Partie 3
Par Kermadec
Le groupe sortit des égouts plus ou moins en bon état.
« Je veux rentrer chez moi. », marmonnait Shin, oubliant, l'espace d'un instant, qu'il n'avait plus de foyer dans lequel se réfugier.
Pendant ce temps, Bob et Théo se disputaient, une énième fois. Le pyromage insistait pour qu'ils suivent leur quête et uniquement leur quête à partir de maintenant. Il était primordial qu'ils escortent Vendis auprès de la sorcière afin qu'il découvre et apprivoise sa nature élémentaire.
« Par pitié, si Madame Gilberte te demande de déloger son chat du pommier, on l'ignore, vendu ?
— Non. Répondit Théo, appuyé par Grunlek. »
Shin, étrangement enhardi par ses blessures, se prit à rêver de fracasser des crânes. Il avait une envie de violence, de vengeance. Théo, malgré cet étrange revirement de personnalité de la part de l'archer, ne voulut pas le soigner immédiatement. Il n'y avait aucun ennemi autour d'eux, il n'était donc pas nécessaire de faire cet effort tout de suite. Fort heureusement, il n'y avait pas de passants aux alentours pour juger du piètre état dans lequel se trouvait le groupe.
En progressant, les cinq hommes croisèrent la route d'un guerrier vétéran qui s'en prenait verbalement à une mendiante.
« Hé, t'es mendiante ? Hé ! Va travailler ! Tu salis mon paysage. Et tu pues ! »
L'inconnu accompagna ses insultes d'un coup de pied au sol, qui envoya une giclée de terre au visage de la pauvre femme.
« Dégage, ne reste pas ici à mendier ! »
Témoin lui aussi de cette scène et soudainement très las, Bob leva les yeux au ciel et fit un geste de la tête envers Théo, comme pour lui donner son accord. Il était de toute manière impossible de contrôler le fougueux paladin de la Lumière. Ce dernier avait un plan en tête. D'abord, il mettrait un coup de poing au visage du malotru. Ensuite, il lui expliquerait en quoi son comportement envers cette femme était incorrect. Derrière lui, le pyromage lui rappela, juste à temps, que leur mission nécessitait autant de discrétion que possible. Théo se résigna donc à employer la manière douce. A essayer de l'employer, du moins. Il tapota l'épaule du vétéran.
« Bonjour. Inquisition. Vous allez vous excuser auprès de la dame, là.
— Ah… Encore un jeune qui a dépensé tout son argent dans une armure et qui croit qu'il a plus d'autorité que l'expérience… »
Par réflexe, Théo donna un coup de poing, que le guerrier esquiva sans difficultés.
« Pff. Ça achète une armure et ça se prend pour un guerrier. »
Constatant la situation, Grunlek s'avança rapidement à la hauteur des deux hommes.
« Ce que mon ami essayait de vous expliquer, c'est que… »
Le nain conclut sa phrase par un violent coup dans le ventre de l'inconnu, qui s'écroula et sombra dans l'inconscience. La mendiante voulut en profiter pour fouiller dans la bourse du soldat, à la recherche de la moindre pièce. Bob réagit au quart de tour, n'appréciant pas une telle démarche. Il fit don de quelques pièces à cette pauvresse en lui ordonnant de s'en aller.
« Merci, Monseigneur, vous êtes bon avec moi. Je suis désolée, j'ai… laissé parler mon instinct.
— C'est pas grave. On ne s'est jamais vus, compris ? »
Le groupe progressa enfin, guidé par le paladin vexé d'avoir manqué son coup. Plus loin devant eux se dressaient les écuries de la ville, dans lesquelles il avait laissé Lumière. Il fallait que le groupe décide de la marche à suivre pour le reste du voyage. Prendre leurs chevaux accélèrerait leur cadence, en sachant que la sorcière vivait à plusieurs jours de marche. En revanche, ils perdraient en discrétion, et leurs ennemis pourraient s'apercevoir de l'absence de leurs montures. Les aventuriers en parlèrent rapidement et conclurent qu'ils avaient besoin d'aller plus vite. Les chevaux leur étaient indispensables.
