Le revenant solitaire finit par déboucher sur une avenue pavée qui longeait un des gouffres. Il n'avait pas fait un pas sur la pierre taillée qu'un grand bruit le fit se jeter à terre. Un sifflement passa loin au-dessus de lui, suivit par un vacarme qui se rapprochait plus d'une détonation que d'un bruit d'impact. Le Traque-Seigneurs se releva rapidement, se sentant bien trop menacé sur cette large route découverte ; il lui fallait un abri. Le bruit retentit de nouveau et Hélios pu voir une flèche – large comme un tronc d'arbre et longue comme trois hommes – traverser le ciel pour aller s'écraser dans le cimetière du village qu'il pouvait apercevoir plus loin. Deux autres flèches suivirent avant que le calme ne revienne sur le Camp. Il fallu que la Morteflamme suive l'avenue, affronte une autre ecclésiastique et son petit groupe de paysans en patrouille avant d'avoir en visuel la tour – une haute construction qui surplombait tout le village et dont le sommet était entouré d'une nuée de corbeaux bruyants – d'où tirait l'archer. Ce dernier devait au moins être un géant pour que, malgré la distance, il puisse être distingué sans mal. Sur quoi tirait-il ? Et pourquoi ? Viserait-il le porte-braise s'il venait à l'apercevoir ? … Ne valait-il pas mieux se débarrasser de cette menace au plus tôt ?

Hélios prit le soin de rester hors de vue du tireur jusqu'à ce qu'il arrive sur la place qui s'étalait au pied du bâtiment d'où, de temps à autres, des flèches pleuvaient. Le chevalier embrasé s'immobilisa en apercevant l'éclat d'une lanterne percer dans l'ombre portée de la tour. Un homme en armure – dont le casque singeait la tête d'un dragon – était assis nonchalamment sur un rocher, son grand marteau à la forme improbable au repos sur son épaule. Il tourna à peine la tête quand le revenant approcha prudemment.

- Hmm… voilà une autre Morteflamme, je me trompe ?

Il n'attendit même pas de réponse ; il poursuivit d'un ton aussi las que hautain.

- Des Mort-vivants insignifiants qui se donnent des airs de sauveurs pour forcer le respect. Pff… persifla-t-il de sa voix rocailleuse. Oublions ça et écoutez-moi attentivement… Si vous avez deux sous de bon sens, allez vous trouver un joli petit cercueil dans lequel vous blottir. Ici, au beau milieu des Carcasses, les gens comme vous ont autant de chances de s'en sortir que des jeunes demoiselles sur un champ de bataille, railla-t-il de plus belle.

Le Traque-Seigneurs demeura sans voix. Il avait bien compris qu'il n'était pas le seul à s'être lancé dans cette quête périlleuse – si ce n'est perdue d'avance – et que l'on attendait peu de lui… mais de là à lui envoyer de telles paroles au visage… Le chevalier au marteau continua d'asséner ses propos cinglants.

- Si comme certains, vous êtes assez bête pour vouloir jouer les champions… allez faire un tour de l'autre côté de l'église abandonnée. Vous devrez y faire face à la mort… un véritable cauchemar… Les épreuves qui vous y attendent finiront par vous briser.

Il ponctua son discours d'un rire sardonique. Il n'avait pas mis longtemps à démolir le peu de confiance que le porte-braise était parvenu à se construire. Le désespoir qui noyait l'âme d'Hélios se changea vite en colère. De quel droit cet inconnu – quand bien même il serait un véritable humain – se permettait-il de débiter pareilles vilenies ? Le mort-vivant se saisit de sa lame, dans l'idée de laver cet affront par le sang.
Il eu tout juste le temps d'empoigner la garde de son épée que la tête du marteau se trouvait déjà à quelques centimètres de la sienne. D'une main et sans efforts visibles, le chevalier moqueur tenait en respect la Morteflamme.

- Vous n'avez pas eu le temps de porter votre attaque. C'est là votre chance. Je vous pardonne pour cette fois. Cette unique fois. Maintenant, allez au diable.

Il attendit qu'Hélios relâche son arme pour reposer son marteau sur son épaule. Le revenant s'éloigna lentement en direction de la tour. Ce guerrier anonyme paierai. Tôt ou tard, il paierai. Le chevalier mort-vivant l'entendit bougonner de loin.

- Ils sont désespérants… Ils n'ont pas plus de jugeote que des papillons de nuit face à la flamme d'une lanterne.

Le Traque-Seigneurs serra les dents ; il avait une folle envie de se retourner pour lancer une invective acide.
Il se rassérénât en poussant les lourdes portes de la tour. Il n'avait pas oublié son objectif premier : déloger l'archer géant.

