant toute sa stupéfaction pour garder une expression peu impressionnée et peu avenante.
Le bâtiment en pierre était immense, d'un seul tenant, en excellent état. Il était doté de plusieurs ailes, de hautes fenêtres et de sculptures qu'elle prendrait sans doute plaisir à reproduire sur papier. Il y avait même des fontaines, des putain de statues qui crachaient de l'eau comme si ce n'était pas une ressource précieuse pour les gens comme elle. Et bien sûr de la verdure et des stupides fleurs partout.
Il faisait nuit, Marraine avait dit qu'ils préféraient qu'ils arrivent après que les étudiants soient dans les chambres pour leur éviter d'être trop observés. Après un déjeuner (encore un repas !), ils avaient passé l'après-midi à regarder la télé, se promener dans le jardin et éviter les adultes. Puis on leur avait ordonné de remettre toutes leurs armes à un chevalier avant le départ. Mal avait vivement protesté, mais apparemment il y avait des conditions non négociables à leur intégration à l'école qui n'avaient pas été mentionnées jusque-là. Surprise, surprise.
Evie avait encore toutes ces potions, dissimulées dans ses contenants pour maquillage, et ce n'était pas comme s'ils n'auraient pas l'occasion de trouver de nouvelles lames dans ce bâtiment immense, alors Mal avait obtempéré. Enfin presque obtempéré, ils avaient tous gardé un couteau ou une dague, celles qu'ils conservaient à tout moment sur eux. Les Auradoniens n'avaient pas pris la peine de les fouiller. Simples d'esprit ou naïfs, Mal n'avait même pas envie d'essayer de deviner quel qualificatif irait mieux à ces imbéciles.
Près de Mal, Carlos vibrait presque d'excitation en quittant la voiture. Il rêvait sans aucun doute de la démonter entièrement pour mieux en découvrir la mécanique, et cette pensée la fit sourire à l'intérieur. Elle détestait se retrouver dans cette situation à Auradon, mais si leur mission pouvait permettre à Carlos de s'adonner à sa passion sans être obligé de se cacher ou de se battre pour la moindre pièce détachée, ce serait toujours une réussite.
Ils suivirent Marraine jusque dans le hall de l'école, qui était assez grand pour contenir l'ensemble de l'endroit dans lequel Mal avait grandi, et se retrouvèrent face à un garçon et une fille de leur âge ou presque, se tenant droit et cachant presque leur nervosité. Presque.
« Ah, vous êtes là, parfait ! » se réjouit Marraine en faisant de grands gestes des bras. « Approchez, approchez ! »
Mal haussa un sourcil en voyant le grand blond à l'air innocent et la jeune femme au sourire poli avancer vers eux. Tous les deux portaient des vêtements luxueux tout droit sortis d'un de ces livres sur la royauté qu'Evie avait dû apprendre par cœur quand elle était gamine et qu'elle avait brûlé les froides soirées d'hiver dès qu'elle avait pu.
Marraine se tourna une nouvelle fois vers eux pour faire les présentations.
« Voici le Prince Benjamin d'Auradon et la Princesse Audrey d'Auroria. Vos Altesses, voici Maléfique, Carlos, Jay et Evelyn. »
« Evie, » corrigea froidement Mal avant de se rendre compte que Carlos, Jay et Evie avaient eu la même réaction.
Ils avaient peut-être été un petit peu trop vifs, mais elle savait quel effet entendre son prénom avait sur Evie et il était hors de question qu'il lui soit rappelé à chaque minute de leur temps à Auradon. Marraine sembla surprise mais se reprit rapidement en se tournant vers la jeune fille.
« Désolée, Evie. Je peux indiquer dans ton fichier que tu préfères utiliser ton diminutif comme nom d'usage. »
« S'il vous plaît, » indiqua Evie, la voix posée et un petit sourire bien en place. « Personne ne m'appelle par mon prénom. »
« Et je pense que vous devriez faire de même avec le mien, » indiqua Mal, en partie seulement pour détourner l'attention. « Pas la peine de mettre tout Auradon mal à l'aise à chaque fois qu'un professeur ou je ne sais qui devra m'interpeller. »
Sans compter que de toute manière, Mal n'avait pas gagné le reste de son nom et n'avait donc aucun droit de l'utiliser. Mais se présenter comme étant Maléfique avait été une trop bonne occasion pour la rater.
« Effectivement, je le ferai. Je vous laisse faire connaissance et je vais me charger des derniers détails administratifs de ce pas. Je serai dans mon bureau si vous avez besoin de moi, ma porte est toujours ouverte. Bonne soirée ! »
Et elle s'en alla. En les laissant.
Le prince se reprit bien vite et leur sourit en grand, un sourire un peu trop crispé mais qui semblait étonnamment sincère.
« Bienvenue à Auradon Prep. »
« Donc c'est à toi... vous... »
Elle fronça les sourcils, jeta un œil à Evie pour connaître le protocole dans cette situation, mais le prince sembla comprendre son problème et secoua la tête.
« Tous les élèves se tutoient ici, et nous n'utilisons ni titre, ni révérence au sein de l'école. »
« Vu la liste d'élèves, il vaut mieux, » s'amusa Jay en passant les mains dans ses poches. « Vous passeriez votre temps à vous faire des courbettes et n'iriez jamais à aucun cours. »
« Exact, » répondit Benjamin avec un petit rire. Il semblait un peu soulagé. S'il avait noté le sarcasme froid dans le ton de Jay, il choisit de ne pas y faire attention. « Vous pouvez m'appeler Ben. »
« Et donc c'est à toi qu'on doit cette invitation ? » interrogea Mal en l'observant attentivement.
Elle s'était attendue à un prince plus âgé, un adulte mur, pas à un gamin aux grands yeux noisette qui allait encore à l'école.
« Le Conseil et mes parents l'ont acceptée, » indiqua Ben en hochant la tête.
« Il a seulement fallu un dossier épais comme le grimoire de Merlin et une année de travail, » compléta Audrey en attrapant le bras du garçon avec un naturel qui trahissait l'habitude.
Oh. Un couple royal. Génial.
« Cool, » lança Jay pour casser le petit silence. « Donc... l'école ? »
« Oui ! » se reprit Ben, les joues rosies de gêne. « Suivez-moi ! Vous voulez de l'aide avec vos sacs ? »
Comme s'ils avaient l'air lourd ! Et comme si Mal allait accepter qu'un prince touche à ses affaires. Que qui que ce soit touche à ses affaires.
« Non. Merci. »
Il fallait qu'elle pense aux merci. Et aux autres marques de politesse. Ça allait être tellement pénible !
L'école était immense, avec des boiseries, des armures, des tapis, des tapisseries, des armoiries, des portraits et des tas de pièces aussi luxueuses les unes que les autres. Ils finirent par arriver face à une large double-porte derrière laquelle se trouvait une grande salle, bordée d'immenses porte-fenêtres donnant sur les jardins. Des tables rondes et carrées en bois massif parsemaient l'endroit. En surface, cette salle devait être aussi grande que ce qui servait de château à Maléfique sur l'Île... C'était juste ridicule.
« La salle de restauration, » présenta Ben en avançant à l'intérieur. « Il est tard donc le service est terminé, mais vous trouverez de quoi vous restaurer dans vos chambres tout à l'heure. Normalement nous prenons tous nos repas ici, les professeurs aussi parfois. Le petit-déjeuner est servi de 6 heures à 9 heures en semaine, jusqu'à 10h30 le week-end. Suivant votre emploi du temps, vous prendrez le déjeuner à midi ou treize heures. Et le dîner est servi de 18h30 à 20h30. A 22h00, tout le monde doit être dans sa chambre jusqu'au lendemain matin. » Il se tourna vers eux et perdit son sourire. « Un problème ? »
L'estomac noué de Mal lui coupait le souffle, mais elle sentit Carlos passer d'un pied sur l'autre nerveusement près d'elle et elle le laissa prendre la parole.
« Tu... tu veux dire qu'il y a vraiment trois repas ? »
« Oui, » répondit Ben en échangeant un regard étonné avec Audrey.
« Tous les jours ? »
« Oui, Jay, tous les jours. »
Mal avait elle aussi pensé que les repas réguliers qu'ils avaient eus au centre avaient été exceptionnels. D'ailleurs, après le petit-déjeuner et le déjeuner qu'ils avaient mangés, elle n'avait absolument pas faim malgré l'heure tardive, et ce sentiment de satiété était inédit et presque inquiétant.
« Vous... » La princesse hésita, élégante et douce et carrément confuse. « Vous ne mangez pas trois repas sur l'Île ? »
« Pas tout à fait, » répondit Mal froidement en plissant les yeux.
Il y eut quelques secondes de flottement puis Ben se reprit.
« Eh bien, euh... le restaurant a un fonctionnement simple. Lorsque vous arrivez vous prenez un plateau de ce côté et les couverts dont vous aurez besoin, et vous vous servez sur ces présentoirs. Il y a plusieurs choix en général, et si vous avez encore faim après avoir fini votre assiette, vous pouvez vous lever pour vous resservir. Nous avons le droit d'emporter de la nourriture dans les chambres comme des fruits ou des boissons tant que nous restons propres et respectueux des personnes employées pour l'entretien. La cuisine est par ici. »
Il semblait plus hésitant à présent, mais Mal n'en avait rien à faire. Ces crétins de continentaux mangeaient plus en une semaine qu'eux en deux mois, et ils avaient le luxe de pouvoir choisir ce qu'ils avalaient ?!
« C'est pas fermé à clé ? » nota Jay en suivant Ben dans l'immense cuisine.
« Non. Nous pouvons nous y rendre si nous avons besoin de prendre quelque chose, par exemple après un entraînement ou si nous avons manqué un repas. Tout ce qu'on nous demande c'est de bien ranger et de nettoyer après nous, ou si les employés sont au travail, d'être poli et de ne pas les gêner. Généralement il y a un peu de tout dans les placards et les frigos. »
Ils hochèrent la tête, parce qu'ils n'auraient rien pu dire à cet instant. Rien de très correct en tout cas.
Ben les ramena ensuite dans le couloir. Il leur montra où se trouvaient l'administration, le bureau et même l'appartement de Marraine (qu'ils pouvaient apparemment déranger pour à peu près n'importe quoi), puis revint dans le hall pour monter les immenses escaliers.
