Statufié par la taille improbable de son opposant – dont le nom lui était soudain apparu comme "le Chef suprême Wolnir" –, Hélios regarda la main osseuse, large comme une charrette, s'abattre sur lui. Seule la terreur lui permit de retrouver sa mobilité au dernier moment.
Le colosse était trop imposant ; jamais le guerrier incandescent ne pourrait fuir assez vite ni assez loin – en admettant qu'il y ait un endroit où fuir dans ces ténèbres opaques – pour échapper aux attaques du squelette monstrueux. Même les vingt bons mètres que la Morteflamme venait de parcourir à la hâte ne constituaient pas une distance de sécurité. Il n'y avait donc pas le choix : c'était vaincre ou mourir.
Laissant choir sa torche, le porte-braise tira précipitamment son pavois de son dos. Il savait pertinemment qu'il ne lui servirait pas – que pouvait un si petit bouclier contre le titan qu'était Wolnir ? – mais cela le rassurait, dans une certaine mesure, de l'avoir en main.
Détaillant frénétiquement le monstre décharné, qui se mouvait plutôt rapidement compte tenu de sa taille et de sa posture – mais pas assez pour surprendre le revenant –, Hélios réfléchissait à toute allure. S'il y avait bien une chose qu'il avait appris depuis qu'il avait quitté le Cimetière des Cendres, c'était que tout adversaire avait une faiblesse. Peut-être bien cachée, peut-être minime, mais il y en avait toujours une. Restait à trouver laquelle.
Se raccrochant à sa logique pour ne pas céder une nouvelle fois à la peur, l'épéiste suivait les déplacements du roi squelettique, se préparant au prochain assaut.

De tous les bijoux qui composaient l'équipage de Wolnir, seuls ses trois bracelets semblaient luire dans les ombres, repoussant la toile arachnéenne de ténèbres qui dévorait la partie inférieure de son corps. Cette toile d'un noir pur, bien plus profond que l'obscurité des catacombes, qui engloutissait les chairs comme les esprits : les Abysses.
Les trois artefacts qui paraient les poignets du titan d'os étaient-ils réellement les seuls éléments qui lui permettaient de surnager là où tout autre aurait déjà succombé ? Il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir. La Morteflamme n'avait pas mit longtemps à cibler les bijoux lumineux, mais il était complexe de les approcher. Malgré sa posture, qui l'obligeait à toujours garder un bras au sol, le haut seigneur était constamment en mouvement. Pour tenter de balayer le chevalier embrasé, de l'écraser, de le saisir. Et ces mouvements, bien que trop lents pour toucher leur objectif, restaient dangereux par leur amplitude comme par leur puissance.

Même si l'épée de givre semblait rebondir sur les bracelets d'or sans faire le moindre dommage, Hélios compris vite qu'il avait eu raison de viser là : Wolnir faisait tout pour éloigner le revenant embrasé de ses ornements luminescents. Bien que toujours frissonnant d'angoisse chaque fois que les phalanges décharnées s'écrasaient à quelques mètres de lui, le guerrier – qui s'accoutumait déjà à la célérité modérée de son opposant – prenait toujours plus de risques, s'esquivant au dernier moment pour pouvoir porter ne serait-ce qu'un coup de plus.
Une ultime frappe vint finalement entailler un des glyphes qui couraient sur le pourtour de chacun des bracelets. La magie contenue dans le bijou doré, altérée par la rupture de l'écriture antique, se libéra soudainement, faisant exploser le bracelet en particules lumineuses. Si Hélios n'avait été que vaguement repoussé, le Chef suprême semblait, lui, avoir subi le choc jusque dans son âme. Il avait brutalement reculé et restait tête basse, presque effondré. Le chevalier ne savait pas que, en brisant une des protections du squelette couronné, il avait repoussé ce dernier un peu plus dans les Abysses – les lancinantes Abysses.
Le haut seigneur ne resta cependant pas hébété assez longtemps pour que le mort-vivant incandescent puisse en profiter. Les poings du roi squelettique se remirent rapidement à pleuvoir, obligeant la Morteflamme à courir en tous sens.

