L'hôpital Claude Bernard était un grand campus hospitalier qui regroupait plus de huit différentes sections en son sein. Il y avait le bâtiment principal, qui regroupait les cellules de soin de type cancérologique et cardiaque. Puis, sur les côtés, dans des bâtiments en pierres anciennes, le département des soins des maladies tropicales, le département gynécologique et enfin de département psychiatrique. Il y avait également un parc et une petite chapelle dans le fond du site.
Sur le campus, médecins, , aide , patients, étudiants et visiteurs se confondaient dans le hall principal. Cela donnait à l'endroit un air d'aéroport.
Lorsque Sebastian, portant Novembre dans ses bras, arriva à l'entrée de l'hôpital, il demanda immédiatement où étaient les urgences. Le sang n'arrêtait pas de couler du bras du jeune garçon et ce dernier était quasi inconscient. Paniqué, il se présenta à l'accueil des urgences. Dix minutes plus tard, le jeune homme était mis sous perfusion et emmené dans les entrailles de l'hôpital. Sebastian n'était pas autorisé à l'accompagner. Il était inquiet. Les humains étaient tellement fragiles. Perdre trop de sang pouvait leur être fatal.
Coupé dans ses pensées, il fut appelé à l'accueil. Une femme brune d'une trentaine d'année lui demanda :
- Monsieur, pour les soins nous avons besoin de la carte vitale, carte de mutuelle et que vous remplissiez un papier qui désigne une personne de confiance avec qui nous pourrons partager les informations médicales du patient.
- Très bien.
Il avait pensé, en habillant rapidement Novembre, à prendre son portefeuille. Il y sortit les pièces demandées. Puis il prit le stylo et commença à remplir le papier. Il remplit l'identité de Novembre, puis la sienne avec son numéro en cas de besoin.
- Quand pourrais-je savoir si mon ami va bien ?
- Vous serez prévenue dans quelques heures. Vous pouvez attendre ici, on vous appellera.
Alors Sebastian s'essaya et attendit, prenant son mal en patience. N'ayant rien d'autre à faire, il regarda autour de lui. Les hôpitaux semblaient bien plus performants et salubres qu'au 19ème siècle. Les murs étaient peints en blanc, avec quelques affiches de prévention et d'explication sur le fonctionnement des urgences. Des néons blancs étaient allumés au plafond. La salle était assez grande pour y contenir, assis, une cinquantaine de personnes. À ses côtés se trouvait un jeune homme gémissant et saignant du pied, salissant le sol. Plus loin, une mère avec un jeune enfant qui pleurait. Des personnes d'origine et d'âge différent, attendant tous dans cet air aseptisé. Des écrans affichaient des numéros, que chaque patient prenait à leur entrée dans les urgences. Il était appelé dans leur ordre d'arrivé. Toutes les vingt minutes environ, une infirmière poussait la porte menant à l'intérieur des locaux pour appeler un nom.
Les heures passèrent, son nom n'était toujours pas appelé. Son esprit pensait furieusement. À quoi son Maître avait-il pu bien penser pour faire cela ? Sebastian était en colère contre Novembre, mais également contre lui-même. Ils l'avaient convenu dans le contrat. Il devait protéger le jeune humain, même de lui-même. En tant que démon contractant, il avait échoué. Il aurait dû réagir bien avant. Il avait pensé… Que Novembre savait ce qu'il faisait. Mais il s'était trompé. Le jeune homme était
complètement perdu.
- Monsieur Sebastian Michaelis ?
Il se leva
- Oui ?
L'infirmière jeta un coup d'œil à son dossier.
- Vous êtes… La personne de confiance de Madame Novembre Forestier ?
- Oui. A vrai dire c'est Monsieur.
- Oui, je vous ai appelé Monsieur.
- Non je voulais dire… Ce n'est rien, ce n'est pas grave, comment va-t-il ?
L'infirmière parut stupidement confuse, ce qui irrita le démon qui avait attendu pendant des heures.
- Vous parlez… De la patiente Madame Forestier ?
- Oui ! De qui d'autre voulez-vous que je parle ?!
Il y eut un moment de silence, puis l'infirmière sembla lâcher l'affaire.
- Elle va bien. Elle a perdu beaucoup de sang mais est sous perfusion maintenant. On a dû lui faire une dizaine de points de sutures. Lui dit-elle.