« De chaque côté des escaliers se trouvent la plupart des salles de classe, ainsi que les ateliers et labo. Et ici... »
Il passa sous une arche en bois et entra dans une immense pièce. Comme partout ailleurs les fenêtres étaient impressionnantes, il y avait des fauteuils et des banquettes douillettes garnis de coussins, des tapis moelleux, pas moins de deux cheminées et des tas et des tas d'immenses bibliothèques en bois sombre remplies de livres et de parchemins.
« La bibliothèque de l'école. Il y a des livres sur tout, des fictions aussi, des journaux et des magazines, et des ordinateurs également. Il vous suffit de prendre les volumes qui vous intéressent, de vous diriger vers ces bornes, de passer votre carte et de scanner les documents. Et vous faites la même chose quand vous les rendez. »
Mal tourna la tête pour voir Carlos et Evie figés derrière elle, une expression ébahie identique sur le visage. Elle échangea un regard amusé avec Jay avant de claquer les doigts devant eux pour les ramener à la réalité. Ça n'eut qu'un effet modéré.
« On... on peut en prendre combien ? » demanda Carlos sans pouvoir détacher ses grands yeux des milliers de livres.
« Il n'y a pas de limite, » sourit Ben. « L'important c'est d'avoir bien tout rendu avant chaque départ de l'école. »
« Nous allons vous montrer vos chambres, » proposa Audrey en ressortant.
Mal leur emboîta le pas mais se figea après trois mètres quand les deux royaux s'arrêtèrent en lançant des regards curieux derrière eux. Avec un soupir, elle leva les yeux au ciel, fit demi-tour et s'éclaircit la gorge. Evie et Carlos sursautèrent et la suivirent pour rejoindre les autres.
« Désolée, » s'excusa Evie.
« Il n'y a pas de mal, » lui sourit Audrey, les yeux pétillants.
Les chambres se trouvaient toutes au deuxième étage, celles des adultes vers les escaliers, celles des garçons dans l'aile droite et celles des filles à l'opposé.
Lorsque Ben ouvrit la porte de la chambre prévue pour Jay et Carlos, Mal ne fut que modérément surprise. Après tout ce qu'ils venaient de voir, elle savait qu'il n'y aurait pas de limite à l'étalage de confort. Et effectivement, la chambre était immense, deux grands lits à baldaquin, une table ronde et ses chaises, deux bureaux, deux placards, une salle de bains privée, sans compter la cheminée et l'immense écran plat.
Carlos laissa tomber son sac au pied d'un lit, et Mal pouvait voir ses mains trembler. Elle non plus n'avait jamais vu de coussins aussi immenses ni de matelas aussi épais.
Jay observait autour de lui, étrangement posé.
Il fit un geste pour désigner la pièce et se tourna vers Ben.
« C'est standard, ou c'est seulement pour souhaiter la bienvenue aux horribles gamins des méchants ? »
« Euh... standard. Toutes les chambres sont sur le même modèle. »
« Qu'est-ce que c'est ? » demanda doucement Carlos, debout devant l'un des bureaux.
Il y avait des objets posés dessus, des cahiers et des stylos, un sac à dos, un ordinateur portable et plusieurs objets électroniques ainsi qu'un kit d'outils. Du côté de Jay, on avait disposé des ballons et des affaires qui devaient être destinées au sport.
« Ce sont des fournitures pour suivre les cours ainsi que quelques autres choses pour vos loisirs. »
« Nos loisirs ? »
« Oui. Il y a aussi un téléphone pour chacun d'entre vous, et vous trouverez un plan de l'école, vos emplois du temps et votre carte de bibliothèque sur les bureaux. »
Mal pouvait voir Carlos caresser du bout des doigts l'ordinateur portable rouge qui avait été laissé là à son attention. Même de sa place vers la porte, elle pouvait voir qu'absolument tout était neuf.
Jamais dans toute leur vie ils n'avaient possédé quelque chose de neuf, hormis ce qu'ils fabriquaient eux-mêmes avec des trucs usés.
« Pourquoi ? » demanda Mal en se tournant vers Ben avec méfiance.
Il l'observa, l'air éberlué.
« Pardon ? »
« Qu'est-ce que vous voulez en échange ? »
« En échange ? »
Elle aurait pu le frapper, alors elle pencha imperceptiblement la tête vers Evie pour qu'elle prenne le relais, mais Audrey la coiffa au poteau.
« Votre scolarité ainsi que tout ce dont vous avez ou pourriez avoir besoin pour la mener à bien sont pris en charge par la bourse d'études d'Auradon, comme c'est le cas pour d'autres jeunes dans le royaume. La seule chose qui est demandée en échange c'est de suivre les cours et de respecter les lois. »
Mal se détendit. Un marché, ça elle comprenait.
« On... ne les connaît pas, » interrompit doucement Carlos avec hésitation.
« Pardon ? »
Evie intervint.
« Nous n'avons pas connaissance des lois et règles ayant cours dans le royaume, ou dans l'école. »
« On sait qu'on a pas le droit de tuer, ou de voler, ou de maudire des royaumes, d'hypnotiser des sultans, de capturer des chiens, d'offrir des pommes empoisonnées ou de prédire la mort de bébés lors de leur baptême, » lança Mal platement, « mais en dehors de ça, c'est un peu flou. »
« Oui, » souffla Audrey, la voix un peu étranglée, « je vous ferai parvenir une copie du règlement de l'école. Pour les lois d'Auradon, en résumé tout ce qui peut nuire à autrui est prohibé. »
Ha, sans rire...
La princesse évitait son regard, elle avait perdu un peu de son assurance. Mal haussa un sourcil et fit un signe discret à Evie alors que Ben souhaitait bonne nuit aux garçons avant de les guider de nouveau dans le couloir. Ils pouvaient entendre des éclats de voix et des rires provenant des différentes chambres, mais ils ne croisèrent personne.
« Excuse-moi, Audrey, » demanda Evie en marchant près d'elle, sa voix douce et claire. « Marraine a dit que tu étais d'un endroit appelé Auroria? »
Le malaise chez la princesse s'intensifia mais à sa décharge, si Mal n'avait pas autant l'habitude de lire la tension dans les épaules ou sur le visage d'autrui pour sa survie, elle n'aurait peut-être pas vu derrière le joli sourire poli. Evie avait deviné juste apparemment, comme souvent. Sa capacité à observer les autres et à détecter les moindres émotions ou tics les trahissant restait carrément flippante, même après des années à ses côtés.
« Oui. Auroria est le nom qui a été donné au royaume créé suite à l'unification de Castelor et Aubematin, les royaumes de mes grands-parents. Je suis la fille cadette du roi Philippe et de la reine Aurore d'Auroria. Je pensais... que vous le saviez. »
« Les faire-parts n'arrivent pas jusqu'à l'Île, » railla Mal tranquillement.
« Pas certain qu'entendre parler de nos naissances aurait mis les habitants de bonne humeur, » répondit Ben sans se soucier de son ton, un petit sourire en coin.
Mal pouvait lui accorder que malgré son apparente naïveté et son ignorance, il ne se démontait pas facilement.
« Ouais, » acquiesça-t-elle, « ma mère est toujours un peu piquée quant à cette histoire d'éviction du baptême royal. »
Euphémisme, quand tu nous tiens.
Audrey préféra visiblement rester silencieuse, ça devait être ce que dictaient les bonnes manières.
Leur chambre ressemblait à celle des garçons, mais Mal dut se faire violence pour ne pas grimacer en voyant tout ce rose et ces fleurs. Elle aurait vraiment préféré le style de l'autre chambre.
« Nous allons vous laisser vous reposer. Nous nous reverrons demain matin. Bonne soirée. »
Evie se chargea des salutations d'usage puis ferma derrière eux et verrouilla. Lorsque Mal tourna la tête vers elle, elle la vit adossée à la porte, les yeux fermés.
« Evie ? »
« Juste un peu... »
« Ouais, ça fait beaucoup. »
« Auradon, » souffla-t-elle.
« Tu n'avais pas imaginé ça aussi spectaculaire ? »
« Je n'avais jamais rien imaginé d'aussi spectaculaire. »
« Tu as toujours le nez dans un bouquin pourtant. »
« Mal. »
Elle leva la tête pour suivre le regard d'Evie vers un bureau. Il y avait les affaires scolaires et le sac, bien sûr, mais aussi une machine à coudre qui n'avait rien à voir avec la vieille machine que Carlos avait dû réparer des dizaines de fois sur l'Île. A côté se trouvaient tout un nécessaire à couture, de quoi faire des patrons et dessiner des concepts, des tissus, des rubans, des fils et des accessoires aussi.
Et sur le bureau destiné à Mal avait été déposés des carnets à dessins, des crayons, des fusains, des feutres,... Plus qu'elle n'en avait jamais vu, tous neufs, tous entiers, il y avait même des fournitures dont elle ne connaissait pas le but. Ses doigts effleurèrent une boîte de crayons et elle s'en voulut de voir sa main trembler. Ses pieds butèrent contre le sac à dos au sol, elle baissa les yeux et vit qu'un carton dépassait de sous le bureau. Dedans se trouvait des bombes de peinture et un mot de Marraine, lui rappelant qu'elles n'étaient destinées à être utilisées qu'en salle d'art et sur le mur d'expression (Mal n'avait aucune idée de ce que ça signifiait).
Pour essayer d'enterrer ce qu'elle ressentait et de se reprendre, Mal se détourna de ces trouvailles et fit quelques pas dans la chambre. Sur les murs étaient pendus des portraits de têtes couronnées et Mal fronça le nez en s'approchant.
« Hey, tu crois que ce sont des originaux ? »
Evie secoua la tête.
« J'ai vu les mêmes dans une autre pièce. Pourquoi ? »
« Oh, je pensais juste que la déco méritait une mise à jour. »
« Le rose est un peu cliché. »
« En parlant de cliché, que penses-tu de tes deux homologues, princesse ? »
« Pas grand-chose pour le moment, à part qu'ils sont étonnamment accueillants. »
« Je m'attendais à au moins une remarque ou menace de la part de Miss Princesse Parfaite, mais rien, je suis franchement déçue. Je ne sais pas à quel jeu ils jouent ou ce qu'ils attendent de nous, mais si tous les royaumes sont devenus aussi pathétiques les conquérir ne prendra même pas une semaine. »
« Je me demande pourquoi le roi et le conseil ont accepté la proposition de Ben. Il est à peine plus vieux que nous. »
« Un prince que tu ne pourras pas avoir d'ailleurs, déjà pris, dommage, » chantonna Mal en s'asseyant sur son lit alors qu'Evie lui lançait un regard amusé. « Heureusement cette école en est pleine apparemment. »
« Il y a de la nourriture. »
Effectivement sur la table étaient posés des sandwichs, des bouteilles d'eau et des aliments emballés. Mal avala sa salive et fronça les sourcils. Son cœur se serra parce qu'elle n'avait vraiment pas faim mais avoir de la nourriture à volonté et ne pas en profiter lui semblait être un crime.
