Sous les arbres hauts et à l'épais feuillage, les nombreuses marches irrégulières montaient abruptement jusqu'à une arche basse et trapue, seule ouverture dans une muraille massive – dissimulée depuis les bois inondés par le dénivelé – si haute qu'elle se perdait dans les frondaisons. Au-delà de la fortification, une petite forêt où erraient quelques carcasses arbalétrières et leurs chiens décharnés. Plus loin encore, une nouvelle arche dans une muraille plus fine s'ouvrait sur une vieille route bordée de pierres tombales démesurées, entre lesquelles avaient poussé des arbres et des buissons. La voie pavée menait aux grilles d'un grand cimetière qui paraissait surveillé par une chapelle, imposante et austère, qui émergeait entre les branches sèches d'arbres morts et dont la pierre froide n'était réchauffée que par la douce clarté du jour. Le Chercheur de Flamme s'en approcha. S'il pouvait sécuriser cette église, il aurait au moins un endroit – presque – sûr où revenir, même sans feu.

Hélios pénétra avec précautions dans la silencieuse chapelle si haute que son plafond se perdait dans les ombres. Il traversa le sobre narthex*, fendit la mer de chaises de bois qui noyait la nef sans fenêtre au style presque minimaliste, remonta calmement le tapis rouge – usé, délavé, rongé par les âges et les passages – qui s'étirait, s'effilait de l'entrée jusqu'à l'estrade du chœur de la chapelle. Le revenant embrasé ne jeta même pas un œil sur les dizaines de bougies – certaines réparties dans des porte-cierges, d'autres posées à même le sol, sur les plinthes ou dans de petites alcôves – qui peinaient à éclairer l'endroit, ni même sur l'autel finement sculpté qui représentait nombre de clercs et diacres. Il ne voyait que la lame noire torsadée, plantée dans des cendres d'os, trônant sur l'estrade au pied de l'autel et qui n'attendait que d'être enflammée. La joie de trouver l'épée sombre fut de courte durée ; la Morteflamme s'inquiéta bien vite de savoir ce qui pouvait bien rôder dans les alentours pour qu'un camp ait été dressé là.

Prudemment, le chevalier embrasé était ressorti de la chapelle, avait franchi les imposantes grilles sombres du cimetière et s'était aventuré entre les hautes pierres tombales – si grandes qu'elles rendaient l'endroit labyrinthique. Au milieu de cet enchevêtrement de stèles et de mausolées, des cadavres émergeaient continuellement du sol, laissant parfois l'indésiré visiteur désorienté après un combat.
Quand enfin il sortit du dédale de tombes, le Traque-Seigneurs put enfin embrasser du regard la cathédrale tant recherchée – une façade tout du moins.

La Cathédrale des Profondeurs était un bâtiment parfaitement démesuré, posé au sommet de nombreuses marches, qui s'apparentait davantage à une forteresse qu'à un lieu de culte tant il était imposant. Culminant à plus d'une centaine de mètres, la nef était supportée de part et d'autre par de massifs contreforts, chacun aussi large que la tour du géant archer et surmontés d'une véritable tour de guet en guise de pinacle. Les arcs-boutants eux-mêmes, d'où pendaient des encensoirs géants, semblaient assez épais pour abriter un étage.
Même la puissante nature n'était parvenue à dégrader l'endroit : les immenses arbres – depuis longtemps morts et secs – qui avaient poussé ici et là sur les toits et dont les racines lézardaient les murs ne paraissaient guère plus grands que du lierre. Le temps lui-même semblait difficilement maintenir son emprise sur les lieux tant les sculptures, de pierre ou de bronze, avaient l'air intègres et détaillées. Seule la couleur bleu-vert des statues de métal trahissait leur ancienneté.

En se frayant un passage au milieu des carcasses innombrables qui infestaient l'endroit et après avoir gravi le grand escalier, le porte-braise parvint jusqu'à l'entrée : une double-porte de bronze, énorme, épaisse, plus haute que le géant archer lui-même… et bien évidemment close. La Morteflamme eut beau pousser de toutes ses forces, les battants de métal ne bougèrent pas d'un pouce. L'accès à la Cathédrale des Profondeurs, où se cachait le Seigneur Aldrich et où Anri et Horace se trouvaient peut-être, demeurait fermé.
Le Chercheur de Flamme n'eut guère le temps de s'appesantir sur son problème : le cri d'une carcasse qui lançait l'assaut s'éleva non loin. Il eut tout juste le temps de tourner la tête pour voir le monstre s'immoler avant de se ruer vers lui. Instinctivement, Hélios se mit à reculer, puis courir en sens inverse et ne s'arrêta qu'en entendant un écœurant bruit d'explosion.
Il ne restait presque rien du cadavre calciné, pourtant, le chevalier put rapidement conclure que son opposant s'était couvert de poudre et devait en avoir ingurgité pour que le machabée soit ainsi éventré. Il allait donc affronter des fanatiques prêts à se lancer dans des attaques-suicides pour protéger le Seigneur Aldrich. L'épéiste frissonna. La confiance qu'il pensait lui être fatale un peu plus tôt avait complètement disparu.

