Cela faisait presque un mois qu'il était en confinement. Novembre était sous sa couette, dans sa chambre plongée dans la pénombre. Il avait fini sa septième série sur Netflix.

Puis, sans prévenir, la partie gauche de son visage se mit à trembler. Encore. Il repoussa un sanglot et enfonça sa tête dans son oreiller dans l'espoir qu'elle disparaisse. Cette sensation, il l'avait depuis l'annonce du confinement. C'était le même tressautement de muscle qu'il lui arrivait de temps à autre à avoir à la paupière, sauf que cela s'étendait dans toute la partie gauche du visage. Il avait essayé les auto-massages, la méditation, les Dolipranes, les bouillottes… Rien n'y faisait. Cela ne faisait pas vraiment mal, mais c'était on ne peut plus désagréable et l'empêchait de passer des nuits complètes. Et plus le temps passait, plus cette sensation s'étendait au reste de son corps. Cela le rendait infiniment irritable et il était presque content que Sebastian et lui ne se parlent plus, car il n'aurait envoyé balader comme il l'avait fait lors de leur dernière dispute.

Il n'ouvrait plus les volets depuis sa dernière interaction avec Sebastian. Sa chambre était perpétuellement plongée dans le noir. Les deux ne se croisaient que rarement, étant donné que Novembre ne sortait quasiment plus de sa chambre. Il faisait quelques aller-retour aux toilettes, tout au plus. Sebastian continuait cependant à lui cuisiner des plats, qu'il laissait dans la cuisine. Lorsque Novembre avait trop faim, il craquait et allait en prendre une portion discrètement, puis revenait dans sa chambre.

Mais la plupart du temps, il ne pouvait manger beaucoup. Les nausées s'étaient démultipliées et il lui était presque impossible d'ingérer quelque chose sans ressentir ces dernières. Alors, il ne mangeait qu'une fois tous les deux jours.

Ses amis étaient devenus de lointains souvenirs. En effet, avec l'arrêt des cours, Novembre ne voyait plus, par la force des choses, Justine et ses autres amis à l'école. Son établissement avait décidé qu'étant donné qu'ils devaient présenter leur projet personnel de fin d'année en juillet, les étudiants n'avaient plus besoin de cours. Ils étaient donc complètement livrés à eux-même.

Il n'avait pas réellement d'autres amis avec qui il échangeait régulièrement. Justine ne lui répondait qu'avec parcimonie et, les semaines passant, Novembre avait abandonner l'idée de lui parler ou de l'appeler. Il n'était pas spécialement un grand fan des relations à sens unique.

Alors Novembre se réfugiait dans sa tête, dans ses mondes de fiction où rien ne pouvait le blesser. Il rêvait d'avant. Avant le Covid. Avant Sebastian. Avant que tout bascule.

Il nageait dans ses souvenirs, alternant sommeil et rêves éveillés. Pour ne plus penser à ce qui se passait actuellement dehors et à ce qu'était devenu sa vie, il regardait des séries, lisais et dormais. Et pendant quelques heures, Novembre pouvait prendre une pause d'être lui. Avec ses traumatismes, ses deuils, son contrat démoniaque, ses amis qui l'abandonnaient et sa vie qui ne faisait plus sens.

Un soir, sa mère appela. Lorsque Novembre décrocha, il fit de son mieux pour prendre une voix

claire, histoire de ne pas montrer que cela faisait des mois qu'il n'avait parlé à personne.

- Allo ! Oui.. Salut maman… Oui tout va bien et chez vous ?... Oui vous avez eu des cas de contaminations dans votre entourage ?... Non, pas ici, du moins pas encore… Oui je fais attention, je sors très peu…. Oui je fais attention à ma santé… Oui Sebastian va bien… Oui il travaille toujours à Naturalia… Non il ne peut pas te faire des réductions… Oui… Gros bisous à papa… Salut !

Lorsqu'il raccrocha, il ignora pourquoi, mais de grosses larmes jaillirent de ses yeux. Il s'enroula dans ses couvertures et sa solitude. Pleurant sa vie brisée en mille morceaux.

De l'autre côté du mur, Sebastian entendait Novembre pleurer, pour la énième fois. Il était allongé sur son lit, en pyjama. Sa chambre était toujours aussi non décorée, si l'on excepte le panneau « Lovely Milf » sur la porte que Sebastian, qui, pour une raison inconnue, n'avait pas enlevé. La situation l'embêtait au plus haut point. Oh, il avait déjà connu des épidémies. Il en avait même provoqué certaines. Ils voyaient les humains, si fragiles, tomber comme des papillons en fin de vie, happés par les maladies et les accidents. Par rapport à ce qu'il avait pu vivre dans le passé, cette épidémie était d'ailleurs beaucoup moins grave que d'autres. La médecine avait beaucoup évolué, et, dans un pays comme la France, le patient était bien pris en charge. Il y avait des morts, mais ce n'était rien par rapport à d'autre région du monde.