Comme souvent Evie sembla lire en elle.
« Je me sens un peu nauséeuse à l'idée d'avaler quoi que ce soit, » confia-t-elle, et Mal se sentit étrangement soulagée de ne pas être la seule. « Ce sont des aliments emballés, on peut les stocker. Et puis je doute qu'on manque de nourriture ici. Le docteur Harris a dit qu'il nous faudrait du temps pour nous habituer à l'augmentation des rations. »
« Ouais. Alors que sur l'Île ils se battent pour quelques conserves et des légumes à moitié moisis. »
« C'est étrange. Au Centre aussi ils avaient l'air surpris de comprendre qu'on manquait à ce point de nourriture. »
« Pourtant ce sont bien eux qui décident de ce qu'il y a sur les cargos, les allers et les retours sont peut-être automatiques mais il doit bien y avoir des gens qui les remplissent, » rétorqua Mal amèrement. « Et tu as vu les deux têtes couronnées ? On dénote avec nos kilos en moins. Même Jay est plus maigre qu'eux, et pourtant c'est l'un des plus musclés de l'Île. »
Avec un petit acquiescement, Evie vint s'asseoir sur son propre lit, face à Mal. Elle semblait soucieuse, ce qui n'était guère étonnant dans leur situation, mais il y avait quelque chose...
« Est-ce que tu te sens différente ? »
Mal pencha la tête sur le côté.
« Comment ça ? »
« Tu as senti la magie quand on a passé la barrière. »
« Oui. C'est sûr que c'est plus intense maintenant, » confia Mal sans pouvoir s'empêcher de frotter sa paume contre son avant-bras. « Je la sens beaucoup plus. Je ne comprends pas pourquoi la fée ne nous a pas plus interrogées sur le sujet. La magie est pas interdite ici ? »
« Aucune idée, rien n'a été stipulé, mais je suppose qu'on en saura plus demain. »
« Je la sens, tu sais. »
« Quoi ? »
« Ta magie, E. »
« Vraiment ? » s'étonna Evie.
« C'est comme un courant... froid ? »
« J'ai froid, » acquiesça-t-elle. « C'est froid. »
« C'est marrant, tout le contraire de moi. Je suis sûre que mon corps fonctionne avec encore quelques degrés de plus que sur l'Île. Fais voir ta main ? »
Evie tendit ses doigts vers elle et Mal s'en saisit. Comparée à la sienne, trop chaude, sa main était glacée.
« Bordel, ça va ? »
« Oui, » affirma Evie en retirant sa main. « J'ai juste un peu froid. »
« C'est pas bizarre ? Moi je l'ai toujours sentie même si je n'ai jamais rien pu en faire. Mais toi, tu ne sentais pas ta magie avant, même si tu savais qu'elle était là. Ça doit être bizarre. »
« C'est nouveau, mais pas si étrange. Comme quelque chose de froid au cœur de moi, tu vois ? »
« Il va falloir qu'on teste nos pouvoirs et qu'on apprenne à s'en servir, loi ou pas. »
« Et que je trouve un moyen de faire des potions. J'en ai quelques unes, mais je pense qu'on devrait couvrir nos arrières. »
« J'ai retenu en douce un maximum de formules du livre de ma mère au cas où. Et ils ont carrément donné à Carlos tout ce dont il a besoin, et je suppose que s'il doit travailler sur quelque chose on aura pas trop de mal à se procurer des pièces. Surtout s'ils continuent à nous offrir tout ce qu'on souhaite sur un plateau. »
« On essaye tout de même de passer inaperçus. »
« Quelque chose me dit que ça va être difficile. »
Un son étrange les fit sursauter. Elles regardèrent autour d'elle avant qu'Evie se dirige prudemment vers son bureau. Elle prit doucement un objet posé dessus et lutta un instant avant de trouver comment répondre à l'appel.
« ...Carlos ?... D'accord, attends... » Elle fronça les sourcils, appuya plusieurs fois sur l'écran du téléphone et rejoignit Mal. « Comme ça ? Tu m'entends ?... »
« Parfait, Evie. Comment vous allez ? Vous vous rendez compte, on a nos propres téléphones et ils marchent et ils ont enregistré nos numéros pour nous et ils vont même sur internet et on peut s'appeler quand on veut ! »
Mal échangea un regard amusé avec Evie.
« Carlos ! Doucement, tu veux ? Ne perds pas de vue la mission. »
« Bien sûr, bien sûr. Tu veux qu'on vous rejoigne ? »
« Non, pas ce soir. Il est déjà tard et on a vu personne dans les couloirs. Apparemment les gamins ici respectent ce stupide couvre-feu. Vous restez sur vos gardes. Jay est bien avec toi ? »
« Ouais, il est là, il découvre les jeux vidéo. C'est vraiment génial ! Et vous avez goûté les trucs emballés dans le papier violet ? Ça a un peu le goût de la boisson marron de ce matin et ça s'appelle du chocolat, c'est hyper sucré et ça fond dans la bouche ! »
« Pas encore, non. Dis à Jay de bien garder ses mains pour lui surtout. Il aura l'occasion d'exercer ses talents mais en attendant, pas de vol. Vous restez dans votre chambre jusqu'à demain, Evie et moi passerons vous chercher pour le repas du matin. »
« Bien reçu, Mal. Je vous montrerai comment vous servir de vos téléphones. »
« À demain, Carlos ! » lança Evie avec un sourire avant de trouver comment raccrocher. Puis elle leva les yeux vers Mal et secoua la tête. « Je ne suis pas certaine qu'il arrive à dormir ce soir. »
« Avec ce genre de lit ? S'il arrive à se calmer, il va dormir comme un ensorcelé. »
O
« Ça s'est pas trop mal passé... » commenta doucement Audrey en entrant dans sa chambre.
Ben la suivit à l'intérieur et ferma la porte. Jane passait le week-end dans l'appartement de sa mère pour être un peu avec elle, ce qui donnait au couple l'occasion de discuter tranquillement.
Lorsqu'elle leva la tête pour voir Ben figé, pâle, elle sourit.
« Ben, respire, c'est fait, personne n'est mort, et Maléfique Junior ne m'a même pas insultée. Personnellement je m'attendais à bien pire. »
« Ne l'appelle pas comme ça, » protesta Ben sans pouvoir empêcher le petit sourire qui souleva le coin de ses lèvres.
« Excuse-moi mais qui aurait pu croire que Maléfique transmettrait son nom à sa fille ! »
Il secoua la tête alors qu'elle retirait ses chaussures avec les pieds, ses épaules baissées, le dos un peu rond. Personne au monde à part lui et peut-être les parents d'Audrey ne la voyait ainsi, libérée, détendue. Élevée dans des châteaux et palais, avec les mêmes pressions que celles qu'il endurait depuis sa naissance, elle portait sa bonne éducation et son statut comme des armures. Elle n'avait confiance en personne, ou presque.
Mais elle lui faisait confiance, à lui, et il l'adorait pour ça.
« Elle est toute petite, » remarqua-t-il en s'asseyant sur la chaise de bureau. « Quand ton père parle de Maléfique, c'est ce dragon immense et immortel que même une épée enchantée en plein cœur n'a pu abattre définitivement, cette magicienne cruelle et surpuissante, et Mal est... toute petite. »
Un rire cristallin lui répondit.
« Je te déconseille très fortement de dire ça devant elle, Ben. Elle a peut-être l'air de pouvoir tomber pour peu que tu la pousses du doigt, mais vu sa prestance, sa manière de parler et sa façon de sembler pouvoir tuer avec un seul regard, je pense que les apparences peuvent être trompeuses. »
« Oui, » acquiesça-t-il, amusé. « Effectivement. J'ai eu l'impression qu'ils étaient surpris de me voir. Pourtant on envoie des posters d'information là-bas. »
« Oui et je suis certaine qu'ils les lisent très attentivement. »
« Si ta grand-mère entendait cette ironie, tu sais ce qu'elle dirait. »
« Personne ne m'entend. Je suis parfaite en toute circonstance. »
« Bien sûr, » s'amusa Ben. « Toujours. »
« Attention, mon prince, tu oublies qui t'entraîne pour toutes ces séances du Conseil. Je pourrais décider que j'en ai assez de te donner les mêmes leçons encore et encore sur l'étiquette et les tournures de phrases à adopter. Ce serait dommage de faire tout capoter après des années de travail. »
« La première fois que j'ai mentionné cette idée, je me souviens que tu as éclaté de rire puis que tu m'as hurlé dessus. »
« À ma décharge, seul un fou pouvait proposer la venue d'enfants de l'Île comme première proclamation. »
« Tu as mis des mois à t'y faire. »
« J'espérais que ça te passerait avant ce seizième anniversaire fatidique. »
« Et tu as finalement monté tout le projet avec moi. »
« Et je tiens à ce que ça reste un secret pas trop ébruité s'il te plaît. Ainsi si tout échoue je garderais ma réputation, je te quitterais et j'épouserais un autre prince plus en vue, ou alors je convaincrais mon frère de me laisser régner à ses côtés. »
Il sourit et secoua la tête, son cœur un peu plus léger. Elle savait toujours comment le calmer lorsqu'ils étaient seuls, et ce projet, né dans son esprit lorsqu'ils avaient quinze ans, lui appartenait à elle autant qu'à lui à présent. Elle avait gardé son secret, elle l'avait aidé à rassembler des informations, à questionner les royaux sans en avoir l'air, elle l'avait soutenu quand tous l'avaient traité de fou immature, elle avait en secret co-écrit tout le dossier, l'avait aidé à formuler sa présentation et sa requête.
Elle connaissait tout de lui, il savait tout d'elle, dans un monde où ils devaient être parfaits face à tous, se montrer à la hauteur des ambitions de leurs parents et du public, ils ne pouvaient être sincères qu'avec l'autre.
