Des jours avaient passé. Novembre avait contacté Justine pour qu'elle vienne lui apporter quelques affaires. Ils ne se parlaient plus depuis le début du confinement, mais Justine était la seule à qui il pouvait lui demander. Même si Novembre lui en voulait d'avoir été aussi distante depuis l'apparition du Covid, il était hors de question de demander à Sebastian.
Justine était donc arrivée, un gros sac dans les mains, dans le hall du bâtiment. Les deux amis étaient
gênées.
- Salut, marmonna Novembre
- Salut.
Un silence passa. Ils s'assirent sur un des bancs présents dans le hall.
- Donc… ça fait combien de temps que tu es ici ? Demanda son amie
- Une semaine.
- Cool…Cool… Et hum… Pourquoi t'es à l'hôpital en fait ?
Cette discussion était ridicule.
- Pour… Une connerie que j'ai faite.
- Ah…
- Ouai…
- Okay hum… Je t'ai ramené ce que tu m'as demandé.
Elle ouvrit le sac.
- Vêtements, dont ton pyjama. Ton casque anti bruit. Tes boules Quies. Ton matériel de dessin… Ah et je t'ai apporté des chocolats, je les aie planqués au fond du sac.
La rancœur de Novembre envers son amie s'apaisa légèrement.
- Merci. C'est gentil.
Il prit le sac sur ses genoux. Il vérifia les carnets qu'il lui avait demandé de ramener. Il espérait très fort que son amie avait respecté son intimité et ne les avait pas ouverts.
- Et donc… Tu t'es engueulé avec Sebastian ?
Novembre tourna la tête.
- Quoi ?
- Ben, j'ai été étonné en voyant ton message. Si quelqu'un avait été le plus à même de te ramener des affaires, c'est lui. Il vit littéralement avec toi.
- Hum. Pas faux.
- Donc ? Tu t'es engueulé avec lui ?
Novembre soupira.
- Oui…Et non. Enfin oui. Enfin je sais pas.
- C'est-à-dire ?
- Disons qu'il a été très énervé que je vienne ici et… Il m'a engueulé. Il m'a dit des choses que j'aurais voulus ne pas entendre mais…
Il soupira.
- Il m'a engueulé et moi j'étais en PLS à côté. Mais je pense qu'il a raison sur pas mal de points. Que je le veuille ou non. Il m'a fait réaliser que peut-être… J'étais en tort.
Justine regarda Novembre.
- Damn ! Je me demande ce qu'il a bien pu te dire. Il en faut pour te faire changer d'avis et te faire voir un autre avis que le tient.
- Eh !
- Désolé, mais c'est vrai. Je t'adore Novembre, mais tu es une vraie tête de mule. Une fois que t'as une idée ou un avis en tête, impossible de te faire changer de direction.
- Mais vous avez quoi tous à me sortir mes quatre vérités ?!
Justine haussa les épaules.
- C'est l'époque je suppose. C'est un peu la fin de monde alors forcément ça lâche ou ça explose de ça et là. Moi j'ai eu besoin de temps pour moi. C'était dur pour moi aussi, le confinement. Être coincé chez mes parents c'était vraiment pas cool. Pour te dire, mon père insiste pour qu'on garde tous nos masques à la maison et refuse de me parler quand je n'en porte pas. Alors qu'on vit littéralement ensemble ! Donc ouai. C'est dur pour tout le monde.
- … C'est pour ça que tu ne me parlais plus ?
- Non… Je suis juste… Mauvaise à garder des relations d'amitié à distance. Je fais de mon mieux, mais rien à faire. Je ne pense pas à envoyer un message ou à répondre.
- Je vois…
Novembre était blessé. Était-il donc si facilement oubliable, même par sa meilleure amie ?
Un silence se fit. Tous deux étaient plongés dans leurs pensées.
- Et sinon, tu as pu avancer sur ton projet de fin d'année ? On est déjà en mars.
