Hélios comptait reprendre le même sentier que celui qu'il avait emprunté avec Anri et Horace ; ce serait long et dangereux – il redoutait déjà d'avoir à affronter seul les crustacés géants – mais il aurait moins de mauvaises surprises qu'en explorant une nouvelle route. Pour s'assurer que carcasses, crabes et autres monstres étaient bels et bien revenus à la vie en même temps que lui, le chevalier ressuscité s'approcha de ce qu'il pensait être un précipice. Les grognements des carcasses et le bruit sourd de leurs pieux sur le sol boueux ne lui laissèrent aucun doute. Cependant, c'est de ce même point de vue surélevé qu'il remarqua que de petits plateaux rocailleux descendaient en escaliers, droit vers le banc de terre où il avait combattu le monstre à la croix de bois. Un tel raccourci ne se refusait pas !
Non sans une méfiance certaine, le guerrier embrasé se laissa guider par le chemin naturel, se laissant tomber d'un dénivelé à l'autre. Sur son trajet, il trouva, assis dos à un mur de roche, le cadavre sec de ce qui avait dû être un autre voyageur. Comme il en avait prit l'habitude, Hélios s'empara des quelques âmes que ce pauvre hère avait laissé derrière lui après une courte prière.

Achevant sa descente, le Traque-Seigneurs approcha rapidement l'arbre derrière lequel le monstre à la croix de bois devait se trouver. S'il avait été encore vivant, le porte-braise aurait sentit son cœur accélérer sous la tension et sa tempe aurait été battante d'anticipation. Il ne pouvait plus rien éprouver de cela ; seule l'angoisse l'étreingnait encore. Il pouvait juste se concentrer sur la sensation de ses mains tenant fermement son épée et son bouclier, la moiteur du marais et l'odeur d'eau croupie qui l'accompagnait.
Il ne pouvait pas se permettre de se faire surprendre par derrière une seconde fois : il faudrait qu'il attire le monstre à lui plutôt que d'avoir à aller le chercher. L'épéiste jeta un rapide regard en arrière et avisa son environnement. La bande de terre était peu large, mais bien assez longue pour qu'il puisse se permettre de reculer.
Il chercha à ses pieds un caillou – il s'interdisait de donner de la voix, de peur d'attirer toutes les créatures des environs – qu'il envoya avec force avant de se remettre rapidement en garde. La réaction escomptée ne tarda pas à se faire entendre. Bruits de chaînes et cris effroyables précédèrent l'apparition du monstre à la croix de bois.

Le combat aurait pu s'éterniser si Hélios n'avait fini par remarquer cette courte pause qu'il y avait entre chacune des rapides attaques ou vives esquives de la créature. Une brève immobilisation, comme si chacun de ses violents mouvements lui coûtait.
Le Chercheur de Flamme essuya plusieurs coups de griffes acérées avant de parvenir à trouver la juste distance d'esquive qui lui permit de contre-attaquer. Comme il l'avait initialement prévu, toucher les jambes de sa lame de givre rendit son opposant bien moins mobile et le duel se termina rapidement.

Malgré les mouvements erratiques de son adversaire, Hélios était parvenu à l'éloigner de son arbre. Ainsi, quand il revint près du grand végétal, le mort-vivant eu tout le loisir de détailler son environnement. Il était à présent à l'ombre des restes d'une muraille ; probablement une autre partie de celle qui cerclait le dernier feu. Une vieille tour morcelée semblait être, de ce côté-là du marais, le seul accès dans le long mur moussu et couvert de lierre. Quelques pas devant le porche, la terre finissait de boire une flaque de sang sombre.

C'était là. Là qu'il était "mort".

