Quand la brume se dissipa, il n'était plus au Sanctuaire mais dans une étroite et vétuste pièce ronde, sans fenêtre, dont l'unique issue était une simple porte de bois. Seules quelques fentes dans la toiture ici et là laissaient filtrer la lumière blafarde du matin à travers la charpente. La Morteflamme ne s'attarda pas sur les crânes humains qui habillaient le sol de la pièce et avança vers la porte qu'il s'empressa d'ouvrir. Un puissant courant d'air l'accueillit à l'extérieur. Malgré l'urgence de sa mission, Hélios ne pu s'empêcher d'admirer la vue : le château de Lothric – hérissé de ses innombrables tours, donjons et balcons où flottaient les armoiries royales – semblait trôner dans le ciel d'où il surplombait la ville, ses jardins et sa cathédrale. De son étonnant point de vue, le revenant pouvait voir une petite partie du chemin qu'il allait devoir parcourir pendant sa quête ; mais cela, il l'ignorait.

Il descendit une volée de marches pour atteindre une des nombreuses tours qui parsemaient le chemin de ronde. En s'approchant de l'escalier qui menait au chemin lui-même, le guerrier eu la mauvaise surprise de le découvrir infesté de carcasses. Une bonne majorité était prostrée devant des effigies difformes, priant avec autant de ferveur que leurs corps décharnés pouvaient le leur permettre. D'autres étaient simplement assises, comme attendant patiemment une mort qui ne viendrait jamais. Rares étaient celles qui étaient debout, et plus rares encore celles qui se déplaçaient.

Le chevalier tira son épée de son fourreau. Il allait devoir souiller sa lame pour se frayer un passage jusqu'au château.

Quand sa première victime s'effondra sur le sol, alors que les âmes quittaient le corps décharné, Hélios senti l'anneau au serpent argenté réagir. Le bijou magique semblait épaissir le filet blanc qui rejoignait la poitrine de son porteur. Si – comme il le supposait – elle amplifiait bel et bien le nombre d'âmes engrangées, la relique du Sanctuaire allait être d'une aide non négligeable.

Le porte-braise descendit des étages, en monta d'autres, emprunta nombre d'échelles et d'escaliers de longueur variées, autant pour progresser que pour éviter les mauvaises rencontres. Il fut d'ailleurs très heureux de ne pas compter de dragons parmi ces "mauvaises rencontres" ; car à son grand étonnement, il trouva de plusieurs de ces reptiles géants, affalés sur les constructions, morts depuis si longtemps que leur peau avait blanchi au soleil. Il aurait aimé savoir pourquoi ces titans d'écailles, réputés invincibles, s'étaient retrouvés ainsi écroulés sur les murs du château.

Le revenant avait quitté le chemin de ronde pour entrer dans la ville elle-même, se rapprochant lentement mais sûrement du cœur du château qu'il s'était fixé pour objectif. Mais les rues étaient bien gardées : en plus des innombrables carcasses qui stationnaient par endroits, des chevaliers – des mort-vivants eux aussi dont l'armure était frappée du blason rouge et or de Lothric – patrouillaient.
Malheureusement pour lui, Hélios n'était en rien discret. Il ne pouvait pas se contenter de contourner ces ennemis dans les rues étroites. Pas d'aussi près.

Il affermit sa prise sur la garde de son épée longue. Il n'avait pas eu le temps de rengainer depuis qu'il était arrivé. Ou plutôt, la sensation d'un danger omniprésent l'en avait dissuadé. Il y avait dans l'air, par moments seulement, une odeur suffisamment désagréable pour que le revenant – qui avait pourtant un faible odorat – se sentit incommodé. Et les carcasses n'y étaient pour rien.

Ses circonvolutions l'amenèrent jusqu'à un donjon qu'il pensait traverser sans s'arrêter. Toutes les cellules étaient occupées, et pourtant seul un prisonnier semblait encore sain d'esprit. Ce dernier, assis calmement sur sa paillasse, interpella le passant en armure.

- Hé ! Vous ne faites pas parti des geôliers, pas vrai ?

À son intonation, il était facile de deviner que le détenu souriait sous la capuche de servitude qui masquait intégralement son visage. Il poursuivit avec plus d'étonnement que de malice.

- Non, on voit que vous arrivez de loin. Et si j'en crois la cloche… Vous devez être l'une de ces Morteflammes. Époustouflant. Si c'est bien le cas, j'ai une faveur à vous demander.

Surpris d'être ainsi recruté sans avoir eu le temps de répliquer, Hélios s'approcha, curieux d'entendre ce que ce pouilleux pouvait avoir à dire.