À l'instant même où la main décharnée s'abattit une nouvelle fois au sol, bien loin du porte-braise interloqué, des squelettes – d'une taille bien plus raisonnable que leur invocateur – surgirent de terre. Le Chercheur de Flamme grinça des dents. Il avait déjà bien assez à faire avec le roi pour ne pas avoir envie de s'intéresser à ses sujets. Mais ces derniers ne restèrent pas longtemps sa préoccupation première : Wolnir reprenait déjà ses assauts dévastateurs.

Le Chef suprême ne se souciait aucunement de ses minions et frappait, encore et toujours, pour essayer d'anéantir l'agile petite braise qui dansait sous ses yeux vides. Et il balayait, écrasait, brisait sans une once d'hésitation, tout ce qui se trouvait sur son chemin. Dès qu'il n'y eut plus assez de squelettes pour restreindre les déplacements de la Morteflamme, le haut seigneur en fit apparaître de nouveaux.
S'ils n'avaient été si nombreux – quand bien même ils étaient régulièrement pulvérisés par leur propre maître –, ces squelettes n'auraient même pas gêné Hélios. Dans les catacombes, il avait déjà appris à les contourner, à les parer si besoin. Mais ne pouvant prendre le risque d'être cerné, Hélios les éliminait consciencieusement, manquant au passage de nombreuses occasions d'approcher les bracelets.

Wolnir entamait une nouvelle invocation. Juste sous sa massive paume, qu'il soulevait avec une étonnante délicatesse, une vive lumière montait du sol. Des lacets lumineux s'entrecroisaient pour laisser apparaître la garde d'une épée proportionnelle à son porteur. Le porte-braise n'hésita qu'une seconde : bourrant les serviteurs décharnés sur son chemin, il courut vers le bracelet resté à sa hauteur et abattit son épée dessus avec force. Cette fois, il avait délibérément visé l'écriture gravée. La nouvelle entaille rompit le flux magique. Le second bijou vola en éclats et son explosion propulsa un peu plus le squelette couronné dans les Abysses, interrompant son invocation.
Là encore, Hélios ne put profiter de l'instant d'absence de son adversaire ; autant parce qu'il était trop loin que parce qu'il était aux prises avec les sujets du haut seigneur. Tout juste achevait-il le petit groupe qui avait menacé de l'encercler qu'une autre vague de mercenaires mort-vivants fondit sur l'épéiste.

Le Chef suprême, après avoir invoqué nombre de guerriers, était revenu dans le cercle de perception de la Morteflamme. La torche restée à terre – seule source de lumière – éclairait peu, mais bien assez pour que le blanc sale des os mouvants se détache de l'obscurité opaque. Mais même en pouvant voir ses ennemis, même en étant accoutumé à leur vitesse et leurs attaques, le Traque-Seigneurs commençait à peiner face à tant d'adversaires en plus de devoir surveiller les cataclysmes réguliers qu'étaient les poings du haut seigneur.
Le combat aurait ainsi rapidement tourné en défaveur du porte-braise si Wolnir n'avait été si effrayé à l'idée de perdre son dernier bracelet, et donc pressé d'en finir. Le titan rampant s'immobilisa soudain pour prendre ce qui semblait être une profonde inspiration. Sous le regard horrifié du guerrier embrasé, le squelette géant se mit à vomir une brume noire et poisseuse. Le même brouillard malsain qui avait transformé la salle aux larges colonnes en l'océan de ténèbres dans lequel le combat avait lieu.
Les sous-fifres les plus proches de leur maître, pris dans cette obscurité vaporeuse, ne firent que confirmer à Hélios la dangerosité de cette nouvelle attaque : dans des cliquetis d'agonie, les squelettes craquaient, fondaient, se racornissaient, s'effritaient comme de vulgaires feuilles mortes prises au cœur d'un brasier.

