- Monsieur, êtes-vous sûr que cela est-ce bien convenable ?

Sebastian se tenait respectueusement à l'entrée de la chambre de Novembre. C'était un pâle matin de février. Le soleil ne s'était pas encore levé, et pourtant la chambre était en effervescence. La lumière était allumée et dévoilait un désordre total. Le lit était mis en pagaille. Le sol était jonché de vêtements, de carnets, de stylos et crayons, de sacs et d'autres divers objets. Les placards qui, la veille, était pourtant rangés, étaient sens dessus dessous. Au milieu de la pièce Novembre était en train de faire entrer un dernier pull dans sa valise déjà pleine à craquer.

- Je te dis que c'est bon Sebastian.

- Pardonnez-moi d'insister, mais je doute que vous êtes en mesure de contrôler la situation. Et si cela dérapait ?

Novembre ne répondit pas et fit un énième allé retour de son bureau à son sac à dos. Il glissa sur une pile de magazines qui virevoltèrent dans la pièce et manqua de tomber fesses sur le sol. L'une des revues atterris au pied de Sebastian, ouvert à l'article principal

Coronavirus : 19 nouveaux cas en France, «une étape est franchie»

Vendredi 28 février :

Le coronavirus poursuit sa progression, notamment en France avec 41 contaminations confirmées. Un cas a été détecté au Nigeria, le premier en Afrique subsaharienne.

83 853 cas dans le monde, dont 2873 décès, dans 56 pays. Le nombre de cas de nouveau coronavirus dans le monde s'élevait vendredi en début d'après-midi à 83 853, dont 2873 décès, dans 56 pays et territoires, selon un bilan établi par l'AFP à partir de sources officielles (autorités nationales et Organisation mondiale de la santé).

La Chine (hors Hongkong et Macao), où l'épidémie s'est déclarée fin décembre, comptait 78 824 cas, dont 2788 décès. Ailleurs dans le monde, 5029 cas étaient recensés vendredi, dont 85 décès et 966 nouveaux cas.

La France compte 19 nouveaux cas. « Nous avons ce vendredi soir 57 cas », soit 19 de plus par rapport à jeudi, annonce Olivier Véran, le ministre de la Santé. « Aucun nouveau décès n'est à déplorer. » Six patients sont recensés à Annecy, parmi les voyageurs de retour d'Egypte. 18 malades ont été diagnostiqués dans l'Oise, soit six de plus que jeudi.

Une nouvelle étape de l'épidémie est franchie, « nous passons désormais au stade 2 », a ajouté le ministre, expliquant que « le virus circule sur notre territoire et nous devons freiner sa diffusion ». Plusieurs clusters ont été identifiés, « dont les chaînes de transmission demeurent identifiables et les contaminations explicables », rassure-t-il.

Le ministre a terminé son intervention sur des messages de prévention. « Je recommande désormais d'éviter la poignée de main. […] Ce sont les petits gestes qui font les grandes protections. »

Sebastian pris le journal et de referma, le reposant sur un meuble à l'entrée de la chambre. Il n'avait pas bien compris ce qu'il se passait lorsqu'il avait entendu, à 7 heure du matin, un brouhaha venant de la chambre d'à côté. Il avait trouvé son jeune Maître avec les cheveux en bataille, déjà habillé et en pleine effervescence, à imprimer des billets de train pour le jour même.

Ignorant la question de Sebastian, le jeune homme s'écria :

- Sebastian, tu ne comprends pas. J'ai BESOIN d'aller voir cette fac ! Ils ont une formation que je veux vraiment faire et j'ai besoin d'avoir des informations à la source. Les portes ouvertes c'est une occasion rêvée pour ça !

- Aller aux portes ouvertes, je peux comprendre. Ce que je ne comprends pas c'est…

Il passa son regard sur les billets imprimés.

- Pourquoi souhaitez-vous y rester trois jours ?

Novembre passa devant Sebastian en trombe pour aller remplir une bouteille d'eau dans la salle de bain.

- J'ai toujours adoré Strasbourg, entendis-il le jeune parler fort pour couvrir le bruit de l'eau depuis la salle de bain. Je n'ai jamais pu y aller et pleinement y profiter. Pour une fois que j'ai l'occasion, je ne vais pas la manquer.

Novembre repassa devant Sebastian, étalant des gouttes d'eau tombant de ses mains sur le sol.