Lorsqu'il avait été forcé, pour des raisons économiques, de retourner au travail, il s'était senti presque soulagé de pouvoir sortir de l'atmosphère étouffante de l'appartement, avec son jeune Maître enfermé dans sa tristesse.

Il avait retourné le problème dans tous les sens, il ne savait pas quoi faire avec Novembre. Il ne comprenait plus le jeune homme. Il avait littéralement vendu son âme à un démon en échange d'une amitié, mais semblait rejeter entièrement Sebastian. De plus, il avait eu la force mentale (ou la stupidité) de faire un pacte avec un démon en échange de son âme sans poser de problème et maintenant à cause d'une petite épidémie il était sens dessus dessous ? Il avait tout à y perdre. Était-il tellement noyé dans son désespoir qu'il ne s'en rendait pas compte ?

Ce contrat était décidément bien ennuyeux. Il regrettait la vivacité et la rage de vaincre de son ancien contractant. Lui, lui ne s'aurait jamais laisser aller de la sorte. Il avait eu un objectif, pour nul autre que lui-même et avait tout fait pour y arriver. Utilisant chaque pion à sa portée. Certes il avait été loin d'être un Maître facile… Mais il avait mis du challenge dans l'existence de Sebastian.

Novembre lui avait… Baissé les bras. Il avait abandonné. Son âme sombrait tous les jours un peu plus dans les ténèbres, avalant les fragments de lumière qui lui avaient donné ce goût si spécial qui avait attiré le démon. Cela ne lui plaisait pas du tout.

Le lendemain, il croisa Thomas à Naturalia. C'était la première fois qu'il le voyait depuis qu'il avait pris son congé maladie. Apparemment, le jeune vendeur avait également posé des jours et ne retournait que maintenant au magasin.

Bien que Sebastian ne se l'avouait pas entièrement, il avait quelque peu… Manqué la présence du jeune homme, toujours joyeux et à l'écoute. Il était le seul de ses collègues à ne pas être intimidé par lui. Il s'était ennuyé sans lui, durant ces dernières semaines et s'était demandé si le jeune homme avait arrêté de travailler ici sans le lui dire au préalable.

Lorsqu'il le salua, il sut immédiatement que quelque chose n'allait pas. Le jeune homme avait maigri, son teint était cireux et il arborait de grosses cernes sous ses yeux fatigués.

- Salut Sebastian, dit-il d'une petite voix

Est-ce que tous les humains s'étaient mis à déprimer au même moment ?!

- Thomas. Comment vas-tu ?

Thomas esquissa un maigre sourire.

- Oh ça va… On traverse juste une pandémie mondiale dont n'ont avons pas le vaccin et qui fait que le simple fait de sortir représente maintenant un danger, mais mit à part ce petit détail, ça va.

Oui… Il pouvait imaginer qu'effectivement cela pouvait avoir un impact sur le moral des humains. Mais à ce point ?

- Thomas. Comment vas-tu vraiment ? Tu n'es pas venu pendant des semaines au magasin.

Thomas soupira un instant.

- Mes grands-parents ont eu le Covid… Ils sont à l'hôpital. On n'a même pas le droit d'aller leur rendre visite. C'est pas la joie à la maison en ce moment. Entre ma famille et moi c'est… Compliqué. Et j'ai dû cohabiter avec mes parents pendant plusieurs semaines sans voir mes amis. Et mes parents, ils ne sont pas faciles à vivre. C'est dur, Sebastian. Les hôpitaux sont saturés et… Ils privilégient les personnes avec les plus grandes chances de survie. Mes grands-parents ne font pas partie de cette catégorie. Et je ne peux même pas voir mes amis ou les inviter pour me sentir soutenu.

Il s'arrêta un instant puis continua :

- On s'envoie des messages et tout mais… C'est pas pareil. On se sent tous très seul. Dépassés par cette situation qui nous dépasse complètement. On aimerait se dire que c'est pas vrai, que ça peut pas arriver, mais pourtant c'est réel et on ne sait pas combien de temps ça va durer.

Se passant la main sur le visage il termina :

- Je suis retourné au boulot parce que j'en pouvais plus d'être chez moi, enfermé dans ma chambre, à entendre mes parents qui s'engueulent et qui sont constamment inquiets pour mes grands-parents. Ça fait du bien de sortir, même si c'est avec un masque, et de penser à autre chose.

Sebastian resta silencieux un moment

- Et toi, demanda Thomas, comment vont tes proches ? Tu as eu des cas de contamination dans ton entourage ?

Il réfléchit. Basiquement, son entourage se limitait à Thomas et à Novembre.

- Hum… Non.

- Ta famille va bien ?

- Oui elle va bien… Là où elle est, elle ne risque pas d'attraper le Covid

Thomas rigola

- Ah ouai ? Ils habitent où ? En Antarctique ?

- Non il fait… Légèrement plus chaud. Mais passons. J'ai un problème et j'aimerais demander, à nouveau, ton aide.

D'un accord implicite, ils se mirent dans un coin du magasin en faisant semblant de ranger les produits.