Voir la marque de son décès récent dérangeait le Chercheur de Flamme. Pour lui, c'était un douloureux rappel de sa condition d'être si faible qu'il avait été refusé par le Feu. Et un douloureux rappel de son premier échec.
Il chassa tant bien que mal de son esprit ces pensées négatives – il était revenu dans le but de récupérer ses âmes, non pour se morfondre sur son sort – et leva son bouclier. La tache de sang était un signe évident que celui qui l'avait empalé était proche. Hélios pénétra dans la tour, plus prudent que jamais, et s'arrêta un instant dans une petite salle pour guetter les environs. Devant lui, une haute fenêtre donnait sur une frondaison desséchée ; au milieu de celle-ci, une grande flamme chapeautait le long conduit d'une cheminée. L'ouverture devait donner sur une autre partie du marais, et cette cheminée devait être une autre ruine – restait à savoir pourquoi une flamme brûlait à son sommet. Le chevalier tendit l'oreille, mais n'entendit rien de plus que le clapotis lointain du marais et le vent sifflant entre les pierres délogées. C'est pourquoi il retint difficilement un cri de surprise quand il aperçu à sa droite, de l'autre côté d'une petite grille, un énorme lézard hérissé de cristaux effilés. Bien que roulé en boule, le chevalier estima qu'il devait être long comme trois ou quatre chevaux et au moins large comme deux ours. Le monstre semblait dormir, en silence, à une quinzaine de mètres des barreaux.
Avec précautions, le Traque-Seigneurs poussa sur la porte grillagée. Elle était verrouillée et la serrure semblait se trouver de l'autre côté. L'idée que quelqu'un puisse passer par là pour l'atteindre une fois qu'il aurait le dos tourné le traversa, puis son regard retomba sur le lézard géant – qui lui ne passerait jamais par la porte étroite. "Non, même un mort ne serait pas assez fou pour passer sous le nez de cette chose…" En effet, le reptile cristallin occupait, à lui seul, toute la largeur du couloir où il sommeillait.
À demi rassuré, le porte-braise pivota alors vers une petite arche – ce devait autrefois être une porte, mais il y avait longtemps que le bois de celle-ci avait été dévoré par les insectes et la moisissure –, seule issue praticable de la tour délabrée. Le revenant n'eut pas besoin de regarder beaucoup plus loin pour voir l'étincelant reflet d'une armure noire. Un chevalier, avec un espadon assorti à son armure sur l'épaule, était là, à tout juste vingt mètres, debout bien droit, quelques marches plus bas que l'horizon.
Un frisson d'appréhension et de colère mêlées parcourut le Traque-Seigneurs. L'arme ne lui laissait aucun doute. Celui qu'il voyait là était celui qui l'avait lâchement agressé dans le dos, alors qu'il était au milieu d'un autre combat. Comme il ne bougeait pas, Hélios se douta que les ombres du bâtiment le dissimulait encore aux yeux de son ennemi. Il en profita pour analyser ce chevalier noir au casque à longues cornes : grand, mince malgré son épaisse armure sombre rehaussée d'argent, ses larges épaules laissaient à penser qu'il était plus qu'habitué à manier sa lourde lame. Et celle-ci était au moins aussi longue qu'il était haut. Encore un adversaire avec une grande portée, donc. Le problème était que celui-ci était également pourvu d'un bouclier. Cela donnait une idée assez précise de son style de combat.

Hélios grinça des dents. La lutte s'annonçait déjà difficile, mais il ne voulait en aucun cas se défiler. Il fit lentement un pas hors de la tour ; l'autre ne bougea pas. Toujours très méfiante, la Morteflamme avança de plusieurs pas ; le chevalier au casque cornu ne réagissait pas. Perplexe, le Traque-Seigneurs progressa de quelques pas de plus sans baisser sa garde. Son adversaire semblait ne pas le voir.
D'aucun aurait profité de la situation pour chercher à contourner cet opposant immobile et lui rendre la monnaie de sa pièce – ou simplement lui décocher une flèche en pleine tête –, mais Hélios était trop droit pour y songer. Il préférait affronter son ennemi de face, à la loyale. Les muscles bandés, paré à toute éventualité, le Chercheur de Flamme scrutait le chevalier noir qui ne montrait toujours aucune réaction. Il ne bougea enfin – si soudainement que le revenant manqua de sursauter – que quand un corbeau nasillard vint se poser au sommet du mur en ruine, juste au-dessus de lui. Le chevalier noir leva son heaume cornu vers l'oiseau, visiblement prêt à agir ; il ne reprit sa position de repos que quand le volatile parti.
Hélios n'avait rien manqué de ce manège et en tira rapidement une évidente conclusion : son opposant était sensible au bruit. Bien plus qu'à la lumière tout du moins, sinon il aurait noté la présence du mort-vivant embrasé depuis un moment. Ce dernier inspira lentement ; il ne doutait pas que, au moindre bruit qu'il ferait, le chevalier noir fondrait sur lui. Assurant sa prise sur son épée, le pavois levé devant lui, Hélios fit quelques pas de plus vers son adversaire – il savait que le cliquetis de son armure le trahirait à un moment donné.
Il n'était plus qu'à une dizaine de mètres de son opposant quand celui-ci pivota brusquement avant de se ruer vers lui. Ses pas lourds mais rapides trahissaient la puissance qu'Hélios avait estimée et jugée dangereuse. Aussi, quand l'espadon du chevalier cornu, lancé avec l'élan de sa course, siffla dans l'air au-dessus du crâne du porte-braise, celui-ci ne chercha même pas à le parer. Il esquiva l'attaque verticale avant de prestement s'éloigner de son adversaire. Le Chercheur de Flamme douta même de l'utilité de son bouclier en constatant que la lourde lame d'ébène laissait un large sillon dans le sol. Le chevalier noir, ayant tout juste retrouvé son aplomb, poursuivit son assaut avec un puissant coup de taille. Hélios, qui se pensait hors d'atteinte, esquiva de justesse. Il avait l'impression que l'air déplacé par l'attaque, à lui seul, avait éraflé son armure. Cela lui confirmait une chose : il était hors de question de se laisser toucher.