- Très bien admettons que vous vouliez effectivement visiter seul la deuxième plus grande ville de France durant 3 jours entiers…

Novembre lui tournait le dos, ne permettant pas de voir son visage

- …Alors pourquoi refusez-vous que je vienne avec vous ? Je comprends lorsque que vous êtes allé retrouver votre famille pour les fêtes, mais là…

Le jeune homme ramassa ses billets, les plia et les fourra dans sa poche de jean. Ses cheveux lui cachaient les yeux lorsqu'il répondit

- Je préfère voyager seul.

Ses affaires semblaient bouclées. L'humain avait pris son collier, son écharpe, avaient mis ses habituelles mitaines et son casque anti-bruit. Il prit à une main son sac à dos et avec la deuxième, sa valise et sortie de la chambre pour aller mettre ses chaussures dans l'entrée.

Il évitait à tout prix de croiser le regard de Sebastian et ce dernier le voyait bien.

Alors qu'il finissait de mettre son grand manteau, Sebastian le retient par le poignet. La réaction fut immédiate, le jeune homme cria avec un regard empli de peur vive.

- Lâche-moi !

Le démon obéit immédiatement. Il ignorait s'il s'agissait des séquelles de leur dernière confrontation le mois dernier, ou quelque chose de complètement différent. Gardant un air calme, Sebastian dit doucement

- Monsieur. Vous tremblez. Vous tremblez depuis ce matin.

Il se rapprocha légèrement de Novembre.

- Je tiens à vous rappeler que vous m'avez ordonné ce jour-là de vous protéger, y compris de vous-même. Si vous me cachez des choses je comprendrais… Mais sachez que je ne pourrais pas aussi efficacement vous protéger si vous le faites. Aussi j'espère que vous savez ce que vous faites.

Novembre rigola nerveusement, détournant le regard.

- Tu parles comme si j'allais à la guerre ou quelque chose dans ce genre. Je vais juste faire des portes ouvertes, visiter un peu, et revenir. Que veux-tu qu'il m'arrive ?

Ils se regardèrent enfin. Après un instant, Sebastian soupira :

- Si vous avez besoin de moi… Vous savez ce que vous avez à faire. J'arriverai aussitôt

Novembre ne répondit pas. Il ouvrit la porte et appuya sur le bouton de l'ascenseur.

Lorsque les portes s'ouvrir, il entra avec difficulté avec ses affaires et, avant que les portes de l'ascenseur ne se referment il cria :

- ET PAS DE SEXE DANS LE SALON !

- Et pas de sexe dans le salon, répéta machinalement Sebastian.

Et l'ascenseur se referma. Sebastian soupira. Il espérait que son jeune Maître n'allait pas au-devant des ennuis. Il avait une petite idée sur le pourquoi de cette agitation soudaine du jeune homme.

En effet, en prenant le courrier hier matin il était tombé sur une lettre, avec, adressée à la main le nom de « Novembre FORESTIER ».

Cette lettre venait de Strasbourg.

Cela l'avait interpellé. Mis à part pour les factures de gaz et d'électricité, Novembre ne recevais jamais de lettre de qui que ce soit. Il correspondait avec sa famille et ses amis seulement par téléphone. Mais, respectant la vie privée de son Maître, il l'avait simplement posé sur la table, en attendant que le jeune garçon la trouve. Il n'avait pas assisté à son ouverture. Tout ce qu'il savait pour sûr, c'est que, depuis hier soir, le cœur de l'humain battait à tout rompre. Il pouvait l'entendre. Sebastian n'était pas sûr qu'il ait même dormi de la nuit.

Cela ne faisait qu'accentuer le mystère autour de son jeune Maître. Lui qui voulait créer un lien de confiance, il ne lui facilitait vraiment pas la tâche. Depuis cette sortie à la Tour Eiffel, la vie avait repris son cours. Ils avaient des discussions polies, cordiales, mais rien d'intéressant qui lui apprennent quoi que ce soit sur l'humain ou sur son passé. Novembre demeurait, malgré tous ses efforts, un mur impénétrable. Il avait sérieusement songé à aller voir Justine, la meilleure amie de Novembre, pour obtenir des informations sur lui. Mais après mûre réflexion, il en était venu à la conclusion que cela paraitrait bien trop suspect, de plus que Justine risquait de dire à Novembre que Sebastian essayait de fouiller dans sa vie privée. Et Novembre serait alors plus braqué que jamais.