Le nuage ne l'avait pas touché, ni même frôlé – il avait réussi à fuir assez vite pour cela –, pourtant le Chercheur de Flamme avait ressenti à son abord un froid vif, qui lui aurait semblé lancinant, presque lacérant, s'il avait encore pu sentir la douleur. Wolnir régurgitait-il les Abysses qui le dévoraient ? L'épéiste n'avait guère le temps de se poser la question : son regard restait fixé sur le bijou qui luisait, à travers la brume fatale, au poignet de son propriétaire… et en contact avec le sol. Repoussant les serviteurs squelettiques qui étaient parvenus à le suivre, Hélios guettait l'instant où le bras sortirait de la zone contaminée. Ce qui ne tarda pas : le nuage s'étirait, se dissipait, le rendant moins nocif. Pour preuve, les nouvelles invocations du titan d'os ne subissaient aucun dommage. Profitant de l'arène vidée de ses ennemis par la brume funeste et esquivant la nouvelle vague, le chevalier se précipita vers le dernier bijou lumineux.
Le bracelet éclata et Wolnir recula à nouveau. Il n'avait même pas fini de se rétablir qu'il fut aspiré plus loin encore dans les ténèbres. Le squelette géant, en un hurlement silencieux, planta ses doigts décharnés dans le sol, tentant vainement de freiner sa chute. Avec un frisson, la Morteflamme regarda son adversaire disparaître dans les Abysses. Elle n'avait pas eu besoin de lire une quelconque expression sur le faciès décharné du haut seigneur pour savoir que celui-ci était terrifié.
Tout juste Wolnir avait-il disparu que les squelettes invoqués s'écroulèrent. En même temps, un vent puissant se mit à souffler, soulevant en chuintant des traînées de cendres et de poussière venues de nulle part. Le porte-braise, tenant à peine debout dans la rafale qui s'intensifiait, ne distinguait plus rien, sa torche ayant été soufflée. Il ne voyait rien, mais il savait que la direction dans laquelle il était poussé, là où il se sentait emporté, était la porte vers les Abysses où venait d'être englouti le roi squelettique. Luttant contre le courant qui lui hurlait dans les oreilles, Hélios se prostra au sol, espérant, priant pour ne pas se faire emporter lui aussi.

Quand il rouvrit les yeux – alors qu'il n'avait même pas eu conscience de les fermer – le guerrier embrasé retrouva la douce lueur des bougies. Stupéfait, il regarda autour de lui : il était de retour dans la grande salle aux piliers sculptés. Devant lui, sur l'autel, la coupe au crâne damné aspirait les dernières bribes d'obscurité liquide, comme si elle absorbait les ténèbres qu'elle avait crachées dans la pièce, comme si elle engloutissait le véritable cauchemar qu'elle avait créé un peu plus tôt. Ne subsista de cette brume spectrale qu'une braise, comme celle que Vordt avait laissé derrière lui, posée telle une offrande devant l'artefact.
Hélios n'avait même pas réalisé quand le vent avait cessé de souffler. Encore perplexe, il baissa les yeux vers sa torche. Elle était à ses pieds. Le combat qu'il venait de mener n'avait donc été qu'une illusion ? Sinon, comment expliquer que le bâton enflammé ne soit pas resté "là-bas" ? Pourtant, il ressortait éprouvé de cette bataille ; épuisé même.
D'une main hésitante, il vint saisir son flambeau, le soupesa, scruta la flamme dansante qui aurait dû être éteinte de longues secondes. Tout lui avait semblé si réel – encore que l'obscurité des catacombes n'égalait en rien les ténèbres dans lesquelles il avait combattu – qu'il n'était plus sûr d'être bien éveillé… Peut-être aurait-il pu en avoir le cœur net s'il avait eu la présence d'esprit d'utiliser un os du retour. Saurait-il jamais un jour ? Cette incertitude rejoignit une liste déjà fort longue de questions sans réponses, de réflexions inabouties et de doutes qui l'ébranlaient toujours un peu plus.
C'est un soudain et bruyant raclement de pierre qui tira brutalement l'épéiste de ses songes. La grande porte, qui scellait l'unique sortie, s'ouvrait d'elle-même – son rôle, celui de confiner l'influence des Abysses, n'était plus. Le guerrier fixa l'ouverture un instant, avant d'enfin faire un pas. Il ne pouvait pas se permettre de s'arrêter à chacune de ses questions – il en avait déjà bien trop qui obscurcissaient ses pensées –, à plus forte raison s'il ne pouvait y répondre. Il ne pouvait que continuer en espérant que tout s'éclaire plus tard. Plus tard…
La Morteflamme empocha la précieuse braise et, non sans contourner largement l'autel et la coupe maudite qu'il supportait, quitta la pièce.