« Alors ? » lança-t-elle, sa voix plus grave, ses yeux plus sombres.
Ben fronça les sourcils, sut d'instinct ce qu'elle ne formulait pas.
« Je ne sais pas. »
« Tu as lu les rapports comme moi, à moins que la démographie n'ait explosé ou que les jeux de pouvoir compliquent vraiment trop l'accès à la nourriture, les cargos apportent normalement des vivres pour tous. Et même s'ils n'ont pas assez en raison d'un mauvais calcul, il ne devrait pas y avoir non plus de problème de famine. »
« On a toujours su qu'il y avait beaucoup de choses passées sous silence dans les rapports que le Conseil nous a fournis. »
« Et on savait tous les deux les risques qu'on prenait. S'ils veulent que tu règnes l'année prochaine, il faudra bien qu'ils te confient le reste. Je me suis moquée de toi il y a deux ans quand tu as abordé le sujet. Mais tu avais raison, il y a trop de secrets autour de l'Île, et je ne sais pas qui les détient mais tu vas devoir le découvrir si tu veux devenir le roi que tu souhaites être. »
Comme à chaque fois que son couronnement était évoqué, Ben sentit son cœur se serrer. Ce n'était pas qu'il ne voulait pas être roi et succéder à son père. Mais plus ses dix-huit ans approchaient, plus il se sentait tout petit. Il avait beau avoir été éduqué dans ce but, l'avenir l'angoissait.
Normalement Audrey n'aurait pas dû lire les rapports, comme elle ne devrait pas savoir tout ce qu'il se disait aux Conseils auxquels assistait Ben, comme elle n'aurait pas dû l'aider à monter sa proclamation pour ses seize ans ou à la défendre pendant les mois qui avaient suivi. Mais il ne voyait pas les choses comme ses parents ou ses pairs. Il ne pensait pas qu'un homme valait plus qu'un autre en raison de sa naissance ou que les traditions devraient toujours diriger leur monde.
Lui croyait en l'union et l'amitié, il croyait en l'amour, en l'espoir, en la paix. Il n'avait jamais peur des changements.
Optimiste, gentil, compatissant, loyal, têtu, doux.
Pour beaucoup, ils étaient des défauts, les siens.
Lui ne le voyait pas ainsi.
Comme il voyait Audrey comme son égale, sa partenaire et son alliée, et pas seulement comme une jolie princesse qui savait sourire pour les caméras. Malheureusement tant qu'ils ne seraient pas mariés elle n'aurait aucun pouvoir à Auradon et même ensuite, on n'attendrait pas d'elle qu'elle dirige avec lui.
Ben comptait bien changer ça aussi.
« Je connais ce regard... » commença lentement Audrey en l'observant du coin de l'oeil alors qu'elle défaisait sa coiffure. « Tu ne peux pas révolutionner le monde entier d'un seul coup, Ben. »
« Mais je peux tout à fait essayer. »
« Commence déjà par penser à demain. Parce qu'ils avaient beau être polis, nos quatre invités ne débordaient pas d'enthousiasme à notre encontre. »
« Ça prendra du temps, c'est tout. »
Elle se tourna vers lui et fronça les sourcils.
« S'ils ont passé toute leur enfance à avoir faim et à manquer d'à peu près tout, et si leurs parents leur ont rempli la tête de charmantes histoires sur nos familles, il va falloir plus que du temps. Il est impossible qu'ils n'entretiennent pas de la rancœur et de la colère envers les royaumes. »
« Nous ne sommes pas nos parents. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent pour eux. »
« En tout cas et par mesure de prudence, je vais me tenir loin d'éventuelles quenouilles. »
O
« Jusque-là, ça se passe pas trop mal, » commenta doucement Carlos en s'asseyant à une table près d'une porte-fenêtre ouverte dans la salle de restauration.
Ils avaient tous pris des aliments plus ou moins au hasard, se basant sur leur seule et unique expérience de petit-déjeuner. En ce samedi matin, seuls quelques autres étudiants s'étaient montrés aussi matinaux qu'eux. Tous les observaient plus ou moins discrètement mais aucun pour le moment n'avait osé leur adresser la parole.
Mal leva les yeux au ciel en buvant une gorgée de son café sucré.
« Une partie des étudiants rentre les week-ends ou un truc du genre, du coup on est plus tranquilles. »
« Alors, Carlos, combien de temps tu as passé sur ton ordinateur hier ? » s'amusa Evie avant d'examiner un bout de fruit rosâtre.
Ça ressemblait à une agrume, mais elle n'était pas certaine de savoir de quel type. Une sorte d'orange peut-être ?
« Assez de temps pour savoir que je n'aurai pas de mal à nous trouver quelques infos, » répondit-il en goûtant ses céréales. Il mâcha et fronça les sourcils. « Sur l'Île ça ne croustillait jamais. »
« T'as déjà des infos utiles ? »
Carlos prit pour une fois le temps d'avaler avant de répondre à Mal.
« Auradon Prep est une école privée, » dit-il. « Genre très chère et sélective. Pour former tous les gamins de la haute société. »
« Ils les rassemblent tous à un seul endroit et les font étudier au bord de l'océan sur lequel se trouve l'Île. Ils n'ont vraiment pas peur, » rit Jay. « Il n'y a jamais d'attentat ? »
« Si. D'ailleurs certains héritiers étudient dans leurs royaumes, ils ne viennent pas tous ici. L'école a été créée pour faciliter les futures alliances et relations. Il y a eu des tentatives d'attaque mais Auradon est un petit royaume bien protégé. Je veux dire, Marraine la bonne fée elle-même dirige l'école, il y a des gardes et il y a toute une garnison de chevaliers d'élite pas très loin d'ici. »
« Intéressant, » concéda Mal. « Quoi d'autre ? »
« Il y a des prisons dans tous les royaumes. Donc je suppose que tout n'est pas parfait dans ce beau monde. Mais apparemment plus de grand méchant aux pouvoirs noirs pour nourrir les histoires pour enfants blonds et charmants. »
« Les pauvres. Et la baguette ? »
« Rien sur sa localisation. Mais je ne vois pas pourquoi les fées ne garderaient pas leurs baguettes. C'est pas leur seul moyen de lancer des sorts ? »
« J'ai pas l'impression qu'il y ait beaucoup de magie ici. »
« À Auradon ? Non. J'ai lu que le roi décourageait vivement toute utilisation de la magie et sa pratique avec le temps est devenue presque nulle. Je suppose qu'il a encore une dent contre la sorcière qui l'avait envoûté. »
« Il est gonflé. S'il s'était montré bon il n'aurait jamais été ensorcelé à la base. Qu'est-ce qu'on risque si on utilise la magie ? »
« Ce n'est pas interdit d'après ce que j'ai compris. Mais mal vu et honteux. Je suppose qu'il faut rester discrets, ne pas faire de vague. L'utiliser en respectant les lois. Oh, en parlant de ça, la peine de mort ? N'existe pas. »
« Tu déconnes ? »
« Nan, Jay. Plus de peine de mort. »
« En même temps ils nous ont enfermés sur une Île... » remarqua Evie tranquillement. Elle appréciait son yaourt, il n'y avait pas de produits frais comme ça sur les cargos, et elle se demandait si dans les prisons des royaumes les détenus avaient le droit d'en avoir. « Ils auraient pu tous les tuer au lieu de s'embêter à créer l'Île. »
« Grimhilde, Mim, Maléfique et Hadès sont compliqués à tuer. D'autres aussi, peut-être. » Carlos haussa les épaules. « En tout cas, à présent, la peine de prison à vie est la plus grave sentence à Auradon et dans tous les royaumes alliés. »
« Eh ben, ils se sont vraiment ramollis, » conclut Mal avec dédain en posant sa tasse vide sur son plateau. « Et pendant ce temps-là certains sur l'Île sont devenus encore plus instables et tarés. Ça va leur faire mal. »
« Bonjour ! »
Bordel.
Si Evie réussit à contenir sa réaction, Carlos fit un bond sur sa chaise et Mal se retint visiblement de poignarder l'imbécile. Seul Jay resta de marbre, ayant sans doute senti l'approche au dernier moment.
Personne n'avait appris à ces enfants encouronnés que si on se faufilait vers quelqu'un c'était pour l'assommer ou le tuer dans le même geste ?
Aucun sens des convenances et aucun instinct de survie, c'était effarant.
« Ben, » se reprit Mal avec un immense sourire et un regard glacial. « Bonjour à toi aussi. »
Le garçon s'était figé, hésitant face à leur réaction, et il leur offrit un petit sourire d'excuse sans savoir qu'il venait tout juste d'échapper à une blessure grave.
« Désolé, » souffla-t-il, un léger rose aux joues. « Est-ce que vous avez passé une bonne nuit ? »
Alors qu'Evie s'interrogeait sur le côté profondément personnel et indiscret de la question, Mal adoucit son sourire et réussit à répondre avec un minimum de sarcasme.
« Très bonne. »
« Je sais que vous devez passer la matinée avec Marraine, mais nous avons un entraînement de Tournoi cet après-midi. Le terrain est derrière l'école, après les jardins. Je voulais savoir si ça intéressait les garçons d'y assister. Même en dehors des séances avec le Coach, on y joue souvent avec les gars pour se défouler, vous verrez en quoi ça consiste et si ça vous intéresse vous pourrez faire des parties avec nous à l'avenir, voire faire partie de l'équipe officielle. »
Jay ne savait pas quoi en penser et Carlos n'en avait aucune envie. Evie pouvait le lire dans leurs yeux clairement, comme elle put voir Mal leur faire un signe pour leur ordonner d'accepter.
« Pourquoi pas, » offrit alors Jay en haussant les épaules. « On verra ce que vaut une bande de mini-rois en sport... peu importe en quoi il consiste. »
« Il n'y a pas que des mini-rois dans l'équipe, mais avoir du sang neuf ne nous ferait pas de mal, » répondit Ben avec un autre sourire, les yeux pétillants. « On a failli perdre contre l'équipe du Royaume de Corona en match amical la semaine passée. Et puisque effectivement il y a pas mal de noms célèbres dans l'équipe, Auradon Prep est l'école à abattre dans le championnat, la saison s'annonce difficile. »
« Championnat ? » répéta Jay avec un nouvel intérêt. « Vous n'êtes pas censés ne vouloir que des compromis et des égalités ? »
« Pas sur le terrain, » contredit le futur roi.