- Au pied du Grand mur, se trouve une petite bourgade un peu miteuse, expliqua-t-il. Ce n'est pas le domaine d'un Seigneur… juste un vieux camp de Mort-vivants. Vous y trouverez une vieille femme du nom de Loretta. J'aimerais que vous lui remettiez cet anneau.

Il tira de son pagne une magnifique bague argentée, sertie d'une gemme bleue roi parcourue de nervures plus sombres. Il tendit le bras vers son interlocuteur à travers les barreaux. Sa voix se fit plus hésitante.

- Je... je ne vous demande pas de me rendre ce service par pure bonté d'âme. Pour tout dire, si... si vous faites ça pour moi... Je vous rendrai la politesse en donnant de ma personne.

S'il avait eu les mains libres, le Chercheur de Flamme aurait croisé les bras d'un air dubitatif. L'autre dû le sentir, car il poursuivi sur le même ton embarrassé.

- Je... je ne suis qu'un humble larron, mais j'ai plus de jugeote que certains ronds-de-cuir. Alors, qu'en dites-vous ?

Le porte-braise inspecta son interlocuteur des pieds à la tête. Il avait, en effet, tout d'un filou. Mais avoir un gredin de son côté pouvait présenter plusieurs avantages, le premier étant qu'il n'allait pas essayer de le détrousser. Le second, qu'il devait connaître les lieux, ou au moins le village dont il parlait. Et puis, porter un anneau à une vieille femme… La mission qui avait mené le guerrier près de cette geôle était de loin plus périlleuse. Dans le meilleur des cas, il glanerai quelques âmes au passage, et au pire, il pourrait toujours garder l'anneau ou en tirer un bon prix. Quel mal y avait-il à voler un voleur ?
Non sans une pointe de condescendance, le fier chevalier accepta le marché en se saisissant du bijou.

- Très bien. Je vais donc accepter de vous faire confiance, enchaîna le prisonnier en se levant. Je suis Greirat, du Camp de Mort-vivants, et je vous promets d'agir en allié fidèle. Allez remettre cet anneau à Loretta, la vieille femme qui vit au pied du Grand mur, insista-t-il. Respectez votre part du marché, et je respecterai la mienne.

Le Traque-Seigneurs eu un sourire narquois. Comment diable le brigand comptait-il honorer "sa part du marché" s'il restait enfermé ? Toujours sans mot dire, l'épéiste transmit sa pensée en donnant un simple coup dans les barreaux. Greirat haussa les épaules.

- Je… Je trouverai bien une solution…

La serrure, usée par le temps, n'offrit que peu de résistance à l'épée du chevalier. Une fois libre, le bandit salua jusqu'à terre avant de s'éloigner d'un pas leste. Hélios le regarda partir. "Il n'est pas armé. Même s'il connaît les parages, il sera une gêne si je dois le protéger. Mieux vaut que je continue seul."

Gonflé d'orgueil et avec une nouvelle bague – magique elle aussi, il l'avait senti – au doigt, le Chercheur de Flamme poursuivit sa route. Il ignorait à quel point ce "service" allait s'avérer délicat à rendre.

C'est en arrivant sur une petite place, après avoir descendu une énième échelle, que l'explication de la puanteur sentie plus tôt s'offrit enfin aux yeux de la Morteflamme : un gros chevalier tournait autour d'une fontaine asséchée, foulant sans ménagement les corps inanimés de nombreux chevaliers, certains portant l'emblème de Lothric. Plusieurs petits brasiers, alimentés par autant de chairs que de détritus, éclairaient la scène d'un rouge malsain.

S'il avait été humain, Hélios aurait eu du mal à déglutir, tant la vision de ces dépouilles décapitées et l'odeur qui l'accompagnait étaient écœurantes. Mais il n'était qu'un mort-vivant indigne d'être sacrifié au Feu ; aussi ne voyait-il que son adversaire qui continuait de faire les cent pas sur la place en attendant sa prochaine victime. Et au vu des appendices plumés qui ornaient son dos, mais surtout des grades représentés sur son tabard bleu, ce chevalier "ailé" était d'un tout autre acabit.