En contournant l'imposant édifice pour trouver une ouverture, Hélios affronta toujours plus d'abominations et de carcasses improbables : certains cadavres ambulants abritaient des vers-sangsues qu'ils libéraient en vomissant ; ces mêmes vers s'agglutinaient parfois tant qu'ils créeaient une horreur anguiforme dotée de bras et douée d'une conscience propre qui pouvait émerger du ventre de son hôte. Les carcasses aussi se montraient de plus en plus dangereuses, passant de simples lanciers, arbalétriers ou épéistes – vêtus de haillons – à de véritables miliciens armés d'une paire de dagues, d'une hallebarde ou encore d'une hache démesurée – habillés, eux, de maigres armures ou de robes de prière. Comme pour couronner le tout, les lieux étaient infestés de petits esclaves embusqués dans les hauteurs, dissimulés par les ombres des toits, des arbres morts, des statues et divers reliefs.
Cependant, comme dans le Camp des mort-vivants et malgré la dangerosité accrue de ses opposants, le Chercheur de Flamme fut bien davantage ralenti par le nombre d'ennemis rencontrés que par leur force individuelle.

Le revenant embrasé mit longtemps, bien trop longtemps à son goût, à trouver une porte aux dimensions plus modestes qui ne serait pas scellée par son poids. Celle qu'il venait de franchir était même déjà ouverte – sans doute la procession de carcasses fanatiques abattue en chemin en avait poussé les battants pour lui. Cette entrée opportune se trouvait à l'arrière, au sommet de longs escaliers montants, s'ouvrant sur l'intérieur étonnamment clair de la cathédrale.
Quelques marches descendaient en un tapis rouge vers un balcon qui surplombait l'immense nef. Six opulents lustres montgolfières – chacun de la taille d'une maison – pendaient du plafond, miraculeusement suspendus à des ogives larges comme des rues. L'éclairage était complété par pléthore de chandeliers, torches et porte-cierges disséminés ici et là dans toute la cathédrale. Si l'aspect massif et lourd des murs et des colonnes de pierre froide paraissait étouffant, il était grandement atténué par le détail des fresques, des bas-reliefs ou des statues qui ornaient l'endroit, du sol au plafond. Loin à travers la brume des encensoirs, le chœur dominait le reste de la nef d'un étage complet. L'autel, étrangement bancal, était entouré d'une trentaine de bancs trapus entre lesquels circulaient quelques silhouettes portant d'autres sources lumineuses. Derrière le reposoir démesuré, on devinait l'accès à la chapelle axiale* où le Seigneur se cachait très probablement.

Hélios avait trouvé son but. Il se serait volontiers approché de la rambarde pour guetter, depuis le balcon, ce qui pouvait bien l'attendre plus bas si une respiration grave, rauque, ne résonnait dans toute l'enceinte. Quelque chose d'énorme semblait tapis non loin, très probablement masqué par le dénivelé. Le bouclier en avant, le chevalier incandescent longea le tapis rouge à pas feutrés, se réfugiant dans le seul couloir qui quittait le balcon. Tous les sens aux aguets, il s'enfonça dans la basilique.

Il avait déjà traversé moult étroits couloirs, petites salles d'études, vastes salles rituelles, de prière ou de rassemblement – affrontant sur le chemin nombre de serviteurs, carcasses en chasuble écarlate et même quelques évangélistes – quand il rencontra un chevalier. Anormalement grand, massif, armé d'une lourde masse à ailettes et protégé par un pavois de la taille d'une porte, il était tout aussi intimidant et bien plus imposant que le chevalier noir des bois inondés.
Si la Morteflamme sortit – difficilement – victorieuse du duel, elle n'en resta pas moins inquiète : d'autres chevaliers devaient patrouiller dans les couloirs de la cathédrale, et il n'aurait peut-être pas la chance de les trouver seuls.

Quand il déboucha enfin dans la nef, Hélios se figea derrière un des épais piliers du collatéral*. Il avait trouvé l'origine de la menaçante respiration rauque : un géant. Un géant autrement plus grand que celui qu'il avait déjà rencontré. Le monstre était agenouillé, presque recroquevillé sur lui-même ; mais il suffisait d'un seul coup d'œil pour savoir que, s'il venait à se redresser, il dominerait sans effort le balcon par lequel le chevalier était arrivé – balcon qui se trouvait à près de trente mètres du sol. Quand bien même il était ridicule de comparer un "simple" géant à un héritier des cendres, le revenant embrasé, ayant encore en tête son combat contre le haut seigneur Wolnir, se refusait à prendre le risque d'affronter un tel titan.
Le Traque-Seigneurs analysa le vaste espace vide découvert : à l'opposé du géant, il y avait le chœur de la cathédrale surélevé, mais il n'y avait encore trouvé aucun accès. Parcourir la nef à la recherche d'un chemin vers l'autel impliquait donc de s'exposer au regard du colosse… si celui-ci s'éveillait.
Le porte-braise, aussi discrètement que son armure le lui permettait, se faufila vers le chœur. Seulement, plus il avançait, plus il trouvait que quelque chose n'allait pas. L'écho du souffle grave du géant lui paraissait anormalement proche. C'est en atteignant la croisée du transept* qu'il comprit pourquoi : à une quinzaine de mètres de lui, un second géant, tout aussi énorme que le premier, sommeillait dans une posture similaire. Derrière le goliath, une volée de marches semblait mener à l'objectif surélevé.
Statufié par la crainte d'avoir réveillé le monstre colossal en l'approchant si près, le chevalier incandescent demeura immobile de longues secondes. Quand il fut certain que ce deuxième titan n'avait rien entendu, il recula prudemment vers l'abri du mur.
La mâchoire crispée et les muscles tendus par l'angoisse, Hélios surveillait tant bien que mal les deux monstres assoupis. Si l'un était trop loin pour représenter une menace immédiate, l'autre défendait le passage vers l'autel par sa seule présence. Le seul passage qu'il ait trouvé jusqu'à présent, tout du moins.

