Craignant une seconde déflagration, le revenant s'était tant éloigné qu'il n'aurait pu attaquer pendant l'invocation, même s'il l'avait voulu. Combien il le regrettait. S'il avait pu interrompre l'incantation du Pontiff, peut-être la suite du combat ne se serait-elle pas annoncée si complexe. Comme jubilant du désarroi manifeste du chevalier, le Grand-Maître et son image matérialisée le toisaient tout en reprenant calmement une posture de combat. Si le sang de la Morteflamme n'était déjà figé, il se serait glacé quand elle réalisa que la réplique de son opposant se mouvait à l'identique de son créateur… avec une seconde d'avance. Le duo leva chacun son épée nimbée de violet, jusqu'à la tenir parfaitement parallèle au sol, pointée sur le mort-vivant. Ce dernier, se doutant qu'il ne s'agissait pas là d'un salut – comme celui des Veilleurs –, attendit, genoux fléchis. Une première lance de magie pure traversa la cathédrale, fondant sur Hélios. Il ne voulut pas prendre de risques ; il allait esquiver. Celui qui l'avait envoyé avait beau être translucide, le sort ne ressemblait pas à une illusion pour autant. Le chevalier s'était suffisamment éloigné pour éviter le javelot lumineux largement, mais même s'il avait prévu le second trait, celui-ci passa bien plus près qu'il ne l'avait estimé. Le Seigneur Sulyvahn avait réorienté son épée ; les deux offensives n'étaient donc pas parfaitement identiques.
Les lourdes attaques de l'homme d'église étaient déjà difficiles à encaisser avec un bouclier, alors essuyer deux offensives, maintenant magiques, avec une lame seule ? Impossible. Impossible ! Le duel – qui n'en était plus un – lui-même devenait soudain impossible.
Contre un autre adversaire, Hélios aurait probablement baissé les bras ; il aurait sans doute attendu la mort pour chercher une solution. Contre un autre Héritier des Cendres, il aurait peut-être même sombré dans le désespoir, tant l'écart de puissance semblait écrasant à présent.
Pas face à Sulyvahn.
La volonté du Pontiff de voir le Feu s'éteindre entrait en conflit avec l'existence de l'épéiste. Et ce dernier n'y voyait là qu'une raison de plus de vaincre ; cette lutte attisait son animosité, elle-même embrasant son désir de victoire. La colère devint haine et prit le pas sur la peur. Une haine qui aurait pu oblitérer toute conscience logique si le sentiment de faiblesse qui l'étreignait – résultant de l'absence de sa braise – ne s'était fait plus intense encore avec l'apparition du double. Sa rage, bridée par la désagréable sensation d'impuissance, le poussa néanmoins à aller à l'encontre de la décision qu'il avait prise dans l'église en ruines : utiliser une braise.
Le Traque-Seigneur fit une rapide estimation de l'espace qui le séparait encore de son ennemi et sa copie qui approchaient d'un pas lent, dominant, dédaignant, méprisant. Une charge ou une nouvelle lance magique importait peu, il aurait tout juste assez de temps pour l'esquiver. Il prit le risque. Le Chercheur de Flamme enfonça la main dans une sacoche de sa ceinture. Sans même l'en sortir, il broya d'un coup sec la braise qu'il avait empoignée. En un instant, le pouvoir du Feu l'investit, refermant ses plaies, renforçant ses membres, gonflant son âme de hardiesse.
Il voulait vaincre. Il allait vaincre. Plus encore que de perdre la braise qu'il venait de consumer, et quand bien même la situation était toujours très épineuse, il refusait un nouvel échec contre cet ennemi aux idéaux corrupteurs.
