Le Chercheur de Flamme fronça les sourcils. Ce long escalier rectiligne – dont les degrés de pierre paraissaient anormalement affaissées – bordé par le vide ne l'inspirait guère. De cette hauteur, il distinguait sans mal les deux squelettes qui tournaient sur la petite plateforme qui s'étendait aux pieds des marches ; mais cela le rassurait encore moins. Dans la nécropole, un espace si dégagé ne pouvait être si peu gardé. Peut-être y avait-il davantage de ces monstres dans le couloir qui prolongeait les escaliers ? Le porte-braise avança d'un pas prudent, scrutant les environs. Il fut presque satisfait de voir des archers dissimulés dans l'ombre des étages non éclairés et ouverts sur le vide.
Hélios avait fait le choix de descendre les marches quatre à quatre, espérant ainsi éviter la pluie de flèches qui ne manquerait pas de s'abattre sur lui dès que les tireurs le remarqueraient. Il n'avait parcouru que la moitié du chemin quand un bruit assourdissant – un craquement désagréable d'os brisés –, accompagné d'un véritable tremblement de terre, retentit. La vibration venant de derrière lui, le mort-vivant incandescent se retourna brièvement… avant de reprendre sa course de plus belle : un monstrueux agglomérat sphérique d'ossements fondait sur lui. La chose occupait toute la largeur de l'escalier et menaçait d'écraser ou d'éjecter l'infortuné chevalier du passage étroit. Poussé par la terreur indicible qui l'étreignait, le guerrier manqua de trébucher en emboutissant les deux cadavres animés qui lui barraient le chemin. Il ne dut son salut qu'à la largeur de la plateforme qui achevait la descente de marches. La boule d'ossements poursuivit sa course effrénée dans le couloir tout juste assez large pour elle.
Une poignée de secondes après qu'elle ait disparu dans le corridor, un autre grand fracas informa le porte-braise qu'elle avait heurté un mur. Alors qu'il s'attendait à voir les squelettes qui constituaient ce piège vivant surgir, Hélios se figea en entendant le grondement sourd du roulement reprendre. Avec horreur, il vit la sphère d'os réapparaître, roulant en sens inverse. Ses innombrables bras propulsaient l'abominable sphère avec tant de force qu'elle commença à remonter les marches, presque aussi vite qu'elle les avait descendues. Un frisson d'effroi parcourut l'épéiste quand il remarqua que les squelettes de la boule, malgré leur rotation infernale, le fixaient de leurs orbites vides éclairés d'une lueur malsaine.
Le piège doué de vie dévala à nouveau les escaliers, ses yeux rivés sur sa cible. Cible qui s'était immobilisée, dos au pilier de l'arche qui marquait l'entrée du couloir, un pied au bord de l'abîme, son pavois tenu à deux mains devant elle.
La Morteflamme demeura figée encore quelques secondes. Elle-même avait du mal à réaliser qu'elle avait encaissé le choc de cette improbable masse de squelettes. Son dos était vaguement endolori et ses bras tremblaient encore. Sans la force acquise grâce aux âmes des Veilleurs, le Chercheur de Flamme n'aurait probablement pas tenu. Il jeta un œil aussi anxieux que curieux en contrebas : en un effrayant silence, les dernières mains décharnées se faisaient engloutir par l'ombre des abîmes. Le guerrier embrasé fixa un moment les ténèbres immobiles et insondables, guettant un bruit qui marquerait la fin de la chute de cet ennemi invraisemblable. Il n'entendit rien. Pas un écho, même ténu.
Les premiers étages de la nécropole étaient sinistres, mais plus l'on s'enfonçait dans ses entrailles, plus l'environnement lui-même devenait menaçant.