Les trois prochains jours furent assez désagréables pour Sebastian. Il ressentait à cause du lien que quelque chose n'allait pas là où était Novembre, sans pour autant être de l'ordre du danger physique. C'est comme une espèce de bruit agaçant en arrière-plan. Et avec son jeune Maître qui ne n'appelais pas, il ne pouvait pas aller voir ce qui n'allait pas.

Même Thomas remarquait que Sebastian n'était pas au mieux de sa forme. Cela faisait trois jours que son Maître était parti. Il devait supposément revenir aujourd'hui.

- Sebastian… ça fait la troisième fois que tu ranges l'entièreté du même rayon dans la même heure. Es-tu sûr que tout va bien ?

Le démon essaya de calmer l'irritation qui grandissait en lui à la simple présence de l'humain.

- Ça va oui, merci

Puis Sebastian se figea. Il venait d'avoir une idée.

- Non, en fait ça ne va pas vraiment. J'ai un problème, et j'aurais besoin de ton avis.

Thomas parut surpris

- Oh ! Bien sûr. Un problème avec quoi ?

- Plutôt un problème avec « qui ».

Il jeta un œil pour être sûr que le patron ne faisait pas attention à eux.

- J'ai …mon Maitre. Il ne va pas bien

- Ton… Maitre ?

- Oui, mon Maitre !

Il se regardèrent dans le blanc des yeux, avant que Thomas ne réponde :

- Okay ! No judgement

- Bref. Peut importe comment j'essaie d'aborder les discussions, il refuse de s'ouvrir à moi et que je l'aide. Et récemment… J'ai l'intuition qu'il va faire quelque chose qui va encore plus le blesser. Psychologiquement parlant. À ma place que ferais-tu ?

Thomas réfléchit, remettant machinalement un article ou deux, histoire de faire bonne figure. Puis finalement déclara :

- Tu ne peux pas forcer quelqu'un à se confier si la personne ne veut pas. Elle a surement ses raisons. Ou alors…

Sébastian l'écoutait attentivement.

- …Ou alors cette personne ne remarque peut-être même pas que tu essais de l'aider. Elle a peut-être tellement le nez dans ses problèmes qu'elle ne voit pas le positif que les gens peuvent lui apporter. Je suis un peu comme ça, quand je vais mal.

Il soupira

- Mais c'est difficile de te répondre comme ça. J'ignore quelle est votre relation exactement. Est-ce que vous vous connaissez depuis longtemps ? Est-ce que c'est soudain qu'elle refuse de s'ouvrir à toi ou alors ça a toujours été comme ça ?

Sebastian se mit également à faire mine de ranger.

- Pas exactement… On se connait depuis trois mois. Et cette personne… En fait c'est mon colocataire, ne s'est jamais vraiment confié sur des choses importantes. Oh bien sûr il me dit plein d'autres choses. Il me parle de ses cours, de sa nourriture préférée, de… Pas grand-chose à vrai dire. Mais jamais de choses vraiment personnelles.

- Hum. Tu sais, se connaitre depuis trois mois, ce n'est pas beaucoup. Pour se construire, une amitié, ça demande un peu plus de temps.

Sebastian était exaspéré mais se tient du mieux qu'il pu.

- Combien de temps environ ?

- Je ne sais pas. Il n'y a pas de chiffre universel. Ça dépend des gens.

Les pauvres Muesli était maintenant rangé avec rage par Sebastian.

- Mais il y a des choses que tu peux faire pour que ça s'améliore ! Dit Thomas.

- Comme quoi ?

- Eh bien, déjà, c'est important que tu sois là au bon moment pour ton ami. Parfois c'est juste une histoire de timing.

Le démon arrêta le massacre des Muesli, attentif. Thomas repris.

- Et il faut aussi que tu perçoives ce dont ton ami a vraiment besoin. La plupart du temps, les gens qui vont mal n'ont pas besoin ni envie que quelqu'un vienne essayer de résoudre leurs problèmes par A+B. Ils ont surtout besoin qu'on les écoute et qu'on les valide dans leurs émotions. Et enfin, je pense que si tu veux que cette personne se confie à toi, tu devrais commencer à te confier à elle. Pour signifier que votre relation va dans les deux sens ! Parfois, lorsque quelqu'un s'appuie un peu sur toi pour te demander de l'aide, ça booste un peu ton égo et pousse la personne à faire plus attention à toi.

Tout ça n'était pas marqué dans Wikihow… D'accord…Être présent. Ecouter. Valider. Se confier. Je peux faire ça. Ça ne devait pas être bien compliqué.