Le groupe entra dans les écuries.
« Bon, ben on récupère nos chevals et on s'en va. Dit Théo au reste du groupe
— Nos chevaux, le corrigea Bob. »
Le pyromage avait prévu d'invoquer Brasier une fois qu'ils seraient hors de vue, en dehors de la ville. Là encore, il tenait à rester le plus discret possible, d'autant plus qu'un maréchal-ferrant et son serviteur étaient présents dans le bâtiment, ainsi qu'une femme qui s'affairait près d'un cheval.
Théo siffla Lumière, qui reconnut son maître et avança vers lui. A ce moment-là seulement, le maréchal-ferrant remarqua la présence des voyageurs et les salua. C'était un homme imposant, le genre d'individus avec lesquels il vaut mieux être ami. Grunlek et Bob se dirigèrent vers lui pour engager la conversation.
« Merci d'avoir pris soin de nos chevaux en notre absence, commença Bob.
— Oui, ils ont l'air en pleine forme, approuva le nain
— Devons-nous régler des frais de séjour, si j'ose dire ? demanda le pyromage. Combien je vous dois ? »
Le maréchal-ferrant jeta un regard curieux vers la sortie, où se trouvait Vendis.
« Bah, écoutez, c'est mon travail de m'occuper des chevaux, et j'vous cache pas que le vôtre, là, enfin celui de votre ami avec la grosse armure, il est… Il est têtu.
— Il est pareil que son maître, il a son caractère ! Du moment que nos chevaux sortent de cette écurie en aussi bonne santé que vous avez l'air, mon gaillard ! ricana le mage
— Ouais, j'vous voir bien sourire, là. Mais moi, j'ai pas souri. Il m'a donné un coup ! »
Pour preuve, l'homme baissa légèrement son pantalon, dévoilant sa hanche sur laquelle une grosse trace de sabot était visible. Elle semblait encore particulièrement douloureuse.
« Il voulait pas que j'lui bloque sa patte. C'est mon travail de bloquer les pattes. Voyez c'que j'veux dire ?
— Comme vous le dites, c'est votre travail, intervint Grunlek. Ce n'est pas à nous de vous dire comment gérer les animaux.
— S'il est mal dressé, j'y peux rien, moi. Va falloir que j'aille au docteur, va falloir que je paye, avec une partie de mon salaire, rétorqua l'homme. »
Une nouvelle fois, Bob mit la main à sa bourse, en sortit trois pièces qu'il plaqua sur la table.
« Un grand gaillard comme vous… »
Voyant l'intention de son ami, Grunlek l'empêcha de glisser les pièces vers le maréchal-ferrant. Si ce dernier voulait cet or, il devrait leur rendre un service. Bob se permit de lui couper la parole pour essayer de reprendre le contrôle de la situation.
« Un grand gaillard comme vous n'a pas besoin d'aller chez le médecin pour des broutilles pareilles, surtout quand les trois personnes, et uniquement les trois personnes qui ont récupéré leurs chevaux sont parties ce soir. Hein, elles sont parties ce soir, reprit-il en ajoutant une quatrième pièce. »
L'homme prit appui sur le comptoir.
« Ecoutez… souffla-t-il dans un grand relent d'alcool. Ça coûte beaucoup plus cher que…
— Roh, mais vous allez nous interdire de prendre nos chevaux ? coupa Théo
— Si j'veux, oui.
— J'aimerais bien voir ça, tiens.
— Ah ouais ? Et sinon, qu'est-ce qu'elle va me faire, la petite fille ? balança le maréchal-ferrant en reluquant Théo avec un air méprisant. »
La paysanne, plus loin dans l'écurie, ricana de toute cette situation. Le gérant des lieux insista à nouveau sur le coût des soins de sa blessure, tout en jetant des regards moqueurs vers Théo, qui n'avait pas su répliquer à son insulte. Pendant ce temps, Shin avait toujours mal. C'est en entendant son gémissement de douleur que Théo se rappela soudain qu'il avait la capacité de soigner. S'il guérissait la blessure de ce type, il pourrait arrêter son baratin et les laisser partir ! Shin pouvait bien survivre encore un peu sans aide. Le paladin, déterminé, s'approcha du maréchal-ferrant.