Sa torche bien haute au-dessus de sa tête – et son bouclier finalement harnaché dans son dos –, Hélios tentait de discerner ce qu'il y avait droit devant, à une dizaine de mètres de lui. Comme toujours depuis qu'il avait passé le grand escalier, au-delà du cercle de lumière qui l'entourait, il n'y voyait goutte. Seules quelques formes menaçantes se détachaient ici et là des murs sombres ou du sol à présent toujours tapissé d'ossements. Il y avait également une étrange brume blanche, un voile translucide qui voletait au gré des maigres courants d'air, jouant avec l'imagination morbide du visiteur pour créer des spectres aussi difformes qu'effrayants.
Le Traque-Seigneurs pointa son flambeau devant lui. Il distinguait vaguement une tache gris clair dans la masse obscure du couloir. En approchant de quelques pas prudents, il compris enfin ce qu'il voyait : les cendres d'un camp. Le sentiment de joie anticipée qui s'empara du mort-vivant retomba aussitôt. Une grille noire aux épais barreaux lui interdisait l'accès à son nouveau lieu de repos. Pestant contre les barres de fer, il chercha immédiatement un mécanisme quelconque, ou à défaut, un chemin qui lui permettrait de passer de l'autre côté. Il passa la main sur sa hanche, tâtonnant ses sacoches. Il ne lui restait plus beaucoup de pierres de prisme.
L'obscurité n'était qu'une ennemie de plus ; les squelettes embusqués et les pièges étaient toujours aussi nombreux à cette profondeur. Et si les monstres décharnés et les traquenards mécaniques avaient obligé Hélios à vider les deux-tiers de sa flasque d'Estus, le liquide magique ne pouvait rien faire contre l'anxiété qui rongeait, un peu plus à chaque pas, le porte-braise constamment sur le qui-vive. Le chevalier incandescent ne se sentait pas spécifiquement claustrophobe, mais il avait la sensation que les ténèbres qui l'entouraient se refermaient toujours un peu plus sur lui, allant jusqu'à l'étouffer. C'est pour cela qu'il se raccrochait à sa torche comme à sa propre vie.
Quand, après maints détours et combats, Hélios s'assit enfin devant les flammes vives, il se demanda s'il n'allait pas utiliser l'épée noire qui lui faisait face juste pour retrouver la chaude lumière du soleil, ne serait-ce qu'un instant.
Le Traque-Seigneurs s'arrêta sur la dernière marche en haussant un sourcil. L'étage étonnamment haut de plafond auquel il venait de descendre baignait dans l'eau. Le chevalier avait beau n'en avoir qu'à la cheville, il redoutait déjà sa progression future : l'eau stagnante, qui reflétait la lumière de sa torche, l'empêcherait de voir tout piège qui se cacherait sous la surface.
Alors qu'il cherchait vainement à voir au travers du miroir aqueux, le guerrier embrasé fut alerté par un bruit immonde qui l'obligea à lever la tête. Une masse noire, informe et manifestement visqueuse, rampait au plafond. Hélios ne réalisa que trop tard que la chose, s'étant rassemblée au-dessus de sa tête pendant qu'il regardait à ses pieds, lui tombait dessus.
Le sursaut d'horreur provoqué par le contact lui fit lâcher sa lame de givre. Aveuglé, il se débattait vainement, essayant inutilement d'arracher le monstre gluant qui s'insinuait lentement dans son casque. Ses doigts glissaient dans la chair poisseuse, sans parvenir à saisir quoi que ce soit. Il s'agitait, se débattait de toutes ses forces ; la masse visqueuse continuait de descendre sur lui, s'étalant sur son torse, envahissant les interstices de son armure. Dans un ultime geste de panique, alors qu'elle sentait son agresseur commencer à la broyer, la Morteflamme précipita sa torche vers sa propre tête. L'ignoble créature se rétracta soudain sous l'effet de la chaleur.
