À l'intérieur, il n'y avait que quelques grands chandeliers qui éclairaient pourtant faiblement l'immense espace vide de l'église, un long tapis rouge sale rongé par le temps, et une personne voûtée assise dans un fauteuil près de l'autel. De loin, ladite personne rappelait vivement la vieille servante du Sanctuaire. Entourée par les piles de ses réalisations, elle cousait inlassablement le même symbole brun sur un carré de lin qu'elle montait ensuite sur une sorte de linteau de bois.

Aucun danger ne semblait guetter, pourtant, le porte-braise ne pu s'empêcher de garder son bouclier à mi-hauteur en parcourant les quelques mètres qui le séparait de la silhouette qui piquait en silence.

- Ah, l'attente aura été longue, Morteflamme, soupira de soulagement la vieille femme en posant son ouvrage sur ses genoux.

Peut-être était-ce à cause cette façon lente et posée de s'exprimer, mais Hélios senti que – malgré son occupation – son interlocutrice était… importante. Elle le lui confirma rapidement.

- Je suis Emma, Grande prêtresse du Château de Lothric.

Le chevalier s'inclina avec respect. La femme ne lui laissa pas le temps de s'introduire à son tour.

- Permettez-moi d'être directe. Ce n'est pas ici que vous trouverez les Seigneurs des Cendres. Ils sont partis…

Le porte-braise eu un sursaut.

- Comment ça, "partis" ?! s'exclama-t-il.

- Ils ont rallié leurs domaines pour le moins animés, qui convergent au pied de ce château.

"Ils se sont dispersés ?" Une vague de désespoir traversa le revenant. Sa quête n'était encore qu'à ses balbutiements et il éprouvait déjà toutes les peines du monde à se frayer un chemin à travers ses ennemis. Qu'en serait-il de la suite ? Le doute qui l'avait envahi avant même son départ du Sanctuaire lançait un nouvel assaut.
Emma coupa court dans les pensées noires du mort-vivant en armure en lui donnant, à lui comme à tous ceux qui l'avaient précédé, les instructions nécessaires à sa progression.

- Rendez-vous au pied du Grand mur. Traversez le portail et hissez cette bannière afin de poursuivre votre route.

Elle attrapa une de ses réalisations et la tendit à son interlocuteur dépité. Hélios accrocha mécaniquement la bannière dans son dos. Il allait devoir parcourir les royaumes entiers pour ramener les Seigneurs un à un. Combien de temps cela allait-il prendre ? Y arriverait-il seulement ? La voix de la prêtresse interrompit de nouveau le fil de ses lugubres pensées. Elle percevait la bonté de la Morteflamme et se sentait coupable de briser ainsi ses maigres espoirs ; elle voulu aider.

- Veuillez accepter ce cadeau d'adieu.

Elle tira un vieux parchemin en peau de mouton qu'elle avait dissimulé entre deux piles de bannières. Le dessin d'une lune bleue en ornait le centre – le serment de la Voie Bleue.

- C'est l'insigne d'un vieux groupe de braves liés par un serment, expliqua-t-elle. Si vous craignez les méfaits des Esprits sombres attirés par les Braises… pressez ce symbole contre votre cœur… Sa puissance vous permettra d'invoquer des Sentinelles bleues qui se chargeront de donner la chasse aux esprits malfaisants.

Avec respect, le chevalier prit l'insigne. Savoir qu'il pouvait attendre de l'aide en cas de situation critique le rassurait, mais en même temps, soulevait d'autres questions. Pourquoi les Morteflammes ne s'entraidaient-elles pas plus souvent ? Pourquoi faisaient-elles cette quête immensément difficile séparément ? Pourquoi certaines iraient jusqu'à attaquer leurs consœurs ? L'âme tourmentée, le chevalier s'apprêtait à repartir – oubliant même de saluer la prêtresse – quand Emma le retint pour l'avertir du prochain grand danger.

- Morteflamme, vous devez vous rendre au pied du Grand mur. Mais méfiez-vous. Le chien féroce veille au grain. Le maudit chien de garde de la Vallée boréale.