Un ennemi qui s'affaissa sur ses appuis dès que le mort-vivant eut retrouvé sa Flamme. Il ne semblait guère apprécier ce changement de situation. L'écho du Pontiff s'éleva dans les airs d'un bond prodigieux, aidé de ses ailes ramifiées. Il lutta une seconde contre la gravité avant de se jeter en avant, l'espadon translucide au-dessus de sa tête. L'original suivit la même courbe. La première lame fissura l'épais dallage, la seconde le fendit en deux, soulevant un nuage de poussière. Mais ni l'une ni l'autre n'avait touché le chevalier à nouveau embrasé. Si ce dernier craignait toujours la présence de l'image en combat rapproché, à une telle distance, l'adversaire magique l'avait surtout aidé à prévoir les déplacements de son modèle. Un avantage non négligeable quand la plupart des coups du Grand-Maître étaient surtout efficaces car aussi brusques que amples.
Deux assauts de plus avaient suffit. Le Traque-Seigneurs était à présent certain d'au moins une chose : bien que translucide, le double de Sulyvahn n'était pas complètement immatériel pour autant. La chaleur de son espadon, comme le choc de chacun des coups qu'il portait, étaient tout aussi intenses que ceux de l'original. Et comme le guerrier l'avait redouté, le corps-à-corps était devenu autrement plus complexe, les deux adversaires pouvant se superposer sans se gêner – rendant la lecture de leurs mouvements plus difficile encore. Et pourtant… la blessure au flanc qu'il avait réussi à infliger semblait ralentir les mouvements du Seigneur de la Vallée Boréale comme ceux de sa réplique.
Hélios avait également remarqué qu'après une attaque, l'image disparaissait pour réapparaître derrière son original. Systématiquement. L'épéiste incandescent n'avait donc, en théorie, pas à craindre que les deux se séparent pour le prendre en tenaille. Mais son seul réel atout résidait dans sa différence de gabarit avec ses opposants. Il avait survécu aux échanges de lames en se plaçant – étrangement – au plus près de ses adversaires, les percutant presque et passant ainsi sous la majeure partie des attaques, déviant d'autres de son épée bénie. Il avait tout de même écopé de quelques estafilades, mais aucune blessure grave. Comme la plupart des offensives de l'homme de prière étaient descendantes, la Morteflamme avait "simplement" contourné les attaquants du côté du bras levé, échappant ainsi aux courbes mortelles. Un exploit qui ne lui avait été permis que grâce au pouvoir du Feu qui l'habitait à nouveau, décuplé par la rage qui la consumait, par ses réflexes de combattant aguerri et son sens aiguisé de l'observation. L'embrasé regrettait presque de ne pas avoir eu l'occasion d'attaquer.
Le maître d'Irithyll avait perçu le changement, décelé le danger que représentait ce porte-braise soudain plus alerte. Il ne se serait pas éloigné sinon. Le revenant en maugréait : la distance qu'il avait tant cherché à établir lors de leur premier affrontement s'avérait finalement être plus problématique que salvatrice. Ainsi éloigné, il était exposé aux attaques magiques sans avoir la chance de pouvoir riposter et encore moins attaquer.
Pourtant, le Pontiff semblait prudent jusque dans ses offensives magiques. Les deux pieds ancrés au sol, la main ferme sur la garde de son épée bénie, Hélios scrutait son adversaire, cherchant à comprendre sa démarche, ou à trouver une ouverture. Le mort-vivant avait bien mémorisé les propos du sorcier croisé dans les ruines. Et si le Seigneur Sulyvahn ne faisait pas pleuvoir les sorts, comme le Sage de Cristal, peut-être était-ce parce qu'il ne le pouvait purement et simplement pas.
Le regard de l'épéiste s'était fixé sur son adversaire spectral ; étant le premier à bouger, il représentait la menace la plus imminente. Surtout qu'il était presque à portée pour une de ses charges fulgurantes.