Le Chercheur de Flamme compris vite le lien de cause à effet, mais sa torche seule ne suffisait pas à faire lâcher prise à son assaillant poisseux. Les doigts du guerrier solitaire se précipitèrent à sa ceinture, tâtonnant pour trouver les grenades qui y pendaient. Dans un mouvement aussi brusque que maladroit, le chevalier écrasa l'urne de terre cuite sur son ennemi. L'explosion de flammes fit reculer encore un peu l'immondice vivante, sans la détacher complètement.
Il fallut trois grenades de plus et d'amples mouvements de torche pour que la chose retombe enfin au sol. Sa fidèle lame de givre à nouveau en main et le souffle rauque, le porte-braise – qui avait cru devoir s'immoler avec son adversaire – regarda avec dégoût son ennemi se consumer dans les flammes. Il montait de ce brasero incongru une abominable odeur de chairs putréfiées qui soulevait le cœur du mort-vivant encore sous le choc.
La sensation d'être pris au piège, d'être menacé à l'intérieur même de son armure le laissait frissonnant. Quand la chose avait commencé à resserrer son emprise, Hélios avait senti quelque chose de dur, de pointu commencer à s'enfoncer dans sa gorge. S'il avait réagi une poignée de secondes plus tard, nul doute qu'il n'aurait retrouvé sa liberté de mouvement que devant les flammes du dernier feu de camp.
Après une petite gorgée d'Estus – plus pour se rassurer que par besoin –, le Traque-Seigneurs jeta un regard angoissé vers le couloir de ténèbres qui s'étalait devant lui. Il devait surveiller le sol pour déceler les pièges, inspecter les ombres pour trouver les squelettes errants ou qui se formaient à son approche, et à présent le plafond aussi ? Cela faisait beaucoup. Beaucoup trop pour ses nerfs déjà mis à rude épreuve depuis plusieurs heures. Combien il aurait voulu fuir ce dédale obscur grouillant de dangers ! Il regrettait de ne pas avoir été plus égoïste et de ne pas avoir utilisé le pouvoir du feu pour retrouver la clarté du jour quand il en avait eu l'occasion.
En suivant un faible courant d'air qu'il percevait depuis un moment – et espérant ainsi trouver une éventuelle sortie – Hélios déboucha sur un nouveau couloir. Mais celui-ci était bien différent des autres : la pierre taillée et rectiligne laissait place à la roche brute, irrégulière et luisante d'humidité d'une grotte. Le passage, relativement étroit, semblait davantage avoir été façonné par des siècles d'érosion que par des outils. Le corridor naturel achevait de se différencier des galeries de la nécropole par la maigre clarté qui en éclairait l'extrémité – extrémité encore invisible à cause de la courbe du conduit rocheux.
Après une mâchoire de stalactites faisant office d'arche, le chevalier déboucha enfin sur un espace bien plus vaste, et surtout, illuminé. Certes, cette clarté était toute relative : seuls quelques filets de lumière tombaient du plafond, à travers les stalactites, et les petites bougies – posées à même la roche ici et là – éclairaient peu. Mais cette luminosité ambiante, bien que faible, dévoilait sans mal un trou béant au-dessus duquel s'étirait un pont de singe branlant. Le revenant embrasé suivit la passerelle de cordes des yeux. Elle semblait accessible via le chemin qui bordait le vide et montait vers un autre boyau rocheux – éclairé lui aussi.
En poussant un court soupir de soulagement, le Chercheur de Flamme franchit une dernière arche taillée – ultime trace de civilisation –, priant pour enfin retrouver la surface après ce pont salutaire.
La dizaine de mètres qui séparaient l'arche du pont était jonchée d'ossements. Le porte-braise, toujours méfiant, traversa la zone en les évitant tous. Tous, sauf un. Transporté à l'idée de quitter le sous-sol, il ne vit pas un humérus qu'il brisa malgré lui sous sa botte, juste avant de poser le pied sur la première planche de bois. Comme si le craquement, dont l'écho se répercutait à l'infini dans la caverne, était une sorte de signal, tous les os s'animèrent, s'assemblèrent soudain en une multitude d'individus avant de poursuivre, épées au clair, le Chercheur de Flamme désemparé. N'ayant guère de réel choix stratégique, ce dernier se mit à courir sur le pont branlant, fuyant la horde de squelettes lancée à sa suite.