« Sur le terrain, on écrase nos adversaires, » confirma une voix enjoué. Un garçon au teint café, aux iris et aux cheveux noirs arriva près de Ben, les yeux rieurs et le sourire narquois. « Pas de quartier, pas de prisonnier. »
« En respectant les règles du jeu, les autres joueurs et le bon esprit du sport bien entendu. »
« Bien entendu, » acquiesça le nouvel arrivé avec un signe de la main amusé. « Bien entendu, toujours. »
Ben secoua un peu la tête.
« Aziz, voici Jay, Mal, Evie et Carlos. Je vous présente Aziz d'Agrabah. »
Il leur fit un signe amical, apparemment détendu, mais Evie nota la façon dont son regard perçant les toucha un à un. La cafétéria se remplissait doucement, les yeux sur eux se faisaient de plus en plus nombreux.
« La star de l'équipe. »
« Aziz. »
« Avoue-le, Ben. La star, c'est moi. Ben est soulagé que notre dernière année ici ait enfin commencé, il ne me supporte plus. »
« Ton humour ne s'est pas arrangé. »
« Je suis presque certain que tu n'oserais pas dire ça à mes frères aînés de peur d'un incident diplomatique, Benny, » s'amusa Aziz. « En tant que troisième fils d'Agrabah, je peux me permettre de percer tous les protocoles. Comme pour te dire qu'il faut vraiment que tu essayes une autre couleur pour tes costumes, ça changerait. T'as l'air d'avoir quarante ans. Est-ce que tu me vois porter les couleurs de mon pays tous les jours ? »
« Aziz, » soupira Ben même si l'affection dans son ton surpassait de loin son agacement.
Mais son camarade avait déjà tourné la tête vers Jay.
« Alors, est-ce que ton père est aussi intense qu'on le dit ? »
« Aziz ! »
« Est-ce que le tien continue de porter des haillons ? » rétorqua tranquillement Jay.
« Si seulement il pouvait ! Maman doit vérifier sa tenue avant chaque événement social, quand il n'a pas filé du palais avec l'aide de Tapis. Mais c'est plus compliqué depuis que les petits de Rajah arrivent à le coincer. »
« Aziz. »
Cette fois-ci le jeune homme se figea. Il se tourna lentement vers Audrey qui venait d'arriver, lui offrit un grand sourire et haussa les épaules.
« Votre Altesse, Présidente du Conseil des étudiants, comment allez-vous en ce si beau matin ? »
« Seulement un mois depuis la rentrée et je reçois déjà des plaintes quant à tes pitreries, donc je dirais que ça pourrait aller mieux si tu apprenais à te comporter autrement que comme un enfant de cinq ans. »
Evie observa Ben retenir visiblement son sourire amusé et Audrey lui lancer un regard d'avertissement, l'échange rapide passant inaperçu pour l'autre prince. Il y avait une complicité profonde entre ces deux-là, même si Evie ne pouvait encore déterminer si leur amour était sincère.
« Je mets simplement un peu de vie par ici, tu me connais, » répondait Aziz pour la princesse, une main sur le cœur.
« Justement, » lui dit Audrey avec un joli sourire, sans se départir de son ton doux mais ferme. « J'aimerais que tu ailles aider Lonnie et les autres à remettre de la vie dans l'atelier. »
« Je ne vais jamais dans l'atelier. »
« Et tu vas quand même les aider à le ranger, avec ta bonne humeur et tes sourires. »
Il ouvrit la bouche pour contester, mais elle pencha légèrement la tête sur le côté et adoucit encore sa voix.
« Maintenant, Aziz, s'il te plaît. »
Alors il leva les yeux au ciel avec un rire et capitula de bonne grâce.
« Tout ce que tu veux, bien sûr. » Il se tourna vers leur table pour leur faire un petit signe de la main. « On se voit plus tard, peut-être sur le terrain ! Oh ! Et j'adore vos vêtements. »
Puis il fila à travers les tables pour quitter la pièce. Ben secoua la tête avec un soupir.
« C'était Aziz, » conclut-il, mais Evie nota que bien que l'autre garçon avait ouvertement défié son autorité plusieurs fois, Ben ne semblait aucunement s'en soucier, au contraire. « Il est toujours comme ça. »
« Beaucoup trop d'énergie et beaucoup trop d'idées, » compléta Audrey.
« Il faudra vraiment que tu me dises comment tu fais pour qu'il t'écoute. »
« Nous avons tous nos secrets. Je dois filer, je vais être en retard. À plus tard ! »
Elle leur sourit et s'éloigna à son tour. Evie ne savait pas trop quoi penser de cette rencontre, mais étant donné qu'Aziz avait complimenté leurs tenues avec une apparente sincérité et que son attitude décontractée cachant une attention aiguë portée à son environnement ressemblait beaucoup plus à ce dont ils avaient l'habitude, elle décida qu'elle pourrait le tolérer. Jay n'avait pas l'air d'être loin de son avis.
Ben leur offrit de les accompagner jusqu'au bureau de Marraine avant de les laisser, et ils furent de nouveau seuls tous les quatre.
« J'ai piraté la liste des élèves hier, » informa doucement Carlos en se penchant vers Evie. « Je suis heureux que les enfants des ennemis de nos parents n'y figurent pas. »
« Il avait pas l'air si terrible, » lança tranquillement Jay avec un rictus. « Surtout si j'ai l'occasion de l'aplatir sur un terrain. »
Mal secoua la tête avant de pousser la porte entrouverte du bureau tout en frappant – Evie songea qu'elle avait trouvé là un mélange plutôt astucieux des manières de l'Île et d'Auradon.
« Bonjour ! » leur lança Marraine en leur faisant signe d'avancer. « Prenez place, je vous en prie. »
Ils s'installèrent sur les fauteuils face à elle alors que la fée leur souriait, tout son visage lumineux. C'était si bizarre et étranger qu'Evie ne put s'empêcher de froncer les sourcils.
Ils eurent droit à pas mal d'explications sur ce que comporteraient leurs journées à l'école, ce qui serait attendu d'eux lors des cours ainsi qu'une explication de leurs emplois du temps.
« En dehors des plages indiquées sur ces documents, » continuait-elle, « vous êtes libres d'occuper votre temps par les loisirs que vous souhaitez. Il existe quelques clubs gérés par les élèves auxquels vous pouvez vous inscrire, mais vous pouvez aussi passer votre temps dans vos chambres, dans les jardins ou dans les salles libres. Auradon Prep souhaite que les étudiants prennent leurs responsabilités, le système fonctionne sur la confiance, c'est pour ça que vous trouverez les portes ouvertes et le matériel à disposition. Il va de soi que si cette confiance venait à être brisée, nous devrons prendre des mesures. »
« Définissez mesures, » demanda Mal prudemment, et Evie se tendit.
Ils savaient tous ce que ce genre d'avertissements pouvait signifier dans la bouche des adultes ayant de l'autorité sur eux.
« Nous vous interdirions l'accès aux salles ou restreindrions vos loisirs par exemple, » précisa rapidement Marraine.
Peut-être que toutes les fées étaient aussi bizarres qu'elle. Evie avait l'habitude d'analyser les gens et de comprendre leurs intentions suivant leurs réactions, mais pour le moment elle avait beaucoup de mal à cerner les Auradoniens. Leurs agissements et même les émotions qu'ils pouvaient si aisément faire défiler sur leurs visages la dépassaient.
(Non pas qu'Evie était une experte en émotions, mais à défaut de toujours les ressentir, elle les étudiait assidûment chez les autres.)
« Et si on arrive en retard à un cours ? » interrogea Jay en fronçant les sourcils.
« Le professeur doit signaler l'incident sur votre dossier. Si cela se répète, nous vous donnerions des devoirs en plus. Si des retards ou des mauvais comportements comme être irrespectueux envers des camarades ou des professeurs se répétaient trop souvent, les sanctions seraient plus lourdes. De l'interdiction à l'accès aux clubs jusqu'à l'exclusion temporaire ou définitive de l'école. »
« Et si on se bat ? »
« C'est interdit par le règlement. Si vous avez un différend avec un élève, vous devez aller trouver un membre du corps enseignant pour le régler, ou moi-même ou encore Audrey, qui est la présidente du Conseil des étudiants. »
Aller voir les adultes ? Pour régler un problème entre eux ?
C'était nouveau. Et inquiétant.
À côté d'Evie, Mal croisa les bras, méfiante.
« Et si on se bat avec un professeur ? »
« Quoi ? Non ! » Les yeux écarquillés, Marraine reprit néanmoins le contrôle sur sa voix étranglée, et Evie n'était pas la seule à l'observer de façon prudente et interloquée. Vraiment bizarre. « En aucun cas un professeur – ou tout adulte dans cet établissement ou ailleurs, n'a le droit de se battre avec un enfant. »
« On n'est pas des enfants. »
Marraine semblait prête de la contredire sur ce point, mais elle opta finalement pour détourner la conversation.
« Je voulais aussi aborder le sujet de la magie. »
« Ouais, ça nous intriguait justement, » acquiesça Mal, toujours vive à saisir une opportunité. « Vous n'êtes pas censée vous promener avec une baguette magique ? »
« Oh, je ne me balade plus avec depuis longtemps, il est rare que j'en aie vraiment besoin. Je trouve ça reposant d'ailleurs. La magie à Auradon n'est autorisée qu'à petites doses, voyez-vous. Elle ne doit servir que dans un but récréatif et personnel, et elle ne déroge pas aux lois en vigueur. Avez-vous déjà eu des signes de la vôtre ? »
« Non, » répondit Evie avec un demi-sourire qu'elle savait tout à fait poli et charmant. « Rien. »
« À part des petites étincelles vertes, rien du tout. »
« Si vous souhaitez qu'on se voie pour en parler plus longuement, je suis toujours disponible. Comme je le dis souvent, ma porte est toujours ouverte. »
Carrément bizarre.
O
Après une matinée avec la directrice qui ne voulait définitivement pas lâcher le moindre indice sur le devenir de sa baguette, ils se retrouvèrent une nouvelle fois à la cafétéria. Seulement cette fois-ci leur repas ne put se faire tranquillement entre eux quatre, car Ben leur demanda si lui et ses amis pouvaient se joindre à eux.