Le Chercheur de Flamme parcourut la cathédrale en tous sens, risqua plusieurs fois de perdre la vie face aux fanatiques serviteurs du Dévoreur des dieux – l'obligeant à vider sa flasque de soin – avant de finalement revenir dans la nef. Il n'avait trouvé aucun autre moyen d'atteindre l'autel que celui qui passait derrière l'un des géants.
À nouveau à l'angle du mur, il observait le titan assoupi, hésitant. Si, par miracle, il parvenait à passer le gardien endormi, il pourrait alors atteindre le Seigneur Aldrich. Mais sa fiole d'Estus était vide et le feu de la chapelle était loin. Affronter un Seigneur des Cendres était bien assez complexe pour ne pas vouloir commencer le combat avec un handicap. Pourtant, et malgré le fait qu'il se souvienne parfaitement du chemin, il se sentait réticent à l'idée de faire demi-tour. Ne plus pouvoir surveiller le ciel, ne plus pouvoir constater qu'il lui restait du temps, devenait toujours un peu plus pesant, rendant sa quête toujours un peu plus pressante. Plus encore, il n'avait pas la moindre envie d'affronter à nouveau les cohortes de carcasses, gardiens et autres fanatiques.

Le bois des marches grinçait sous les pas du porte-braise, pourtant, le géant ne semblait pas réagir. Hélios caressait le doux espoir de pouvoir parvenir discrètement au sommet des degrés usés quand une créature, tombant de nulle part, vint s'écraser dans un grand fracas à moins d'un pas du chevalier. Ce dernier avait beau avoir eu le réflexe d'abattre sa lame sur la chose – elle était déjà morte quand il l'identifia comme un homme-vers –, le vacarme qu'elle avait fait en tombant résonna dans toute la cathédrale. Aussitôt, le géant avait remué et se dépliait maintenant dans un grondement sonore. La Morteflamme n'attendit pas de le voir entièrement debout pour se mettre à courir. Avec l'énergie du désespoir, le guerrier embrasé gravit quatre à quatre les dernières marches, se précipita dans le coude menant au chœur, dans l'espoir d'échapper au courroux du colosse.
Un véritable cataclysme s'abattit bel et bien derrière lui ; mais avec un tel retard que le porte-braise se demanda s'il était toujours la cible du coup.

Le chœur – derrière lequel on distinguait quelques marches descendant vers la chapelle axiale – était gardé par quatre carcasses et deux chevaliers. Les morts ambulants étaient en robe de diacre carmin, brodée de blanc et d'or, et portaient des chandeliers dorés. Deux des diacres allaient et venaient sur le tapis rouge qui descendait de l'autel, les deux autres psalmodiaient devant le reposoir. Les deux grands chevaliers aux aguets – l'un avec une masse à ailettes, l'autre avec un espadon –, sans doute alertés par le choc du poing du géant, surveillaient les "hommes" de prière. Plus loin, le géant en question s'était rassis et paraissait même s'être déjà rendormi. Il n'en restait pas moins une menace : debout, il n'aurait aucun mal à faucher tout ce qui se trouvait entre l'autel et lui.
Le revenant embrasé savait qu'affronter tout ce monde à la fois était suicidaire, mais passer en courant pourrait l'être plus encore, surtout si les deux chevaliers parvenaient à entrer dans la chapelle du Seigneur avec lui.
Il soupesa machinalement sa flasque de soin vide alors que son regard s'arrêtait à nouveau sur les chevaliers. Il serra les dents… et se mit à courir. Il priait de tout cœur pour que la chapelle ait une porte qu'il pourrait fermer au nez de ses futurs poursuivants.


*narthex : le "vestibule", le "sas" avant d'entrer dans la nef.
*chapelle axiale : petite chapelle placée derrière le chœur, dans l'axe longitudinal de la nef.
*collatéral : le couloir sur le côté de la nef (entre les piliers et le mur)
*croisée du transept : intersection entre la nef et le transept (merci cap'tain obvious XD), le transept étant la partie perpendiculaire à la nef.