- Quand est ce que je pourrais le voir ?
- Eh bien…
L'infirmière parla plus bas.
- Nous en somme quasiment certain mais il nous faut une confirmation. S'agissait-il bien d'une tentative de suicide ?
- Oui, s'en était bien une.
- Dans ce cas… L'infirmière se redressa. La patiente va être transférée, lorsque sa santé physique ira mieux, au département psychiatrique. Elle sera prise en charge là-bas.
- Très bien. Mais vous n'avez pas répondu à ma question. Quand pourrais-je la voir ?
- Avec le Covid Monsieur, les visites sont interdites, je suis désolé.
Il resta un moment sans un mot, puis répondis
- Très bien
Il se leva et, sans un mot de plus, sortit de la salle.
Novembre sortis peu à peu des ténèbres qui l'entouraient. Des bruits lointains parvenaient à ses oreilles. Il essaya d'ouvrir les yeux. Tout était flou. Il essaya de se rappeler où il était. Des flashes de mémoire lui revirent. Le désespoir. La salle de bains. Le cutter. Le sang.
Il avait fait une sacrée connerie.
Engourdis, il essaya d'ajuster sa position sur le lit. Son corps était faible et la tête lui tournait. Il vit des bandages entourant son bras gauche, ainsi qu'une perfusion à son autre bras. Puis il referma les yeux, se laissant nager dans sa sensation de coton dans lequel il semblait flotter.
Quelque temps plus tard -Novembre avait perdu la notion du temps- une infirmière arriva dans sa chambre. Elle lui fit un bilan des soins réalisés, puis lui annonça son transfert prochain au département psychiatrique. Le jeune homme se contentait de hocher la tête, n'ayant rien de plus à ajouter.
Lorsqu'il fut suffisamment réveillé, on lui donna son sac avec ses vêtements et ses affaires, puisqu'il avait été mis en tenue d'hôpital, et un infirmier le conduisit en dehors des urgences, en direction du bâtiment psychiatrique.
Tandis qu'ils marchaient dans le froid d'une soirée de mars, Novembre ne pensait à rien. Son esprit était engourdi. Ses pensées flottaient, de çà et là, sans s'attarder. C'était une situation irréelle. Il regardait sans les voir ses chaussures, désormais privé de lacets, avancer en mode automatique sur le bitume de l'enceinte hospitalier. En levant la tête, il vit qu'ils s'approchèrent d'un petit bâtiment éclairé. Derrière, dans l'ombre de la nuit, se dressait un gigantesque tuyau, comme ceux des usines du 19eme siècle. Le jeune homme se demanda vaguement ce que cette construction faisait dans l'enceinte d'un hôpital. Puis cette pensée le quitta alors qu'ils entrèrent dans un hall qui menait à l'entrée du bâtiment.
L'infirmier salua ses collègues, dans une salle tout près de l'entrée. L'air y était agréablement chaud comparé au froid de la nuit, sans autre couche que les vêtements en tissus d'hôpital sur le dos. Le jeune homme prêtait un œil distrait et fatigué aux infirmiers, qui semblaient lire son dossier. L'un d'eux, le plus âgé, lui adressa la parole .
- Novembre Forestier, c'est bien ça ?
- Oui, c'est ça, répondit ce dernier d'une petite voix.
L'infirmier s'approcha et désigna son sac d'affaires.
- Je sais que ce n'est pas fou comme entrée en matière, mais on doit fouiller dans tes affaires. Il y a une liste de choses interdites à avoir pour les patients dans ce bâtiment. Si tu veux bien, on va regarder. On te rendra tes affaires confisquées à la fin de ton séjour ici ne t'inquiète pas.
Novembre commença à déballer sur la table ses affaires. Il y avait assez peu de choses, toutes somme faites.
- Alors. Si tu en as, tu dois nous donner tes chargeurs et casques à fils. Tes médicaments si tu en as. Tes clefs. Des objets tranchants ou piquants, et tes lacets. Et de la drogue, si tu en as.
Novembre n'avait rien de tout ça. Il avait juste sur lui ses vêtements, ses chaussures et son portable. Sebastian l'avait habillé en vitesse et le jeune homme remarqua avec amertume qu'il n'avait pas son binder. Il n'avait pas non plus son chargeur, ni son casque anti bruit, ni ses boules Quies pour dormir. Cela allait poser problème. Il demanda alors :
- Est-ce que les visites sont autorisées ? Il y a des affaires que j'aimerais que l'on apporte.
