Devant lui, une volée de marches descendait vers ce qui semblait être une sorte de place : le dallage noyé par de grandes flaques était parsemé d'herbe drue et les nombreuses tombes qui en dessinaient le pourtour étaient parfois ornées de bougies. Les lieux étaient surplombés par un arbre mort immense dont les racines dévoraient un sarcophage de pierre démesuré. Mais ce qui attirait le regard se trouvait au centre du vaste espace : un homme titanesque se tenait un genou à terre avec une épée – aussi noire et torsadée que celle du feu de camp – enfoncée dans le corps, à l'emplacement du cœur, le perçant de part en part. Une hallebarde à sa mesure était plantée dans le sol, devant son porteur.

Le colosse était parfaitement immobile, tel une statue de pierre. Seule la matière noire visqueuse et tentaculaire qui sortait de son dos était mouvante.

Le mort-vivant hésitait. Quelque chose en lui lui hurlait le danger que représentait l'homme pétrifié. Malgré cela il avança, lentement et bouclier levé, jusqu'au gardien. Le terme avait soudain frappé l'épéiste, et comme dans un flot continu, d'autres informations s'étaient imposées à lui. "Un gardien. Non. LE gardien. Le gardien du Cimetière des Cendres… Gundyr." Alors que ce nom lui brûlait encore l'esprit, il réalisa qu'il avait dans les mains l'épée torsadée, extraite de son improbable fourreau.

Le gardien se déplia, se redressa de toute sa hauteur avant d'arracher sa hallebarde démesurée du sol. Sans la moindre sommation, il balaya l'espace devant lui, manquant de peu de faucher le chevalier qui, en un réflexe salvateur, avait lâché l'épée noire et s'était jeté au sol. Il eut tout juste le temps de rouler sur le flanc pour esquiver la lame géante de Gundyr qui s'abattit, telle une guillotine, en s'enfonçant dans la pierre. Le temps que le colosse dégage son arme, le chevalier était de nouveau sur pieds, la main ferme sur son épée longue et le pavois en avant. La mâchoire crispée, il scrutait son opposant, guettant l'amorce de sa prochaine attaque. Attaque qui ne tarda pas à venir : en trois pas rapides, le titan avait contourné le bouclier de l'épéiste pour lancer un puissant coup d'estoc. Des étincelles jaillirent lors de la collision. En un mouvement aussi vif que souple, le chevalier était parvenu à dévier l'assaut. Profitant du léger déséquilibre du gardien, il asséna à son tour un puissant coup d'estoc… qui ripa sur l'armure de plates. Les deux ennemis se reculèrent brusquement pour retrouver une distance de sécurité.

Ils se tournaient autour, chacun attendant une ouverture. Ce fut le plus grand des deux qui brisa cet instant de répit. Il prit sa hallebarde à deux mains pour lancer une charge destructrice. À l'impact, il fit littéralement exploser le mur de roche devant lequel se trouvait le guerrier ressuscité une seconde plus tôt. Exploitant le temps mort qui suivit, l'épéiste frappa à nouveau. En entendant le hurlement de douleur du colosse, il comprit que cette matière noire qui lui dévorait le dos était sensible. Gundyr força son adversaire à reculer en balançant son large poing derrière lui.

Ils se faisaient face une nouvelle fois, marchant lentement, toujours en décrivant un cercle. La taille impressionnante du gardien et de son arme lui conféraient un avantage d'allonge, mais ses mouvements – bien que rapides – étaient suffisamment prévisibles et longs à l'amorce pour le mort-vivant. Ce dernier se sentait de plus en plus à l'aise en combat. Comme si son corps se souvenait comment lutter, il arrivait qu'il esquive avant même d'y avoir songé. Il venait, au cœur de cet affrontement, de trouver un premier indice sur sa vie passée : il avait toujours vécu avec une épée à la main. Il avait toujours été un combattant.

Fort de son expérience retrouvée, le chevalier anonyme parvint à assener de nombreux coups dans le dos de son ennemi. Il pensait pouvoir vaincre ainsi son imposant adversaire par la fatigue. Du moins l'espérait-il jusqu'à ce que le colosse ne s'immobilise en une posture étrange.

Gundyr, les deux pieds ancrés au sol, le regard dirigé vers le ciel, la bouche ouverte en un cri muet et les bras désarticulés, fut prit de convulsions. La matière noire s'anima soudain, comme explosant du dos de son hôte. Se déversant à l'infini, la chose prit la forme d'un immense serpent sur lequel on discernait deux billes rouges luminescentes au-dessus d'une large gueule aux crochets effilés. L'immonde reptile était fusionné avec le gardien, lui conférant plusieurs excroissances massives, notamment une griffe gigantesque dans laquelle le chevalier aurait pu tenir tout entier.