Même de loin, les cordages lui avaient semblé vétustes. Hélios avait craint que l'antique édifice ne cède sous son poids. Au final, c'était ce qui lui avait sauvé la vie.
À l'instant même où il avait posé un pied de l'autre côté du pont, celui-ci avait lâché, précipitant les trop nombreux monstres décharnés qui le suivaient dans le vide.
Le guerrier solitaire s'immobilisa, hésitant entre l'angoisse et le soulagement. Le boyau rocheux était redevenu un couloir de pierre taillée qui aurait paru finement ouvragé si le temps n'y avait laissé une empreinte si profonde. Des colonnades majestueuses, dont les dorures délavées ne brillaient plus que d'un éclat fade à la lumière des torches, soutenaient un plafond envahi par les stalactites et d'où pendaient quelques encensoirs rouillés. Entre les piliers, des tapisseries – qui avaient été d'un somptueux rouge profond, brodées d'or et d'argent – déchirées par la pesanteur et l'humidité descendaient jusqu'au sol pavé. L'ensemble menait à une large double-porte de pierre, encadrée de pilastres dont les fins reliefs en spirales et en arabesques étaient ravagés par les siècles.
Cette porte pouvait aussi bien être une ouverture sur la surface – ce qu'Hélios espérait mais dont il doutait sincèrement tant il avait descendu d'étages – comme un portail vers de nouvelles abominations. La mâchoire serrée, il poussa les battants de pierre.
La vaste pièce était aussi raffinée, mais dévorée par les âges, que son vestibule. De hautes et massives colonnes, ornées de sculptures sophistiquées érodées, encadraient la route tracée par les pavés. Ce chemin traversait la pièce et la quittait avec une volée de marches illuminées de petites bougies et une porte similaire à celle que le Chercheur de Flamme venait de franchir. Mais ce dernier était bien plus absorbé par l'étrange autel qui trônait au beau milieu de la salle que par le décor suranné plongé dans la pénombre.
Comme hypnotisé, le porte-braise approcha la table de prière ; ou plutôt, de l'unique coupe qui reposait dessus. Un contenant qui aurait paru fort riche, mais commun, s'il n'avait été composé d'un crâne poli qui reflétait la lumière des bougies.
Inconsciemment attiré par l'artefact, Hélios en effleura le bord.
La coupe se mit subitement à cracher une substance indéfinissable, plus noire que les abîmes, qui se répandit rapidement sur le reposoir, dégoulina sur le sol, éteignant les bougies sur son passage et plongeant la pièce dans des ténèbres opaques. À cette vision de cauchemar, qui tira soudainement l'épéiste de son état second inexpliqué, s'ajouta un cri. Un cri puissant, guttural ; un hurlement abominable qui semblait provenir de la coupe.
Quand le Traque-Seigneurs parvint enfin à rallumer sa torche, il su immédiatement qu'il n'était plus au même endroit : l'autel avait disparu et les pavés ocres avaient laissé place à une terre sèche, grise et poussiéreuse. Le guerrier solitaire avait également le sentiment profond, viscéral, qu'il était en danger. Cherchant un repère dans la mer d'encre qui s'étendait au-delà de son petit cercle de lumière, il se retourna… avant de se figer d'effroi.
À quelques enjambées de lui, il y avait un crâne géant. Une tête décharnée, haute comme deux hommes et coiffée d'une couronne à sa mesure, qui le fixait de ses orbites vides. Le monstre titanesque – qui rampait pour une raison qui échappait encore à Hélios – se redressa sur les coudes pour lever un bras démesuré, comme la promesse d'un cataclysme imminent.
