Le temps que la Gardienne avait pris pour réciter sa mystérieuse mais douce incantation, le revenant embrasé l'avait passé à tenter d'ordonner ses questions. Il en avait tant… Quand la fusion des âmes se termina – et qu'il eut testé une fois de plus sa puissance acquise –, Hélios se décida finalement à parler de la dernière anomalie qu'il ait notée : le ciel nocturne d'Irithyll. Pourquoi lui semblait-il normal que la lune illumine la glorieuse cité en lieu et place du soleil, alors que l'astre du jour brillait toujours au-dessus du Sanctuaire.
En posant cette question, le chevalier s'attendait à tout sauf à entendre le rire sardonique de Faucon Du-Breuil résonner sinistrement. Vaguement vexé, le guerrier incandescent se détourna de la Gardienne restée silencieuse – elle n'avait eu le temps de répondre – pour s'approcher de l'homme, toujours assis sur les marches, qui semblait se moquer de son ignorance.

- Qu'y a-t-il de si drôle ? s'enquit le Traque-Seigneurs.

- Irithyll ? Vous êtes allé jusqu'à Irithyll ?

L'intonation du déserteur était dubitative ; son regard, habituellement mort, brillait d'une étincelle de défi. Bien que surprise, l'autre Morteflamme répondit sur le même ton insolent.

- Oui, et ?

- Votre volonté d'accomplir votre irréalisable mission vous ferait-elle divaguer ? Il est impossible de pénétrer la ville.

Le fier épéiste ne put s'empêcher de froncer les sourcils.

- Vous mettez ma parole en doute ? J'étais à ses portes ! Je n'en ai pas encore parcouru les rues, mais il m'aurait suffit de traverser un pont pour cela.

Du-Breuil renifla sans discrétion.

- Donc vous l'avez "vue", pas "atteinte".

De sa voix monocorde aux rares accents aussi sarcastiques que défaitistes, le manieur d'espadon s'expliqua : la cité gelée était protégée par une barrière magique, un véritable mur invisible qui empêchait quiconque d'entrer… ou de sortir. Seuls les élus du Pontiff Sulyvahn pouvaient se frayer un chemin au travers de la muraille transparente.
Hélios comprit vite que s'il ne pouvait entrer dans la ville, sa route devenait une impasse puisqu'il ne pouvait contourner la ville bordée d'un côté par le fleuve, de l'autre par le vide. Et ce fait l'agaçait d'autant plus que son interlocuteur affichait – malgré sa posture abattue – un sourire narquois parfaitement horripilant.

- Comment suis-je supposé rejoindre la Cathédrale des Profondeurs dans ce cas ? questionna le porte-braise dont la patience s'épuisait doucement.

- Pardon ?

La surprise du guerrier assis paraissait sincère ; cela n'atténua pas pour autant l'agacement grandissant du chevalier.

- La Cathédrale des Profondeurs. Je sais que le Seigneur Aldrich s'y trouve. Comment m'y rendre si je ne peux traverser la barrière ?

Après un silence perplexe, Faucon laissa monter un rire nerveux et moqueur.

- Les royaumes ont convergé, certes, mais pas au point de pousser la cathédrale du Dévoreur des dieux jusqu'à Irithyll.

- Mais-… !

Le porte-braise s'interrompit de lui-même. Jusqu'à présent, l'homme à l'espadon n'avait pas menti et prouvé plus d'une fois qu'il était bien renseigné. Il n'en était pas digne de confiance pour autant, mais s'il affirmait que la grande église qui dominait Irithyll n'était pas la Cathédrale des Profondeurs, ce devait être vrai. Alors où était-elle ? Anri avait pourtant bien dit qu'elle était au-delà du Bastion de Farron. La jeune femme se serait-elle trompée ? Elle avait pourtant semblée sûre d'elle. Il était cependant indéniable qu'elle n'avait pas mentionné les catacombes qu'il avait traversées. Le Traque-Seigneurs aurait-il mal compris ? Quel détail lui avait échappé ?
Depuis la tour qui dominait le Camp des mort-vivants – et au sommet de laquelle il avait rencontré le géant – il avait bien aperçu une autre cathédrale, mais elle n'était pas "au-delà" du Bastion… si ?
Hélios allait amèrement questionner le déserteur – il savait déjà que celui-ci se moquerait de lui ; encore – quand ce dernier le devança.

- Vous voulez savoir où elle est, n'est-ce pas ?

Le chevalier n'avait même pas envie de répondre. Le rictus de son interlocuteur commençait à sérieusement l'exaspérer. Fort heureusement pour lui, Du-Breuil poursuivit de lui-même.

- La Cathédrale des Profondeurs se situe après le Bastion de Farron.

- Je le sais déjà ! Et je ne l'ai pas trouvée !