D'aucun aurait probablement soupiré de lassitude devant les innombrables marches. Le soupir d'Hélios était, lui, de soulagement. Les escaliers montaient, et montaient haut. La surface devait l'attendre au sommet. Enfin.

Il restait encore une vingtaine de degrés de pierre quand le porte-braise nota que la chaude lumière des torches était peu à peu occultée par la froide clarté de l'extérieur. Une brise fraîche et légère accompagnait ces rayons bleutés.
Les escaliers se terminaient par une arche finement taillée qui ne parvenait à égaler la vue sur laquelle elle s'ouvrait.
Perchée sur une falaise qui dominait des montagnes enneigées, une cité majestueuse dressait ses tours et toits pointus vers le ciel étoilé. Les grandes fenêtres des maisons, villas, manoirs et autres castels reflétaient telles des miroirs la pâle lumière de l'astre sélène, rendant le panorama scintillant. Une immense et sublime cathédrale illuminée venait chapeauter l'ensemble des bâtisses, couvant telle une mère attentionnée les constructions qui s'étalaient à son pied. De petits flocons immaculés tombaient avec douceur sur la ville éclairée par les rubans colorés de lumière qui parcouraient le ciel nocturne – la si célèbre Vallée Boréale portait bien son nom. Un élégant pont, qui enjambait tranquillement le large fleuve qui courait au fond du val, rattachait difficilement la cité envoûtante à la réalité.
Le mort-vivant embrasé demeura un moment admiratif devant la splendide Irithyll, domaine du Grand-Maître Sulyvahn.
Retrouvant enfin ses esprits, l'épéiste encore émerveillé par le panorama se mit en tête de rejoindre la ville. Baissant les yeux vers le petit chemin de terre meuble – couvert d'une fine couche de neige ici et là et qui descendait vers le pont menant à la grandiose cité –, Hélios plissa le front. Il ne fallait pas qu'il se laisse berner par la beauté du lieu. Après tout, c'était de ce royaume glacé que venaient l'éclaireur dont il portait encore l'épée, le gros chevalier ailé au tabard bleu croisé à Lothric… et Vordt. De plus, l'immense cathédrale qu'il apercevait au loin était sans doute celle dont Anri avait parlé : la Cathédrale des Profondeurs. Et le Seigneur Aldrich, le Dévoreur des dieux, s'y trouvait.
Le porte-braise refoula l'idée même de son combat prochain – et ses inéluctables futurs décès – contre le clerc déchu. Il aurait tout le temps de s'en inquiéter plus tard.

Sur le petit sentier menant au pont, un campement. Hélios s'installa avec bonheur devant les flammes chaudes montant des cendres blanches. Sentir sa fiole d'Estus s'alourdir et sa fatigue s'envoler lui firent pousser un soupir de contentement.
Serein, il leva les yeux vers la lune. Il faisait nuit ; c'était normal en ces lieux. Comment le savait-il ? En revenant à la vie, il avait pourtant oublié que le Seigneur Gwendolin – dit le soleil noir et fils de Gwen, le premier Seigneur des Cendres – avait lui-même étendu ce perpétuel voile nocturne. Et il ne savait pas non plus que le Seigneur Gwendolin n'était plus. Alors pourquoi ce ciel étoilé lui semblait-il si naturel ? Peut-être la Gardienne du Feu aurait-elle une explication… Mieux valait lui demander au plus tôt ; il avait peur d'avoir tort.