« Qu'est-ce que vous voulez ? Vous allez me taper ? ricana l'homme
— Allez, montre-moi tes fesses, j'vais te soigner, répondit le paladin sans réfléchir. »
L'homme, ivre, n'eut pas vraiment le temps de comprendre ce qui lui arrivait. L'hématome disparut par l'apposition des mains de Théo. Bob en profita pour rediriger les pièces vers le commerçant hagard.
« Voilà qui couvrira les frais du médecin, maintenant que vous n'avez plus besoin de le voir. Et je vous rappelle qu'on est partis ce soir, à trois personnes, avec trois chevaux. Bonne journée. Et si vous n'avez pas compris, votre serviteur, là-bas, dans le coin, se rappellera qu'on est partis ce soir, à trois personnes, avec trois chevaux ! »
Le groupe put enfin quitter les lieux avec les montures nécessaires au voyage. Il était temps pour eux de se diriger en dehors de la ville, vers la sorcière rouge. La traversée des rues se passa dans le calme, bien que Shin soit de plus en plus mal en point. Le gel qu'il avait appliqué sur ses jambes n'agissait plus, et ses plaies saignaient à nouveau. Bob aurait pu cautériser les plaies, mais cela aurait été à la fois douloureux et fort peu discret. Les aventuriers durent donc s'arrêter pour bander la jambe du malheureux archer. Bob se chargea de cette tâche. Fort heureusement, l'érudit pyromage sut localiser la bonne jambe et Shin fut tiré d'affaire pour le moment.
Les heures défilèrent tandis que les héros poursuivaient leur chemin à travers la cité. Tous avaient l'impression d'accomplir quelque chose d'extraordinaire alors que, vu de l'extérieur, ils n'étaient qu'un groupe de cavaliers progressant en silence dans une ville en paix. Les lieux étaient calmes, la nuit étant bien avancée, mais Théo ne pouvait s'empêcher d'être préoccupé. Son inefficacité récente n'y était sûrement pas pour rien. Il ruminait tous ses échecs. A l'arrière, Shin, plus attentif, remarqua une tête qui dépassait légèrement de la fenêtre d'une des bâtisses encadrant la ruelle. L'archer eut l'impression d'être épié.
Une autre silhouette émergea un peu plus loin. Le demi-élémentaire ne pouvait pas alerter ses compagnons, il aurait ruiné leur couverture. Il donna une petite tape à son cheval, en lui murmurant quelques mots à l'oreille. L'animal accéléra et Shin rejoint rapidement le groupe. Il continuait de jeter des coups d'œil alentour, et remarqua un détail intéressant. Tous les mystérieux observateurs qui braquaient leurs regards vers eux portaient une tenue similaire, avec une plume rouge sur l'épaule gauche.
Le groupe atteignit enfin les murailles qui encadraient la ville. Cet endroit était agité, il y avait du mouvement. Le ciel s'était couvert très rapidement, donnant à l'ensemble une allure inquiétante. Les passants s'énervaient, les gardes criaient. Soudain, un éclair violent tonna. Sa résonnance siffla aux oreilles des aventuriers. Même Théo fut désarçonné par la puissance de cette détonation. La foule n'en fut que plus excitée. Tous essayaient d'avancer en même temps, ce qui provoqua la chute d'une charrette. Plusieurs tonneaux roulèrent partout dans le passage. Le paladin dégaina son épée par réflexe.
La pluie commença à se joindre à la fête. Les hurlements se transformèrent en véritable cacophonie. Au milieu du chaos, Bob fut le seul à remarquer, au cœur de l'agitation, un homme qui le fixait avec un sourire malicieux. Il avait une allure distinguée, et une coiffure beaucoup trop propre, qui jurait parmi les paysans et les gardes. Il progressait d'un pas assuré.
Cet homme, Bob ne le connaissait que trop bien. C'était son père. Le diable.