Justine avait coupé Novembre dans ses pensées.
- Non… Et toi ?
- Un peu. J'ai commencé à faire mes recherches et des croquis préparatoires. J'ai des idées en tête.
- La chance… Moi je suis complètement à la ramasse. Le rendu est dans quatre mois et je n'ai toujours pas d'idée…
- Tu peux en profiter d'être ici pour travailler. Au moins tu es au calme et puis… C'est pas comme si t'avais dix mille choses à faire de tes journées. Je me trompe ?
Novembre supprima un soufflement d'agacement.
- Tu sais je ne suis pas ici pour le plaisir. J'ai pas demandé à ce qu'il m'arrive…
Il gesticula
- Tout ça. Donc pour information je consacre mes journées ici à ne pas mourir et c'est déjà pas mal de taf.
A nouveau un silence se fit. Puis Justine se leva.
- J'ai pas envie de discuter avec quelqu'un qui balance toute sa mauvaise humeur sur moi. J'y vais. Bon courage pour ne pas mourir.
Et Novembre regarda son amie s'en aller sans se retourner.
Silencieusement, il se leva à son tour et regagna sa chambre et passant le plus discrètement possible devant le bureau des infirmiers, il referma sa porte derrière lui.
Cachant son sac dans un des placards, il s'allongea sous ses draps. À nouveaux, cette sensation de vide. De vide immense. Il ferma les yeux.
C'était injuste. Justine et Sebastian ne savaient rien de ce qui était arrivé à Novembre. Il n'avait rien dit. Pas soufflé un mot de ses traumatismes. N'importe qui aurait fini à l'hôpital, et ce, bien plus tôt que maintenant. Il était seul à porter ces énormes poids sur sa conscience. Aurait-il dû parler ? Était-il donc en tort de tout ? Il avait essayé de continuer sa vie, de se tenir droit. Il avait continué à serrer les dents et à avancer. Continuer les cours. Continuer de passer du temps avec ses amis. Mais le confinement… Avait été la goutte de trop. Il est tombé en dépression. Et Novembre se demandait honnêtement comment il avait fait pour ne pas tomber en dépression plus tôt.
La partie gauche de son visage se mit à trembler. Encore. Les médecins l'avaient rassuré en lui disant que c'était là un symptôme de son trouble anxieux qu'il avait somatisé et qu'il ne s'agissait pas d'un symptôme d'une maladie grave. Mais les médicaments prenaient du temps à faire leurs effets et les tremblements ne s'arrêtaient pas.
Il serra les poings.
C'était injuste. Il avait le droit d'aller mal. Le droit de ne pas aller bien. Le droit de vouloir qu'on lui fiche la paix. De vouloir mourir.
Laissez-moi mourir
« Vous vous complaisez dans votre douleur comme si vous étiez un cochon en cage destiné à l'abattoir. »
Et toi ! Sebastian ! Tu ne sais rien ! Absolument rien ! C'est si facile de clasher quelqu'un dans une position de vulnérabilité !
C'est alors qu'il se rappela cette nuit-là, dans l'église. Sa force devant Sebastian. Sa décision de vendre son âme pour obtenir un ami. Quelqu'un qui ne le quitterai jamais. Qui serait toujours là pour lui. Ce jour-là il avait regardé la mort dans les yeux, avec une rage de vivre tel qu'il n'en avait jamais connu.
Sebastian avait raison. Il avait eu soif de vie. Même devant la mort. Même après avoir pris cette terrible décision. Oui il allait mourir. Il le savait. Depuis cette terrible nuit, il le savait.
Il sortit la tête de sous ses draps. Il regarda sans un mot sa chambre d'hôpital, blanche et froide. Il avait atteint le fond en essayant de se suicider. Les mots de Sebastian tournaient en boucle dans sa tête.