Mal ne put que répondre par l'affirmative, le but étant de se fondre dans la masse, et elle dut faire la connaissance de Li Long Wei (que tout le monde appelait Lonnie apparemment) et Douglas Miner, lesquels, si elle en croyait leur patronyme qui n'avaient rien à voir avec un pays ou un royaume, ne devaient pas être des héritiers. Si Doug avait l'air un peu nerveux, ce n'était pas le cas de Lonnie qui, à l'image d'Aziz, semblait ravie de les rencontrer.
Elle n'avait pas besoin d'entendre les commentaires qui devaient courir dans les couloirs ou voir les regards plus ou moins méfiants des autres adolescents pour sentir qu'ils ne seraient pas forcément bien accueillis par tous. Comme s'ils n'avaient pas l'habitude des regards de travers ! Elle aimait quand les gens avaient peur d'elle. C'était quand même la base !
« Alors vous n'allez suivre que certains des cours ? » demandait la jeune fille d'origine chinoise.
« Ouais, » répondit Jay en mangeant avec enthousiasme ses frites. « Le matin surtout, l'aprem on a d'autres trucs de prévu. »
« On va peut-être en avoir certains ensemble. »
« T'es pas plus jeune que nous ? »
« Ici les cours ne sont pas répartis par tranche d'âge, mais par niveau et intérêts, » informa Doug un peu timidement. « Nous ne nous destinons pas tous aux mêmes postes à la sortie de l'école, donc nos cursus sont tous différents. Mais quand on sera diplômé, on sera en théorie capable de remplir le rôle auquel nous sommes destinés ou de continuer nos apprentissages dans les meilleures universités ou académies. »
« Doug révolutionnera l'industrie et je mènerai la garde rapprochée de l'empereur, pendant que ces deux-là se contenteront de sourire aux caméras. »
Audrey haussa un sourcil et ignora ce commentaire avec grâce. En fait tout ce qu'elle faisait, elle le faisait avec élégance. Mal se retint de lever les yeux au ciel alors que Ben souriait à Lonnie.
Ce garçon n'avait aucun amour propre, c'était pathétique. Ses yeux pétillaient presque tout le temps, il prenait les remarques de ses camarades avec humour, incapable de s'énerver, de se défendre.
Et c'était lui, le futur roi des rois ?
« Il y a un empereur en Chine ? » interrogea Carlos en observant de près l'aliment emballé qu'il tenait.
« Oui. Mes parents sont à la tête de la garde et de l'armée. Je voulais faire mes études là-bas mais mon père tenait à ce que je côtoie des gens d'un peu partout. »
Mal ne les écoutait que d'une oreille. Elle était trop occupée à apprécier son repas (c'était plus que délicieux), et elle ne tenait pas vraiment à être mêlée à leur conversation sans sens, surtout quand Evie fut entraînée dans une discussion plus que barbante sur les dernières modes d'Auradon. La jeune fille était très douée pour manipuler son monde, et rapidement tous furent agréablement charmés par sa naïveté et sa gentillesse.
Quelle bande d'imbéciles.
Puis Carlos osa participer un peu et la conversation dévia légèrement sur les convenances.
« Non, on ne s'incline pas devant lui même en dehors de l'école, » contredit Doug. « Un signe de tête respectueux suffit, vu qu'on le connaît. Mais si on ne le connaissait pas ou s'il s'agit de ses parents, oui, on doit s'incliner légèrement, au niveau des épaules, tu vois ? »
« Du coup, il y a une hiérarchie chez les rois et les reines ? » s'amusa Jay. « Vous départagez comment ? »
« C'est super compliqué, » grimaça Lonnie. « Heureusement je n'ai pas besoin d'aller aux événements officiels, ça doit être l'enfer. »
« Déjà, ça dépend de l'événement, de l'hôte et du royaume dans lequel on est, » commença Ben avec un petit sourire. « Tous les pays n'ont pas les mêmes exigences ou traditions. Certains pays ne font pas partie de l'Alliance d'Auradon par exemple. »
« Et ceux de l'Alliance, » intervint Mal, « ils sont sous les ordres de ton père ? »
« Non, ça ne marche pas comme ça. Mon père est à la tête du Conseil et doit trancher si besoin, mais les décisions sont prises en commun. Les pays de l'Alliance doivent se conformer à ces décisions notamment en cas de conflit, il y a un ensemble de lois et de règles auxquels ils doivent se plier, et le Conseil régit aussi les échanges et les règles de circulation entre les pays alliés. Mais en dehors de ces fonctions précises, mon père n'est pas supérieur aux autres chefs d'État. »
« Donc quand ils ont décidé que parquer tout un tas de méchants sur un caillou était une excellente idée, ils étaient tous d'accord ? »
Et juste comme ça, Mal fit basculer l'ambiance de leur charmant déjeuner.
Elle n'était pas désolée.
Gêné, Ben hocha néanmoins la tête.
« Ce fut voté à la majorité, il y avait des voix contre. »
Elle pouvait sentir ses lieutenants légèrement modifier leur position, prêts à agir si la situation se détériorait. Mal voulait bien jouer les gentilles le temps de remplir la mission, mais elle allait aussi dire ce qu'elle pensait parfois.
Ça maintenait l'équilibre.
« Je suppose que pour notre venue ici c'était pareil. »
« Oui. »
Il ne flanchait pas, la regardait dans les yeux, son expression ouverte, ses yeux clairs.
Qu'est-ce qui n'allait pas chez lui ?
« Et sur l'Île ? » intervint prudemment Lonnie pour rompre leur échange. « Il y a une hiérarchie ? »
Mal se força à se centrer sur elle.
« Les choses peuvent basculer très vite. »
« Il faut juste savoir où est sa place, » acquiesça Carlos. « Respecter les territoires et les règles. »
« Les territoires ? »
Mal hocha imperceptiblement la tête quand elle vit Carlos lui jeter un regard discret. Il pouvait continuer à répondre, ça n'avait pas d'importance.
« La cité est au sud de l'île. Personne ne vit au-delà, il n'y a rien à part des arbres morts et des vents violents et vu que les cargos arrivent dans la baie au sud... La cité est divisée en territoires plus ou moins grands, on peut généralement circuler de l'un à l'autre mais faut savoir où on met les pieds. Hadès dirige le nord, c'est pas grand mais c'est là que se concentrent les plus tarés. Maléfique le centre-ouest – c'est le plus gros territoire. Ursula et Crochet ont une alliance et tiennent la baie, au sud. Les Facilier ont pris le contrôle des quelques quartiers est, du nord au sud. De temps en temps il y a des conflits, les frontières peuvent bouger. »
Les continentaux semblaient pensifs. Mal se demanda s'ils essayaient d'imaginer l'Île, ou ce qu'étaient devenus ces êtres mauvais dont étaient peuplées les histoires qu'on avait dû leur conter toute leur vie.
« Alors... vous étiez tous sur le territoire de Maléfique ? » demanda Doug.
« Non, » répondit Carlos. « Moi j'étais sur le territoire de Facilier. Jay a grandi au centre de la cité par contre. Et Evie... C'est un peu compliqué. » Un petit son amusé monta de la gorge de la jeune fille en question. Carlos sourit. « On peut faire partie d'un groupe d'un autre quartier quand on est gamin, même si c'est très rare et très risqué. »
« Mon équipe est exceptionnelle, » acquiesça Mal, non sans fierté ou ironie. « Personne n'ose s'élever contre la présence d'Evie ou de Carlos sur notre territoire. »
Tous les deux avaient des capacités uniques et s'attaquer à eux voulait aussi signifier ne plus pouvoir faire affaire avec eux, un risque que peu d'habitants prendraient – outre le fait de se mettre Mal à dos, ce que tout le monde évitait généralement.
« Mais si Facilier essaye de conquérir le territoire de ta mère ? » interrogea Ben en fronçant les sourcils.
Jay secoua la tête.
« Généralement ça n'arrive pas, il n'est pas fou. Les fois où ça a été le cas, ça s'est réglé dans le sang. À la rigueur il peut essayer d'attirer des atouts sur son territoire, ou y commettre un vol, ou briser un accord... Auquel cas Maléfique est assez grande pour régler ça toute seule. Elle a des gobelins et des gardes. Par contre si c'est Freddie qui s'amuse à déborder, là... »
« C'est à moi de régler le problème, » conclut Mal avec un fin sourire.
Parce qu'elle avait déjà réglé ce problème par le passé, une fois. Freddie était restée à sa place ensuite.
« Qui est Freddie ? »
« La fille aînée de Facilier, dix-neuf ans. »
« Plutôt mignonne. »
« Jay, » grogna Mal alors qu'il haussait les épaules avec un rictus. « En tout cas, si nous entrions en désaccord avec les Facilier quand Carlos vivait encore à l'est, il restait si possible sur la touche pendant le conflit pour garder un droit de passage plus ou moins sauf. C'est comme ça que ça fonctionnait. »
« Et Evie ? »
« Je ne vivais pas sur le territoire du docteur Facilier, je ne faisais que le traverser. »
« Et elle peut intervenir dans les conflits. Personne ne lui en voudra, tout le monde l'adore. »
Carlos. Sérieusement ? Le petit gloussement d'Evie pouvait paraître flatté et adorable, et leurs camarades burent sans problème cette explication.
Si Evie avait effectivement des admirateurs et des relations correctes avec pas mal d'acteurs importants sur l'Île, son statut d'électron libre n'était pas seulement toléré en raison du bannissement de la Méchante Reine en dehors de la cité et pas uniquement grâce à son statut de lieutenant de Mal.
Beaucoup de choses, vraies ou fausses, circulaient sur eux quatre ces dernières années et avaient bâti leur autorité et leur réputation lentement au fil du temps. Mal n'avait jamais demandé à Evie d'aller charmer qui que ce soit près de chez elle. Ça aurait été inutile, car tous les habitants là-bas savaient depuis longtemps qu'il fallait la craindre et garder ses distances. Et petit à petit, les autres territoires avaient compris eux aussi. Malheureusement pour leurs affaires.
La Bataille avait légèrement changé la donne, mais Evie n'était certainement pas adorée pour autant. Même s'il était vrai qu'elle jouissait à présent d'un statut particulier auprès de beaucoup d'insulaires.
« Tu veux que je t'aide avec ça ? » demanda Lonnie gentiment en voyant Carlos tourner et tourner une petite brique dans sa main en l'observant curieusement.
Le garçon porta son attention sur elle et hésita avant de lui tendre l'objet. Elle sourit et lui montra le plastique collé sur le côté.
