Novembre était en retard et il allait décidément rater son train s'il ne retrouvait pas ses fichues clés. L'appartement était en effervescence, les meubles étaient retournés, sa chambre était en branle-bas de combat, la cuisine était saccagée.
- C'est pas vrai… J'aurais dû mettre comme souhait dans le contrat que tu retrouverai toujours mes clefs… AH ! Elles sont là !
Novembre sortie de sous son lit tenant à la main les fameuses clefs perdues.
- Vite Monsieur ! Il est moins le quart !
Novembre pris son sac, sa pochette format raisin et sa valise. C'était lourd mais en étude d'art, il était habitué.
- Okay okay. Alors, j'ai… Mon portefeuille oui.. Mon portable oui… Mon chargeur oui… Les cadeaux oui… Mon ticket de train oui… Mon casque anti-bruit oui… Okay c'est bon ! Tu es sûr que ça ira sans moi ?
Le démon lui fit un sourire complaisant
- Oui, ça ira. Je survivrai de ne pas fêter la naissance du petit Jésus.
Sans saisir l'ironie, Novembre s'agita
- Okay cool ! Je te texte quand je suis arrivé.
- Très bien Monsieur
Il était maintenant dans le couloir, poussant frénétiquement le bouton de l'ascenseur
- Tu penses à arroser les plantes hein ?
- Oui Monsieur
- Et oublie pas..
Le minuscule ascenseur s'ouvrit. Le jeune garçon se mit difficilement à l'intérieur avec tous ses bagages.
- … PAS DE SEXE DANS LE SALON !
L'ascenseur se referma.
Sebastian, enfin seul et au calme, poussa un soupir. Il avait le temps de remettre l'appartement dans un état convenable avant d'aller travailler à 14 heures à Naturalia. Quand ce fus chose faite, il attrapa également son manteau noir et ses clefs et sortie.
Le temps était froid, comme l'on pourrait s'attendre d'une fin de mois de décembre. Le ciel était gris, les passants marchaient tous d'un pas vif, pour se protéger du froid glaçant. La rue où habitait Novembre et Sebastian était une ruelle sans beaucoup de passage, pas particulièrement jolie, où se trouvait non loin un pont où passait un train, que l'on entendait légèrement depuis l'appartement.
En un mois, Sebastian s'était habitué à son nouveau mode de vie au 21 ème siècle. Il avait désormais son téléphone, même s'il était à touches pour le moment. Il s'était acheté un assez bon ordinateur et savait à peu-près l'appréhender. Il l'avait cependant assez peu utilisé depuis son achat, n'ayant pas grand-chose à y faire. Il ne comprenait pas comment des humains pouvait passer leur journée entière dessus. Il supposait qu'il avait encore des choses à y apprendre.
Son jeune Maître lui avait notamment montré l'utilisation d'Internet. Un « endroit » où l'on pouvait poser presque n'importe quelle question. Une fois Novembre partit, la première chose que Sebastian demanda à Internet était si le manoir des Phantomhive était toujours débout. Il eut sa réponse en un clic. Le manoir avait été en partie détruit pendant la guerre en 1945 pour être rénové en 1987 afin d'y faire un patrimoine culturel à visiter.
Plongé dans ses pensées, il valida son Pass Navigo et monta dans le métro, qui était relativement clairsemé à cette heure de la journée. Il vit un journal déposé sur un siège et n'ayant rien à faire sur les quelques arrêts qu'il avait, le prix et lit le premier article qui vient sur ses yeux :
Une nouvelle maladie chinoise ?
Le 24 décembre 2019, l'OMS a été alertée de l'apparition de plusieurs cas de pneumonie d'origine inconnue dans la ville de Wuhan (Chine). Les autorités chinoises ont déterminé que ces cas étaient provoqués par un nouveau coronavirus, temporairement appelé « 2019-nCoV ».
Les coronavirus (CoV) forment une grande famille de virus à l'origine de maladies allant du simple rhume à des affections plus graves. Un nouveau coronavirus (nCoV) est une nouvelle souche qui n'avait pas encore été décelée chez l'être humain. Le nouveau virus a ensuite été baptisé « virus de la COVID-19 ».