Hélios tiqua. "De la Vallée boréale ?" Malgré son amnésie, il n'ignorait pas que cette Vallée était le domaine du Maître Sulyvahn – un héritier des Cendres. Le gros chevalier au tabard bleu devait être aux ordres du maître de la lointaine et froide contrée. Et si le Maître Sulyvahn avait dispersé sa garde dans Lothric, il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'il y poste un gardien également. Mais… le Chevalier ailé n'ayant pas été une mince affaire, le porte-braise redoutait le combat contre lequel on le mettait en garde.

Le Traque-Seigneurs sorti de l'église, la tête basse. Il se sentait fatigué, et savoir qu'il devrait livrer un rude combat juste pour pouvoir continuer sa route alourdissait chacun de ses pas.

La flèche rebondit sur le casque d'Hélios, faisant désagréablement tinter ses oreilles. Il pesta contre cet arbalétrier qui lui tirait dans le dos, alors qu'il était déjà aux prises avec deux autres carcasses. Il détestait les combats dans les escaliers, surtout quand ces derniers étaient aussi longs.

En arrivant aux pieds des marches, une tache de lumière au sol interpella le porte-braise. Une marque blanche. Aussi mystérieusement que le nom du Gardien du cimetière lui était apparu, il su que c'était la marque d'une Morteflamme offrant son aide. Il s'approcha pour lire le nom tracé dans les braises : Albert, le chevalier léonin. Sans hésiter, le Chercheur de Flamme passa la main au-dessus de l'inscription. La marque s'illumina et, dans un cercle de lumière, une pâle silhouette émergea du sol pour prendre rapidement consistance. Le chevalier Albert venait d'apparaître, entouré d'un halo blanc. Il salua son invocateur en silence. Ce dernier, méfiant à cause de l'aspect fantomatique de son allié inattendu, hocha simplement la tête pour lui répondre.

Le second chevalier, de fourrure et de bleu vêtu, le regard masqué par un casque intégral, balança sa lourde hache à deux mains sur son épaule avant de se tourner, paré au combat, vers la grande arche qui achevait la descente des escaliers. Il avait l'air de savoir pourquoi il était venu.

Hélios aurait voulu demander à ce compagnon soudain d'où il venait, comment il avait pu venir via une simple marque au sol – était-il mage ? – ou encore combien de temps il comptait rester. Mais ce chevalier Albert, muré dans un silence concentré, semblait bien davantage prêt à débuter un combat qu'une conversation ou même songer à faire des présentations. Hélios ne savait pas que les spectres, quelle que soit leur couleur, ne pouvaient s'exprimer oralement.

L'arcade donnait sur une vaste pièce vide au dallage fendu et inégal. Sans doute était-ce là que, il y a une éternité de cela, les nouveaux arrivants étaient reçus avant d'obtenir leur autorisation de pénétrer la basse cour du château. De gigantesques portes de bois et de fer, mangées par des racines tout aussi démesurées, barraient la sortie.

Les revenants s'approchèrent de la mince ouverture que le temps avait creusé entre les battants. Hélios se faisait la réflexion que, à grand renfort de coups d'épée, ils pourraient peut-être se dégager un passage. Il voulu tâter une racine, afin d'estimer le labeur à venir. Il n'avait pas encore posé le gantelet sur le bois qu'un bruit étrange le fit se retourner.

Une brume oscillant entre le bleu, le blanc et le noir, épaisse et poisseuse frottait contre l'arche, faisant jouer la herse. Cette dernière ne tarda pas à s'effondrer, fermant la seule issue possible. Le brouillard visqueux s'épaissit encore, doubla de volume, envahissait l'espace. Avec horreur, Hélios vit en sortir une main géante tenant une masse titanesque, puis une épaule… Bientôt la créature en armure, haute comme deux étages, fut sortie toute entière. Progressant à quatre pattes, elle planta son arme démesurée dans le sol de dalles brisées avant de pousser un cri, un hurlement puissant, aussi monstrueux qu'elle. Comme pour Gundyr, le nom de ce nouvel adversaire s'imposa de lui-même : Vordt, de la Vallée boréale.