- C'est… Mon ami. Le même que dont je t'ai parlé la dernière fois. Ça ne va plus du tout et je ne sais pas quoi faire.

- Ah oui ? Comment ça, qu'est ce qui lui arrive ?

- C'est depuis l'annonce du confinement. Il reste cloitré dans sa chambre à ne rien faire. Il n'a plus cours, il ne travaille plus, il ne se lève plus même pour aller manger, il ne se lave plus… Il a pourtant 21 ans, il devrait être capable de faire ces choses-là. Et…

Sebastian fronça les sourcils.

- J'ai l'impression que toute cette épidémie -en plus du fait qu'elle tue des gens- elle les rend profondément malheureux. Est-ce à cause du fait qu'ils ne peuvent plus se voir entre eux ? Pourtant il y a les téléphones et les ordinateurs, les hum- les gens peuvent toujours se contacter. Je ne comprends pas.

Thomas regarda longuement Sebastian, l'air légèrement incrédule. Puis répondit :

- Tu sais, on a beau avoir toute la technologie du monde, cette foutue épidémie empêche les gens de se voir. Elle empêche les rencontres, à l'école, au travail, dans les loisirs. Les gens sont privés de tout loisirs accessibles ! Peut-être que ça ne t'affecte pas toi mais… Il fit une pause. Mais pour la plupart des gens, c'est très dur ce qu'il se passe. Sans compter le risque de contamination permanant ! C'est à en devenir paranoïaque !

- Donc si je comprends bien… C'est principalement l'impossibilité de se rencontrer, de rencontrer ses proches, qui affectent les gens ?

- Oui. Enfin, c'est juste ma vision des choses. Chacun vit cette situation différemment. Si j'étais médecin en ce moment, je ne dirais pas que le Covid m'empêche de voir des gens ou d'aller au travail. Par contre je serais sous une pression immense avec les cas grandissant de contamination et le risque élevé de chopper cette foutue maladie.

- Et donc, qu'est-ce que je peux faire pour mon ami ?

Thomas regarda dans le vide lorsqu'il répondit.

- Rien.

Sebastian était estomaqué. Comment ça, rien ?!

- Tu peux, repris Thomas, appeler le numéro d'SOS Suicide. Ils t'aideront mieux que moi. Moi… Désolé mais je ne peux pas t'aider.

Il fit un sourire qui n'atteignit pas ses yeux

- Je ne peux même pas m'aider moi-même.

Sebastian regarda ce jeune homme. Avant, les épidémies étaient des drames car elles tuaient des populations entières sans rien qui puisse être fait. Mais dans ce cas présent, c'était différent. C'était un drame car cela empêchait la vie entre les gens, destiné à être coincé chez eux.

Il se rendit compte de sa chance. Étant un magasin d'alimentation d'utilité publique, Naturalia était resté ouvert, permettant à Sebastian d'aller travailler. Certes, s'il avait été humain, il aurait été en première ligne de contamination, mais ce n'était pas le cas. Il pouvait sortir de cet appartement devenu étouffant. Novembre lui, ne pouvait pas. Il ne pouvait plus aller à l'école, plus voir ses amis -qui apparemment l'avaient laissé tomber-, ni même rentrer chez sa famille. Il était coincé entre quatre murs avec celui qui allait devenir son meurtrier.

Il s'apprêtait à répondre à Thomas lorsqu'il le sentit. L'appel.

Sebastian recita une excuse à Thomas et fonça. Il traversa la ville en un éclair et se matérialisa, pour la troisième fois, dans l'appartement. Il fonça dans la salle de bains et ouvrit brutalement la porte.

Novembre se trouvait sur le rebord de la baignoire. Il s'était maladroitement entouré d'une serviette blanche autour de son torse. Mais ce qui attrapa immédiatement le regard de Sebastian fut le sang coulant de deux profondes entailles dans l'avant-bras du garçon. L'eau de la baignoire était rouge, des gouttes vermeilles tombaient en ruissellement sur le sol, formant une flaque de sang aux pieds de Novembre. Par terre, un cutter, lui aussi imbibé de sang.

- Monsieur !

- Sebastian…

Novembre pleurait silencieusement.

- J'ai vraiment besoin d'aide. Emmène-moi à l'hôpital.

Bonsoir ! Merci d'avoir lu jusqu'ici ! Je voulais juste faire un peu de prévention. Si vous allez mal psychologiquement, vous n'avez pas à attendre d'en arriver à faire une tentative de suicide pour demander de l'aide. Si vous faites des actes d'automutilations, que vous avez des idées noires, que vous commencez à vous imaginer des scénarios de suicide, vous êtes une urgence médicale. Vous pouvez faire votre sac, aller aux urgences de l'hôpital le plus proche et demander de l'aide. Cela ne guérira pas tout vos problème, mais s'ils vous hospitalise, vous ne serez plus un danger pour vous même. Ils vous diagnostiqueront si vous souffrez d'une dépression, et si c'est le cas, commencerons un traitement.

N'attendez pas qu'il soit trop tard.

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