Me voici revenue avec la suite de Sur les Crocs ! Avec de nouveaux personnages et tout plein d'explications pour poser le contexte (ce que j'appelle communément le "chapitre relou").

Bonne lecture !


Hannah descendit de la voiture et attendit que l'hybride fasse de même. Il avait été particulièrement distant sur la route, regardant par la fenêtre, les sourcils légèrement froncés. Après le parc, ils avaient fait un saut par la maison pour se changer, puis ils étaient remontés dans la 308 break de la jeune femme. Elle lui avait proposé d'aller chez ses parents pour dîner, et profiter de ce dimanche jusqu'au bout. S'il avait accepté en hochant la tête, il était visiblement plus tendu, ses pieds ne battant même plus la mesure au rythme de la musique, comme il le faisait d'habitude.

En général, le concept de "famille" était assez flou pour les hybrides qui n'avaient pas été adoptés et élevés par des personnes aimantes lorsqu'ils étaient petits, alors elle devinait que l'idée qu'il se faisait des parents était plutôt abstraite. Après tout, les hybrides n'avaient pas, au sens propre, de parents.

Les hybrides étaient une création purement humaine. Des expériences militaires faites au niveau d'embryons afin de créer des êtres supérieurs et obéissants, des super-soldats. Ils étaient créés dans des éprouvettes et grandissaient dans des incubateurs, jusqu'à ce qu'ils aient la taille et la maturité pour en sortir. Si le projet avait à la base été secret, il ne l'était pas resté longtemps, et on avait très rapidement commencé à s'en procurer au marché noir avant que leur commercialisation ne devienne légale.

La demande avait été tellement importante dans les années soixante-dix qu'énormément de laboratoires s'étaient spécialisés dessus, créant la diversité et proposant les mélanges les plus farfelus. Certains avaient été des échecs cuisants, tels que les hybrides-oiseaux, qui avaient des ailes ridicules à la place des bras, ou bien les hybrides-poissons, qui ne pouvaient vivre que dans l'eau. Mais les hybrides-chiens et hybrides-chats étaient, comme pour les animaux de compagnie, ceux qui avaient eu le plus de succès. Après tout, un enfant-Main Coon était terriblement mignon.

Comme pour chaque chose nouvelle et inconnue, avec les hybrides était venue la discrimination et la violence, et si certains voyaient ces nouveaux êtres comme des humains un peu différents, beaucoup n'en voyaient que le côté animal. Et les lois les concernant n'avaient commencé à arriver qu'une éternité plus tard. Elles n'étaient pourtant pas nombreuses, et n'étaient en général pas à faveur des hybrides.

Ils n'avaient pas le droit de circuler librement, à moins de porter un collier prouvant leur appartenance à un maître. Ils n'avaient pas le droit de vivre seuls, ni d'acheter une maison, ni d'avoir un quelconque permis de conduire. Les lois de la protection animale étaient nombreuses, mais celles de la protection des hybrides l'étaient bien moins. Si un maître voulait se débarrasser de son hybride, il lui suffisait de le laisser à la fourrière, prouver, un document à l'appui, qu'il en était le propriétaire, et payer la taxe d'euthanasie. Après tout, nombreux étaient ceux qui ne voudraient pas d'une mascotte capable de vivre aussi voire plus longtemps que soi.

En dehors de ces quelques lois, les zones floues étaient énormes et laissaient à chacun le soin de les interpréter. Les commerces décidaient eux-mêmes s'ils acceptaient les hybrides. Les restaurants décidaient s'ils voulaient bien les servir. Les salles de sport s'ils les laissaient s'entraîner avec leurs équipements. Certains employeurs embauchaient des hybrides, principalement car ils étaient de la main d'œuvre bon marché, mais la plupart des métiers n'étaient pas à leur portée, pour la simple et bonne raison que, ne pouvant pas passer d'examens, ils ne pouvaient pas être diplômés.

En résumé, il n'était pas bon d'être un hybride. Et s'il y avait maintes associations et mouvements pour la liberté et la protection des hybrides, c'était une vie plutôt difficile.

