L'esprit encore paralysé par toutes les questions dont il n'était plus certain de désirer les réponses, le Chercheur de Flamme tressauta en réalisant qu'une silhouette se tenait non loin du feu de l'église délabrée où il venait de revenir, juste à la frontière du cercle de lumière. Une silhouette au gabarit familier.

- … Anri ? appela-t-il à mi-voix, incertain.

Comme elle ne semblait pas réagir, il avança lentement vers elle. La Morteflamme d'Astora, réalisant enfin qu'elle n'était pas seule, leva la tête vers le porte-braise.

- Oh, fit-elle sans esquisser un mouvement de plus, il m'avait semblé reconnaître votre pas. Contente de vous revoir, Hélios.

Sa voix était monocorde. Le porte-braise, inquiet, fronça les sourcils. Qu'avait-il bien pu arriver au duo pour que la jeune femme soit dans un tel état d'abattement ? Et d'ailleurs…

- Où est Horace ? questionna le chevalier en jetant un œil aux alentours.

À la seule évocation de son partenaire, Anri frissonna. Après une poignée de secondes de silence, les épaules basses, elle daigna s'expliquer.

- Je… Nous étions en chemin pour Irithyll, et malgré vos directives, nous nous sommes égarés dans les catacombes de Carthus… Comble de malheur et à mon grand dam, je suis tombée dans un piège comme une idiote, et nous avons été séparés.

Son regard redescendit vers le sol.

- Je ne l'ai plus jamais revu.

Son intonation, d'ordinaire calme, était vacillante. Elle semblait perdue.

- J'ai laissé nombre de pierres de prisme, comme à notre habitude, pour tenter de le guider vers moi. J'ai attendu longtemps dans les Catacombes. En vain. J'ai pensé qu'il était peut-être sorti.

Elle reprit avec une frénésie qui trahissait son angoisse.

- Horace est un chevalier digne de ce nom ! Il est capable de s'en sortir par ses propres moyens. Il est certainement en train de me chercher par monts et par vaux en ce moment même. Alors je l'attends, de feu en feu.

Le trouble perceptible de la jeune femme laissa le Traque-Seigneurs sans voix. Elle avait dû traverser, manifestement seule, une partie de la ville gelée puisqu'elle était parvenue jusque-là, ce qui démontrait sa force encore une fois – si besoin s'en fallait. Pourtant, jamais il n'avait vu sa camarade si fragile. Le revenant pensait le duo inébranlable ; la voir ainsi brisée le sidérait. Et puis, lui aussi craignait pour l'homme à la hallebarde. Il ne connaissait que trop bien les dangers qu'il devait affronter, dans la nécropole comme dans la cité glacée. Si bien que les mots réconfortants ne lui venaient pas.
Une réflexion lui glaça soudain l'âme. L'épéiste avait lui-même utilisé des pierres de prismes dans les catacombes labyrinthiques. Beaucoup de pierres. Et si, par malheur, le muet s'était perdu par sa faute ? Le guerrier incandescent tenta de se rassurer : il s'était reposé plusieurs fois à un feu et il était même mort deux fois. Ses pierres lumineuses avaient dû disparaître, puisque le monde revenait à sa disposition – presque – originelle chaque fois que l'on invoquait le pouvoir du Feu au travers des cendres blanches. Il ne pouvait être responsable… si ? Sa compatriote le tira momentanément des affres du doute en poursuivant seule la conversation, sur un ton un rien plus neutre.

- C'est parce que je patientais seule ici que j'ai eu l'occasion de croiser, à nouveau, une connaissance commune.

Elle lui apprit ainsi qu'elle avait pu échanger un peu avec Siegward, ce dernier ayant lui aussi fait une halte dans l'église en ruines. Le chevalier de Catarina avait enfin découvert l'entrée du donjon de la cité d'Irithyll, seul accès vers la Capitale profanée où se terrait Yhorm le Géant. Il y était déjà entré, mais s'étant heurté à quelques difficultés, il avait espéré pouvoir trouver du soutien auprès de la Morteflamme d'Astora et de son compagnon muet – qu'il avait découvert absent – ou du Chercheur de Flamme. La jeune femme se rembrunit.

- J'ai préféré rester ici, à attendre Horace. Et je compte patienter encore.

Hélios hocha lentement la tête.

- Je comprends et respecte votre choix. Je prie pour que la Flamme le guide à vous. Pour ma part, je vais tenter de rejoindre Siegward pour lui prêter main-forte.