Le démon sourit

- Merci pour ton aide, je pense que ça va être… Assez aidant

- Pas de problème !

C'est à ce moment-là qu'il sentit l'appel du pacte. C'était fort. Rapidement, laissant en plant les Muesli parfaitement rangés, il sortit illico du magasin. Il fila à la vitesse du vent, bondissant de toits en toits et, lorsqu'il approcha de l'appartement, se matérialisa à l'intérieur ne sachant à quoi s'attendre.

Il trouva les affaires de Novembre éparpillé dans l'entrée, la porte n'était pas fermée. Le jeune garçon était écroulé sur le canapé, secoué par des sanglots incontrôlables. Il s'approcha rapidement. Il pleurait si fort que l'on pouvait penser qu'il avait physiquement mal, mais Sebastian de détecta aucune blessure. Il prit bien soin de ne pas le toucher pour ne pas l'affoler.

- Monsieur ? Que vous arrive-t-il ?

Seuls les sanglots lui répondirent. Son pull et ses cheveux étaient trempés de sueur, son visage était rouge et inondé de larmes. Il semblait qu'il pleurait depuis longtemps déjà. Sebastian ne savait même pas si le plus jeune avait conscience de sa présence.

- Monsieur ? M'autorisez-vous à vous toucher ?

Novembre ne répondit pas tout de suite, si bien que Sebastian pensa qu'il ne l'avait pas entendu. C'est alors que la main du plus jeune glissa et chercha à tâtons celle du démon. Lorsqu'elle se rencontrèrent, Novembre agrippa avec l'énergie du désespoir celle du plus vieux. Il se figea. C'était la première fois qu'ils avaient un contact.

Ils restèrent un moment comme ça. Sebastian accroupie, la main fermement tenue par Novembre, a demi allongé sur le canapé. Sebastian avait arrêté d'essayer de questionner Novembre. Il était incapable de parler. Lorsque les pleurs se firent un peu plus léger, Sebastian dit doucement :

- Monsieur, je vais vous porter à votre lit, vous y serez plus confortable.

Mais Novembre secoua vivement la tête. Se rappelant un détail, Sebastian ajouta :

- Je mettrais un plaid pour que vos vêtements ne touchent pas directement vos draps. Je sais que vous détestez ça.

Novembre arrêta de secouer la tête. Alors Sebastian pris délicatement le jeune homme dans ses bras et le porta jusqu'à son lit. Pour lui, il ne pesait rien. Comme promis, il manœuvra pour mettre un plaid au-dessus des couvertures et y allongea son jeune Maître. Un fois qu'il fut confortablement installé, il lui dit :

- Je vais aller vous chercher un verre d'eau. Vous devez être complètement déshydraté.

Il n'attendit pas de réponse et alla directement à la cuisine. Puis revient avec un verre d'eau fraiche dans les mains. Il trouva son jeune Maitre en position fœtale, toujours pleurant et agrippant de toutes ses forces le plaid. Il s'agenouilla

- Monsieur, pour boire il faut que vous vous releviez un peu.

Très péniblement, Novembre se redressa à l'aide de son coude et tendis une main tremblante pour attraper le verre. Le démon l'aida à stabiliser le récipient et à le porter à ses lèvres. Il vit qu'un liquide transparent coulais du nez de son Maître et alla aussitôt chercher des mouchoirs. Il resta là, à regarder Novembre qui ne s'arrêtait pas de pleurer, utiliser mouchoirs après mouchoirs. Agenouillé près du lit, il passa plusieurs heures à attendre, ne se levant que pour aller jeter les mouchoirs utilisés dans la poubelle presque pleine de ces derniers, et occasionnellement faire boire Novembre.

La nuit était déjà bien avancée lorsque les pleurs cessèrent. Novembre s'était endormi d'épuisement.

Silencieux comme une ombre, le démon se redressa. Il prit un des plaids du salon pour éviter que son jeune Maître ait froid, et referma doucement la porte derrière lui.

Il ignorait ce qu'il s'était passé, et ne savais pas si le plus jeune le lui dirais un jour. Mais il considérait ce jour comme une petite victoire. Son Maître lui avait permis de le toucher, ce qui n'était encore jamais arrivé. Oui, c'était une avancée.

Il se demandait ce que le lendemain lui préparait.

Hey ! Voilà le 8eme chapitre, j'espère qu'il vous plaira ! N'hésitez pas a mettre une petite review =)