Les cas ne s'élèvent qu'à quelques individus, aussi les autorités chinoises ont affirmé que « Tout est sous contrôle, il n'y a pas de raison de s'inquiéter. L'épidémie va probablement durer 12 ou 20 jours puis s'estomper. Tous les individus portant ce virus ont été placé en quarantaine sous haute surveillance. »
Maintenant, passons à la météo particulièrement froide de cet hiver…
Arrivé à destination, il posa le journal sans plus y penser et sortit de la rame de métro.
Ce fut une journée tranquille. Très peu de personnes virent dans le magasin ce jour-là. Vers la fin de journée, Sebastian regarda avec Thomas un curieux dessin animé avec un héros vert qui s'appelait « Shrek fête Noël » caché sous une caisse.
- Et lui c'est l'Âne, le meilleur ami de Shrek.
- C'est… Son prénom ? L'Âne ?
- Oui, c'est un âne après tout. Et là c'est le Chat Potté, un autre ami de Shrek
- Chat Potté… Je connais le conte du chat botté, cela aurait-il un rapport ?
- Euh. Oui, plus ou moins. Sauf qu'ici il est espagnol et devient ami avec Shrek en essayant de le tuer.
- C'est je trouve une manière assez commune de faire connaissance.
- T'as dit quoi ?
- Rien du tout, fis Sebastian en souriant.
Une fois le court métrage fini. Ils discutèrent un peu tout en rangeant les rayons.
- Alors, tu vas faire quoi pour Noël ? Demanda Thomas en rangeant des mueslis Boneterre.
- Je crois que je vais aller rendre visite à… Des lointaines connaissances.
Voyant que Sebastian n'allait pas en dire plus, Thomas continua :
- Tu ne le fête pas avec ta famille ?
- Non. Là où est ma famille… On ne fête pas Noël
- Oh !
Il se posa, l'air embêté
- Désolé Sebastian, en tant que mec blanc d'origine française catholique, j'oublie parfois que tout le monde ne fête pas Noël… Désolé d'avoir été insistant.
Sébastian le regarda d'un air surpris, puis sourit
- Il n'y a pas de problème.
En fermant le magasin, il faisait nuit noire, se souhaitant un joyeux Noël, les deux collègues se séparèrent. Il pleuvait d'une fine bruine. En arrivant chez lui, Sebastian fit sécher son manteau mouillé en le suspendant au-dessus du radiateur, même s'il savait qu'il n'aurait pas le temps de sécher avant de repartir. Il avait une carte à aller voir sur son ordinateur.
Quelques heures plus tard et des centaines de kilomètre plus loin, Sebastian était au fin fond de la campagne anglaise. La fine bruine s'était transformée en gros flocons. Malgré la fine couche blanche, il reconnaissait ce paysage. Peu de nouvelles habitations avaient été construites dans les environs, et les prés et les champs étaient restés à peu-près les mêmes. Bondissant entre les flocons, il sentait qu'il approchait.
Oui. C'est ici
Le manoir se dressait maintenant devant lui. Lui rappelant instantanément une quantité innombrable de souvenirs. Après tout, pour l'avoir reconstruit de ses propres mains, et y avoir logé quelques années, il connaissait cet endroit sur le bout des doigts. Passant doucement les mains gantées sur la pierre, il se laissa envahir par les souvenirs.
- Sebastian ! Tu seras mon épée et mon bouclier ! Tu m'apporteras la victoire ! »
- Toi seul ne doit jamais me trahir.
- S'il faut mourir, autant ne pas avoir de regret
Sebastian ouvrit les yeux. Ils étaient rouges sanguins. Puis d'un seul coup, se dématérialisa en ombre et apparut dans le grand hall, à l'intérieur. L'endroit avait été emménagé comme doit se l'être un musée. Il y avait une série de pancartes indiquant le sens de la visite, un comptoir pour les billets d'entrée, et des séries de panneaux explicatifs sur l'histoire des Phantomhive. Dans l'escalier principal se trouvait toujours le tableau que la fiancée de son ancien jeune maître avait insisté qu'il fasse. Ils avaient respectivement 15 et 14 ans. Lady Elisabeth assise avec un sourire, le Comte de Phantomhive à sa droite et derrière eux, une grande figure noire en queue de pie.