La Morteflamme prit son épée à deux mains, défiant l'obèse Chevalier – qui le dépassait de plusieurs têtes – de la pointe de sa lame qu'il gardait à hauteur des yeux. Son opposant ne tarda pas à remarquer le nouvel arrivant et, confiant, avança lentement vers lui. Son pas lourd résonnait sur le pavé souillé de sang. Un rire sinistre s'échappait de son heaume : il était sûr de sa victoire. Il leva à deux mains sa lourde bardiche vers le ciel, laissant sa garde ouverte. Il ricanait intérieurement, sachant que son adversaire n'aurait pas le cran de combler l'écart de portée pour délivrer son coup, comme tous les autres.
Hélios analysa rapidement la posture de son opposant et jugea qu'il était effectivement plus simple d'esquiver et bien trop risqué de se jeter sous sa lame. Lorsque celle-ci s'abattit en un grand fracas contre le sol, le revenant remarqua que le Chevalier ailé avait beau être rapide, il ne semblait pas l'être autant que Gundyr. Le Chercheur de Flamme se sentit confiant : il avait vaincu le gardien du cimetière, pourquoi perdrait-il face à un ennemi qui manie une arme similaire tout en étant moins dangereux ?

Une trop grande confiance en soi peut nuire à la prudence. C'est la leçon qui se rappela douloureusement au porte-braise présomptueux en ce début de combat. Contre tout attente, l'obèse Chevalier fendit l'air du manche de son arme. Le guerrier, trop étonné pour réagir, prit l'attaque de plein fouet et sentit plusieurs de ses côtes se briser sous le choc.
Autant Gundyr maniait sa hallebarde avec habileté, autant le Chevalier ailé usait de sa bardiche de façon illogique et imprévisible. Son nouvel assaut aurait pu décapiter Hélios si ce dernier n'avait pas eu la bonne idée de se jeter au sol : tel une toupie infernale, le monstre s'était mit à tourner sur place tout en brandissant sa lame. Voyant qu'il ne pourrait toucher son opposant, il stoppa net sa vrille pour lancer une autre attaque, encore moins prévisible. Des colonnes d'un blanc immaculé apparurent soudain autour du Chevalier ailé, frappèrent le sol d'une lumière brûlante avant de disparaître pour réapparaître plus loin. Les piliers se disposaient si aléatoirement autour du lanceur de miracles qu'Hélios manqua, de peu et par plusieurs fois, d'être blessé par l'un deux. La Morteflamme ne s'attendait pas à croiser de chevalier-mage. Le combat s'avérait plus ardu que prévu.

Les coups du gros chevalier étaient rapides et lourds. Chacun d'eux déséquilibrait le porte-braise, ouvrant grand sa garde qu'il s'empressait de rétablir pour parer l'attaque suivante. Tout comme Gundyr, le Chevalier ailé avait un considérable avantage d'allonge ; quand ce fait sauta enfin aux yeux du porte-braise, il se rapprocha brusquement en esquivant difficilement la lame sifflante de son opposant.

L'énorme Chevalier gisait maintenant aux pieds du Traque-Seigneurs, étendu de tout son long, le bras tendu vers sa bardiche qu'il ne pourrait jamais plus saisir. L'arme était trop imposante au goût du porte-braise ; il décida de ne prendre comme trophée qu'une des épées des nombreux chevaliers qui avaient succombés sur la place.

Hélios était à bout de forces. Il aurait tant aimé pouvoir se reposer calmement à un feu, entretenir même sommairement son armure qui souffrait de tous ces combats et panser ses plaies – quand bien même celles-ci ne saignaient pas. Mais le revenant, pressé par sa quête, ne s'accorda qu'une courte pause, le temps de savourer une petite gorgée d'Estus. Il vallait mieux économiser le précieux liquide de soins car d'autres combats plus difficiles encore devaient l'attendre plus loin, il n'en doutait pas.

Le mort-vivant poursuivit sa route jusqu'à une petite église devant laquelle il affronta plusieurs chevaliers de la couronne. Il espérait que le lieu sacré lui offrirait un instant de calme et de recueillement.
Levant la tête, il embrassa la structure du regard. Une magnifique rosace bleue ornait la façade vitrée ; elle semblait gardée par un duo de gargouilles qui l'encadraient depuis deux grandes tours. Du lierre commençait à manger les nombreuses petites statues de pierre qui agrémentaient l'ensemble, tandis que des buissons se formaient sur des cadavres qui gisaient au pied du mur. Les corps de cinq pèlerins qui n'atteindraient jamais leur destination finale. Comme pour narguer ces malheureux, morts juste avant de les atteindre, les lourdes portes en bois massif de l'entrée étaient légèrement ouvertes. Juste assez pour permettre le passage d'un homme. Ayant plusieurs fois été surpris par des adversaires dissimulés dans les ombres ou des recoins, le Chercheur de Flamme s'approcha lentement de l'ouverture avant d'y jeter un œil.