Le chevalier noir était loin d'être aussi puissant que Gundyr ou Vordt, ni aussi rapide que l'éclaireur d'Irithyll ; pourtant, le guerrier solitaire gardait ses distances, préférant d'abord observer son adversaire. Il redoutait trop cette longue lame – qui l'avait déjà "tué" une fois en plus d'être maniée avec une force brute qui le dépassait de loin – pour risquer de s'en approcher. Il refusait surtout de perdre sa dernière braise.
Il ne mit pas longtemps à remarquer qu'à chaque fois que le chevalier noir devait se déplacer de plus de deux pas, il reposait son espadon sur son épaule. Malgré la force monstrueuse dont il faisait preuve pour la manier, son arme était manifestement trop lourde pour qu'il puisse la tenir à bout de bras bien longtemps. Le poids handicapant de l'espadon semblait également limiter ses possibilités d'attaque : jusqu'à présent, il n'avait exécuté que des attaques parfaitement verticales ou horizontales. Le mort-vivant incandescent esquiva un nouvel assaut ; il avait maintenant une faille à exploiter.

La Morteflamme n'avait pas réalisé à quel point son opposant était vif. Par trois fois la lame glacée rebondi avec un tintement clair sur le bouclier sombre, et son propriétaire ne semblait aucunement dérangé par le givre qui s'étendait lentement dessus.
Hélios reprit rapidement ses distances pour observer à nouveau le chevalier noir, avec crainte cette fois. Une angoisse croissante s'emparait de lui : il ne pourrait esquiver indéfiniment et il ne voyait pas d'issue à ce combat s'il ne pouvait se débarrasser de son adversaire. Et pourtant, il refusait de fuir. Non pas par goût du combat, non pas par honneur ni par orgueil, mais par besoin. Ce chevalier noir était le détenteur de ses âmes ; âmes dont il avait cruellement besoin. Sans elles, il ne pourrait gagner en force et à fortiori défier les Seigneurs des Cendres.
Voulant éviter un énième coup, le Chercheur de Flamme, trop focalisé sur son ennemi, ne remarqua qu'au dernier moment qu'il s'adossait à une vétuste colonne. Le revenant embrasé vit la lame arriver sur son flanc, mais ne pouvant s'échapper à temps, tenta de parer. Le choc ne vint jamais. L'espadon noir ricocha avec une étincelle contre la pierre de la colonne, ouvrant la garde du chevalier cornu. Le Traque-Seigneurs profita de cette opportunité pour se dégager, préférant se mettre en sécurité que de se fendre d'une attaque potentiellement sans effet.
Alors que le chevalier sombre revenait à la charge, le porte-braise réfléchissait à toute allure. Pourquoi son opposant avait-il ainsi frappé le pilier en croyant pouvoir le toucher ? La colonnade, bien qu'en ruine, était imposante. Il n'avait pas pu ne pas la voir… à moins d'être complètement aveugle. Le guerrier incandescent avait vite balayé cette idée en constatant avec quelle vitesse et quelle précision son ennemi le suivait. Mais s'il était réellement atteint de cécité complète, alors les débris de la salle délabrée dans laquelle ils livraient bataille allaient servir.