Lui.
Cela faisait déjà dix bonnes minutes qu'ils se disputaient, sous les yeux de Sebastian et du pauvre peintre avec son chevalet à côté d'eux.
- Lizzie ! Pourquoi veux-tu tellement faire ce tableau ?!
- Mais Cielleuhh ! Depuis que tu as enlevé la peinture de tes parents il y a un grand emplacement vide, ce n'est pas mignon ! Et puis…
Elle l'attrapa par le bras
- …Dans quelques années nous serons mariés ! Autant mettre un peu de vie à ton manoir dès à présent !
Ciel, outre son agacement, était vraiment embêté.
- Lizzie, vraiment je ne crois pas que ça soit une bo-
- S'il te plait Ciel.
La marquise était soudainement devenue sérieuse. Son ton était maintenant grave, comme s'il s'agissait d'une affaire capitale.
- J'ai cru te perdre une fois. Je ne veux plus te perdre. Je veux t'assurer que tu es bien là, à mes côtés.
Le jeune Comte bataillait visiblement avec ses émotions.
- Lizzie… Et si… Un jour je n'étais plus là ? Si un jour je te quittais, sans possibilité de revenir à tes côtés. Ne regretteras-tu pas ce tableau ?
La jeune fille le regarda avec un air grave. Elle savait que son rôle de chien de garde de la Reine était dangereux. Que ses parents avaient eux-même été assassinés, probablement à cause de ça. Elle savait qu'elle pouvait le perdre, à tout moment.
- Jamais je ne regretterai d'avoir passé un instant à tes côtés, Ciel.
Sebastian regardait ce tableau, souvenir d'une époque qui n'était plus. Le Comte avait accepté de faire cette peinture, mais avait, pour une raison que Sebastian ne comprenait toujours pas à ce jour, insisté pour que son majordome soit également partie du tableau. Il était l'ombre de la mort dans cette œuvre censée représenter la vie. Il ne pouvait pas croire que son ancien Maître ne l'avait pas réalisé.
Il monta lentement les escaliers, arriva au bureau, reconstitué, du Comte. L'amas de papier habituel qui régnait sur le bureau du jeune noble avait disparu. Ces lettres étaient probablement mises dans un autre endroit du musée. Mais, mis à part ça et les banderoles qui limitaient l'accès du public à l'ensemble de la pièce, le bureau était exactement comme dans ses souvenirs. Il pouvait simplement s'imaginer que son Maître - son ancien Maître, était partit quelque temps pour résoudre un crime qui affectait la Reine.
- Sebastian.
- Vous m'avez appelé, jeune Maitre
- Je veux quelque chose de sucré
Le majordome soupira
- Vous savez qu'il est mauvais pour vous que vous consommiez trop de sucreries. Ce n'est pas encore l'heure du goûter. Puis-je vous proposer une tasse de thé à la place ?
- Je ne veux pas de thé ,je veux quelque chose de sucré !
Il fit demi-tour, descendit aux cuisines. Qu'il en avait pu y passer du temps, dans ces cuisines... C'était un accès interdit au public, et en descendant, Sebastian découvrit que les cuisines avaient été transformées en réserve d'objets et de meubles en tout genre.
BOUM
Sebastian surgit dans la cuisine, entièrement enfumée.
-Bard ! Qu'est-ce que tu as fait encore ?
- J'ai voulu réessayer. Cough couch. La cuisson du bœuf au lance-flamme… Cough couch
- Combien de fois je t'ai dit que ce n'est PAS un mode de cuisson adapté pour quoi que ce soit de COMESTIBLE ?!
Il était en train d'ouvrir portes et fenêtres pour laisser échapper la vapeur lorsque…
- Ouahhhh !
PATATRA
Sebastian n'avait pas besoin que la fumée soit évacuée pour savoir que Mey–Linn avait, encore, laisser tomber le service à vaisselle. Le troisième en trois semaines.
- Désolé Sebastiannnn ! Avec la fumée je n'ai pas vu la marche !
- Mey-Linn. Reste assise et ne BOUGE PLUS jusqu'à ce que je te l'ordonne
- Ou- oui Sebastian !