Pétrifié par cette soudaine transformation, le guerrier ne pu esquiver l'attaque. Il vola à l'autre bout de l'arène et s'écrasa violemment sur le sol de pierre avec un craquement d'os. Le gardien ne lui laissa aucun répit : usant la queue du serpent comme une perche, Gundyr se projeta en l'air de plusieurs mètres, brandissant sa hallebarde en une promesse de mort. La lame fendit l'air dans un sifflement sinistre.

Il s'en fallu de peu pour que le chevalier, à peine éveillé, ne retourne à la terre. En tant que mort-vivant, il ne ressentait pas la douleur. Aussi avait-il pu, avec l'énergie du désespoir, rouler sur le côté au dernier moment. Malheureusement, il en avait lâché son bouclier, son heaume cabossé était tombé au sol et son épaulette droite, défoncée par l'attaque précédente, s'était détachée.

Malgré sa situation délicate, il se refusait à céder à la panique. Plus encore, il refusait de fuir. La mission dont il se sentait investi passait par ce combat, il en était certain. C'était une mise à l'épreuve ; c'était le jugement du gardien. Si le mort-vivant parvenait à vaincre, il serait digne de poursuivre sa quête inconnue. Il suffisait de remporter le duel.
Dans un réflexe naturel qui le surprit lui-même, l'épéiste porta la main à sa hanche pour y saisir un petit flacon qu'il vida d'un trait. "Une fiole d'Estus ?" Une douce chaleur se diffusa dans tout son corps, ressoudant les os qui avaient été brisés lors de la précédente attaque. Cette guérison miraculeuse lui donna un second souffle.

Changeant de tactique, le guerrier prit son épée à deux mains et se rua sur son adversaire, se glissant dans son dos à l'instant où il arrivait au contact. Gundyr, trop massif pour suivre la démarche, tenta de se retourner pour empaler son ennemi, sans succès. De même, la mâchoire monstrueuse qui avait envahi son épaule se referma plusieurs fois sur le vide. Le chevalier prenait soin de rester dans l'angle mort et du gardien et du serpent noir, profitant des courts instants où les deux entités cherchaient à se retourner pour enchaîner les coup de taille. Très vite, le sang noir du colosse macula la pierre.

Quand le serpent noir s'évapora et qu'enfin Gundyr s'écroula pour ne plus se relever, le revenant anonyme était à bout de souffle. Épuisé, il se laissa choir sur le sol inondé d'eau trouble, pleine de sang noir et visqueux. Trop fatigué pour s'étonner, il regarda sans émotion le corps du gardien se désagréger en minuscules particules de cendre.

Il avait vaincu.

Le vent accéléra soudainement, faisant tournoyer les restes du colosse autour du chevalier. Ce dernier n'eut même pas le temps d'esquisser un mouvement que toutes les cendres se collèrent à lui en dégageant une vive chaleur. Le mort-vivant étouffa un cri de surprise. Il avait la sensation qu'un feu – un feu doux, rassurant – s'était allumé en lui. En observant ses membres, il se rendit compte qu'il n'était pas si loin de la vérité : il paraissait incandescent. Comme les braises d'un foyer, il rougeoyait par endroits, sur sa peau comme sur son armure.

Sa fatigue s'était envolée. Un sentiment de plénitude et de sérénité l'envahit. Il se sentait… complet.

C'est en balayant l'arène démolie du regard que le vainqueur nota un feu éteint, à l'endroit même où Gundyr se tenait avant de s'éveiller. Il prit le temps de ramasser son casque et son bouclier puis d'attacher tant bien que mal l'épée torsadée dans son dos avant de tendre la main vers la poussière d'os. Il s'interrompit brusquement. "Si j'allume ce feu, va-t-il me voler ma flamme ?" Il hésita longtemps mais décida que, si le premier feu n'avait pas nécessité une grande énergie, celui-ci pourrait se contenter de la même chose. Il tendit sa chaleur de nouveau, tout aussi instinctivement, et une lueur naquit dans les cendres.

La seule issue de la place était une large double porte contre laquelle le chevalier inconnu dû mettre tout son poids pour en faire bouger les battants. De l'autre côté, le paysage était tout aussi accidenté mais différait par son ambiance. Un sentiment de calme baignait les lieux, malgré les quelques carcasses prostrées dans l'herbe ici et là. La grande colline – bordée de part et d'autre par le vide, agrémentée d'un long escalier et constellée de tombes – était dominée par une construction en pierre massive, elle-même surplombée par un clocher. Tel un papillon attiré par la lumière, le revenant était captivé par cette grande structure. Il avança avec assurance vers le bâtiment, mais s'arrêta un instant sous l'arche qui en marquait l'entrée. Il faisait vaguement plus frais à l'intérieur.