Si l'on mettait de côté sa posture quadrupède, Vordt était humain. Il l'avait été ; déformé, corrompu par la marque du Maître Sulyvahn – tout comme les Chevaliers ailés – celui qui avait été un fier combattant était devenu un "chien de garde" dont les capacités étaient loin, très loin de celles qu'il avait possédées jadis. Il tenait fermement sa masse à ailettes, qui raclait le sol à chacun de ses pas, avançant lentement vers le porte-braise et son acolyte en poussant un grondement menaçant. Deux yeux bleu luminescents perçait le heaume à la forme improbable du monstre gigantesque.

Hélios tremblait. Il avait peur – au moins un peu, il ne pouvait le nier – mais surtout, l'air s'était brutalement rafraîchi. Étrangement, le chevalier léonin, déjà en position de combat, ne semblait nullement affecté. Pourtant, un nuage blanc s'échappait de son casque à chacune de ses respirations, comme le Traque-Seigneurs. Le souffle de Vordt, lui, semblait fait de givre.

Tous demeuraient immobiles, comme attendant un signal pour se lancer dans la bataille.

Malgré sa taille, Vordt était rapide. Très rapide. Il suivait aisément ses adversaires et abattait sa masse sur eux à une telle vitesse qu'elle explosait le dallage à l'impact. Il usait de son poing – gros comme un homme – pour tenter d'écraser au sol les Morteflammes, et quand il s'estimait en danger, il pouvait sans peine bondir de plus d'une dizaine de mètres de côté pour s'évader.

Mais le pire restaient les plus amples et les plus puissants de ses coups de masses, qui auraient envoyé voler un bœuf comme un vulgaire insecte, et qui obligeaient les deux chevaliers à esquiver plus souvent qu'ils ne pouvaient frapper. Heureusement, l'épée de l'un comme la hache de l'autre étaient très efficaces. Bien que peu nombreuses, chaque touche faisait sauter une partie de l'armure du monstre. Ce dernier, enragé par la douleur, s'immobilisa soudain pour pousser un terrible hurlement, qui fit trembler les murs, avant de se lancer tête baissée en une charge furieuse. Puis une autre, et une autre, et encore une autre. Les Morteflammes se firent renverser plus d'une fois et constatèrent bien vite qu'elles n'avaient plus la moindre ouverture.

Les deux chevaliers, remontant leur garde après avoir laborieusement esquivé une énième charge de leur gigantesque ennemi, crurent que celui-ci reprenait haleine, après avoir ainsi parcouru l'arène de fortune en tous sens, quand il s'arrêta enfin. Avec horreur, il comprirent rapidement que la longue inspiration du "chien de garde" avait un tout autre but : un point blanc lumineux se formait devant son heaume, à l'emplacement de la bouche, et grossissait à mesure que Vordt inspirait. Alors que sa sphère continuait de grandir, le monstre l'orienta vers les deux Morteflammes désemparées. L'une pouvait s'abriter tant bien que mal derrière son bouclier, mais l'autre prit l'attaque de plein fouet et se trouva jeté au sol par le souffle. En une seule longue et puissante expiration, le titan de la Vallée boréale recouvrit près de la moitié de la pièce d'une épaisse couche de givre.

L'invocateur et son spectre n'avaient plus nul part où se mettre à l'abri du souffle glacial de leur ennemi. Ils furent projetés par une nouvelle bourrasque et eurent toutes les peines du monde à se remettre debout suffisamment vite pour éviter un nouvel assaut. La température avait tant baissé qu'ils perdaient peu à peu leurs sensations, rendant difficile les déplacements et plus encore le maniement de leurs lames. Il gardaient cependant un mince espoir : le sbire de Sulyvahn semblait moins vif et ses attaques de souffle de glace étaient de plus en plus espacées.