La première chose qui le frappa, avant même d'avoir franchi le seuil, fut le bruit. Le vacarme assourdissant des cris de corbeaux, se répercutait, était amplifié sur toute la hauteur de la tour. Alors qu'il avançait, il remarqua vite qu'à cela s'ajoutaient les grincements sinistres de bois, de pierre et de cordes, trahissant un mécanisme d'élévateur. Du trou béant qui semblait clore la pièce, émergea une large planche sur laquelle un petit homme rond – du moins, les courbes généreuses de son armure claire laissaient penser qu'il était au moins enrobé – se tenait, un espadon sur l'épaule. Il en descendit pour ne s'arrêter que quelques pas plus loin. À l'entendre, il était visiblement préoccupé.

- Hmmmm… soupirait-il. Hummm…

Hélios avança lentement vers lui, intrigué par cet étonnant personnage. La voix grave du chevalier résonnait dans son casque en forme d'oignon.

- Hummm… Oh ! s'exclama-t-il en apercevant le porte-braise. Pardonnez-moi… j'étais perdu dans mes pensées.

Il effectua une courte révérence.

- Je suis Siegward de Catarina.

- Hélios, le Chercheur de Flamme, se présenta sobrement le revenant incandescent.

- Pour être honnête, reprit l'autre après avoir salué d'un hochement de tête, je suis un peu dans l'embarras. Vous est-il déjà arrivé comme moi de prendre une flèche sortie de nulle part, en passant à proximité d'un bouleau blanc ?

Hélios – qui se souvenait que le cimetière aperçu au loin comportait bel et bien un arbre au tronc blanc – ne répondit pas, ce qui n'empêcha pas son interlocuteur de poursuivre.

- Si je ne me trompe pas, les tirs proviennent de cette tour. Je suis certain qu'il doit y avoir moyen de raisonner le ou les tireurs en question. Cela dit, je dois trouver un moyen de grimper, et c'est là que le bât blesse.

Il se retourna vers l'élévateur.

- Ce monte-charge ne se déplace que vers le bas, voyez-vous, et… et cela ne m'avance à rien… Humm… Humm…

Le chevalier en armure d'oignon reprit ses intenses réflexions, oubliant complètement la présence d'Hélios. Ce dernier eut un sourire amusé masqué par son casque. En plus d'avoir un but commun, ce personnage atypique suscitait sa sympathie.
Le mort-vivant s'intéressa alors à l'ascenseur qui posait tant de soucis. Et selon son analyse, c'était un bien dangereux moyen de se déplacer verticalement : pas la moindre rambarde pour prévenir d'une mauvaise chute, constitué d'une simple plaque de bois pourrie avec un interrupteur rouillé en son centre, le tout tenu par des cordes si usées qu'elles semblaient prêtes à lâcher. Redoutant la suite des événements, il s'avança tout de même sur la planche avant d'actionner l'interrupteur, sans quitter les vieilles cordes des yeux. Le vacarme du mécanisme qui entrait en branle surpris le Traque-Seigneurs qui sauta promptement sur le sol, presque certain que l'ensemble allait céder à cause de la manœuvre. Mais contrairement à ses craintes, la planche de bois descendit sans incident, s'enfonçant dans les ombres du sous-sol.
Penaud, il se dirigeait vers le levier qui permettait de rappeler le monte-charge quand une masse perçue du coin de l'œil l'obligea à lever la tête. Le chevalier de Catarina, qui avait suivit son regard, observa lui aussi une seconde plaque descendre lentement avant de s'arrêter à leur niveau. Stupéfaits, les deux hommes restèrent une poignées de secondes immobiles.

- Oh ! fit sobrement Siegward.

Un double élévateur. Helios aurait bien aimé avoir l'architecte sous la main pour lui exprimer sa façon de penser.

- Quelle révélation ! s'exclama le chevalier Oignon. Nous avons percé l'énigme de ce monte-charge infernal ! En avant, compagnon !

Il n'avait pas fini sa phrase qu'il s'avançait déjà en riant sur la planche de bois. Cette dernière semblait en bien meilleur état, mais n'était pas plus sécurisée. Le Chercheur de Flamme monta prudemment, et l'autre chevalier enclencha le mécanisme.

À mesure qu'ils approchaient du sommet, les cris des corbeaux devenaient de plus en plus insupportables. La plateforme s'arrêta, laissant les deux hommes dans une petite salle éclairée par un soleil qui perçait difficilement à travers les nuages. Toutes les ouvertures sur l'extérieur, larges comme des portes, étaient barrées par d'épais barreaux de fer. La seule sortie semblait mener au dernier étage, là où devait se trouver le tireur géant. Sans consulter le porte-praise, Siegward se dirigea vers les marches. Avisant l'étroit escalier en colimaçon, l'espadon et l'imposante armure de son acolyte, Hélios l'arrêta d'une main sur l'épaule.