- « Est-ce vraiment ce que vous voulez ? »
Non… Je veux vivre… Tout au fond de moi je veux vivre… Sinon je n'aurais pas appelé Sebastian, je n'aurais pas demandé à ce qu'on m'amène à l'hôpital. Je veux m'en sortir… Je veux guérir et je veux vivre ! J'ai fait ce contrat pour une raison et je compte bien ne pas le gâcher. Oui… J'ai atteint le fond mais maintenant je veux voir la surface. Je veux me battre ! Il me reste trois ans à vivre et je veux les vivre pleinement !
- Sebastian, dit-il haut et fort.
Le démon apparut, assis dans le fauteuil.
- Eh bien, eh bien… Le cochon a-t-il décidé de sortir de sa cage ?
- Tais-toi.
Un sourire moqueur s'affichait sur les lèvres du démon.
- Je ne m'attendais pas à être appelé aussi vite. Vu dans l'état où vous étiez, je m'attendais à être appelé sur votre lit de mort.
Novembre resta un moment le regard fixé sur les couvertures. Puis planta son regard dans celui du démon.
- J'ai décidé de me battre. Je veux vivre, vivre pleinement ce qu'il me reste de ma vie.
- Vous m'en voyez ravis.
- J'ai aussi décidé de te permettre de remplir ta part du contrat.
Sebastian leva un sourire interrogateur.
- De te permettre de devenir mon ami. C'est quelque chose que j'ai demandé dès le début du contrat, mais je n'ai quasiment fait aucun effort pour que cela se fasse. Je crois…
Il tritura un moment les couvertures.
- … Que je vais te permettre d'apprendre à me connaître.
- Et comment comptez-vous faire ça ?
- Il y a longtemps dans un….Roman que j'ai lu, deux personnages qui n'avaient rien en commun excepté un pacte, ont mis en place un jeu pour apprendre à se connaître mutuellement.
Sebastian sourit. Un jeu ? Cela lui plaisait.
- Les règles sont très simples. Chaque participant pose l'un après l'autre une question à l'autre, qui se doit d'y répondre honnêtement. Interdit de poser deux questions « Importantes » à l'autre de suite. Le jeu se met en pause dès que l'un des participants en a envie et peut ainsi durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
- Je vois. Et quand est ce que la partie se termine ?
- Dans notre cas, je pense qu'on peut dire qu'elle se termine quand mon âme sera tienne.
Le démon croisa les mains.
- Très bien. J'accepte de jouer.
- Cependant ! Tu n'as pas le droit de te défaire de ta promesse faite lors du pacte. Tu doit agir comme un ami. La manipulation psychologique ça marche une fois mais c'est tout !
- Compris, dit-il sans se départir de son sourire. Et quand le jeu commence-t-il ?
Novembre réfléchis.
- Demain. Rends-moi visite comme un humain, texte-moi quand tu arriveras et nous discuterons.
- Très bien Monsieur.
Avant que son démon parte, Novembre s'écria
- Sebastian !
- Oui ?
- Pour l'amour du ciel apporte moi un repas. J'en peux plus de manger cette nourriture d'hôpital.
Sebastian, main sur le cœur, s'inclina.
- Très bien. À demain Monsieur.
Merciiiii d'avoir lu jusqu'ici ! Alors, après avoir lu la très gentille review de Guest (3) J'ai un peu réecrit le chapitre mais je n'en suis toujours pas satisfait. Qu'on soit bien d'accord, dans la vraie vie, quelqu'un avec une dépression dévère... C'est peut probable qu'elle soit là en mode "AH mais en fait je veux vivre" MAIS BON on est dans une histoire, et , de plus, la situation de Novembre est assez particulière. Sa vie est mit sur un compte à rebours, et Sebastian est l'unique personne (pour l'instant) présent pour lui. Ses mots manipulateurs ont donc leur effet sur Novembre. Et puis... Sebby ne passe pas de contrat avec n'importe qui...Novembre est plus tenace qu'il n'en à l'air...