- Mais PAS À MÊME LE SOL !
- Pardon Sebastian !
Le démon soupira.
Il remonta, arriva à l'ancienne chambre du Comte. Caressant doucement la poignée, se demandant combien de fois, seul autorisé à entrer, il l'avait refermée le soir tombé, laissant derrière lui un enfant, qui, la nuit n'avait plus à porter le lourd statut de Comte.
Il ouvrit la porte
Même plongé dans la pénombre de la nuit, le démon distinguait cette même chambre où il venait jadis tous les matins réveiller, donner le petit-déjeuner, et habiller le Comte. Il pouvait presque s'imaginer qu'il était là, sous les draps, à dormir paisiblement. Mais il le sentait, il n'y avait pas une seule âme qui vive dans cette pièce. Elle était totalement, tristement, implacablement vide.
- OUAHHH !
- Jeune Maitre ?
Sebastian entra avec un candélabre allumé dans la chambre plongée dans l'obscurité
- Qui..Qui est-ce ?
- C'est Sebastian Monsieur, votre majordome.
- Se- Sebastian ? Ils sont tous morts… Ils me regardent…
Le majordome ramassa un coussin tombé au sol.
- Il n'y a que vous et moi dans ce manoir, personne d'autre.
- Personne d'autre ?
- Non Monsieur, c'est une nuit paisible.
Il s'apprêtait à toucher son jeune Maître pour le rassurer lorsqu'il l'éjecta d'un revers de la main
- NE ME TOUCHE PAS ! Ne me… Touche pas...
Sebastian s'apprêtait alors à repartir lorsqu'une petite main agrippa sa queue de pie.
- Reste…
- Monsieur ?
- Reste ici… Jusqu'à ce que je m'endorme.
- Bien monsieur
Il souffla alors les bougies de son candélabre, restant immobile telle une statue. A se demander comment la présence d'un démon qui allait lui prendre son âme pouvait être plus rassurante que les cauchemars de son jeune Maître.
Sur les côtés de la pièce, des pancartes explicatives.
« Chambre du Comte Ciel Phantomhive. Fils de Claudia et Vincent Phantomhive. Né en 1875, est retrouvé mort dans son lit d'une cause mystérieuse en 1889. La raison de sa mort n'est toujours pas trouvée à ce jour. »
A la droite de ce panneau, une bague avec une pierre d'un bleu éclatant, placée sous verre.
« Chevalière du Comte Phantomhive, symbole de son statut de « chien de garde de la Reine » retrouvé à son pouce le jour de sa mort. »
Sébastian en avait assez vu. Il sortit du manoir, se retrouvant à nouveau devant le bâtiment. La neige s'était arrêtée. Il régnait un silence parfait. Une sorte de paix, qui contrastait avec tous les souvenirs, toutes les images, toutes ces voix… Cette voix qui l'appelait encore et encore.
Sebastian !
Un léger courant d'air passa, faisant virevolter ses cheveux. Il tourna la tête.
Le cimetière des Phantomhive.
Jamais Sebastian n'avait vu la tombe de son jeune Maître. Sa vraie tombe où son cadavre était réellement à l'intérieur. Il entra à pas de velours, faisant grincer le portail. Son regard glissa sur les trois premières tombes, et s'arrêta à la quatrième.
À la mémoire de Ciel Phantomhive.
1875 – 1890
Regretté.
Sebastian se mit doucement à genoux. Se fichant bien de tremper son pantalon dans la neige fraîche. Il ne sut pas combien de temps il resta là. Prostré. Immergé dans des souvenirs qui n'appartenaient qu'à lui, et à l'enfant enterré sous cette tombe. Lorsque que le soleil le leva, illuminant la campagne d'un blanc éclatant, il murmura :
- Jeune Maître, vous détestiez les fêtes de fin d'année… Mais permettez-moi, en cette occasion spéciale, de vous souhaiter… un paisible Noel.
Lorsque la figure sombre s'éloigna et ne fut plus qu'un point noir sur l'horizon, on pouvait voir sur la tombe délabrée du Comte Ciel Phantomhive, un bouquet de rose blanche épineuses et de myosotis.
