Des semaines étaient passées. Son jeune maître ne l'avait toujours pas appelé. Sebastian traînait, de ça et là, apprenant et découvrant tout ce qu'il avait manqué sur le 21eme siècle. Enfin essayait. Beaucoup de choses avaient changé. La première chose qu'il remarqua, c'est que les voitures avaient bien évolué. Le fait qu'il y ait un « pass » pour pouvoir conduire l'intriguait particulièrement. N'ayant pas tellement d'autres choses à faire, il décida de passer, en toute légalité, grâce à des document illégaux, son code, puis son permis.

Il se retrouva ainsi, dans une salle obscure, avec une petite manette dans les mains, à devoir répondre à des questions absurdes qui le laissait parfois pantois. « Avec quelle main dois-je ouvrir la porte de la voiture ? » Ou encore « je suis fatigué, mais je dois me rendre à un rendez-vous important, je dois : A/ Je circule plus lentement, B/ Je fais une pose C/ Je roule plus vite »

Évidemment, il n'y avait pas l'option « Je ne suis pas fatigué ». L'expérience fut donc extrêmement frustrante pour le démon, habitué à faire les choses à la perfection. Il se retrouvait à avoir des réponses fausses, malgré ses grands efforts pour se mettre à la place d'un humain. Et certaines réponses ne faisaient tout simplement pas…Sens ? Au bout d'une semaine, il obtient son code avec un score peu satisfaisant de 36 sur 40.

Vient ensuite le permis. Il se retrouva avec un instructeur d'une cinquantaine d'années, probablement ivrogne et décidément bon vivant et ayant un très, très fort accent du sud. Bien que parlant parfaitement la langue, le démon devait mettre autant d'attention à déchiffrer ce que lui disait son instructeur, qu'à la route elle-même. La conduite ne lui posa pas de problème, et après un ou deux calages, il conduisait de manière parfaite.

- Tu fais les créneaux les plus parfaits que j'ai vu en 30 ans de carrière ! Hahaha !

Bien sûr, cela n'empêchait pas son instructeur, qui trouvait toujours quelque chose pour rire, de lui taper un beau jour sur son épaule et de lui murmurer soudainement à voix basse, comme s'il lui annonçait le secret de l'univers avec son accent toulousain.

- Eh Sebastian… Est-ce la route que tu dois suivre, ou la route qui doit te suivre ?

Ce jour-là, Sebastian ne trouva rien à répondre et fut, une nouvelle fois, impressionné par la fascinante sagesse et connerie de l'espèce humaine.

Une fois son permis en main en moins d'une semaine, il ressentit l'appel de son jeune maître. Mais il ressentit également ... Du danger. Oui, son jeune contractant était en danger. Ni une ni deux, il fonça vers l'appel. Il venait de loin, son maître devait probablement être dans une autre ville. Il traversa plus vite que le vent villes et campagnes avant d'arriver à… Paris ?

Oui, la tour Eiffel était en vue, il s'agissait bien de Paris. Son maître était proche. Bondissant de bâtiment en bâtiment, son instinct lui indiqua un appartement dans un immeuble, au dernier étage. Il se matérialisa à l'intérieur et ouvrit l'une des chambres, où se trouvait son jeune maître et…

- Mais par tous les Enfers, qu'est-ce que vous faites ?

Le jeune homme était là, assis à genoux au centre d'un… Pentagramme dessiné à la craie, des bougies allumées à chaque extrémité de l'étoile. Du sang coulait de son poignet et sur le parquet était écrit en lettre de sang « Viens Sebastian ».

- Ah ! Sebastian ! Je ne pensais pas que tu entrerais par la porte d'entrée » déclara-t-il avec un grand sourire. Tu en as mis du temps ! Je pensais que ça serait immédiat ! Et que tu apparaitrais dans le pentagramme… Mais bon ça ne fait rien ! Tu es ici, c'est ce qui compte ! Il se releva, le poignet toujours en sang.

Sebastian se frotta les tempes, et prit une grande inspiration pour se calmer.

- Monsieur… Puis-je savoir quelle est cette mise en scène ?

Le jeune semblait surpris.

- Eh bien, je t'ai appelé via le contrat. Oui alors c'est vrai le pentagramme n'est pas très rond, mais je me suis dit que ça ferait l'affaire quand même-

- -Attendez. Vous avez fait tout ça pour m'appeler ? Il poussa un long soupir. Le contrat allait être très, très long. Monsieur… Pour m'appeler il vous suffisait de dire « Viens Sebastian » à voix haute.