Les infirmiers se regardèrent.
- Eh bien… Officiellement non, les visites sont interdites à l'hôpital. Avec le Covid et tout. Cependant, le responsable du bâtiment psychiatrique à exigé que la possibilité des visites soient maintenues. Donc disons qu'il faut être discrets. N'allez pas ramener vos groupes de potes sur le campus.
Novembre acquiesça. Cela ne risquait pas d'arriver.
- Pour les visites, elles sont réglementées. Tout d'abord, durant tes cinq premiers jours ici, tu n'as pas le droit de sortir. Les visiteurs et toi allez donc devoir rester dans le hall pour vous voir. Les horaires sont de 14h à 18h. Pense à prévenir quelqu'un du personnel hospitalier si vous sortez du bâtiment, passé les cinq premiers jours. Compris ?
- Compris.
- Très bien, sur ce je vais te montrer ta chambre.
Ils marchèrent. Le bâtiment avait plusieurs étages, mais Novembre remarqua que pour sa part, il restait dans la partie du rez-de-chaussée. Il y avait une dizaine de chambre seulement, avec une salle de jeux, une salle de repos pour le personnel et deux bureaux pour les médecins. C'était relativement petit, mais accueillant, pour un hôpital.
- Bienvenue. Ta chambre est la numéro 7.
Novembre poussa la poignée. La chambre était étonnamment grande, avec un fauteuil, un lit d'hôpital, une table à roulette, des placards intégrés au mur, et une salle de bain comprenant douche et toilette. La fenêtre donnait sur une cour, avec des plantes autour pour donner un peu d'intimité.
- Il y a des à toutes heure du jour et de la nuit. Si iels ne sont pas dans le bureau où on a vérifié tes affaires, regarde dans la salle de pause. Si tu as besoin de parler ou si tu as des questions, n'hésite pas.
Alors que Novembre installait ses quelques affaires, l'infirmier lui apporta un plateau repas. Novembre s'aperçut qu'il avait effectivement très faim, et même si les plats n'étaient pas végans, il mangea en entier les féculents et les légumes décongelés comme si c'était la meilleure nourriture au monde. Puis, on vint lui donner un médicament avant d'aller dormir, et, une fois mis sous les draps, Novembre s'endormis aussitôt.
Il flottait. Novembre flottais. Plongé dans une torpeur des plus agréable, il savourait cet instant où il pouvait faire une pause d'être lui. Il souhaitait rester dans cet état indéfiniment. Il entendait des voix près de lui, mais elles lui paraissaient si loin, si distantes. Elles ne le réveillaient pas, au contraire, elles le berçaient.
- La patiente…. Dose trop importante…. Valium…..
Novembre ne comprenait pas et n'essayait pas de comprendre. Il oubliait et s'oubliait délicieusement lui-même.
Lorsqu'il revint à lui, le ciel était aussi sombre que lorsqu'il s'était endormi. Ne comprenant pas, Novembre essaya de reprendre ses esprits. Il avait eu l'impression -et avait toujours l'impression- d'avoir été drogué. Avec un peu d'effort, il comprit qu'il avait dormi, ou plutôt été sédaté, durant 24 heures. À sa droite, un plateau repas l'attendait. Essayant de maîtriser ses mouvements, il mangea.
Puis on vint lui donner à nouveau son médicament du soir.
- On a baissé de moitié la dose de Valium. Vu comment tu as dormi, c'était clairement trop pour toi hier, dit l'infirmière.
Novembre ne savait pas ce qu'était le Valium, mais n'eut pas de mal à deviner ses effets. Il le prit, et s'endormit à nouveau immédiatement.
Durant les jours qui suivirent, Novembre continua à dormir beaucoup. Lorsqu'il était suffisamment réveillé, il eut droit à divers entretiens avec psychiatres et psychologues. Puis le verdict tomba : Trouble anxieux et dépression sévère. On mit alors le jeune homme sous antidépresseurs et anxiolytiques. Il savait maintenant d'où venait ses tremblements de muscles, qui étaient dû à ce troubles.
