One-shot écrit dans le cadre de la cent-trente-septième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Chien". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !
Un jour, un chien avait réussi à se faufiler entre les nombreuses pierres descellées ou manquantes qui trouaient les murs de la forteresse nord. Il était sans doute en quête de nourriture, au milieu de ces plaines venteuses et inhospitalières. Et, des vivres, il y en avait, à l'intérieur de ce bastion. Elle en contenait peu, parce que ses habitants se comptaient sur à peine plus que les doigts des deux mains, mais les effluves de viande portées par le vent avaient été bien suffisantes. Il s'était faufilé dans la cour, au milieu de cette boue froide et humide, avait remonté la piste jusqu'aux cuisines, et s'en était bien évidemment fait chasser à coups de pied. Il avait même failli être attrapé par la peau du cou et jeté par-dessus les remparts, mais au détour de l'un des murs des écuries, des genoux bienveillants s'étaient présentés à lui. Recouverts d'une robe bleue et d'un tablier blanc, ils l'avaient laissé grimper et deux bras s'étaient serrés autour de lui.
« Eh bien, tu me parais bien perdue, pauvre petit créature, avait souri Lilith en caressant ses oreilles marron et blanches. Ne t'inquiète pas. Je vais bien m'occuper de toi. »
Elle n'avait pas pu cacher longtemps la petite bête à son demi-frère Corrin, le prisonnier de cette forteresse. Bientôt, ce chien devint leur chien. Ils lui préparèrent un beau panier bien confortable avec des chutes de tissu et du rembourrage de vieux oreillers, lui donnèrent des bains, jouèrent à la balle avec lui, le prénommèrent Nuage. Il réconfortait Corrin pendant ses trop nombreuses nuits de solitude où, encore un petit enfant de dix ans, il aurait eu besoin d'un parent pour lui dire des mots d'amour. Ces soirs-là, il faisait monter la petite bête avec lui dans son lit et lui parlait, la câlinait, s'endormait blotti contre son ventre chaud et réconfortant.
Nuage devint bientôt un membre à part de la famille. Corrin et Lilith n'eurent rapidement plus besoin de le cacher, car Gunther ne trouva rien à redire à la présence de l'animal. Le roi Garon lui-même, en une de ses rares visites à la forteresse, exprima son absence de réticence par un vague geste de la main. C'était même peut-être une bonne chose, ajouta-t-il, que son fils ait un chien de garde pour veiller constamment sur lui.
Corrin partagea volontiers l'affection de la petite bête avec ses frères et sœurs. Xander lui lançait son bâton le plus loin possible, Camilla le pomponnait, Léo s'initiait à l'autorité en lui donnant des directives et Élise apprit à marcher en s'accrochant à ses poils. Tout paraissait idyllique et parfait.
Et puis, un jour, alors que Corrin était en train de jouer dans la terre avec le brave animal, un homme vint le trouver. Il lui annonça que Iago, le conseiller du roi, avait fortement insisté auprès du Garon sur l'inutilité d'avoir un chien de garde qui n'était pas correctement dressé. Nuage, rapporta-t-il, devrait dorénavant subir un entrainement auprès des chiens de combat de Sa Majesté, puisqu'elle avait approuvé cette idée. Il fallait donc que Nuage rejoignît immédiatement la première expédition qui s'en retournerait à Krakenburg. Le prince Corrin avait quelques minutes pour lui faire ses adieux.
Malgré son chagrin et sa douleur, il fut obligé de s'exécuter. Il sanglota un moment dans le tablier de Lilith. Et, malheureusement, il ne revit jamais la petite bête. Elle était trop frêle, de nature trop douce pour supporter ce sévère et violent dressage. Au bout de plusieurs jours de privations pour la rendre plus agressive et d'un entrainement éreintant, Xander et Camilla ne purent en supporter davantage. Ils coururent au chenil une nuit et chapardèrent Nuage, qu'ils libérèrent ensuite dans les rues de Krakenburg. Certes, il retournait à la rue et au froid, mais au moins, il n'aurait pas à mourir des traitements difficiles qui lui étaient réservés. Corrin, de toute façon, préfèrerait son ami loin de lui que mort, de toute façon.
Punis au château par leur père, ce ne furent pas les deux aînés qui se rendirent à la forteresse nord les premiers après ce triste évènement. Mais Léo, qui trouva son frère effondré sur son lit, prostré depuis deux semaines, refusant obstinément de sortir et de parler. Il était tellement sensible… et Léo, même s'il n'avait que sept ans, percevait déjà à quel point c'était un problème. Sauf… qu'il ne pouvait pas en vouloir à son frère.
« Oh, Léo…, sanglota son aîné en se tournant vers lui, ses yeux rendus encore plus rouges par ses larmes. Je sais que je ne devrais pas pleurer… mais…
-Si, tu as le droit d'être triste, répondit son frère en posant une main réconfortante sur son épaule. C'était ton ami, n'est-ce pas ? »
Corrin n'attendit pas davantage et se jeta dans ses bras pour se mettre à pleurer bruyamment. Léo le serra contre lui et réalisa soudain que c'était le premier proche que son frère perdait. Enfin, il avait sûrement perdu sa mère, mais comme il ne l'avait probablement pas connue, ça ne comptait pas vraiment… Il n'avait pas, comme eux, traversé les douleurs et les deuils depuis son plus jeune âge, les départs et les séparations. Il n'était même pas là au trépas de leurs autres frères et sœurs… Quoi que, lui non plus, il était trop jeune. En tout cas, Léo se sentit saisi d'une tristesse encore plus grande pour son aîné et le serra encore plus fort dans ses bras. À ce moment-là, il aurait tout donné pour connaître un sort assez puissant pour empêcher Corrin de perdre encore des proches.