« Faut que tu déballes la paille. Tu vois ? Et ensuite tu la plantes dans l'opercule, là, et tu peux aspirer le jus. »
« Une paille ? » demanda Carlos en récupérant la brique et en jouant avec le tube en plastique. « Pourquoi faire ça ? Pourquoi pas juste une bouteille ? On peut réutiliser une bouteille. »
Lonnie sembla prise au dépourvu et Doug fronça les sourcils avant de répondre.
« Parce que c'est plus amusant. Les enfants adorent, et c'est pratique. Tu... Vous n'aviez jamais vu de paille ? »
« Les petites briques rigolotes ne font pas partie des cargaisons pour l'île, » rétorqua Jay d'un ton faussement tranquille. La glace derrière son air détaché était limpide, même pour les enfants gâtés. « Comme les jus d'ailleurs. Le chocolat et tout ce qui est sucré, tous ces bonbons que vous avez en quantité. Tous ces biscuits emballés. Cette drôle de pâte que vous tartinez le matin, les yaourts, les pâtisseries, certains fruits qu'on avait jamais vus avant – en tout cas pas de cette couleur. Je parle même pas des légumes ou des milliers de céréales différentes. Personnellement, j'essaye de ne pas prendre comme une insulte le fait que tu n'as même pas terminé ton assiette et que ça va finir à la poubelle, dans laquelle il doit y avoir assez de nourriture pour nous suffire à tous les quatre pour une semaine. Donc non, des pailles qui servent à rendre les jus plus amusants à boire, on n'en avait jamais vu avant, c'est vrai. Mais on n'avait jamais vraiment vu de la nourriture fraîche, alors... »
Il termina d'un ton bien plus amer que celui avec lequel il avait commencé, et les Auradoniens les observaient avec un mélange d'horreur, de honte et de gêne.
Mal hésita entre applaudir Jay et l'étrangler. Elle préféra afficher un petit sourire sucré et se lever, son plateau vide en main.
« Et sur ce, ce repas est terminé. »
Ses trois camarades la suivirent et ils laissèrent un lourd silence derrière eux.
Tout était une question d'équilibre, après tout.
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Il serait difficile de ne pas apprécier le soleil d'après-midi d'Auradon. Leur chambre était lumineuse, il faisait bon, il n'y avait pas de crainte à avoir à se tenir devant les fenêtres, aucun d'entre eux ne devait rentrer chez leur parent pour la nuit, ils mangeaient tous plus qu'il n'était sans doute raisonnable.
Installée sur le lit moelleux, en tailleur, un carnet sur ses genoux alors qu'elle réfléchissait à plusieurs nouvelles tenues, Evie avait beau se dire que leur situation était loin d'être simple ou même durable, elle appréciait l'instant.
Près d'elle, Mal avait ouvert une fenêtre, recouvert le sol d'une bâche prise dans la salle d'arts plastiques et travaillait à recouvrir les petits portraits qui avaient été affichés dans leur chambre par des tags et des œuvres à la bombe de peinture.
Elles avaient déjà un logo à la gloire du mal, un portrait stylisé de Carlos et elle s'attaquait à celui de Jay.
« Donc on a toujours aucune idée d'où est cette foutue baguette ? »
« Aucune, » confirma Evie. « On pourrait fouiller les appartements de Marraine, mais ce serait risqué. »
« Il faudrait faire ça de jour et avoir une diversion, les couloirs sont pleins de gens... Trop risqué, oui. On sait que la barrière a été créée grâce à plein de fées et à Merlin. Peut-être qu'on aurait plus de chance avec une autre baguette ? »
« Sauf que dans ce royaume je ne suis pas certaine qu'il en existe une autre. »
« Il nous faut un repaire. Pour nous préparer, pour tes potions, et pour stocker notre matériel. On peut rien laisser dans les chambres puisqu'elles sont nettoyées régulièrement. »
« Carlos pourra nous trouver une carte détaillée de l'école et des environs une fois revenu de cet entraînement de Tournoi. »
« Qu'est-ce que t'en penses ? »
Evie se pencha pour voir le tableau et hocha la tête pour lui faire part de son appréciation.
« Il ressemble à celui que tu as fait sur le mur du repaire. »
« Dès qu'on peut, on change les couleurs de tous ces tissus et on se sentira déjà mieux. »
« Moins princesse froufous ? »
« Exactement ! »
Le sourire narquois sur le visage de Mal fit sourire Evie qui passa des couleurs sur la tenue qu'elle venait d'imaginer.
« C'est toi le chef. »
« Toujours. Cela dit, si t'aimes pas... »
« Je préférerai toujours ton art à des portraits insipides de princesses inconnues. »
Mal se tourna vers elle avec un air lumineux, ravie, et le cœur d'Evie fit un petit bond en réponse, une douce chaleur l'envahit.
Avec les années elle s'était habituée à ces émotions qui se réveillaient au contact de Mal et des garçons, alors qu'elles restaient aussi lointaines qu'une faible lueur tout au bout d'un tunnel le reste du temps. Ça ne voulait pas dire qu'elles ne la surprenaient pas encore parfois, ou qu'elle savait toujours comment les gérer.
Quelqu'un frappa à leur porte. Elles échangèrent un regard et Evie se déplaça pour être assise au bord du lit, une position plus digne et polie, et qui lui permettrait surtout de sauter sur ses pieds facilement en cas de problème.
Sous le regard de Mal, Lonnie frottait ses doigts les uns contre les autres et ses yeux dévièrent une seconde sur le côté avant de revenir à son interlocutrice. Embarras. Ce n'était pas parce qu'Evie ne le ressentait quasiment jamais qu'elle ne savait pas le reconnaître immédiatement – ou l'imiter parfaitement.
« Je peux entrer ? »
« Je t'en prie, » invita Mal, et Evie eut envie de rire en songeant que c'était peut-être la première fois de sa vie qu'elle prononçait ces mots sans sarcasme.
Lonnie observa autour d'elle, jeta un œil à la bâche et aux tableaux relookés, et passa ses mains dans ses poches nerveusement.
« Je tenais à venir m'excuser pour vous avoir offensés. Ce n'était pas notre but. »
« Tu ne nous as pas offensés, » s'amusa Mal avec un rictus. « Si c'est ça offenser quelqu'un à Auradon, alors sache qu'on ne le sera jamais. »
« Mais... »
Mal prenait beaucoup trop de plaisir à voir la jeune fille aussi gênée, alors Evie se leva avec un petit sourire. Ils auraient peut-être besoin d'alliés, après tout.
« Sur l'Île, les interactions sont différentes et les bonnes manières ne sont pas bien vues, » éclaircit-elle. « Nous n'avons pas les mêmes codes sociaux. »
« Oh. Alors il y aura des maladresses... »
« Sans doute, oui. »
Lonnie hocha la tête.
« Compris. Tu es douée, » ajouta-t-elle pour Mal en désignant les tableaux au sol.
« Je sais. Tu devrais voir ce que j'ai fait de certains murs chez nous. »
« T'as de la chance. Je n'ai aucun talent. Enfin, si, mais les miens ne seront jamais reconnus à Auradon. »
« Illégaux ? »
« Inconvenants. »
« J'ai dans l'idée que pas mal de nos talents seraient aussi dans cette catégorie. »
Evie leva les yeux au ciel – discrètement parce que les princesses ne lèvent pas les yeux au ciel, Evelyn.
« Doug et moi avons été admis ici grâce à des bourses. Mes parents gagnent bien leur vie mais logiquement je n'ai pas le profil idéal pour être admise, et Doug est brillant. Il vient d'une famille normale, enfin son père est l'un des fameux sept nains mais - »
« Sérieusement ? » coupa Mal avec un rictus. « Il ne le porte pas sur lui. »
« Hasards de la génétique. Malheureusement il a un peu trop l'habitude des blagues sur son père. On est peu nombreux à être boursiers, et c'est à la fois une énorme opportunité et une galère. Certains étudiants sont pédants et arrogants. Mais je pense qu'on a eu de la chance d'être là en même temps que Ben, il donne le ton et personne n'ose risquer de se le mettre à dos. Ou de se mettre à dos Audrey. Pour des raisons différentes. »
« Ouais, ils sont terrifiants. »
« Et c'est là que les différents codes sociaux entrent de nouveau en jeu, » remarqua Lonnie avec un sourire. « Je n'ai pas encore tout compris dans leurs relations de royaux ou autres, je ne suis là que depuis un an, mais je sais reconnaître le respect, peu importe sa source. Leurs pairs les respectent, mais pas parce qu'ils sont terrifiants. »
« Et leurs aînés ? »
« Je n'en ai pas vu assez pour savoir ça. Je vais vous laisser, il faut que j'aille finir mes devoirs. »
« À plus tard, » sourit poliment Evie en allant fermer la porte derrière elle.
Elle rencontra le regard de Mal qui leva les yeux au ciel avant de se tourner vers ses peintures. L'artiste attrapa une bombe qu'elle secoua en contemplant pensivement son œuvre en cours.
« Tu crois qu'elle a une idée de ce qu'on peut imaginer en entendant 'talents inconvenants' quand on vient de l'Île ? »
« Mal ! »
« Hey, je connais rien de la Chine, si ça se trouve je suis pas loin de la vérité. »
« On va éviter ce genre de sous-entendus avec la jeunesse dorée d'Auradon, si tu veux bien. »
« Dommage. »
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Apparemment, Auradon canalisait l'énergie et la violence de ses jeunes sur les terrains de sport. Jay avait passé quinze minutes à décrire avec enthousiasme ce dont il avait été témoin et ce en quoi consistait ce Tournoi, clairement excité à l'idée de pouvoir bousculer tous ces héritiers sans avoir à déroger aux règles stupides de l'école.
« Coach a dit que je pourrai venir à l'entraînement mercredi, qu'est-ce que t'en penses ? »
Mal haussa les épaules, allongée sur le ventre sur son lit.
« On doit jouer le jeu, donc pas de soucis pour moi, amuse-toi bien mais ne casse pas de prince. »
« Nan, t'inquiète. Il y a tout un tas de protections qu'on porte, c'est ridicule. »
« Et toi, Carlos ? » demanda Evie en se détournant de sa coiffeuse pour regarder le garçon assis au sol, son ordinateur sur les genoux. « T'en penses quoi ? »
« J'irai pas, » offrit-il. « Au fait, on a trouvé ce que font les filles pendant que leurs princes charmants sont sur le terrain. Elles les encouragent. »
« Quelle surprise, » railla Mal avec un froncement de nez.
