S'il n'avait affronté le Chien de la Vallée Boréale plus tôt dans la journée, le Traque-Seigneurs aurait sans aucun doute été surpris par la vivacité de son opposant. L'apparence frêle et filiforme de l'éclaireur dissimulait une vitesse et une force qui donna du fil à retordre à la Morteflamme. Les charges sautées du monstre avaient été toutes aussi délicates à esquiver que son souffle glacial ou la lame blanche qu'il maniait avec grâce. Le porte-braise avait dû jouer de son bouclier, parant toujours au dernier moment, pour ouvrir la garde de son ennemi et enfin avoir l'occasion d'attaquer. Une fois son adversaire vaincu, le revenant s'était emparé de l'épée ; elle était un peu longue pour lui, mais bien plus efficace que son arme actuelle – son armure en piteux état l'attestait.
Les membres encore gelés par les attaques répétées de l'éclaireur, Hélios s'interrogeait en se dirigeant vers la seule et large porte qui menait à l'extérieur. Est-ce que tous ceux qui venaient d'Irithyll étaient capables de ce souffle de givre ? Il savait de façon certaine que le Seigneur Sulyvahn avait "corrompu" tous les habitants de son royaume, ce qui avait eu pour effet de les déformer – les plus atteints avaient même été réduits à une forme bestiale, comme Vordt – ; mais cela leur avait-il conféré quelque pouvoir également ? Le guerrier frissonna. Il allait, dans un futur – théoriquement – pas si lointain devoir affronter le maître de ces monstres de gel. Pourrait-il lui tenir tête ? Parviendrait-il seulement jusqu'à sa demeure, ou même son domaine, s'il peinait tant contre des guerriers isolés ?
Chassant ses idées noires, le porte-braise posa les mains sur l'unique porte de sortie. Il allait en pousser les battants quand il remarqua de larges entailles dans le bois. Des taches sombres maculaient les creux et leur pourtour. Hélios écrasa un soupir ; il imaginait aisément qu'une autre Morteflamme, en désespoir de cause, avait tenté d'ouvrir la seule issue pour fuir son adversaire et que ce dernier, impitoyable, l'avait empalé sur place.
Le chevalier embrasé franchi le seuil de la porte et sorti enfin de la tour. Une longue route tortueuse s'enfonçant entre arbres et rochers, balayée par un vent doux, s'offrait à lui. Il salua le chaleureux soleil qui perçait à travers le feuillage épars. Alors qu'il hésitait à prendre une gorgée d'Estus, un froissement d'aile l'obligea à brandir sa lame nouvellement acquise. Il n'était pas seul ; un tel bruit ne pouvait venir d'un simple oiseau.
Les sens soudain en alerte, il observa scrupuleusement les alentours, sans trouver âme qui vive. Bouclier levé, il fit quelques pas sur le chemin tortueux. Il s'arrêta net après le coude qui passait entre les rochers : une créature étrange était postée devant un grand arbre, une dague à la main. Son corps maigre aux proportions dérangeantes était couvert d'un duvet de plumes noires. Dès que le revenant embrasé l'approcha, la chose le fixa de ses orbites vides tout en progressant latéralement. Le monstre était prêt à combattre. Le temps que le chevalier arrive au contact, la créature s'était mise à convulser dans un bruit de chair et d'os écœurant. Ses deux paires d'ailes, si atrophiées que le combattant n'avait pu les apercevoir, se développaient soudain – et à en juger par ses contorsions, la métamorphose était douloureuse. La chose eut tout juste le temps de s'élever d'un demi-mètre avant qu'Hélios ne la rabatte au sol d'un violent coup d'épée qui lui ouvrit le ventre.
En observant le cadavre, le Chercheur de Flamme pu constater que les griffes de son adversaire étaient plus aiguisées que sa propre lame.
Avançant de quelques pas sur le chemin cahoteux, il pu monter sur une petite butte et ainsi avoir une vue dégagée. Une autre créature aux ailes atrophiées se trouvait juste en-dessous de lui, dos au mur. Nul doute que si le chevalier avait suivit la route sans de méfier, cette chose l'aurait poignardé dans le dos sans autre forme de procès.