Le jeune se gratta la tête. Quelques gouttes de sang tombèrent.

- Ohhh… C'est vrai que ce n'est peut-être pas très malin de ma part de m'inspirer d'un meme pour t'appeler… Bah, maintenant je le sais ! Et puis, c'était marrant de tester une invocation pseudo sataniste dans ma chambre. Il poussa Sebastian hors de sa chambre, se retrouvait dans le salon. Eh bien Sebastian, désormais, voici ton nouveau chez toi !

Meme ?

- Monsieur… Vous saignez. Laissez-moi panser la plaie, cela pourrait s'infecter.

- Oh ça. Il regarda son poignet. Pas de problème j'ai tout désinfecté avant de faire quoi que ce soit. T'inquiète pas j'ai l'ha-bi-tude.

Okay. Il allait sérieusement avoir besoin d'une discussion tout les deux. Il y avait beaucoup trop de choses qui lui échappaient.

- Laissez-moi au moins arrêter le saignement.

Le jeune homme soupira.

- Okay si tu y tiens.

Après avoir saignement panser la plaie, effacé le pentagramme et éteint toutes les bougies, ils s'installèrent tous deux dans le petit salon. Rien à voir avec l'ancien manoir de son précédent contractant mais… C'était confortable. La fenêtre laissait passer une grande quantité de lumière, illuminant la pièce. Il y avait une télévision « vraiment très plate » pensa Sebastian, deux fauteuils, un canapé, des meubles contenant divers livres et plantes, et une petite table basse. On pouvait apercevoir une cuisine qui semblait contenir tout ce qu'il fallait pour cuisiner. Il remarqua cependant les miettes sur le sol, une grosse quantité de poussière, même sur les plantes, qui semblaient cruellement manquer d'eau, et une certaine odeur de poubelle.

Depuis combien de temps le ménage n'avait pas été-t-il fait ?

- Bien ! Sebastian. Désormais, tu vas habiter en colocation avec moi. L'ancien coloc est parti, ce qui tombe à pic. Tu auras donc ta chambre à toi… Il sembla songer un instant. Comment les démons font-ils en matière d'argent ? Tu as un compte bancaire ou… ?

- Non. En matière d'argent, je n'ai pas de compte en banque. Je me débrouille pour en trouver. Ce n'est pas un problème pour moi.

La réponse ne sembla pas plaire au plus jeune.

- Pour habiter ici, tu devras payer ta part du loyer. Je n'ai pas les moyens de la payer pour deux. Mais je n'ai pas envie que tu comptes sur tes pouvoirs pour avoir de l'argent. Je veux que tu gagnes ta vie comme un être humain normal.

Encore ? Mais qu'est ce qu'ils ont tous à ne pas vouloir que j'utilise mes pouvoirs ?

- Donc, repris-t-il, je veux que tu te trouve un travail. Après tout, tu ne vas pas rester ici toute la journée à ne rien faire. C'est important que mon « meilleur ami » ait une vie un minimum variée. Tu peux mentir sur le fait que tu peux gagner trois fois le loyer pour l'agence, et tu peux te débrouiller pour trouver l'argent pour ta caution mais c'est tout. Après ça, tu paieras le loyer tous les mois avec ton salaire. Je peux t'aider à rédiger ton CV et une lettre de motivation.

Décidément, ce nouveau contrat ne plaisait pas, mais alors pas du tout au démon.

- Suis-je vraiment obligé Monsieur ? Si je peux me permettre, je serais beaucoup plus utile si je restais ici. Trouver de l'argent pour payer le loyer n'est vraiment pas un problème.

- Oui. C'est un ordre Sebastian.

Le démon se força a se calmer, ne laissant rien apparaître de son agacement.

- Très bien Monsieur.

- De plus, repris l'humain. Je serais en cours environ 20 heures par semaine, je ne serais pas tout le temps à la maison. Donc ça ne sert à rien que tu y sois aussi.

- Si je puis demander, quelle études Monsieur suis-t-il ?

- De l'art appliqués.

Toujours souriant, Sebastian songea.

Je suis tombé sur un saltimbanque.

- Sur ce, je vais te montrer ta chambre, déclara l'humain joyeusement. Il se leva, suivi du démon. Ils passèrent devant ce que Sebastian pensait être la chambre de Monsieur, et arrivèrent au fond du petit couloir. Il y avait une porte avec un petit insigne collé qui disais « Lovely Milf »

- Hum.. L'ancien colocataire a oublié de l'enlever… Tu pourras l'enlever si tu veux… » Il ouvrit la porte.

