La clé pivota sans résistance et la grille des égouts s'ouvrit avec un grincement sinistre. Juste derrière elle, une courte échelle de fer descendait vers une petite arche, elle-même menant à un couloir illuminé. Des torches et des bougies éclairaient ledit couloir de pierre, agrémenté de nombreuses stèles posées à même le sol de terre et de poussière mêlées. Plus méfiant que jamais – le revenant redoutait d'avoir à combattre en espace aussi restreint – Hélios progressa bouclier levé vers une statue qui terminait un des côtés du corridor. Ce n'est qu'une fois face à elle qu'il pu distinguer, à la lueur des bougies posées à ses pieds, les traits de la Déesse du Péché, Velka. Le Chercheur de Flamme s'étonna de l'emplacement de ce lieu de culte mais, n'ayant besoin ni de se faire absoudre ni d'être purifié, il n'avait aucunement besoin de prier ici.
En progressant en sens inverse dans le couloir balayé par un désagréable courant d'air – qui faisait danser les flammes des torches et des bougies –, le porte-braise se remit en garde. Des ossements se mêlaient à la poussière ici et là, et quelque chose lui soufflait que ce n'était pas entièrement naturel. Encore une fois, son intuition fut bonne, car en entrant dans l'une des salles qui prolongeaient le corridor, il fut alerté par un bruit d'os s'entrechoquant. En pivotant rapidement, il pu voir un squelette s'assembler tout entier – en terminant par l'ajustement de sa tête – et ramasser épée et bouclier avant de lancer l'assaut. La stupéfaction du guerrier fut de courte durée, aussi pu-t-il bloquer sans encombres les attaques de son adversaire décomposé.
Il avait suffit de briser les os pour que le squelette ne se relève plus. En continuant sa route, Hélios en avait croisé d'autres qui n'avait pas posé plus de problèmes – quand bien même il avait manqué de peu d'être pris en tenaille par ses opposants quand l'un d'eux s'était assemblé après son passage.

Le chemin n'avait cessé de descendre, c'est pourquoi, quand le couloir sembla s'ouvrir sur l'extérieur, le chevalier fut à la fois soulagé et surpris. Il avança prudemment, guettant le moindre ennemi, le moindre bloc de pierre qui n'attendrait que son passage pour lui tomber dessus. Comme rien ne semblait menacer, il sorti enfin. Un son cristallin lui fit tourner la tête : une petite créature, une sorte de petit lézard avec une énorme gemme bleue sur le dos, le fuyait aussi rapidement que ses petites pattes le lui permettaient. Le porte-braise le regarda s'éloigner avec un sourire amusé. Pour une fois qu'un monstre le fuyait au lieu de le charger…

En observant un peu plus la zone à ciel ouvert, le mort-vivant compris où il était. Si son armure avait été plus légère, c'est ici-bas qu'il se serait écrasé quand les barils explosifs l'avaient projeté hors du pont de pierre.
Avisant les massives carcasses qui cernaient le précipice dans lequel il se trouvait, Hélios estima judicieux de ne pas les approcher. Ces monstres seraient capables de lui envoyer leurs lourds pots en fonte, voir même de lui sauter dessus malgré la hauteur.

Passant une nouvelle arche de pierre, le guerrier arriva rapidement à la seule issue du gouffre : une petite pièce encastrée dans la roche dans laquelle tournait un rat d'une taille improbable. L'animal devait arriver au moins aux genoux tant il était énorme. Deux échelles permettaient d'entrer et de sortir de la pièce ; respectivement, l'une descendait d'un petit mètre, l'autre disparaissait dans l'ouverture du plafond et paraissait montrer d'une dizaine de mètres et peut-être même plus. Ignorant la première, le porte-braise sauta au sol, gardant à l'œil les nombreux soupiraux qui bordaient la salle. Tout juste avait-il touché terre qu'une dizaine de rats – tous aussi gros que celui qui errait seul – s'engouffra dans la petite pièce.
En se débarrassant du dernier nuisible, le Traque-Seigneurs se fit la réflexion qu'André n'aurait probablement pas que ses lames à entretenir. Sans son bouclier, il aurait très certainement eu du mal à résister aux nombreux assauts des rongeurs.
À mesure qu'il gravissait les barreaux de la longue échelle, Hélios entendait un peu plus fort le murmure de la nuée d'oiseaux qui encerclait la tour du géant. Son expédition souterraine l'avait donc mené si loin ?
Une jeune femme vêtue d'une épaisse robe blanche et d'une capuche de la même couleur, assise à même le sol, attendait dans une petite pièce après une dernière volée de marches. De la paille était étalée ça et là, autour et sous elle, alors que des bougies éclairaient faiblement les lieux. Le guerrier n'eut pas besoin de se retourner et de voir la grille close pour comprendre qu'il s'agissait d'une cellule. Il fit un pas de plus et la jeune femme releva doucement la tête, les yeux hagards.