Regardant par-dessus son épaule si Namjoon la suivait, elle pressa la sonnette et ouvrit, entrant directement. Se recoiffant rapidement, le loup aplatit bien ses oreilles avant de mettre la casquette que la jeune femme lui avait acheté la veille. Elle lui avait proposé d'y coudre des ourlets pour laisser passer ses oreilles, mais il avait été trop impatient et voulait la porter ainsi en attendant. De plus, la casquette était couleur orange délavé, et Hannah lui avait dit qu'elle allait bien avec ses cheveux gris et sa chemise bleu roi qu'il portait par-dessus un tee shirt clair, et il aimait lui montrer qu'il l'écoutait lorsqu'elle parlait, à défaut de lui répondre.

- Papa, maman ! s'exclama-t-elle en traversant le couloir d'entrée. C'est moi, je m'invite pour le dîner ! Et je veux vous présenter quelqu'un.

Une porte sur le côté s'ouvrit soudainement et un homme en sortit, la cinquantaine bien tassée, mais un air juvénile. Son regard alternant entre les deux nouveaux arrivants, il finit par se fixer sur l'hybride alors qu'il fronçait les sourcils.

- Eh ben, si je m'attendais à ça ! s'exclama-t-il en s'approchant de lui, alors qu'il restait immobile.

- Salut papa, je te présente…

- Je veux pas savoir qui c'est, la coupa-t-il en se tournant à nouveau vers le loup. Toi et moi, on va pas être amis. Ça me plait pas de te voir tourner autour de ma fille avec ton petit air de délinquant.

- Papa ! tenta-t-elle d'intervenir. Arrête !

- T'es peut-être plus grand que moi, poursuivit-il en le regardant d'en bas, faisant une dizaine de centimètres de moins que lui, mais j'ai aucun doute quant au fait que je peux te mater.

- Bon sang, papa ! s'exclama-t-elle en faisant un pas vers eux.

- En bref, tu touches à ma fille, je te brise les genoux.

Il finit sa tirade en plantant le bout de son index dans le torse de l'hybride. Et celui-ci n'eut besoin que d'une main bien placée sur le sternum du père pour l'envoyer contre le mur de l'autre côté de couloir. Sonné par la réaction brutale de l'hybride, il allait lui crier dessus, lorsqu'il le vit s'accroupir et attraper sa tête entre ses mains, lâchant des sons aigus et répétés, lui rappelant son chien lorsqu'il pleurnichait.

- Papa, t'es chiant ! s'exclama sa fille en se précipitant vers le jeune homme.

Elle prit le visage du jeune homme et le força à le relever, effaçant de ses pouces les larmes qui s'étaient cumulées dans ses cils et s'apprêtaient à couler.

- Tout va bien, mon grand, fit-elle d'une voix douce. Je suis là. Personne va te faire de mal. Mon père ne faisait que plaisanter, même si ses blagues sont de très mauvais goût, ajouta-t-elle en lançant un regard noir à son paternel.

Enlevant sa casquette, elle passa une main dans les cheveux de l'hybride, dégageant ses oreilles pour pouvoir les caresser, sachant que ce geste l'apaisait. Et ses gémissements se turent alors qu'il se laissait aller sous les mains de sa maîtresse. Une dame arriva à son tour dans le couloir et regarda d'abord sa fille, l'hybride, puis s'arrêta sur son mari.

- Qu'est-ce que t'as encore fait, toi ?

- Quoi ?! Mais… je pouvais pas savoir ! se défendit-il. Je l'ai menacé, comme je le fais à chaque fois que Hannah nous présente quelqu'un de sexe masculin, et il m'a balancé contre le mur et s'est mis à pleurer. Il m'a fait super mal, en plus, ajouta-t-il en se frottant le torse.

- T'es incroyable, souffla sa femme avant de s'accroupir près de sa fille. Bonjour ma chérie, alors qui est ce beau jeune homme aux oreilles d'husky ?

- Salut maman, fit-elle en prenant l'hybride par le bras pour l'obliger à se lever. Je vous présente Namjoon. C'est un homme-loup. Ça vous dirait qu'on aille dans la salle à manger pour continuer ?

- Bien sûr. J'allais servir le dîner justement, fit la dame en offrant un sourire au jeune homme qui, intimidé, s'était glissé derrière sa maîtresse.

Se dirigeant vers la salle à manger, Hannah montra au loup où s'asseoir. Elle avait prévenu ses parents qu'elle venait accompagnée, mais ne s'attendait pas aux plaisanteries de son père. Pourtant, elle le connaissait, elle aurait dû s'y attendre.