Le jeune n'avait quasiment pas utilisé son portable et, durant son cinquième jour d'hospitalisation, regarda enfin ses messages. Il n'en avait aucun. Soupirant, allongé sur son lit. Il contemplait sa vie.
Je ne manquerais à personne si je n'étais plus là. Si j'étais mort en me suicidant personne ne l'aurait remarqué.
Novembre ne savait pas comment il se sentait. Lorsque les infirmières lui demandaient chaque matin s'il avait des « idées noires » il ne savait que répondre. Il se sentait simplement vide. Il n'avait plus l'énergie de vivre. Il voulait juste qu'on le laisse tranquillement mourir.
- Eh bien. De tous les Maîtres que j'ai pu avoir, vous faites bien partie des plus pitoyables.
Coupé dans ses pensées, Novembre releva vivement la tête.
- Sebastian ! Qu'est-ce que tu fais là ?
L'homme en noir était debout, dans un coin de la chambre. Il leva un sourcil.
- Je vous rappelle que nous avons un contrat, vous et moi. Vous pouvez essayer de m'échapper, même dans la mort, cela ne marchera pas. Nous sommes liés. Je suis votre ami maudit durant trois ans. D'ici là, vous ne vous débarrasserez pas de moi.
Un silence tendu tomba.
- Tu te crois vraiment le centre du monde, hein ?
- Je vous demande pardon ?
Novembre croisa les bras.
- Tu crois vraiment que j'ai essayé de mettre fin à mes jours pour t'échapper ? Tu as les chevilles enflées, Sebastian. Tout ça.. Novembre agita les mains, n'as rien à voir avec toi !
- Je crois que cela me concerne un peu, malgré tout ce que vous pouvez dire.
Il s'approcha du lit à pas lent.
- J'ai accepté de faire un contrat avec vous, et de remplir vos souhaits. Vous m'avez donné trois ans de votre vie. J'ai passé un contrat avec un jeune homme désespéré par la vie… Mais aussi désespéré de vivre. Vous aviez soif de vie, lorsque je vous ai rencontré. Et maintenant…
Il toisa Novembre d'un regard dédaigneux.
- Vous n'avez plus aucune volonté. Vous vous morfondez sur vous-même comme un enfant qui boude. Vous laissez simplement le temps glisser sur vous en attendant votre mort. Fainéant. Immature. Et pire...
Il était maintenant à quelques centimètres du visage de Novembre.
- Vous avez essayé de précipiter votre mort. Et cela, je ne l'accepterai pas. C'est moi, en tant que votre contractant, qui se doit de vous donner la mort. Et croyez-moi que quand je vous la donnerai, je souhaite que votre âme ait retrouvé son éclat. Car pour l'instant… Votre âme pue comme un cadavre en décomposition.
Novembre était en colère
- Espèce de-
- -Est-ce vraiment comme cela que vous voulez finir ? Seul, éteint, amorphe. Vous avez eu le culot de vous payer mes services. Votre vie est sur un compte à rebours. Vous allez mourir. Et c'est comme ça que vous souhaitez passer le reste de votre vie ? J'ai connu des gens qui avaient vécu des malheurs bien plus conséquents que vous qui se tenaient droit, prêt à attraper jusqu'au moindre fil d'araignée pour s'en sortir. Et vous ? Regardez-vous. Vous avez une belle vie. Vos parents vous aiment. Vous habitez un bel appartement dans une des plus belles villes du monde. Vous faites des études qui vous plaisent, vous avez du talent. Et pourtant !...
- TU NE SAIS RIEN DE MOI !
- … Vous vous complaisez dans votre douleur comme si vous étiez un cochon en cage destiné à l'abattoir.
- TAIS-TOI !
- Je pense qu'au contraire vous devriez écouter et réfléchir. Vous trouvez mes paroles dures ? Mais n'est-ce pas parce qu'elles touchent un fond de vérité ? Vous savez tout ce que je viens de dire. Mais l'entendre de la bouche de quelqu'un d'autre… ça, vous ne le supportez pas.
Novembre était totalement recroqueviller sur lui-même. Il ne répondit pas.
- C'est bien ce que je pensais.
Il se redressa.
- Je reviendrais vous voir lorsque vous aurez retrouvé votre dignité. En attendant, sachez que vous m'empêchez d'accomplir ma part du contrat.
Et il disparut.