Sans prévenir, le Traque-Seigneurs lui tomba dessus, lui fendant le crâne à coup d'épée dans sa chute. Le monstre ailé s'écoula dans un bruit mat en poussant un râle proche d'un croassement de corbeau. Il en avait globalement l'apparence, aussi le guerrier leva la tête vers les hautes branches. Il n'en avait encore croisé que deux, mais ces oiseaux de malheur se baladaient souvent en groupe ; il ne serait pas étonné d'en trouver d'autres tout proche.
Un duo de ces mêmes démons corbeaux stationnait à côté de deux wagons de diligence renversés. Comment ces bribes de transport étaient-ils arrivés au beau milieu de ce bout de forêt ? Le Chercheur de Flamme n'en avait cure ; ses yeux étaient rivés sur les deux êtres difformes qui se dandinaient, l'un avec une dague, l'autre avec une faux.
Alors qu'il embrochait la gorge du premier de son épée de glace, le porte-braise vit le second déployer ses ailes tandis qu'un troisième – jusque-là masqué par la roche – soufflait un large nuage violet d'un poison violent avec son immonde bâton.
Hélios toussait encore, plusieurs minutes après son dernier combat, quand bien même il était certain de n'avoir inspiré que peu de toxine. Ce démon corbeau cracheur de poison avait également lancé une gerbe de flammes ; il y avait fort à parier qu'il était un sorcier au sein de son espèce. S'il venait à en croiser de nouveau, il faudrait l'abattre en premier.
Un cri puissant – perçant à en vriller les tympans – retentit entre les arbres. Comme en écho, d'autres hurlements inhumains résonnèrent. Avec angoisse, le chevalier regarda venir à lui une demi-douzaine de volatiles humanoïdes déchaînés et aux ailes déployées. Une lumière rouge s'était allumée au fond de leur orbites vides, témoin de la rage dans laquelle ils étaient plongés.
Plusieurs voletaient maladroitement, fendant l'air de leurs griffes acérées à la hauteur de la tête du chevalier, tandis que les autres balayaient l'espace devant eux à coup de dague ou de faux. Malgré leur mouvements désordonnés, ils ne se touchaient pas les uns les autres et empêchaient tout échappatoire. Hélios sentit la peur l'étreindre. Il ne pourrait résister longtemps à cet assaut infernal qui déchiquetait son armure comme si elle avait été de cuir.
Alors qu'une serre se refermait sur son épaule, le mort-vivant embrasé pivota brusquement pour tenter de se dégager. Ce mouvement soudain, ayant projeté un des oiseaux noirs sur ses semblables, offrit à la Morteflamme le répit nécessaire à une contre-offensive mortelle.
Les membres lacérés et l'armure en miettes, le guerrier acheva celui qui devait être le chef et un autre sorcier de cette bande d'oiseaux démoniaques. Il brisa le bâton cracheur de poison et s'acharna encore sur le corps sans vie du volatile. À cause de son cri, il avait failli mourir. La peur d'y rester – ou plutôt, de perdre sa braise – avait laissé place à une grande colère qu'il avait besoin d'exprimer, peu importait le moyen.
Laissant les cadavres corbins laminés dans son sillage, Hélios passa une grande arche en ruine pour enfin se poser à un feu qui, dans un petit nuage doré, referma immédiatement ses plaies et restaura son armure – fort heureusement d'ailleurs, car le vieil André aurait eu du mal à rattraper de tels dégâts. Apaisé par la douceur des flammes, le Traque-Seigneurs observa les alentours.
Le camp avait été placé au centre des vestiges d'une petite cour envahie par les mauvaises herbes et agrémentée d'un arbre qui semblait mort et sec depuis longtemps. Les restes des murs d'une forteresse masquaient l'horizon, mais il n'était pas difficile de deviner la présence d'un marais tout proche, tant celui-ci sentait fort – malgré son faible odorat, le revenant décelait l'odeur désagréable d'eau stagnante.