C'était une petite pièce, avec une fenêtre qui laissait passer une grande quantité de lumière. Il y avait un lit double dépourvu de draps, un bureau, une chaise à roulette et une penderie intégrée au mur. C'était simple, mais plus que Sebastian pouvait en demander. Il avait un toit, et un endroit à lui. Même si le contrat s'avérait être peu satisfaisant et un peu ennuyant, le repas serait bon à la fin, et il serait confortablement installé pour trois ans. Juste un instant d'existence pour lui, mais un instant plutôt agréable.

- Je ne sais pas si tu as des affaires avec toi… Ou si tu as des affaires à prendre en Enfers ou je-ne-sais-où. Mais tu peux t'installer tranquillement, et décorer à ta guise. Évite juste de faire des trous dans les murs. Pour la caution.

- Merci, je serais plus que confortable ici.

Sebastian pensa qu'effectivement, il avait quelque affaires en Enfers à aller chercher. Il irait les prendre plus tard.

- Je peux te prêter une couverture et des draps pour le lit, en attendant que tu aies les tient.

- Oh ce ne sera pas la peine Monsieur... Les démons n'ont pas besoin de dormir.

- Oh que si. Pour moi un lit confortable est absolument capital. Je serais extrêmement gêné de savoir que sous mon toit, quelqu'un ait un lit sans draps et sans couverture. Non, décidément ça me stress. C'est donc un ordre. Tu prendras les draps que je te prêterais, et tu feras ton lit.

Il y a des choses que je ne comprendrais jamais chez les humains.

- Très bien Monsieur.

- Et hum… Il n'y a pas grand-chose à voir, mais je te présente le reste de l'appartement. Donc voici le salon.

Il l'avait déjà vu.

- La cuisine.

- Qu'est-ce que c'est que cela ? demanda Sebastian, honnêtement curieux.

- Oh ça ? Le jeune était surpris. C'est un four à micro-ondes. Ça permet de réchauffer des plats instantanément. C'est très pratique. Il faut juste faire attention de ne pas laisser des couverts en métal dedans. Sinon ça explose.

Et ils gardent ça dans leur cuisine ?!

Le jeune semblait l'étudier, bras croisés, accoudé contre le mur. Il joua avec un pendentif qu'il portait autour de son cou.

- Dis… Je sais que ce n'est pas trop mes affaires mais… ça fait longtemps que t'as pas été sur Terre, je me trompe ?

Le démon croisa son regard. Il remarquait les yeux gris, ainsi que les cernes sous les yeux, de son contractant.

- En effet… Cela fait… Un moment.

Comme Sebastian n'avait pas l'air décider à en dire plus, le jeune homme n'insista pas. Ils continuèrent leur courte visite de l'appartement. Lorsqu'ils eurent fini. Le jeune homme prêta, comme promis, une couverture ainsi que des draps à Sebastian. Il s'apprêtait à sortir de sa chambre lorsqu'il s'arrêta.

- Au fait Sebastian.

Le démon leva les yeux. Quoi encore ?

- Ici il y a deux règles qui ne peuvent être bafouées. Premièrement, si tu restes ici plus d'une heure et demie, tu dois te mettre en pyjama. Deuxièmement, interdiction de t'allonger son ton lit avec tes vêtements d'extérieur. C'est des règles non négociables. Les seules exceptions sont si tu ramènes des gens pour faire une petite fête, ou quelque chose du genre.

Il s'arrêta, songeant un moment, puis soudainement cria :

- Mais hors de question d'organiser une orgie satanique dans le salon ! Est-ce clair ?!

Puis sortie en claquant la porte. Laissant un Sebastian perplexe. Une orgie satanique ? C'était un truc d'humain ça. Enfin… Son jeune maître ne pouvait pas le savoir.

Il avait remarqué, bien que ce fût subtil, que le jeune homme avait discrètement évité tout contact physique avec lui, par exemple lorsqu'il lui avait donné les draps. Il se demandait ce qui pouvait bien se cacher derrière ce comportement. Même son ancien contractant, traumatisé des contacts dans l'enfance, supportais les contacts brefs et légers. Cela ne semblait pas être le cas ici.

Il se demandait vraiment comment allait se dérouler ses trois prochaines années. Et surtout, comment accomplir le vœu de son Maître. Être son ami ? Le protéger, même de lui-même ?

Oui décidément cela allait être trois années bien étranges.