- Le cœur du Bastion de Farron est là où vous avez affronté les Veilleurs…

Il fit une pause, riant presque de voir son confrère trépigner d'impatience. Il poursuivit, les yeux plissés de malice et la voix moqueuse.

- … mais la forteresse en elle-même est bien plus étendue : n'avez-vous pas remarqué des ruines, éparpillées ici et là, depuis la route des sacrifices jusqu'aux marais ?

- Bien sûr que je les ai vues, s'offusqua le chevalier. Et alors ?

- Et alors vous pensez réellement qu'il n'y a qu'un seul chemin qui passe par le Bastion ? Surtout maintenant que nombre de murs sont tombés ?

Le mort-vivant embrasé étouffa un soupir excédé. Il se souvenait très bien des ruines et des nombreux chemins qu'il avait volontairement laissés inexplorés : dès lors que l'accès au Bastion avait été ouvert, il n'avait plus eu de raison de vagabonder dans le marais empoisonné. La perspective d'une nouvelle expédition dans ces eaux troubles ne l'enchantait absolument pas, quand bien même il avait largement gagné en puissance depuis sa dernière visite.
S'il avait été moins orgueilleux, Hélios aurait demandé à son comparse au moins un indice quant à la route à emprunter. Mais les moqueries répétées et le sourire narquois de Du-Breuil avaient eu raison de son sang-froid. Le porte-braise partit sans un mot de plus, fulminant sous son heaume – et oubliant complètement sa question initiale.

Voulant repousser autant que possible l'instant où il aurait à patauger dans l'eau lourde et poisseuse, le Traque-Seigneurs revint au cœur du Bastion lui-même.
La grande salle sombre, où les cadavres des membres de la Légion s'entassaient toujours, lui semblait à présent si familière… Se détournant de l'accès aux catacombes, il se dirigea vers la lourde double-porte restée ouverte. Dehors, dans la pâle clarté du jour, les Ghrus affrontaient les esprits sombres.

La Morteflamme s'étonna de la facilité déconcertante avec laquelle elle avait pu se débarrasser du duo de chasseurs de braises. Les coups des carcasses en armure noire lui avaient parus bien moins lourds et infiniment plus lents. Le Chercheur de Flamme découvrait enfin que la fusion des âmes ne conférait pas seulement de la force brute, mais aussi vitesse et dextérité.

S'aventurant dans les ruines qui bordaient la forêt, il retrouva rapidement le feu devant lequel il avait ressuscité tant de fois alors qu'il essayait d'abattre les Veilleurs des Abysses. Autant il connaissait bien à présent le couloir à ciel ouvert, autant il ignorait toujours ce qu'il y avait au bout dudit couloir.
Avec la prudence qui ne le quittait plus depuis sa première "mort", il progressa entre les murs branlants, ne prenant pas le temps de s'attarder sur la majesté des colonnes moussues ou escaladées par le lierre.

Les quelques Ghrus à moitié assoupis qui surveillaient les ruines avaient été aussi aisés à exécuter que les carcasses qui erraient dans le Cimetière des Cendres. Aussi la progression avait-elle été rapide… jusqu'à un certain point.
Hélios reconnu immédiatement le grand lézard cristallin qu'il avait aperçu derrière une grille, alors qu'il était en route pour affronter le chevalier noir : l'agencement du couloir ne laissait aucun doute, c'était bien le même. Mais cette fois, le revenant embrasé était du même côté que le monstre – qui dormait toujours. La respiration lente et régulière de l'animal fabuleux laissait à penser qu'il était si profondément assoupi que le porte-braise pourrait passer devant lui sans le réveiller. Ce qu'il ne voulait se risquer à tenter. Il n'oubliait pas que le chevalier noir, sensible au son, ne manquerait pas de réagir en entendant la grille noire s'ouvrir – si elle pouvait être ouverte. Et le combat qui s'en suivrait se déroulerait bien trop près de la créature pour qu'elle continue de dormir paisiblement. Tout cela en admettant qu'elle n'ouvrirait pas un œil quand le Traque-Seigneurs passerait juste devant elle – puisqu'elle occupait toute la largeur du couloir – pour avoir accès à la fameuse grille.
La Morteflamme décida de profiter de son initiative. Après avoir approché son ennemi avec prudence, elle abattit de toutes ses forces son épée sur le crâne du reptile cristallin. Ce dernier poussa un rugissement éthérique en se dépliant brutalement.