À l'instant même où la réplique de l'homme de prière interrompit sa marche lente pour lever à nouveau son épée à l'horizontale, Hélios se rua vers ses adversaires. Il avait constaté que ces derniers s'immobilisaient le temps d'incanter. Le Chercheur de Flamme avait décidé d'en profiter, quand bien même il savait que se jeter sur ses ennemis alors que deux lances magiques allaient fondre sur lui était un jeu dangereux. Mais il en avait assez d'attendre une opportunité. C'était à lui d'en créer une. La pointe de l'épée de Sulyvahn s'éclaira d'une lueur violette à son tour. La première lance effleura tout juste le guerrier en pleine charge ; la seconde le percuta à l'épaule, le ralentissant à peine.
C'était un piège. Il ne le compris que trop tard. Ce n'était pas parce qu'il ne le pouvait pas que le Grand-Maître ne lançait pas plus de sorts, mais parce qu'il voulait inciter le chevalier embrasé à avancer de lui-même. L'homme d'église s'était joué de son impatience. D'un battement d'aile, il échappa à la morsure de l'épée bénie. La Morteflamme leva les yeux juste à temps pour voir l'espadon translucide commencer à descendre droit sur son heaume. Ses réflexes salutaires lui permirent d'éviter la lame, mais l'explosion de flammes – qui survint quand l'arme ardente toucha le sol – projeta le porte-braise avec tant de force qu'il traversa un banc, allant s'écraser dans la rangée suivante.
Et tout sembla s'accélérer.
Le Traque-Seigneurs se redressait tout juste ; l'image matérialisée envoyait déjà un nouveau sort évoquant un large croissant de lune. Le guerrier solitaire se jeta à plat ventre pour l'esquiver. La charge lumineuse balaya tous les sièges de bois. La seconde attaque ouvrit le dallage en deux, juste devant le guerrier qui reculait précipitamment. Il vit arriver la copie translucide par les airs. Il arracha une grenade de sa ceinture et la jeta au sol, se brûlant au passage, mais soulevant surtout un épais nuage de terre et de poussière dans lequel il se dissimula. Le clone passa au travers sans toucher sa cible, mais le Seigneur Sulyvahn, lui, fendit l'amas de particules en suspension. Hélios se jeta sur lui. Sa lame bénie trouva le flanc exposé. Le hurlement de douleur du Pontiff résonna dans toute la cathédrale. Son double, après une seconde de vacillement, repoussa violemment le porte-braise, lui arrachant une épaulette au passage. Le revenant embrasé n'en démordit pas. Il revint à la charge, sa dernière grenade en main. Il l'envoya droit au visage de l'original… et se trouva pris au dépourvu quand l'être diaphane réagit différemment de son modèle. Le dirigeant d'Irithyll titubait, protégeant son visage blessé, alors que l'autre poursuivait l'assaut. L'épée translucide s'enfonça dans l'épaule dénuée de protection du Chercheur de Flamme. Ce dernier, après avoir brusquement reculé, ne chercha même pas à porter sa flasque d'Estus à ses lèvres – il était de toute façon bien trop près de ses ennemis pour espérer en avoir le temps. Mais voir l'opportunité de mettre fin au combat de si près ne fit qu'enfler son audace : malgré un bras devenu inutile, il revint au contact. Il pouvait voir. Il pouvait esquiver. Il devait "juste" trouver la bonne ouverture.
Le Seigneur de la Vallée Boréale tentait de reprendre son agile valse de lames. Mais ses plaies semblaient l'en empêcher autant que le mort-vivant qui restait toujours près, bien trop près pour que ses frappes soient efficaces. Hélios ignorait si la hargne du maître des lieux était motivée par les blessures qu'il lui avait infligées ou par sa fierté mise à mal, mais il sentait que chaque coup était voulu être le dernier.
Le chevalier incandescent guettait la moindre ouverture – "Pas encore." –, cherchait à prévoir autant d'assauts que possible – "Pas encore." –, à éviter autant d'attaques qu'il le pouvait – "Pas encore…" –, mais nombre de blessures s'ouvraient sur son torse et ses épaules. Il gardait sa lame prête pour une offensive ; il ne pouvait se permettre de prendre le temps de parer.