Le chevalier à l'armure arrondie avait déjà prouvé qu'il préférait chercher une solution aux problèmes qu'il rencontrait plutôt que de les prendre à bras le corps ; il n'y avait donc pas à craindre pour lui, même s'il était reparti seul. Anri avait quant à elle la sagesse de guetter son ami près d'un feu. Elle n'avait donc rien à redouter de plus que la solitude. Raison pour laquelle le mort-vivant embrasé ne s'inquiétait pas outre mesure de quitter les lieux sans elle. Chose qu'il s'apprêtait à faire quand la femme en armure reprit la parole.

- Si jamais vous croisez Horace, dites-lui…
- Je l'enverrai aussitôt vers vous, l'interrompit doucement Hélios, n'ayez crainte. Si j'en ai la possibilité, je l'accompagnerai même.

Les épaules de son interlocutrice s'affaissèrent, cette fois de soulagement.

- Merci. Puisse les flammes guider vos pas.

Suivant les instructions de Siegward, transmises par sa camarade d'Astora, le Traque-Seigneurs ne mit pas longtemps à retrouver le fleuve, à longer ses berges pour finalement pénétrer une massive structure ; un des derniers bâtiments avant le précipice montagneux. De l'extérieur, on pouvait voir que la splendide villa était liée par un petit pont à une construction sans fenêtre, encastrée dans la roche et autrement plus sinistre. Le fameux donjon, à n'en pas douter.
Le chemin à l'intérieur du castel ne fut pas difficile à trouver, l'accès vers les étages supérieurs étant impraticable. En revanche, il fut un peu plus délicat d'y progresser : si les quelques esclaves qui semblaient garder les escaliers avaient rapidement fui à la vue du porte-braise, ce n'était que pour revenir en force avec leur maître – un sorcier de feu particulièrement belliqueux. Et si le chevalier n'avait été si méfiant, sans doute aurait-il été pris en tenaille par l'énième soldat à l'épée courbe, dissimulé dans un renfoncement, qu'il affronta un peu plus loin.
Sur le pont balayé par un vent aussi violent que glacé, les restes d'une armure. Siegward avait très probablement affronté – et vaincu – un adversaire là, ne laissant qu'une panoplie souillée de sang – les cendres du mort s'étant sans doute envolées depuis longtemps.

L'embrasé observa l'arche qui marquait l'entrée du donjon d'un œil mauvais. Les marches qui s'enfonçaient dans les ténèbres ne lui plaisaient guère.
Plusieurs niveaux plus bas, Hélios déboucha enfin dans une étroite pièce humide, si moussue par endroits que la lueur des bougies, disposées dans les petites alcôves qui couraient les murs, semblait verdâtre. Le pavé, souillé par des fluides qu'il ne valait mieux pas identifier, était jonché de divers seaux, pots, écuelles et autres contenants – pas toujours vides ni fermés –, manifestement jetés là depuis longtemps, embaumant les lieux d'une odeur de moisissure. Des deux grilles noires rouillées qui barraient les issues, une seule était ouverte. La route empruntée par le chevalier à l'armure arrondie s'en trouvait ainsi évidente. Pourtant, le Chercheur de Flamme ne le remarqua qu'un peu plus tard, son attention étant retenue par les cendres d'os au beau milieu de la salle en désordre. Il tendit sa chaleur et le vif rougeoiement des braises vint contraster avec la clarté olivâtre des bougies.

Le chevalier incandescent passa la grille ouverte. Des quelques geôles qui s'alignaient là montaient les lamentations de carcasses livides, nues, recroquevillées dans un coin de leur cellule, ou debout, fixant un mur. S'ajoutait à ce tableau affligeant l'écho lointain d'un concert dissonant de voix – plus ou moins démentes et torturées – mêlé à des barreaux malmenés ou de lourdes chaînes traînées, donnant à l'endroit une atmosphère plus proche de l'asile de fous que du donjon.
Et cette ambiance malsaine rendait Hélios particulièrement nerveux. Fort heureusement, le chemin restait simple, la pièce ne comportant qu'une unique issue. Une sortie qu'il aurait sans doute empruntée si un bruit régulier – le claquement sec d'une botte contre la pierre – qui allait en s'amplifiant ne l'avait arrêté. Bientôt, une haute silhouette passa avec lenteur devant l'embrasure. Si bien que le guerrier eut tout le loisir de la détailler : l'individu avait une lanterne dans une main, un bâton de fer chauffé à blanc de l'autre, une ample robe élimée qui tombait jusqu'au sol – dissimulant l'intégralité de son corps – et un masque de métal imitant un visage où perçaient des yeux bleus luminescents. Les clefs accrochées en collier, qui se perdaient presque dans la masse de tissu qu'était le cache-cou, ne laissaient aucun doute quant à sa profession.