- Je vais m'en occuper, dit-il simplement.

Il ne voulait pas risquer un combat au sommet d'une tour avec un allié qui pourrait le pousser ou le blesser par accident. De plus, il ignorait ses compétences guerrières. Mais surtout, le chevalier de Catarina semblait vouloir établir un dialogue avec l'archer ; une idée que le Traque-Seigneurs trouvait tout à fait louable, mais sans doute vouée à l'échec. L'homme en armure d'oignon demeura silencieux une poignée de secondes avant d'accepter la proposition ; il alla se poster à l'une des arches grillagée pour patienter. Hélios affermit sa prise sur la garde de son épée et commença à gravir les degrés de pierre.

Quand le porte-braise aperçu enfin le géant, celui-ci avait déposé son immense arc et contemplait le paysage. Il ne dégageait aucune hostilité et paraissait même rêveur. Étonné mais méfiant, le revenant s'approcha, paré à se défendre. Le colosse de pierre ne tarda pas à le remarquer et tourna lentement la tête vers lui. Le mort-vivant n'avait pas besoin de voir sous le masque de métal qui cachait le visage du géant ; sa posture seule exprimait son léger étonnement. Sa voix grave et rocailleuse s'éleva par-dessus les piaillement incessant des oiseaux.

- Qui êtes-vous ?

Pris au dépourvu, Hélios baissa légèrement sa lame. Devait-il vraiment se présenter à ce monstre en pagne ? Ou pouvait-il l'ocir comme les autres ? Serait-il toujours aussi pacifiste ? Les secondes s'égrenaient et Hélios ne répondait toujours pas. Patient, le géant entreprit de s'asseoir, achevant de convaincre le chevalier qu'il n'avait rien à craindre.

- Je me nomme Hélios le Chercheur de Flamme, annonça enfin ce dernier en rengainant son épée, et je suis une Morteflamme.

Son interlocuteur hocha la tête avec intérêt.

- Je suis en quête des Seigneurs de Cendres, mais je dois d'abord passer par le village de morts-vivants…

Le géant hocha de nouveau la tête avant de se retourner pour saisir une branche, fine et blanche, posée à son côté.

- Je chasse les carcasses près des bouleaux blancs, expliqua-t-il. Cette branche me permettra de vous différencier.

Hélios accepta le cadeau, non sans une pointe d'étonnement. Du sommet de la tour, le cimetière semblait bien petit, le bouleau blanc plus encore. Comment le géant pourrait-il distinguer la fine branche couleur lait à une telle distance ? Il remercia tout le même l'archer.

- Merci. Que cette branche soit notre gage de paix.

- Toujours prêt à aider.

Le colosse avait répondu sur une telle intonation que le revenant se demanda s'il ne souriait pas sous son masque de fer. Le tireur peu bavard reporta alors son attention sur l'horizon, marquant la fin de la discussion.

Profitant de l'altitude, Hélios observa le paysage : la masse sombre du château de Lothric à sa gauche, le Camp des morts-vivants à ses pieds et une église à sa droite. Les mots du chevalier au marteau lui revinrent. "Allez faire un tour de l'autre côté de l'église abandonnée" avait-il lancé comme un défi. Était-ce bien de cette église qu'il parlait ? En longeant les créneaux de la tour, le revenant pouvait apercevoir au loin une immense cathédrale. Il demeura pensif un moment, puis reparti. Il aurait tout le temps de tirer cela au clair plus tard.

Quand il revint à l'étage inférieur, le chevalier de Catarina était toujours devant la fenêtre, mais il somnolait. Son casque dodelinait, trahissant son porteur. Amusé, le porte-braise s'approcha pour donner de légers coups sur son épaule.

- Siegward ? appela-t-il.

L'interpellé eut un soubresaut avant de tourner la tête vers l'origine de l'appel.

- Alors ? demanda-t-il joyeusement en étouffant un bâillement. Le tireur accepte-t-il de nous épargner ?

- Oui, sous condition de porter ceci.

Hélios lui présenta la branche blanche.

En apprenant que l'archer était un géant, le chevalier Oignon s'était senti obligé d'aller le saluer – il semblait entretenir une relation particulière avec cette race. Ce faisant, il obtint sa propre branche.

Les deux Morteflammes se tenaient sur la planche, prêtes à redescendre, mais le mécanisme ne s'enclenchait pas. Cela ne surprit qu'à moitié Hélios qui trouvait l'ensemble trop vétuste pour fonctionner correctement. Il s'approcha du levier de la commande d'appel, dans l'idée que l'actionner changerait peut-être quelque chose. Sitôt descendu de la plaque, l'engrenage s'ébroua à toute vitesse et le chevalier de Catarina disparut dans un court cri de surprise.