- C'est qui, cet hybride ? demanda soudain une autre voix derrière eux, et Namjoon sursauta en se retournant vivement, poussant la table avec sa hanche et faisant tomber des verres.

Le prenant par le bras pour qu'il se calme, la jeune femme releva les verres avant de se tourner vers le nouveau venu.

- Je savais pas que tu serais là ce soir, ça va ? lui fit-elle la bise. Namjoon, je te présente mon frère. Yoongi, je te présente Namjoon.

- T'es un hybride loup ? demanda Yoongi sans tourner autour du pot.

L'évitant du regard comme à son habitude, il acquiesça d'un mouvement de tête.

- Tu parles pas ? devina-t-il en penchant sa tête vers le côté.

Baissant encore plus le regard, Namjoon secoua la sienne.

- T'es gentil avec ma soeur ?

Hochant à nouveau la tête, Namjoon vit la main de Yoongi apparaître dans son champ de vision, et s'en saisit avec hésitation. Le frère la serra et contourna l'hybride pour s'asseoir à table, comme s'il n'y avait pas un loup dans la pièce. Se décapsulant une bouteille de bière, il se laissa tomber contre le dossier de sa chaise.

- On peut manger ? demanda-t-il en regardant ses parents. Je meurs de faim, là.

.

Le dîner s'était passé rapidement. Hannah avait fait comprendre discrètement à sa famille qu'elle ne voulait pas parler de Namjoon devant lui, et ils avaient discuté de tout et de rien, alors que l'hybride mangeait en silence. Elle avait découvert qu'il n'aimait pas les fruits de mer, lorsqu'il avait fait une grimace en goûtant à une crevette. Il avait vidé un verre d'eau et allait s'attaquer à la suite lorsqu'elle l'avait arrêté, pour lui expliquer qu'il n'était pas obligé de manger tout ce qu'on lui donnait et qu'il avait le droit de ne pas aimer certaines choses.

Au début, il l'avait regardée sans comprendre, n'ayant jamais eu le luxe de pouvoir choisir ce qu'il mangeait, ni de pouvoir laisser de la nourriture. Mais il avait fini par abandonner la crevette sur le bord de son assiette et avait mangé le reste.

Il avaient à peine fini de dîner que Yoongi emmenait Namjoon sur le canapé, lui installant un casque sur ses oreilles humaines et lançant de la musique avec son portable. Et dès que l'hybride commença à battre l'air avec sa queue, le grand frère releva la tête pour faire un clin d'oeil à la jeune femme.

- Tu nous expliques, maintenant ? demanda immédiatement son père.

- Oui, mais je voulais pas qu'il entende. Vous vous souvenez que je devais aller à la fourrière vendredi soir? Eh bien, j'y ai rencontré Namjoon.

- Il travaille là-bas ? demanda sa mère en haussant les sourcils, alors que son père, ayant compris, affichait une grimace de dégoût.

- Non, maman, il était programmé pour être euthanasié la semaine prochaine. Vous auriez vu cet endroit, c'était... dégueulasse. Il avait un seau en guise de toilettes et ils le nourrissaient à la pâtée pour chien.

- C'est pas vrai… marmonna le plus âgé en mettant une main devant sa bouche.

- Il était tellement sale que j'étais persuadée qu'il était brun. Alors j'ai fait la seule chose qui me paraissait correcte, et je l'ai adopté.

- T'as eu bien raison, mon coeur, souffla sa mère.

- Je l'ai ramené à la maison et avec Hoseok on l'a lavé et on s'est occupés de lui. Il est… il est couvert de cicatrices, des pieds à la tête. Il ne parle pas. Il a littéralement été élevé comme un animal, à dormir par terre et manger avec les mains. Quand tu l'as menacé, papa, il avait l'air terrifié, j'imagine même pas ce qu'on lui a fait vivre jusque là.

- Bon sang, je suis tellement désolé… marmonna son père.

- Je vous demande pas de le considérer comme un autre enfant, ni rien, mais… je voudrais seulement que vous soyez humains avec lui et que vous le traitiez avec respect.

- Ah, mon chat, les adoptions, ça nous connaît, sourit sa mère en lançant un regard vers le canapé où Yoongi montrait quelque chose à Namjoon sur l'écran de son téléphone.

- Et ton frère et toi, vous vous en êtes plutôt bien sortis, ajouta son mari.