Désireux de laisser le geôlier poursuivre sa ronde, le revenant approcha l'arche de pierre aussi discrètement que possible. Au moment où il passa la tête dans l'encadrement – pour s'assurer que l'autre continuerait bel et bien sa route – l'être au masque de fer, hélas déjà arrivé au bout du couloir où il patrouillait, se retourna. À l'instant même où leurs regards se croisèrent, un mal-être s'empara de la Morteflamme. Elle se rétracta brusquement.
Ce n'était pas le fait que la petite flamme, qui brillait d'un vert malade dans la lanterne du gardien, était devenue rouge sang qui l'avait fait frémir, mais quelque chose de bien plus profond, de viscéral.
Le pas rapide du geôlier, accompagné par un rire aussi moqueur que glaçant, approchait rapidement. Hélios se mit en garde, tendu. Quelque chose n'allait pas. Cet adversaire, pourtant loin d'être menaçant en apparence, le terrifiait. Il comprit pourquoi quand leurs regards se croisèrent à nouveau : une douleur effroyable – oui, une douleur, il pouvait la ressentir – lui déchirait soudain la poitrine. Une douleur régulière, qui pulsait en lui.

Son cœur s'était remis à battre. À une vitesse folle. Et il poussait son sang à circuler dans son corps mort. Ce sang, vicié par le temps, l'affaiblissait, le détruisait de l'intérieur.

Toujours en ricanant, le garde-cellule leva son arme brûlante. Le porte-braise eut l'impression de fournir un effort colossal, rien que pour lever son bouclier à temps. Le choc du tison de métal contre son pavois le traversa tout entier. Le chevalier haletait alors que son cœur lui semblait sur le point d'exploser. Sans cette douleur, affronter le geôlier aurait été si simple ! Un coup lui avait suffi pour le comprendre : son ennemi, en plus de n'avoir aucune armure, était lent et ses attaques ni lourdes, ni amples. La lutte de l'épéiste était plus contre son propre corps lancinant que contre son adversaire.

Le geôlier s'effondra, le poitrail percé par la lame bénie. Le combat avait été court, au final, mais extrêmement éprouvant. Le Chercheur de Flamme jeta un œil en arrière. Il pouvait encore voir le feu de camp de là où se tenait. Il ne voulait pas affronter à nouveau ce gardien au pouvoir étrange et redoutable, mais il se sentait si faible qu'il en aurait volontiers bu la moitié, si ce n'est plus, de sa flasque d'Estus – dans sa condition, les miracles ne seraient pas suffisants. Avec un soupir de frustration et en démentant le frisson d'appréhension qui le parcourait, il fit demi-tour. S'il voulait aider Siegward, il valait mieux qu'il soit en état.

Le second duel contre le détenteur des clés lui appris deux choses : l'une, que peu importait que le chevalier croise son regard, s'il était dans le champ de vision du gardien, le pouvoir de ce dernier prenait effet et le cœur du mort-vivant s'emballait, le tuant à petit feu. L'autre, que ceux qui vivaient à l'abri du froid extérieur étaient sensibles à son épée glacée – qu'il avait appris à préférer pour son allonge.

Enfin arrivé dans le couloir où patrouillait le geôlier, le Traque-Seigneurs pu embrasser l'ensemble de la structure des lieux – une haute grille remplaçait plusieurs murs, laissant apparent l'intérieur du bâtiment.
De ce que l'on pouvait discerner à travers les ténèbres, percées çà et là par de maigres sources lumineuses, le donjon souterrain semblait se résumer à une large tour carrée, étalée sur trois niveaux. Deux étages, pour les cellules, ouverts sur un troisième – le plus bas – réservé à une cour étonnamment vaste pour un sous-sol. Une cour enjambée par un pont qui permettait, au palier le plus haut, la circulation d'un côté à l'autre des rangées de cachots. Cette organisation, parfaitement symétrique, aurait pu rassurer Hélios – qui avait gardé mauvais souvenir de son dernier voyage dans les entrailles de la terre, à travers les Catacombes de Carthus – s'il n'avait vu autant de gardiens circuler ici et là. L'éclairage faiblard à la teinte vert malade, l'odeur âpre de moisissure et d'excréments séculaires, ou le vacarme des prisonniers aliénés qui occupaient les cachots étaient les derniers de ses soucis.

S'il n'avait tant craint d'attirer à lui toute la garde de la prison souterraine, Hélios aurait probablement tenté d'appeler le chevalier de Catarina. Avec l'écho, nul doute que, si celui-ci était quelque part dans le donjon, il aurait entendu. Mais pour les mêmes raisons que le porte-braise, Siegward se faisait très probablement discret.
Le Traque-Seigneurs commença son exploration, avec appréhension et amertume, pistant son camarade ou d'éventuelles traces de son passage.