« Non, tu ne comprends pas. C'est un sport. Elles les encouragent. Elles ont un uniforme et tout, chantent des chansons, font quelques acrobaties. Audrey est leur capitaine. »
Lorsqu'ils se tournèrent tous les trois vers elle avec des expressions amusées, Evie secoua la tête.
« Jamais. Je veux bien jouer une parfaite princesse naïve, mais ma limite est là. »
Avec un rire pétillant, Carlos hocha la tête.
« Le jaune n'est pas ta couleur de toute façon. J'ai trouvé un plan complet de l'école, Mal, et tu vas adorer. »
« Dis-moi. »
« Auradon Prep a plusieurs greniers, et à part l'un d'eux qui sert apparemment de stockage pour de vieux meubles, les autres salles semblent vides et abandonnées. »
« Comment on y accède ? »
« Il y a un escalier tout au fond du couloir est – c'est celui des garçons, ou... une trappe dans le plafond du local réservé au personnel d'entretien, juste au bout de votre couloir. »
Jay émit un petit son amusé et Evie sentit son cœur s'emballer doucement, comme chaque fois que les étapes d'un plan se mettaient en place.
« On va pouvoir enfin se mettre au travail, » annonça Mal avec un sourire. « Evie, tu peux faire une liste de tout ce dont tu as besoin pour ton atelier de parfaite petite sorcière ? Matériel et ingrédients. »
« Déjà fait. »
« Excellent. Il va aussi nous falloir des armes, et du matériel pour Carlos. »
« Je compte bien repérer ces ateliers demain après-midi, » l'informa celui-ci.
Jay se frotta les mains avec un grand sourire.
« Donnez-moi vos listes et les localisations, les gars, et je vous aurai tout ce qu'il vous faut en un rien de temps ! »
« Je pourrais me mettre au travail assez vite si j'ai tout ce dont j'ai besoin. »
« Tu as réussi à percer un trou dans la barrière avec quasiment rien, je ne suis pas inquiète pour cette partie du plan. »
Evie ne cacha pas son petit sourire lorsqu'elle vit le plaisir et la fierté éclaircir l'expression de Carlos. Mal ne faisait quasiment jamais de compliments directs, mais elle s'arrangeait toujours pour qu'ils sachent que leurs compétences étaient appréciées.
« Jay, sois prudent. Ils sont peut-être crédules ici, mais ils ne sont pas débiles. »
« Je sais, j'ai déjà repéré certains lieux. C'est une torture de voir toutes ces jolies choses et de devoir garder mes mains dans mes poches. »
Carlos n'arrêta pas de taper sur son clavier mais il souffla de façon amusée.
« On parle toujours de vol, là, n'est-ce pas ? »
« Qui sait, » lâcha Jay avec une étincelle dans le regard.
« N'y pense même pas, » menaça immédiatement Mal. « On en a déjà parlé. Ça m'étonnerait fort que ce genre de comportement soit accepté dans cette école. »
Il haussa les épaules et Evie se recentra sur ses ongles.
Jay et ses conquêtes. En dehors du vol, ces derniers temps son passe-temps favoris était de faire tomber les jolies femmes à ses pieds. Cela leur avait déjà causé des problèmes, notamment quand Frollo l'avait trouvé au lit avec sa fille... Mal lui avait ordonné d'arrêter ses bêtises, ce à quoi il avait répondu que ce n'était pas parce qu'ils ne s'amusaient pas tous les trois que lui ne devait pas profiter de ses flirts, et puis...
Bref, Mal avait eu gain de cause et Jay avait toujours fait en sorte que ses loisirs n'interfèrent plus avec les intérêts du gang.
« On va repérer ce grenier cette nuit, et avec un peu de chance on pourra commencer à travailler dès demain soir. »
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Ce lundi après-midi, lorsque Sam observa Carlos quitter son bureau, elle savait déjà qu'elle allait devoir flirter avec les lignes de sa profession. Tous s'étaient pliés à la demande de la directrice et avaient honoré leur rendez-vous, les uns après les autres.
La pièce du rez-de-chaussée avait été aménagée selon ses demandes. Un bureau contre le mur, deux plantes, un sofa, deux fauteuils et une table basse. Si elle s'asseyait sur le fauteuil face à la table basse et au sofa, elle se retrouvait la plus éloignée des deux accès : la fenêtre entrouverte qui perçait le mur à sa droite et la porte à sa gauche. Ils seraient par contre aisément accessibles pour ses interlocuteurs, ce qui était le but recherché. Elle avait demandé à ce qu'une commode soit installée sur l'autre mur, près de la porte, et elle y avait disposé des bouteilles d'eau, des figurines, des livres. Sur la table basse, il y avait des carnets vierges et des crayons, deux balles anti stress, des casse-têtes aussi, et des friandises.
Ce premier contact devait lui donner une idée de ce qui se passerait dans les prochains rendez-vous, les jeunes devant venir la voir séparément une fois par semaine.
Sans surprise, tous s'étaient installés à la même place sur le sofa, côté porte. Jay s'était avachi, les bras croisés et un petit sourire narquois aux lèvres. Carlos s'était tenu au bord du coussin, nerveux, prêt à bondir sur ses pieds à tout moment. Evie avait eu une posture droite, élégante, les mains sur les genoux et une expression avenante au visage. Mal avait pris place avec un soupir agacé, un pied sur la table basse et le regard défiant.
Quatre personnalités bien distinctes, des comportements différents. Mais tous leurs regards avaient balayé la pièce de la même façon, attentive, rapide, perçante. Tous leurs regards avaient glissé sur Sam comme pour vérifier... Quoi ? Si elle était armée, peut-être...
Vigilants, observateurs, méfiants. Anxieux, tous à leur manière.
Leur attitude n'avait pas changé lorsqu'elle leur avait expliqué calmement que tout ce qu'ils diraient dans le bureau resterait entre elle et eux, sauf si elle pensait qu'ils étaient en danger. Ils avaient eu l'air sceptiques lorsqu'elle leur avait dit que bien qu'ils étaient tenus de venir à leurs rendez-vous, ils pouvaient aussi partir lorsqu'ils le souhaitaient.
« Genre, là par exemple, je peux me lever et partir ? » avait demandé Jay.
Elle avait souri.
« J'espère que tu vas rester un peu plus, mais si à un moment tu estimes que tu as envie ou besoin de t'en aller, tu pourras. »
Lorsqu'elle avait demandé ce qu'ils pensaient de leur école pour le moment, elle avait eu droit à des réponses diverses mais toutes brèves.
Carlos : « C'est intéressant. »
Jay : « C'est grand. »
Mal : « C'est différent. »
Evie : « C'est bien. »
Pour leurs cours, certains avaient été un peu plus loquaces.
Carlos : « J'aime bien la chimie et l'arithmétique. Les sciences de la Terre, c'était pas mal. Pour le moment, j'ai pas d'avis sur le cours de littérature. »
Jay : « C'était chiant. Je peux dire ce que je veux, hein ? C'était chiant. On reste assis et on attend. J'ai besoin de bouger, je ne suis pas fait pour rester sur une chaise. Ça sert à rien. »
Evie : « La chimie est un peu difficile pour moi... Après ça, j'avais un cours d'arithmétique, encore avec Carlos. Je ne suis pas sûre d'y arriver. Je pense que j'aimerai les Sciences de la Terre. Le cours de littérature semblait intéressant, mais nous devons rattraper plusieurs lectures apparemment. »
Mal : « Franchement, tous les gamins des royaumes font ça toute la journée ? C'est pas la productivité qui les étouffe. On a eu un cours de deux heures avec Jay sur l'économie. Passionnant. Puis on a parlé de la planète et d'un bouquin. Au moins il y a des morts dans le livre, c'est toujours ça. »
Sam en avait naturellement profité pour leur demander comment ils occupaient leurs journées sur l'Île.
Carlos : « On traînait. Avec la bande parfois. On surveillait les rues, et on maintenait les accords en place. »
Jay : « Un peu de vol, un peu de menaces, faut que les choses tournent bien, vous voyez. Parfois y avait un peu d'action. »
Evie : « Je passais du temps avec les autres ou à la maison. »
Mal : « J'organisais. Je complotais. Ça prend du temps de maintenir l'ordre et de s'assurer que tout le monde se rappelle de sa place. »
Est-ce qu'ils avaient des amis sur l'Île ?
Carlos : « Il n'y a pas d'amitié là-bas. »
Jay : « C'est pas Auradon et compagnie. »
Evie : « C'était différent. »
Mal : « Ça n'existe que chez les faibles. »
Sam n'avait pas anticipé une ouverture aussi claire, mais elle n'avait pas hésité à leur demander ce qu'ils étaient les uns pour les autres dans ce cas. La réponse avait été nette pour tous les quatre. Des alliés.
Elle n'en savait pas encore assez pour déterminer ce que cachait ce mot, si c'était une différence de vocabulaire ou une vérité, ce qu'il pouvait contenir et ce qu'il pourrait révéler. Mais il y avait eu une tension dans les muscles de Jay, une crainte dans les yeux de Carlos, une menace derrière le ton de Mal et un amusement étrange dans l'expression d'Evie.
Elle n'avait pas voulu trop insister pour ce premier entretien alors elle avait conclu en leur demandant simplement ce qu'ils espéraient de leur venue à Auradon.
Carlos avait eu l'air surpris, nerveux, son regard s'était baladé autour d'elle quelques secondes, avec hésitation. C'était une question ouverte et ça le rendait clairement méfiant. Finalement il avait simplement haussé les épaules et répondu doucement qu'il était content d'avoir un lit et des repas à volonté.
Jay avait souri après s'être figé quelques secondes, puis il avait parlé de sport et de jeux vidéo.
Evie avait gardé la même expression polie et lumineuse qu'elle avait eu tout le long de leur conversation, et elle n'avait pas hésité avant de lui parler de nouvelles sortes de cosmétiques et de rencontrer des princes.
Et Mal avait haussé un sourcil, ouvertement amusée, un sourire cynique aux lèvres. Pour elle, Auradon était plein de possibilités très prometteuses.
Sam aurait dû savoir que les frissons qui l'avaient parcourue alors n'étaient pas seulement dus à la fenêtre ouverte.
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