Le guerrier leva la main vers la garde de l'épée torsadée qui lui faisait face. Il portait de nombreuses âmes sur lui – il n'osait imaginer combien de Morteflammes l'avaient précédé et avaient succombé à la lame de givre de l'éclaireur ou à cette armée de volatiles enragés – ; la Gardienne pourrait sûrement en faire quelque chose.
Cette fois aussi, la Gardienne du Feu l'accueilli avec un sourire doux. Le guerrier enleva son heaume pour s'incliner avec déférence. Un mélange de dévotion et de respect l'envahissait à chaque fois qu'il posait les yeux sur elle ; tant et si bien qu'il se mit à sourire également, bien malgré lui.
- Bienvenue chez vous, Morteflamme.
- Gardienne, je vous apporte nombre d'âmes…
Elle inclina doucement la tête avant de répéter sa phrase rituelle.
- Alors tendez votre main, et touchez du doigt l'obscurité qui m'habite. Nourrissez-vous de ces Âmes désincarnées.
Recommençant son étrange incantation, elle permit au Traque-Seigneurs d'absorber en lui les âmes collectées.
La Gardienne ne pouvant "unifier" qu'un nombre précis d'âmes à la fois, quand la fusion fut terminée, Hélios sentit qu'il lui en restait encore. Loin de s'en offusquer, il assura même à la Gardienne que cela lui permettrai de faire quelques achats avant de repartir.
Suivant le couloir qui menait au forgeron, Hélios s'arrêta devant la servante aux yeux bandés. Le chevalier éprouvait une répulsion certaine pour la vieille femme, c'est pourquoi il lui tendis avec dédain la petite sacoche contenant les cendres trouvées au cimetière.
- C'est ce que vous désiriez, non ? demanda-t-il sans même la saluer.
La marchande ne sembla pas en prendre ombrage et se saisit des Cendres animiques. Elle soupesa le sac de cuir avant d'en humer le contenu.
- Magnifique… voilà de la Cendre de qualité, ou je m'y connais plus. Mettons à profit la puissance de cette Cendre. J'espère que ces nouveaux articles seront à votre goût…
Elle ponctua son annonce d'un petit rire. Prenant une petite poignée de cendres, elle invoqua à nouveau son étal spectral auquel s'ajouta quelques objets que le mort-vivant jugea rapidement inutiles.
- Je ferai mes achats plus tard, si vous le voulez bien.
La vieille retint le chevalier qui faisait déjà demi-tour.
- J'ai pu faire ceci également… à partir de ces mêmes cendres.
Elle tenait entre ses doigts fins, presque décharnés, une clé qu'elle avait matérialisée, contrairement au reste de ses articles. Une clé longue, un peu rouillée. Hélios tendit la main, paume face au ciel. Un petit rictus éclaira le visage parcheminé de la servante.
- Ah mais je n'ai jamais dit que cette clé était gratuite !
Hélios laissa son bras retomber, dépité. Quand cette petite vieille cesserait-elle de se moquer de lui ? Le regard las, il lui demanda – toujours avec courtoisie, mais avec une intonation qui ne laissait aucun sous-entendu – à combien elle vendait ladite clé.
- Mille cinq cent âmes. Si vous l'achetez, je peux même vous dire ce qu'elle ouvre.
Le chevalier savait que son visage était intégralement masqué par son heaume, raison pour laquelle il ne se priva pas de dévisager la vieille avec un air dubitatif. Il avait largement de quoi payer, mais avait-il le temps – et l'envie – d'aller trouver la porte à ouvrir et affronter ce qui pouvait bien se trouver derrière ? Quelle garantie avait-il que tout cela en vaudrait le coup ?
Il hésita encore un peu avant que la curiosité ne prenne le pas sur la logique. La servante lui confia le fruit de leur échange dès que le paiement fut fait. Elle ajouta que l'objet se nommait "la clé de la tombe".