- Il y a… Il y a quelqu'un ? demanda-t-elle d'une voix tremblante.

Le Traque-Seigneurs s'étonna de la question ; il était en face d'elle. Il s'agenouilla en inspirant, désirant répondre, mais la femme de blanc vêtue reprit d'une voix suppliante.

- Ah, pitié, qui que vous soyez, je veux sentir votre main. Les Ténèbres me cernent, elles me dévorent. Je sens la morsure de milliers de petites créatures. Je vous en prie, tendez-moi la main, que je ressente une présence.

Elle était aveugle ; il venait seulement de le comprendre. Avec calme et respect, il posa son gantelet sur la fine épaule de son interlocutrice.

- Ne vous inquiétez pas, Dame, je suis juste là.

- Aah, oui, vous êtes là, tout près de moi. Je ne suis donc pas totalement seule. Loués soient nos dieux de miséricorde…

Elle avait refermé les yeux avec un sourire aussi triste que serein. Depuis combien de temps cette pauvre fille avait-elle été abandonnée là pour qu'un simple contact la bouleverse tant ?

- Oh, mais pardonnez-moi… Je suis Irina de Carim. Je suis venue sur ces terres pour y devenir Gardienne du Feu.

- Je suis Hélios le Chercheur de Flamme, se présenta à son tour le chevalier.

- Sire Hélios, votre intervention m'a libérée des Ténèbres. Vous comptez donc au nombre des Apôtres ?

Alors qu'il hésitait à répondre – selon ce qu'elle désignait par "apôtre", sa réponse pouvait varier –, elle continua.

- Je suis faible, bien incapable de veiller sur le Feu. Mais si cela ne vous pèse pas, je pourrais peut-être entrer à votre service ?

La voix douce, hésitante et pleine d'espoir de la jeune femme ne pouvait dissimuler une mauvaise personne, il en était certain. Mais pourquoi avait-elle été enfermée ? Parce qu'elle avait échoué à devenir une Gardienne ? Si c'était le cas, la sentence était bien cruelle.

- Bien sûr, Dame Irina. Ma quête est longue et ardue… je ne saurais refuser de l'aide.

- Oh, merci, noble Apôtre.

Il lui prit doucement les mains pour l'aider à se relever. Un sourire sincère sur les lèvres, elle poursuivit.

- Il est temps de prononcer mes vœux, dit-elle avant d'inspirer longuement en joignant les mains. Moi, Irina de Carim, je m'engage solennellement à vous servir.

Elle ne pouvait pas le voir, mais Hélios souriait sous son heaume. Il venait tout juste de la rencontrer, mais la demoiselle lui inspirait une grande confiance. Aussi lui annonça-t-il qu'il lui confiait un "os du retour" ; le moyen le plus sûr pour elle de gagner le Sanctuaire – un lieu de sécurité – sans heurts. Irina remercia une fois encore son sauveur avant de briser l'os, enclenchant son pouvoir, et de disparaître dans un petit nuage de poussière.

La clé servit une nouvelle fois : étrangement, elle ouvrait également la cellule d'Irina. À peine avait-il franchit la grille que l'humeur allègre du Chercheur de Flamme retomba aussitôt. Le chevalier au marteau se trouvait à quelques pas de là, toujours assis sur son rocher, à l'ombre de la tour du géant. Il tourna la tête vers le revenant avec une lenteur désabusée.

- Vous avez été lui porter secours, je me trompe ? C'est d'un pittoresque… On aime donc jouer les Saints Patrons des causes perdues… railla-t-il encore.

Hélios se retint difficilement de répondre. Le rire moqueur du chevalier au casque de dragon s'éteignit en un soupir las.

- Il se trouve que j'en ai plus qu'assez d'avoir à veiller sur elle, lâcha-t-il en se levant.

Il prit le temps de ramasser sa lampe avant d'enfin se présenter.

- Je suis Eygon, un Chevalier de Carim. Tant que vous prenez soin de la fille, vous pouvez compter sur mon soutien… Si vous renoncez à la protéger, c'en est fini de notre arrangement…

Trop estomaqué pour répondre, le porte-braise demeura immobile, le regard mauvais sous son casque de fer. Le chevalier au marteau – qui avait fait mine de partir – revint vers lui, la voix un rien menaçante.