Finalement épuisé par sa cavalcade à travers la pièce, le chien de garde géant ne tarda pas à ralentir avant d'être rattrapé par ses adversaires. Il mourut d'une hache dans la gorge et d'une épée enfoncée jusqu'à la garde dans l'œil. Le dernier cri de Vordt fut long et strident. Son corps massif s'écroula dans le givre qui avait recouvert le sol, soulevant un nuage de glace dans lequel il disparu avec une bourrasque.

La joie des deux Morteflammes était immense mais elles n'avaient plus, ni l'une ni l'autre, la force de l'exprimer. Elles demeuraient figées, en équilibre précaire sur leurs jambes fatiguées. Sa mission accomplie, le spectre immaculé devint transparent. Notant cela, Albert salua une ultime fois son invocateur avant de s'évanouir dans le néant. Hélios, par respect, s'inclina devant le vide laissé par son acolyte. Sa présence avait été providentielle et le Traque-Seigneurs se prit à espérer que d'autres âmes, aussi fortes et nobles, pourraient lui venir en aide à l'avenir.

Cherchant une issue, Hélios balaya la pièce, toujours couverte de sa couche de givre qui fondait lentement, de son regard fatigué. À l'endroit même où Vordt était tombé, un petit objet luisait entre deux dalles brisées. Le mort-vivant pantelant dû prendre appuis sur son épée pour ramasser d'une main tremblante la chose oblongue et luminescente. Une braise. À mi-chemin entre la pierre et les cendres, ce qui semblait être une statuette rougeoyait au même rythme que lui. Elle contenait la puissance du Feu ; cette puissance dont il était investi depuis qu'il avait vaincu Gundyr. Il la serra un instant contre lui avant de l'empocher.

Un vent puissant s'engouffra dans la pièce. Les portes, qui semblaient pourtant scellées par les racines, s'ouvraient d'elles-même sur un pont brisé. Le précipice béant qui le terminait était tel que l'on aurait juré que la suite n'avait jamais existé. Loin en contrebas s'étalait le Camp de Mort-vivants.

Le porte-braise, haletant, épuisé et encore couvert de givre, avança lentement vers le rebord. Ses jambes ne semblaient plus vouloir le porter. Pourtant, il ne s'autorisa que quelques gouttes d'Estus avant d'obéir à la prêtresse : il tira de son dos la petite bannière et la hissa le plus haut que ses membres engourdis par le froid persistant purent.

Il demeura ainsi plusieurs minutes sans qu'il ne se passa rien. Puis, imperceptiblement, un froissement d'ailes vint perturber le silence. Le chevalier tendit l'oreille. Il aurait juré qu'il y avait plusieurs créatures volantes. Il commença à baisser la bannière, dans l'idée qu'il allait rapidement avoir besoin de son épée. Il n'eut même pas le temps de dégainer. Trois monstres émergèrent soudainement du gouffre, pétrifiant de surprise la Morteflamme. Pâles comme de la poudre d'os, les membres longs et effilés, les mains couvertes de sang et le crâne dévoré par ce qui semblait être leur cervelle exposée, les choses aux ailes diaphanes entourèrent rapidement le guerrier qui n'eu le temps que de faire un pas en arrière. Il fut saisit à chaque bras par deux créatures différentes. Alors qu'il s'attendait à essuyer un coup de la lance du troisième, il sentit ses pieds se décoller du sol.

Avec une étonnante délicatesse, les monstres déposèrent le Traque-Seigneurs sur le chemin menant au Camp de Mort-vivants, de l'autre côté du gouffre. Leur tâche accomplie, ils ne jetèrent même pas un regard en arrière et retournèrent à leur poste, à l'abri des regards, pour attendre la prochaine Morteflamme. Le chevalier observa les improbables passeurs s'éloigner, encore trop sous le choc pour proférer un son.


Autant pour la blague que pour la logique, je me suis permise de faire coudre à Emma toutes les bannières qu'elle doit distribuer aux Morteflammes qui passent par son église... Après tout, 'faut bien qu'elle les sorte de quelque part. :p