- Ça ne m'avance pas beaucoup, commenta amèrement le revenant. Je n'ai pas trouvé de tombe qui nécessite une clé jusqu'à présent !
- En êtes-vous bien sûr ? siffla la vieille avec un air moqueur.
Pris d'un doute, le porte-braise récapitula mentalement son parcours. Une fois, une seule et unique fois, il avait trouvé une porte close qu'il n'avait pu ouvrir à coups de botte ou d'épée. Dans les égouts du Camp des morts-vivants. Et s'il s'agissait plus de catacombes que d'une tombe à proprement parler ? En plus, il y avait un feu non loin de ces égouts, il n'aurait aucun mal à s'y rendre rapidement pour le vérifier.
- Je verrai bien, répondit-il enfin à la marchande. Mais sur ce…
Il s'inclina et partit sans même attendre de réponse.
Avant d'aller jusqu'au fond du couloir pour s'entretenir avec le forgeron – il était curieux de savoir ce que l'homme penserait de l'épée de l'éclaireur –, Hélios descendit la volée de marches qui le menait à l'étal du voleur maigrelet. Posant un genoux à terre, il se mit à sa hauteur. Dans un silence respectueux, il lui présenta l'os prélevé sur le cadavre séché de Loretta et lui rendit la bague bleue. Le petit mort-vivant, le visage éternellement masqué par sa capuche de servitude, ne montra d'abord pas de réaction. Puis il se mit à trembler imperceptiblement.
- Juste ciel, elle était déjà morte…
Sa voix, d'ordinaire rieuse, presque moqueuse, était tremblante.
- Merci… je… je dois avouer que je ne suis pas surpris.
Il prit une longue inspiration avant de poursuivre, le ton un peu plus assuré.
- Hmm, pour tout dire, c'est presque un soulagement. Vous pouvez garder l'anneau. Disons que c'est… un petit gage de ma gratitude.
Le chevalier ne répondit rien. Il déposa l'os devant lui. Quoi que représentait cette Loretta pour le voleur, le porte-braise se sentait désolé de porter une si mauvaise nouvelle. Le monde était impitoyable, avec les vivants comme avec les morts. L'ancien prisonnier reprit, comme pour dissimuler maladroitement son deuil.
- Oh, cet endroit, quelle barbe. À quoi bon voler, s'il est impossible d'aller profiter du crime sous des cieux plus cléments ?
Le court rire qui suivit sa question rhétorique était teinté d'amertume. Hélios devinait aisément que le brigand cherchait à se détourner de son chagrin, mais ne pouvant rien pour lui, il se releva.
- Notre promesse n'est pas une geôle, Greirat. Tu es libre de sortir du Sanctuaire si tu le souhaites.
Le combattant compatissant remonta les marches vers le forgeron, le poing serré sur la bague bleue.
Le vieil artisan, posant son lourd marteau, prit l'épée de l'éclaireur d'Irithyll dans un geste presque religieux. Son regard aussi incrédule que fasciné se perdit une longue minute sur la lame gelée avant qu'il ne revienne vers le Chercheur de Flamme.
- Où est-ce que vous avez dégoté ça ?
Hélios lui répondit honnêtement, tirant un sifflement admiratif au forgeron.
- J'sais pas c'qu'il faisait là, mais il a pas eu d'bol de tomber sur vous ! rit ce dernier.
Il retira un gant pour passer sa main sur la lame bleutée parcourue de veinules. Ce devait être elles qui produisaient cette brume glaciale qui entourait l'arme. Et malgré sa température, l'épée était solide et semblait toujours tranchante en plus d'être étonnamment légère pour sa taille. Un chef-d'œuvre.
- Elle est un peu grande pour moi, confia le chevalier, mais je compte m'en servir. Pourrez-vous l'entretenir également ?
- Bien sûr ! rétorqua le grand gaillard. Après tout, c'est mon boulot !
Pour des raisons scénaristiques, la rencontre qui se fait normalement après la Route des Sacrifices... arrivera plus tard. :p
J'ai bien conscience que le récit avance lentement. Désolée si ça en décourage certains !