L'image du maître ralentissait, à l'instar de son modèle. L'épéiste essuyait de plus en plus de chocs, gêné par son bras invalide et ne parvenant plus non plus à maintenir la cadence. C'était au premier qui céderait.
"Maintenant !"
La copie s'était fendue en avant, descendant sur ses appuis. Le Traque-Seigneurs, anticipant immédiatement le placement de Sulyvahn, leva brutalement son épée bénie. Juste à temps pour que la pointe s'enfonce dans la gorge offerte de l'Héritier des Cendres. Ce dernier recula subitement dans un hurlement étranglé. Synchronisés pour la première fois, le Grand-Maître d'Irithyll et son double chancelèrent. La copie devint plus transparente encore, jusqu'à se dissiper. Son original tomba à genoux, lourdement, un flot de sang glissant sur son torse. Ses lames perdirent leur éclat, sa tête bascula vers le sol. Il n'était déjà plus que cendres quand il s'écrasa sur le dallage malmené par la bataille. Le Pontiff, enfin vaincu, disparut ; il ne subsista de lui qu'une braise.
Peu après la fin du combat, le tintement du fer contre la pierre avait résonné. Le Chercheur de Flamme, lâchant son épée, s'était laissé choir à son tour. Il avait beau être insensible à la douleur, les innombrables entailles qui couvraient son corps l'affectaient autant que la pression écrasante du duel, la tension électrique du combat et la concentration extrême qu'il avait dû mobiliser si longtemps. Exsangue, c'est tout juste s'il parvenait à savourer sa victoire. Une victoire qui avait bien plus de valeur que les autres, car il avait triomphé de celui qui désirait les Ténèbres, il avait terrassé celui qui menaçait son rôle, son existence, son essence. Un sourire fatigué naquit sur ses lèvres.
Il mit de longues minutes à trouver la force de se relever, aidé par de longues goulées d'Estus. Néanmoins, c'est avec satisfaction qu'il ramassa la braise restée au sol. Ce qu'elle représentait avait autant de valeur que l'objet lui-même.
Le revenant embrasé clopina dans la cathédrale pour récupérer son bouclier avant de fermer le poing sur un "os du retour". Dans son état, chercher un feu ou tenter de retourner à celui de l'église délabrée était suicidaire – les soins dont il disposait n'étant pas suffisants pour le remettre d'aplomb. Mieux valait revenir au Sanctuaire au plus vite.
La Gardienne avait terminé une nouvelle fusion des âmes depuis de longues minutes, pourtant, Hélios demeurait face à elle, sans piper mot. La jeune femme, d'ordinaire impassible, s'en étonna.
— Quelque chose vous trouble-t-il, Morteflamme ?
C'est à peine si l'interpellé réagit. Il avait une question au bord des lèvres. Il voulait s'assurer que le Pontiff avait menti. Il désirait être rassuré, il avait besoin que la Gardienne lui confirme que sa mission était primordiale, impérative et absolue.
Mais il avait peur. Il avait peur de demander. Peur de la vérité. La longue liste des interrogations qui le taraudait depuis son réveil lui semblait soudain effrayante. Il n'était plus sûr de vouloir savoir. Que ferait-il, que deviendrait-il si les réponses ne correspondaient pas à ce en quoi il croyait ?
— Il n'en est rien, finit-il par murmurer avant de s'en retourner vers l'épée torsadée qui trônait au milieu du Sanctuaire.
Il tendit sa chaleur vers la lame noire pour voyager. Il n'avait pas fini d'explorer le domaine éclairé par l'astre sélène. Il espérait que les combats qu'il aurait à y mener l'occuperaient assez pour ne plus réfléchir.
À ceux qui ont eu le courage de lire jusqu'ici, le combat contre le Seigneur Sulyvahn vous a-t-il paru (trop) long ? La fin pas trop… "factice" ?