Le grand lézard avait été plus impressionnant que dangereux – du moins, il ne l'avait été que parce que revenant avait grandement gagné en puissance depuis son éveil dans le cimetière. Le chevalier avait, cette fois encore, trouvé son opposant lent et ni les amples coups de pattes, ni les puissants coups de queue n'avaient réussi à briser sa garde. Le reptile n'était parvenu à surprendre le porte-braise qu'en invoquant des cristaux – aussi effilés que ceux qui ornaient son dos – de son souffle magique ; mais cela n'avait eu pas plus d'effet que ses précédents assauts. La créature était morte, l'épée de givre enfoncée dans la gueule. Comme trophée, le Chercheur de Flamme emporta une large écaille, aussi lisse et brillante que sa lame glacée.

En approchant des barreaux, Hélios poussa un court soupir de soulagement : le chevalier en armure ébène était à plus d'une vingtaine de mètres, dans une posture de repos. L'écho du combat contre le lézard de cristal n'avait probablement pas porté assez loin. Et si le chevalier à l'espadon n'était pas encore aux aguets, alors franchir la grille n'était plus aussi risqué. Le guerrier s'en estima chanceux ; plus encore quand il trouva la clé de la porte grillagée à quelques pas de celle-ci, dans la main d'un corps décapité – un cadavre sec qui avait probablement servi de repas au reptile, il y avait bien longtemps de cela.

Les yeux rivés sur l'armure noire, Hélios s'approcha lentement et se surprit à sourire. S'il avait tant progressé que même les carcasses du marais fétide lui avaient semblé aisées à vaincre, le combat contre le chevalier aveugle ne serait sans doute pas aussi ardu que la première fois. C'était une revanche – une vengeance même – parfaitement inespérée.
Obnubilé par sa victoire prochaine, il tressauta en entendant un mugissement monstrueux, à quelques mètres de lui. La chose à la croix de bois – ce monstre agile qui, indirectement, lui avait valu sa première mort – l'avait aperçu depuis l'extérieur de la tour et le chargeait en rugissant. Son cri, immanquablement, attira l'attention de l'armure aveugle.
Voulant fuir l'étroitesse de la tour, où les amples coups de la chose hurlante ne pourraient que faire mouche, Hélios se précipita malgré lui vers le chevalier noir qui arrivait au pas de course. Ne voulant se laisser prendre en tenaille, le porte-braise tenta de s'abriter derrière une large colonne. Sa route fut coupée par l'espadon sombre qui s'abattit tel une guillotine. En maudissant entre les dents la portée de la lourde lame, la Morteflamme bondit en arrière, sentant arriver sur elle la main griffue du monstre crucifié.

S'ils avaient été séparés, le Chercheur de Flamme n'aurait eu aucun mal à se débarrasser de l'un ou de l'autre de ses opposants. Malgré le chaos de la bataille, il avait vite remarqué que le grand monstre n'était pas aussi rapide et le chevalier noir pas aussi fort que dans ses souvenirs. Pour preuve : il pouvait suivre et éviter les attaques de l'un comme parer tant bien que mal voir même déstabiliser l'autre – ce qui avait été impensable lors de leurs premiers affrontements. Mais même si ses assauts étaient moins concertés que ceux des deux carcasses du marais, le tandem restait dangereux.

Hélios avait espéré que, l'armure ébène étant aveugle, elle s'en prendrait également au monstre à la croix de bois qui ne cessait de hurler. Hélas, comme si ses deux ennemis s'étaient mis d'un commun accord et même s'ils se gênaient mutuellement, ils ne ciblaient tous deux que le porte-braise. Le pire, c'est qu'il était devenu impossible de duper le chevalier non-voyant qui suivait les cris de son acolyte inopiné.

Le Chercheur de Flamme ne pouvait qu'esquiver ou parer. Ce n'était pas la célérité de ses opposants – devenue modérée à ses yeux – qui empêchait toute manœuvre offensive, mais bien le fait qu'il soit coincé entre eux. La tenaille qu'ils formaient le retenait également sur place : à peine s'évadait-il d'un ample coup de griffe que l'espadon noir le forçait à revenir entre les deux monstres. Ce n'est, étrangement, que lorsqu'ils attaquèrent de concert que le porte-braise put enfin riposter. Déviant la lourde lame sombre – qui s'abattait à nouveau avec force – de son épée de glace, Hélios redirigea l'attaque pour qu'elle vienne trancher net le bras du monstre à la croix de bois. Ce dernier hurla de plus belle avant de reculer d'un bond ; un de ces bonds surhumains qui avaient surpris le Traque-Seigneurs la première fois. Mais à cet instant, il était surpris pour une toute autre raison. Le mouvement ample et l'agilité qui l'accompagnait étaient gravés aussi profondément dans sa mémoire que la marque sombre l'était dans sa chair : les Veilleurs des Abysses aussi s'étaient déplacés ainsi – il se rappelait même avoir déjà fait le parallèle entre ces deux adversaires redoutables. Quel lien cette chose avait-elle avec les Seigneurs ? Il n'eut guère le loisir d'approfondir la question, le chevalier au casque cornu revenant à la charge.