- Quel est le problème ? Les termes du contrat sont pourtant simples. Tant que vous prenez soin de la fille-

- J'ai compris, coupa Hélios, mais je ne doute pas qu'elle sera bien plus à l'abri de tout danger au Sanctuaire, plutôt qu'enfermée dans une cellule gardée par un chevalier bougon et pédant.

Eygon sembla s'amuser de cette pique ; elle ne l'atteignait pas. Il se sentait bien trop supérieur pour être blessé par une simple Morteflamme. Sans un mot de plus, il se dirigea vers la tour du géant d'un pas lent. Où comptait-il aller ainsi ? Le mort-vivant s'en moquait éperdument ; il avait à faire.
Depuis le feu du pont, Hélios revint aux ruines de la forteresse, non loin du marais.

La brume dorée n'avait pas encore complètement disparu que le Traque-Seigneurs eut un mouvement de recul. Deux individus en armure lourde se tenaient juste à côté du feu. Il relâcha lentement la garde de son épée en constatant que ni l'un ni l'autre n'avait une attitude hostile. Une voix féminine s'éleva du plus petit des deux.

- Oh, bien le bonjour. Comment allez-vous ?

Surpris autant par le sexe de son interlocuteur que par la question anodine, le chevalier demeura silencieux. La jeune femme en profita pour s'introduire.

- Je suis Anri d'Astora, une Morteflamme, tout comme vous. Et voici Horace, mon ami et compagnon de route, ajouta-t-elle en désignant son comparse. Vous aussi, vous êtes en quête des Seigneurs des Cendres ?

- Mon nom est Hélios le Chercheur de Flamme, parvint enfin à répondre l'intéressé. Et en effet, je recherche les Seigneurs des Cendres… bien que je ne sois pas sûr du chemin à emprunter.

La femme en armure le fixa quelques secondes en silence avant de dégainer pour dessiner une carte succincte, de la pointe de son épée, dans la terre sèche.

- Nous sommes au beau milieu de la Route des sacrifices, l'informa Anri. Plus bas, s'étendent les Bois de la Crucifixion. Par-delà les bois inondés, se trouve le Bastion de Farron, qui tient lieu de foyer à la Légion des Mort-vivants, et plus loin encore, vous tomberez sur la Cathédrale des Profondeurs. Nous cherchons la cathédrale.

Elle marqua une courte pause, le temps de ranger sa lame dans son fourreau.

- C'est le refuge d'Aldrich le sinistre.

Le porte-braise senti sa Flamme pulser. Il n'avait pas lu tous les noms sur les trônes, mais il savait – comme il avait instinctivement su pour Gundyr et Vordt – qu'Aldrich était un Seigneur des Cendres. Il savait maintenant avec certitude où il se trouvait. Et le duo qui lui faisait face semblait l'avoir ciblé. Avec un enthousiasme difficilement contenu, le chevalier leur proposa une alliance – s'ils voyageaient déjà à deux, il y avait à parier qu'ils ne refuseraient pas une lame de plus. Les deux compères échangèrent un regard. Le dénommé Horace émit un son ininterprétable ; une sorte de grognement mélangé à une expiration volontairement bruyante. Face à l'attitude perplexe du Chercheur de Flamme, Anri eut un rire discret.

- Oh, oui… Horace… Il n'est pas franchement du genre causant…

- Je… constate…

- Mais ne vous méprenez pas sur lui, s'empressa-t-elle s'ajouter. C'est un chevalier d'exception, au cœur pur… Le compagnon de route idéal, dans le cadre d'une entreprise aussi dangereuse que la nôtre. Sans son aide, j'aurais laissé tomber cette corvée il y a bien longtemps de cela.

La cible de ces louanges, droite dans son armure sombre, se contenta de présenter un parchemin usé au Traque-Seigneurs. Une épée superposée à une lune noire en ornait le centre. Le serment des Sentinelles bleues. Il était donc de ceux qui allaient et venaient, de lieux en lieux, pour combattre les esprits sombres. Hélios hochait la tête avec respect et admiration losqu'Anri reprit.

- Pour en revenir à votre proposition… Nos chemins sont peut-être amenés à se séparer, mais nous avons une mission en commun : trouver les Seigneurs des Cendres. C'est avec plaisir que nous ferons route avec vous, Hélios. Puisse les flammes guider nos pas.